1. Cas clinique d une patiente dont la 11 présente une restauration inesthétique. La stratification des composites esthétiques Quelle méthode pour quel résultat? Thomas Roux, Stéphane Cazier, Romain Chéron La reconstitution de dents antérieures à l aide de résine composite stratifiée reste un procédé délicat à appréhender pour la plupart des praticiens. C est en effet un acte difficile, à la fois dans l obtention d un résultat esthétique et reproductible, mais aussi dans l efficacité de l activité du cabinet [2]. La pose de l indication d un tel traitement peut se faire dans le cadre du «gradient thérapeutique», selon diverses situations cliniques : une fracture coronaire suite à un traumatisme, la reprise d une restauration devenue inesthétique, une lésion carieuse, ou même pour palier un défaut de forme ou de teinte des dents afin d homogénéiser un sourire [6]. Le but de cet article est de faire le point sur une méthodologie simple au travers d un temps par temps clair. Nous soulignerons les étapes clés, pour avoir un résultat le plus prédictible possible, en respectant les critères biologiques, mécaniques, fonctionnels et esthétiques [4]. Analyse préopératoire Pour pouvoir appréhender la restauration d une dent antérieure, l étape d analyse préopératoire est un préalable fondamental. Elle nous permet d observer l anatomie de la dent restante ainsi que la morphologie des dents adjacentes qui vont servir de références autant pour la forme de la dent, que pour l analyse des différents aspects de teinte (fig. 1). 2 L INFORMATION DENTAIRE n 27-4 juillet 2012
composites stratifiés 2. La prise de teinte est faite en début de séance, avant que la dent ne soit déshydratée. Elle est validée avec des plots de composite polymérisés au niveau «tiers cervical-tiers moyen», et au niveau du bord libre. 3. Mise en place d un champ opératoire étanche de prémolaire à prémolaire. Il est suffisamment «ouvert» pour libérer l accès visuel, et mettre en place la clé en silicone. L accès aux autres dents antérieures permet de les utiliser comme référence pendant la stratification. formation Analyse de la forme Différentes situations peuvent se présenter. S il s agit du changement d un composite déjà existant et qui a une forme convenable esthétiquement et fonctionnellement, un simple enregistrement de la situation à l aide d une clé en silicone peut suffire. Cette clé est réalisée à partir d un boudin de silicone qui sera placé en palatin pour enregistrer la forme de la face palatine ainsi que la situation du bord libre et des embrasures. Elle est indispensable pour copier l anatomie et les références spatiales que l on a choisies. Elle est la base sur laquelle on s appuie du début du montage du composite jusqu à la finition de la restauration. S il y a une perte de substance peu importante ou que l anatomie dentaire à besoin d être légèrement modifiée, il est possible de faire un moke up (reconstitution en composite directement sur la dent, sans traitement de surface). Cette nouvelle forme est alors enregistrée à l aide d une clé en silicone. S il y a une perte de substance plus importante ou que la modification de l anatomie concerne plusieurs dents du sourire, il sera alors nécessaire de passer par un wax up (montage en cire «diagnostic» sur modèle qui permet de modifier idéalement les volumes perdus ou à corriger). Puis cette nouvelle situation est également enregistrée avec la clé en silicone. Prise de la teinte générale La prise de teinte se fait en tout début de séance. Pour les zones esthétiques du sourire, il faut choisir des composites ayant une large palette de teintes de masse dentine et émail, avec des propriétés physiques et mécaniques adaptées (les composites micro-hybrides ou micro-hybrides nano chargés). Classiquement, la prise de teinte peut se faire à l aide d un teintier correspondant au composite utilisé. Cependant, pour avoir un aperçu plus précis de la teinte, une technique consiste à placer sur la dent à restaurer (sans traitement de surface) un plot de composite que l on polymérise [5]. Cette prise de teinte se fait à deux niveaux : - à la jonction du tiers médian et du tiers cervical de la dent (zone la plus saturée de la dent) pour la teinte dentine ; - au niveau du bord libre (zone la plus translucide de la dent) pour la teinte émail. Cette analyse se fait sur les dents