Elisabeth Quignard Médecin gériatre, Unité de soins palliatifs, centre hospitalier de Troyes, membre du comité de pilotage de l EREMA



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Transcription:

Le refus de soins en gériatrie Elisabeth Quignard Médecin gériatre, Unité de soins palliatifs, centre hospitalier de Troyes, membre du comité de pilotage de l EREMA P. 1

Sommaire Le consentement aux soins... 3 Les spécificités du refus de soins en geriatrie... 4 refus de soins de la part du patient :... 5 refus de soins de la part du médecin :... 7 Comment comprendre le refus de soins?... 8 sur le plan psychologique :... 8 sur le plan philosophique et éthique :... 9 sur le plan juridique :... 10 Quelle attitude adopter face au refus de soins?... 12 pour le médecin et l équipe soignante :... 12 pour la famille et les proches... 14 P. 2

Le consentement aux soins La notion de refus de soins convoque tout d abord, un peu paradoxalement, la notion de consentement aux soins. On peut définir le consentement aux soins comme l adhésion à tout moment révocable d un malade à un projet thérapeutique. - Cette notion est maintenant bien cadrée par la loi du 04 mars 2002, complétée par la loi du 22 avril 2005 : tout acte de soins, qu il consiste en examen pour diagnostic ou en traitement, doit faire l objet d une explication claire, compréhensible et adaptée au patient ; et l on doit recueillir son consentement pour le pratiquer. - Il s agit d une véritable révolution dans la relation médecin / malade, qui transforme le patient «objet de soins» en patient «partenaire» à part entière dans les décisions qui concernent sa santé. Le consentement au soin proposé fonde donc une sorte de contrat entre le malade et le médecin, basé sur la confiance et le respect de l autre ; n oublions pas que c est le malade qui par son consentement fonde la mission même du médecin. - A l ancien modèle paternaliste qui s appuyait sur le principe de bienfaisance (le médecin agit dans l intérêt exclusif du patient et celui-ci, mis en situation de faiblesse par sa maladie et par son ignorance relative, doit lui faire confiance), se substitue un modèle qui s appuie sur le principe d autonomie et met l accent sur les droits du malade, le respect de sa liberté et de sa dignité de personne, et l obligation du médecin de respecter sa volonté. - Cette évolution est récente et semble s annoncer clairement à partir de 1995 : la charte du malade hospitalisé (circulaire du 06 mai 1995) indique que «tout patient informé des risques encourus peut refuser un acte de diagnostic ou de traitement à tout moment»; de même, le Code de déontologie du 06 septembre 1995 précise dans son article 36 que «le consentement doit être recherché dans tous les cas ; lorsque le patient en état d exprimer sa volonté refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus, après avoir informé le malade de ses conséquences». Ainsi, sur le plan réglementaire et sur le plan déontologique, la notion de consentement aux soins apparaît en miroir comme une possibilité de non consentement ou de refus accordée au patient. De plus ce consentement aujourd hui ne doit plus se contenter d être implicite, mais il doit être explicite. P. 3

Les spécificités du refus de soins en geriatrie Ici, il s agit rarement du non consentement à un acte de diagnostic ou de traitement, bien que cette situation puisse se rencontrer en gériatrie, avec des personnes âgées ayant conservé leurs facultés cognitives intactes, ou bien avec des personnes souffrant de syndrome démentiel. On rencontrera plus fréquemment des situations difficiles au cours desquelles des personnes âgées, le plus souvent en institution, refusent les soins habituellement pratiqués par les soignants ; il peut s agir de refus des soins d hygiène, ou de refus alimentaire. Tout se passe comme si la personne souhaitait vivre tranquille, sans être dérangée par des soins dont elle ne saisit pas forcément le sens. Le refus peut être calme, digne, ferme, répété, dans une attitude plutôt démissionnaire ; mais il peut aussi s exprimer de façon agressive ou violente, dans une attitude d opposition, surtout si les soignants insistent et ne respectent pas la volonté du patient. L entourage, familial comme professionnel, peut mettre facilement l accent sur les incapacités de la personne âgée, sur ses éventuelles difficultés psychiques, intellectuelles ou physiques, et en conclure rapidement qu elle est disqualifiée pour comprendre les enjeux de la situation, donner son avis et prendre une décision. Pourtant, la place de la parole de la personne âgée nous semble importante, quel que soit son état : pour les patients souffrant de démence, et parfois même à un stade avancé de la maladie, on peut encore informer le patient, s assurer qu il comprend qu un choix lui est offert, recueillir son avis sur son état de confort et s enquérir de ses souhaits quant aux décisions qui le concernent, que ce soit pour une entrée en institution ou bien quant à sa fin de vie. En effet, les travaux de Louis Ploton et de François Blanchard nous ont bien montré qu il persiste une vie psychique chez le patient souffrant de maladie d Alzheimer ou de syndrome apparenté, ainsi qu une grande richesse émotionnelle et affective : au-delà du déficit intellectuel et de la désorientation, il exprime par son attitude et son comportement ce qu il ne peut exprimer verbalement. Et il nous appartient de chercher par tout moyen à communiquer avec l autre, et de respecter ce minimum d autonomie qui subsiste, malgré les limites de l âge et de la maladie en chaque personne, comme l exprime Maguy Merlin. P. 4

