DIVERS La propriété des œuvres réalisées par les salariés dans le cadre de leur contrat de travail INTRODUCTION De multiples créations sont réalisées dans le cadre des entreprises par leurs salariés. Il peut s'agir de créations techniques, protégées par brevet et dont la propriété est réglée au travers des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle relatives aux inventions de mission et hors mission.(art. L 611-7) Il peut encore s'agir de marques ou de modèles.. Pour mémoire, quand la création concernée est une marque ou un modèle déposé, les articles L 511-2 et L-712-1 du code de la propriété intellectuelle entraînent une présomption de propriété au profit du déposant. Il peut s'agir enfin de créations au sens du droit d'auteur Seul le sort de la propriété de ces dernières sera ici examiné. Cette question peut s'appréhender sous deux angles ; en premier lieu vis-à-vis des tiers à l'entreprise ou bien encore dans les relations entre salariés et employeur. Vis-à-vis des tiers, on rappellera que la jurisprudence a évolué dans un arrêt Aréo du 24 mars 1993 (Cass civ 1ère, 24 mars 1993, RIDA n 158 octobre 1993 p. 200 ; v. également Cass civ 1ère, 3 juillet 1996, RIDA n 171 janvier 1997 p. 315 et Cass civ 1ère, 10 février 1998, Rambour n G 95-21-731, inédit). Elle pose désormais une présomption de titularité au profit des personnes morales qui est la suivante : "La personne morale qui divulgue et exploite sous son nom une oeuvre est présumée, à l'égard des tiers contrefacteurs, être titulaire sur cette oeuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur". Cette présomption ne vaut bien entendu qu'à l'égard des tiers contrefacteurs et ne règle pas la question entre la personne morale et son salarié. On s'attachera donc à déterminer la propriété des droits sur les créations dans les relations entre employeurs et salariés. Contrairement à une idée relativement répandue, l'existence d'un contrat de travail n'emporte
aucun transfert de propriété au bénéfice de l'employeur. Ce principe contient néanmoins des exceptions. I. Le principe : L'absence de transfert de propriété au bénéfice de l'employeur. Les textes, tout comme la jurisprudence, s'opposent à un tel transfert. On examinera le contenu de ce principe au travers des textes et de la jurisprudence. On verra ensuite que ce principe connaît une limite. A - Contenu du principe. 1 - Les textes Il s'agit en premier lieu de l'article L 111-1 alinéa 3 et L 131-3 alinéa 1 du Code de la Propriété Intellectuelle. L'article L 111-1 alinéa 3 prévoit en effet que "l'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1er". Quant à l'article L 131-3 alinéa 1, il dispose que "la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée." Deux conclusions peuvent être tirées de ces textes. En premier lieu, le contrat de travail n'emporte pas de cession automatique des créations du salarié au bénéfice de l'employeur. De plus, la cession de ces droits doit répondre à des conditions précises. On peut ensuite se demander si la prévision dans le contrat de travail d'une cession des droits assortie de toutes les conditions légales est suffisante pour réaliser la cession des droits sur toutes les créations que le salarié va réaliser au cours de son contrat de travail. Toutefois l'article L 131-1 prévoit quant à lui que la cession globale des oeuvres futures est nulle. Ainsi la cession de droits sur des oeuvres non réalisées est interdite dans son principe. Dès lors, la prévision dans le contrat de travail de dispositions particulières relatives au bénéfice de l'employeur la cession des droits des oeuvres qui seront réalisées par le salarié paraît très difficile à mettre en oeuvre légalement. Il faut donc s'interroger sur les solutions qui ont pu être adoptées par la jurisprudence.
2 - La jurisprudence Après une période de fluctuation, la jurisprudence a été fixée par un arrêt de la Cour de Cassation en date du 16 décembre 1992. La Cour Suprême décide ainsi que "l'existence d'un contrat de travail conclu par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance de ses droits de propriété incorporelle, dont la transmission est subordonnée à la condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée" (Cass civ 1ère, 16 décembre 1992, D-93, IV, n 549). Auparavant un arrêt de la Cour de Cassation en date du 11 avril 1975 avait imposé la rédaction d'un contrat distinct du contrat de travail pour l'exploitation des droits d'auteur. Cette jurisprudence a depuis été confirmée par différentes décisions (CA Paris 5 mars 1990, Cah. D.A. Septembre 90, p. 17 ; CA Paris 17 janvier 1995 RIDA n 165 p. 332 ; Cass civ 1ère 21 octobre 1997, D 97, IV, 2390). En revanche, il n'existe pas à notre connaissance de jurisprudence récente qui se soit prononcée sur la validité dans un contrat de travail des dispositions prévoyant la cession des oeuvres créées par le salarié. Toutefois, on peut penser que les principes posés par la jurisprudence ancienne en la matière restent applicables. Notamment, la cession par un artiste de ses oeuvres futures limitée à une période déterminée a été considérée comme valable. (CA Aix 23 février 1965 GP 65 I 316). De plus, la cession d'oeuvres non encore réalisées mais identifiées notamment par leur thème est également possible. Ainsi, la cession des droits entre le salarié et son employeur doit par principe faire l'objet d'un contrat ou de dispositions spécifiques mais ne résultent pas de la seule existence d'un contrat de travail. Cette cession doit également répondre à des conditions précises, dont la mise en oeuvre au travers d'un contrat de travail est susceptible d'être contestée. Le principe ainsi exposé contient de plus une limite. B. La limite La limite à ce principe tient à ce que tous les droits portant sur une oeuvre ne peuvent être cédés. Seuls peuvent l'être les droits patrimoniaux mais non pas le droit moral. En effet, l'article L 121-1 dispose : "l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible...". Les articles L 121-2 et L 121-4 prévoient également un droit de divulgation ainsi qu'un droit de repentir ou de retrait. Ces articles définissent ainsi le contenu du droit moral et ses caractéristiques.