préalablement nettoyées et avec un environnement lumineux adéquat (système lumière du jour). Une fois la teinte validée, les plots de composite sont retirés très facilement à l aide d une spatule de bouche (fig. 2). Analyse de la caractérisation En observant l anatomie de la dent antérieure, on se rend compte de l importance de la stratification du composite. Il existe différentes zones qu il faut réussir à faire ressortir (teinte et luminosité). Pour cette étape, la prise de photographies numériques est intéressante. On observe alors les zones de translucidité et d opalescence au niveau du bord libre et des zones proximales, ainsi que la forme et le nombre de mamelons dentinaires à reproduire dans la reconstitution de la dent. La présence de taches de fluorose ou autres colorations particulières de la dent est aussi visualisée plus facilement sur la photographie. Lors de la stratification, ces zones devront être respectées et simulées à l aide de différentes couches de composite (fig. 3). L INFORMATION DENTAIRE n 27-4 juillet 2012 3
Le temps par temps opératoire 4. Dent préparée avec un chanfrein long «variable» sur la face vestibulaire et une limite en quart de rond en palatin. La mise en place d une matrice, avant la préparation de la dent, permet de protéger mécaniquement les dents adjacentes. Elle protégera également chimiquement des traitements de surfaces liés aux systèmes adhésifs utilisés. 5. Application d un gel de mordançage (acide phosphorique à 37 %) sur les surfaces protégées. Le temps d application est d environ de 30 secondes sur l émail puis pas plus de 15 secondes sur la dentine. Le rinçage se fait avec la seringue air-eau. Lors du séchage, il faut garder une dentine humide. 6. Application du système adhésif de type M&R2. La projection d air à distance permet d évaporer les solvants de l adhésif et d homogénéiser la couche d adhésif. L adhésif est ensuite photopolymérisé. La surface dentaire doit être brillante. Préparation de la dent Pour un résultat le plus esthétique possible, il faut préparer les dents de manière à ne pas distinguer la limite entre le composite et la dent. Pour cela, on choisit une préparation dont la ligne de finition est un chanfrein long (variable) au niveau vestibulaire et de type quart de rond en palatin. Une épaisseur suffisante sera ainsi ménagée pour la couche «dentine» qui sera recouverte par une fine couche «émail» afin d obtenir une continuité optique entre la restauration et la dent naturelle [7]. La forme et la profondeur du chanfrein ne doivent pas être uniformes, mais adaptées à la forme de la préparation et de la dent. Il est important de déplacer les limites de finitions cavitaires pour qu elles se fondent avec les lignes de transition. On privilégie les verticales et horizontales en atténuant les obliques et en élargissant le chanfrein [3]. Cette préparation demeure très fine (par rapport à des techniques indirectes) et reste en total accord avec les principes de dentisterie a minima tout en majorant le pronostic esthétique (fig. 4). À ce stade, il est important de polir la limite. Une fois la préparation de la dent terminée, la clé en silicone est mise en place pour pouvoir y marquer la limite palatine. Une simple «griffure» est alors tracée avec une sonde par exemple, pour permettre de savoir jusqu où appliquer la première couche de composite sur la clé. Le champ opératoire peut être mis avant ou après la préparation. Mise en place du système adhésif Lors de la stratification du composite, la majeure partie de la zone de collage se situe sur l émail. Le choix de l adhésif se tourne donc plutôt vers un système avec mordançage préalable en deux ou trois étapes (M&R2 ou M&R3). En effet, seule l application d acide phosphorique à 37 %, pendant 30 secondes sur l émail permet une attaque, et donc une adhérence, suffisantes [1] (fig. 5 et 6). Application du composite La stratification se fait de la face palatine vers la face vestibulaire. On reconstitue d abord la paroi palatine avec un composite de masse «émail» à l aide de la clé en silicone préalablement préparée (fig. 7). Le composite est déposé sur cette clé en silicone jusqu à la marque que l on a réalisée à la fin de la préparation. La clé ainsi chargée de composite est ensuite placée en bouche. Le composite peut alors être ajusté puis polymérisé. Les parois proximales sont aussi réalisées avec un composite de teinte émail. À ce stade, il est parfois difficile d appliquer correctement le composite, car il colle davantage à l instrument qu à la clé! L utilisation d une micro brush «sèche» permet de pallier ce problème. Après polymérisation, un composite de masse «dentine» de la teinte choisie est mis en place en respectant les épaisseurs et l anatomie. Il faut une réelle homothétie entre la forme de la dent et la masse dentine. Le 4 L INFORMATION DENTAIRE n 27-4 juillet 2012
