SOCIETÉ PORTRAIT Serge Verge s est battu pour fuir la rue UNE RENAISSANCE REMPLIE D ESPOIR Hébergé en centre car sans domicile fixe, il se sert des leçons apprises dans la rue pour se reconstruire. Vingt mois de rencontres, de chances et de détermination. Sa seule motivation aujourd hui est de démarrer une nouvelle vie. Un euro pour survivre, un sourire pour vivre. Serge Verge a 52 ans. Il ne laisse trahir son âge qu avec ses cheveux grisonnants. S il n est plus sans abri, il reste SDF (Sans domicile fixe). 11 mois dans la rue, 9 mois en centre d hébergement Emmaus. On ne les regarde pas. On ne leur parle pas. Parfois une pièce ou un sourire gêné. Toujours vite oubliés. Lors de ses nuits dehors, sans travail et sans toit, le sentiment de ne pas être comme tout le monde plane. Les regards détournés ou remplis d animosités blessent beaucoup le cinquantenaire. Serge n en est pas moins plein d espoir «Riche ou pauvre, tu trouves toujours quelque chose d identique chez l être humain». Se souvenir qu il existe et lui donner de l estime sont les plus beaux cadeaux qu on lui offre «Les sourires, les discussions, c est agréable, ça passe le temps. Tu te rappelles que tu es un être humain». Cette humanité, Serge la retranscrit physiquement : propre sur lui, coiffé et rasé. Jour après jour, son apparence est restée la même. Une chose très importante à ses yeux. Une coquetterie qui lui a souvent jouer des tours : «Parfois les gens ne savaient pas que j étais SDF». Sa principale motivation est lui même. Se laisser aller, très peu pour lui. 2 ou 3 jours et il se reprend en main. Au jour le jour 1 sur 5
Sans jamais oublier, il se rend à ses rendez-vous, monte ses dossiers et les actualise. Chanceux? Il ne pense pas. Il se bat en compagnie des assistantes sociales dont il est très reconnaissant. Il espère reprendre contact avec ceux qui lui ont apportés de l aide. A quelques pas de son centre d accueil situé à Pereire, le cinquantenaire profite de son expérience pour aider les passants à trouver leur chemin : «A force de marcher, j ai appris à connaitre le quartier et les lieux». D un naturel solitaire, c est dans la rue qu il apprend à s ouvrir : «J aimais rester seul mais obligatoirement on rencontre des gens et on s habitue à discuter avec n importe qui». Des rencontres furtives qui ne perdurent pas dans le temps. Serge ne souhaite pas créer de liens particuliers avec ses semblables. Il n a aujourd hui plus aucune nouvelles de ses rencontres «Dans la rue on ne s échange pas de numéros». ENCADRÉ Une rencontre inhabituelle Le premier jour du plan grand froid, Serge est en direction d un gymnase prêt à l accueillir dans le 15e arrondissement parisien. Là-bas, il y rencontre Anne Hidalgo, maire de Paris, en visite. Plusieurs chaines d informations l entourent : Europe 1, France 2, BFM TV... Ce 15 janvier, elle vient visiter les lieux, les installations. Lorsqu elle remonte, Serge descend. Elle lui sert la main, ils discutent «Ça fait bien». A ce moment, il se rend compte que nos politiques sont en réalité à 1 000 lieux de savoir ce qu il se passe réellement sur le terrain. Des élus en chaussons! La 2 sur 5
maire socialiste arbore un grand sourire et s élance : «Pour trouver un centre, vous devez trouver un SIAO (Service intégré d accueil et d orientation) et revenir à la fin de votre entretien». Justement, Serge a rendez-vous le lendemain. Il se rend rapidement compte qu elle ignore les délais de vigueur, plus d un mois d attente pour rencontrer une assistante sociale à la suite du premier entretien. Anne Hidalgo repart bredouille, Serge est interloqué. La résistance Son parcours quotidien est sensiblement le même. Dans le métro ou en arpentant les rues afin de se réchauffer et faire charger son téléphone : son arme de survie. Malgré tout, il craint la rue. La peur de tomber sur des mauvaises rencontres est constamment présente «Je préfère éviter l embrouille alors je cherche les endroits les plus reculés possible». Son premier objectif est de trouver un endroit où dormir, la nourriture est optionnel. Serge peut passer plusieurs jours sans manger, ça ne le dérange plus. La journée, il marche, se réfugie dans les bibliothèques ou les centres d accueil pour un café, une discussion, une prise. La nuit, il jongle avec les cartons et marche jusqu à l ouverture du métro «sinon, on te ramasse au levé du soleil». Par moment, Serge perd pied. Pour tenir, il bois. Cette addiction l aide à créer des liens «Lorsque je voyais un groupe avec une bouteille, je tapais l incruste et passais la soirée avec eux». D un naturel timide, il admet avoir eu du mal à aller vers les autres. Lorsqu il avoue qu il n aurai pas supporté sa vie sans l alcool, sa voix vacille. Grâce à cette aide, il oublie certaines idées noires et n abandonne pas. 3 sur 5
RELANCE «J ai toujours cherché les opportunités au gré du vent» La vie en rose Serge ne se projette pas dans l avenir, il n a aucune certitude de s en sortir. Après un BEP électromécanique, il travaille dans les kiosques et boutiques souvenirs. Cela dure 15 ans. S en suit 4 ans de chômages et petits boulots. Il trouve ensuite une place dans un chantier de réinsertion où il travaille 26 heures par semaine. Puis sa vie dégringole. Il se retrouve dehors en 2009. Son ancienne compagne le quitte et part avec son fils au Portugal. Aujourd hui âgé de 27 ans, il représente sa petite fierté. Journaliste, son fils à réussi...un peu grâce à lui «Je m occupais de devoirs car sa mère travaillait la journée». Une mère décédée, un père absent. Il garde néanmoins contact avec sa petite soeur. Elle connait sa situation mais il ne souhaite pas la déranger. Débrouillard, il trouve souvent à squatter chez des amis ou collègues. La rue commence réellement en 2016. Aujourd hui, il n a aucune envie particulière, simplement retrouver un travail «Je peux découvrir un domaine que je ne soupçonne pas et qui m intéresse». Pour cela, il espère, très motivé, continuer d avancer. Dans sa tête, vivre au jour le jour est devenu une habitude. Il lui faudra encore du temps pour passer à autre chose et se reconstruire. 9 mois plus tard, s il souhaite partir du centre, il sait au fond de lui qu il lui reste du chemin à parcourir «Mon but n est pas de finir mes jours là bas, j ai encore des choses à vivre». 4 sur 5
Eugénie LORIOTTI 5 sur 5