Le droit au nom implique ainsi que l'auteur de l'oeuvre peut exiger que son nom et sa qualité soient portés sur toute reproduction ou utilisation de l'oeuvre. De même l'auteur a droit au respect de son oeuvre, ce qui veut dire que l'utilisation qui en est faite doit être conforme à la destination de l'oeuvre. Ainsi on ne peut modifier le contenu de l'oeuvre sans le consentement de l'auteur. En matière artistique, la jurisprudence admet toutefois dans certains cas de légères modifications en raison d'impératifs techniques. Le droit de divulgation est le droit de livrer l'oeuvre au public. Quant au droit de repentir ou de retrait, il s'agit du droit de retirer l'oeuvre au public à charge pour l'auteur d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait lui fait subir. Si ces prérogatives qui restent celles de l'auteur peuvent paraître très larges, leur exercice fait cependant l'objet d'un contrôle par les tribunaux qui en sanctionnent l'exercice abusif par l'auteur. Ultérieurement, ce sont le droit au nom et le droit au respect de l'oeuvre qui feront le plus souvent l'objet de litige, principalement lorsque l'employeur entend adapter l'oeuvre créée par son salarié et surtout lorsque celui-ci ne fait plus partie de l'entreprise. Le principe de non-dévolution sauf contrat des droits à l'employeur connaît cependant deux exceptions. II. Les exceptions Elles tiennent de la nature des oeuvres concernées. Dans un cas, il s'agit de l'oeuvre collective. Dans l'autre, depuis une loi du 3 juillet 1985, il s'agit des logiciels. A. L'oeuvre collective La définition de l'oeuvre collective résulte de l'article L 113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle et sa propriété est réglementée par l'article L 113-5 de ce même Code. 1. Définition "Est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé". Il s'agit là en réalité d'une sorte d'oeuvre anonyme et notamment cette qualité est traditionnellement reconnue aux dictionnaires et aux encyclopédies dans la conception desquels la part de chaque intervenant ne peut être définie.
Par ailleurs, cette qualité a été retenue pour différentes créations créées par des salariés groupés dans le cadre de bureaux de style (v. Ainsi Cass. Crim 1er mars 1977, D 78, 223). Néanmoins, la tendance de la jurisprudence est d'apprécier de manière restrictive cette qualité qui doit être considérée comme exceptionnelle dans l'esprit de la loi (v. Cass Civ 6 novembre 1979, JCP 80, IV, 26 ; Cass Com. 7 avril 1987, JCP 87, 20868). 2. Propriété des droits "L'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Elle est investie des droits de l'auteur" (art. L 113-5). Cet article règle sans aucun doute la propriété des droits patrimoniaux qui vont appartenir dans le cas qui nous intéresse à l'employeur. Cependant une décision récente relative à la diffusion sur internet d'un journal, tout en rappelant que le journal est une oeuvre collective a néanmoins décidé que cette diffusion était soumise à autorisation des auteurs, c'est-à-dire des journalistes (TGI, Strasbourg, référé 3 février 1998, RIDA p. 466). Enfin, la question est très controversée s'agissant du droit moral. B - Les logiciels Depuis la loi du 3 juillet 1985 modifiée par la loi du 10 mai 1994, les logiciels font l'objet de dispositions légales relatives à leur protection et à leur propriété. En premier lieu, conformément à la jurisprudence dominante rendue avant l'entrée en vigueur de la loi de 1985, les logiciels sont protégés par le droit d'auteur, sous réserve de leur originalité. Par ailleurs, l'article L 113-9 dispose : "Sauf dispositions statutaires en stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer". Ces dispositions s'appliquent également aux agents de l'etat, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif. Il est à noter d'une part que cette exception s'applique uniquement aux logiciels créés après l'entrée en vigueur de la loi. S'agissant des logiciels créés avant l'entrée en vigueur de la loi, les solutions précédemment rappelées restent applicables (Cass civ 1ère, 16 décembre 1992, JCP et G. 93, IV n 549 p. 63).
D'autre part cette exception concerne les logiciels créés par des employés. Elle ne règle pas le sort des logiciels créés sur commande par des tiers non employés. Par ailleurs, le droit moral du salarié est également aménagé (article L 121-7). Celui-ci ne peut en effet s'opposer à la modification du logiciel sauf si celle-ci porte atteinte à son honneur ou à sa réputation. Il ne peut non plus exercer son droit de repentir ou de retrait. CONCLUSION On le voit, la titularité des droits sur les créations des salariés est susceptible de créer différents conflits selon la nature du droit en cause (moral ou patrimonial) ou la nature des créations. Pour éviter des litiges, la meilleure solution reste la conclusion par écrit d'un contrat de cession, conformes aux dispositions légales relatives notamment à la définition des droits cédés. On a vu que les dispositions relatives à la nullité de la cession globale des oeuvres futures impliquaient qu'une attention particulière soit portée à la rédaction du contrat de travail pour le cas où celui-ci contiendrait des dispositions relatives à la cession des créations du salarié. Ainsi, on conseillera si le contrat est à durée indéterminée de prévoir précisément le domaine d'action créative du salarié et par avenant si besoin est le descriptif des créations qu'il doit réaliser. Quoi qu'il en soit, la meilleure solution est encore de prévoir également des contrats ponctuels confirmatifs de cession une fois les créations réalisées, ce qui permettra de les identifier précisément et de préciser leur date de création. Aurélia MARIE CABINET BEAU DE LOMENIE 2000