7. Vérification de l adaptation de la clé en silicone (maintenue par exemple grâce à un coton salivaire). composites stratifiés formation composite vient recouvrir le biseau amélaire pour masquer le joint qu il forme avec la dent. La réalisation des mamelons dentinaires avec les composites de masses «dentine» laisse la place à l utilisation de composite de masses «effet» qui vont permettre de caractériser la reconstitution (opalescents, intensifs, etc.). Le mur palatin et les parois proximales étant reconstitués, la clé est retirée pour laisser le champ libre à la manipulation. Une matrice métallique peut cependant être utile pour isoler la zone de travail (fig. 8). Puis on applique la dernière couche en masse émail. L espace ménagé pour cette couche doit être moins important que l épaisseur de l émail naturel, au risque d obtenir un résultat grisâtre. Dans cet esprit, il existe maintenant certains instruments, dotés de jauges, qui permettent de contrôler cet espace (Instruments LM ARTE, LM-dental). Il faut que le composite ait le meilleur état de surface possible afin d avoir le meilleur rendu esthétique. L application du composite se fait par tapotage et compression. Il faut éviter de tirer sur le matériau pour minimiser l incorporation de bulles. Il existe différents types de spatules avec des formes et des angulations particulières qui facilitent cette application (SD2, Pred ). L utilisation de pinceaux (classique ou en silicone) et de micro-brush est possible pour lisser le composite avant polymérisation. Le fait d appliquer précisément les différents incréments de matériaux composites sans inclure de porosités reste la clé essentielle d une restauration réussie. Pour cela, audelà de la viscosité adaptée du matériau et de sa bonne manipulation, certains artifices permettent d aider le praticien comme une résine d application (Modeling Resin, Bisico) ou un réchauffeur (Bisico, SD2). Chaque couche de composite est, bien entendu, polymérisée après son application. La dernière, correspondant à l émail de surface, est polymérisée au travers d un gel protégeant de l oxygène (fig. 9). Il est souvent très difficile, à la fin de cette étape, d apprécier l intégration strictement esthétique du composite. En effet, la mise en place du champ opératoire durant la séquence clinique implique une légère déshydratation des dents. L analyse de l intégration de la restauration se fait donc lors d une séance ultérieure. L INFORMATION DENTAIRE n 27-4 juillet 2012 8. Application du composite de masse dentine, en respectant l anatomie dentaire (les mamelons dentinaires) et les épaisseurs. Il faut que ces masses dentine viennent recouvrir le chanfrein, pour éviter l aspect grisâtre du joint de la restauration. 9. Photopolymérisation de la dernière couche de composite de masse émail au travers d un gel de glycérine protégeant de l oxygène (Echo Gel dilué, liquid strip Ivoclar ; De Ox, Ultradent). 10. Polissage à l aide de cupules en silicone de granulométries décroissantes (OptraPol, Ivoclar). L utilisation de disques (Pop on, 3M) est une autre alternative intéressante. Finitions de la restauration Le but des finitions est d avoir un rendu esthétique optimal. Il faut pouvoir faire ressortir les macro reliefs (lignes de transition, bombés, anatomie du bord libre, etc.) et les micro reliefs (rugosité, état de surface) de la dent. Celle-ci doit être ainsi observée de nouveau dans les trois sens de l espace pour gérer au mieux ces caractérisations. Une partie des finitions est réalisée le jour de la réalisation de la stratification à l aide de fraises à faible granulométrie (bagues rouge, jaune et blanche) et/ou à l aide de disque (Pop-On, 3M), de granulométrie décroissante (fig. 10). Une fois que la dent a retrouvé ses reliefs vient l étape de brillantage qui se fait à l aide de cupules en silicone (de la plus abrasive à la moins abrasive), de disques associés à des pâtes à polir et de brossettes de carbure de silicium (type Occlubrush, Kerr). 5
Lors d une séance ultérieure, la dent ayant récupéré sa teinte naturelle (fig. 11), on peut être amené à modifier le composite. En effet, moyennent un «avivage» par sablage ou fraisage doux, suivi d un mordançage et d une application d adhésif, des modifications peuvent être apportées au composite. Conclusion Pour réussir une stratification antérieure, il faut avoir un plateau technique adapté, respecter les règles de préparation et connaître son matériau. Au-delà de ces acquis, nous résumerons la procédure par sept points capitaux (voir encadré). Dans le secteur antérieur, compte tenu de la performance des systèmes adhésifs actuels et de la prépondérance d émail, l adhérence n est plus la difficulté majeure. Cependant, outre le choix et la répartition des différentes masses composites, le respect de l anatomie est fondamental. La précision dans la restauration de la forme est même le paramètre le plus important [4]. La manipulation proprement dite du matériau (quelle que soit sa marque), évitant l inclusion de porosités, est également cruciale pour la qualité finale de notre stratification. Par ailleurs, cet acte délicat peut exiger plusieurs séances : l analyse, le «temps adhésif» et les finitions de surface Enfin, plus la perte de substance à restaurer est étendue, plus le suivi et la maintenance de la restauration sont importants. bibliographie 1. Degrange M. Les systèmes adhésifs amélo-dentinaires. Réalités Cliniques 2005 ; 16(4) : 327. 2. Devoto W, Saracinelli M, Manauta J. Composite in everyday practice : how to choose the right material and simplify application techniques in the anterior teeth. Eur J Esthet Dent 2010 spring ; 5(1) : 102-124. 3. Guerrieri A, Decup F. Intégration esthétique des composites antérieurs Cl III (site 2). ; Information Dentaire 2009 ; 91(30) :1633-1640. 4. Magne P, Belser U. Restaurations adhésives en céramique : approche biomimétique. Quintessence 2003. 5. Spreafico R. Composite resin rehabilitation of eroded dentition in a bulimic patient : a case report- European Journal of Esthetic dentistry 2010 ; 5(1) : 28-48. 6. Tirlet G, Attal J P. -Stratification de composite dans le secteur antérieur : Indications actuelles et choix des matériaux - Information Dentaire 2010 ; 92(43) :21-27. 7. Weisrock G, Merz R, Koubi S, Tassery H, Faucher A.J. Restaurations du secteur antérieur en résine composite- Information Dentaire, 2010, 92 (7) : 14-19. 11. Intégration de la restauration. On note la présence de fêlures sur la dent adjacente. Au-delà de la réalisation de l acte, plus le volume de la restauration adhésive est important, plus le suivi est fondamental (repolissage, etc.). Cas clinique du Dr Stéphane Cazier, à 1 an postopératoire (avec Excite F Vivapen et Empress direct, Ivoclar.) Les 7 points capitaux de la stratification des composites en technique directe Confirmer la prise de teinte en déposant directement des plots de composite polymérisés sur la dent avant préparation. Utiliser les champs opératoires adaptés (la digue, mais aussi les matrices permettant d isoler les surfaces traitées). Prendre soin d adapter la limite à la situation (chanfrein variable en vestibulaire et quart de rond en palatin) et de la polir. Utiliser un système adhésif avec mordançage préalable. Utiliser une clé en silicone (haute viscosité), enregistrant les faces palatine, incisale et l émergence proximale. Soigner le travail de surface (macro et micro géographie de surface, et brillantage). Dissocier les séances* (diagnostic morphologique et colorimétrique, temps adhésif, finitions, contrôles). * Aux vues des données économiques actuelles, et de sa valorisation inadéquate par la nomenclature, la dissociation des séances, en les honorant de manière séparée (ceci entendu avec un devis préalable), semble l une des clés pour l intégration de ce traitement dans l activité du cabinet. Auteurs Thomas Roux - Attaché d enseignement Paris Descartes, membre de l ADDA-IDF, pratique libérale (Paris) Stéphane Cazier - Ex-AHU, chargé d enseignement Paris Descartes, pratique libérale (Paris) Romain Chéron - Ex-AHU, chargé d enseignement Paris Descartes, pratique libérale (Paris) Correspondance? 6 L INFORMATION DENTAIRE n 27-4 juillet 2012