S il est arrivé à un stade où son expression verbale est diminuée et l empêche de donner son avis ou d exprimer clairement sa volonté, on sera donc particulièrement attentif à son comportement en essayant de repérer s il est plutôt coopérant, opposant ou bien démissionnaire. Le refus de soins peut alors être considéré comme un véritable mode d expression pour le patient dément : cette attitude est donc porteuse de sens, mais nous ne sommes que rarement en mesure de comprendre. Le refus de soins recouvre donc des situations très diverses, que l on peut tenter de classer par typologies afin de réfléchir en amont aux décisions à prendre dans tel type de situation, mais en sachant bien qu il convient toujours d affiner l analyse de chaque cas particulier pour chaque individu dans sa singularité. refus de soins de la part du patient : refus d entrée en institution : il peut y avoir conflit de valeurs, notamment pour les patients souffrant de démence avec des troubles du jugement, et qui ne peuvent comprendre ni accepter le fait qu il n est plus raisonnable de rester seul à domicile, surtout si la famille ne vit pas à proximité. Pour autant, il est important de dialoguer ouvertement avec le patient, de lui expliquer clairement la situation et les enjeux, de laisser place à son expression, d écouter son avis, d essayer de le convaincre sinon de choisir du moins d accepter ce difficile tournant dans sa vie, puis de l accompagner dans la rude épreuve que constitue l abandon de son domicile et de son existence antérieure. L impression que tous se liguent contre lui est parfois la plus forte chez le vieillard, et peut générer des attitudes de refus de soins violentes ou au contraire un lâcher prise avec perte de l élan vital. refus d hospitalisation : il pose aussi de nombreuses questions, mais surgit brutalement, dans un contexte de crise généralement, ce qui complique encore la situation pour l entourage, et risque de laisser peu de possibilités de choix au patient. refus des soins quotidiens de base : toilette A un stade plus évolué de la démence, on sait que les soins d hygiène corporelle, et plus généralement les soins qui touchent à l intimité du patient peuvent entraîner opposition et attitude de refus. En institution, le moment de la toilette peut être source de violence, si l approche physique du corps de l autre n est pas suffisamment douce ni accompagnée de paroles apaisantes. Cela requiert du temps, de la patience, et demande une formation adaptée pour les soignants, par exemple selon la méthode Gineste Marescotti, qui a fait ses preuves. C est forcément plus difficile à réaliser si le contexte de l institution P. 5

est fortement marqué par une pénurie de personnel soignant et une surcharge de travail. refus alimentaire : peut-il constituer un langage? Comme chez l enfant? Ou plutôt l expression d une sagesse pour la personne qui «sent» ce qui est bon pour elle ou non? est-il aussi un mécanisme de défense pour conserver un semblant d autonomie, pouvoir encore décider seul quelque chose? Refuser de manger est parfois le seul espace de liberté qui reste à un vieillard pour s exprimer et se faire entendre. Sachons le comprendre au lieu de recourir d emblée à des solutions inappropriées et irrespectueuses des désirs profonds de la personne Il n est guère difficile de poser une GPE, mais bien plus délicat de réfléchir à son utilité dans un contexte de refus de soins, et plus ennuyeux encore de prendre une décision de retrait! Le recours à l alimentation artificielle pour un patient qui refuse toute nourriture peut constituer une grande violence dont il faut prendre conscience. refus de traitement : il peut s exprimer sur le plan personnel (je refuse cette opération chirurgicale que l on me propose et préfère mourir de ce cancer), et peut avoir parfois une dimension plus communautaire (refus de vaccination, par exemple). Dans le cas particulier des maladies démentielles, les refus de soin ou abandons de suivi sont fréquents et ont fait l objet d analyses, notamment dans le cadre de protocoles d études, car celles-ci peuvent se trouver biaisées. L étude de JACOVA et al. avait pour objectif d évaluer le taux de refus et de perdus de vue dans les études d observations et d étudier leurs caractéristiques ainsi que leur impact sur les résultats, à propos des données de l étude canadienne ACCORD (Canadian Cohort Study of Cognitive Impairment and Related Dementias). L échantillon était composé de 124 sujets présentant des fonctions cognitives normales et de 342 sujets présentant un déficit cognitif sans véritable démence. Les sujets qui ont accepté les évaluations cognitives ont été comparés à ceux qui ont refusé d être évalués, et les sujets qui ont accepté le suivi ont été comparés à ceux qui ont refusé d être suivis. Le taux de refus était fréquent, 40 % à l inclusion, et le taux de perdus de vue était de 55 % à 2 ans. Le refus était plus fréquent chez les sujets les plus âgés et les moins éduqués ; il est également associé à un risque accru d être perdu de vue pendant la période de 2 ans de suivi. Les sujets les plus à risque de conversion vers la démence dans les études de prévention sont aussi les plus à risque de refuser les évaluations cognitives ou le suivi. Cette analyse souligne l importance des sorties d étude dans le suivi de personnes âgées, en particulier dans le cas d une atteinte des fonctions P. 6

cognitives ; il semble donc intéressant de développer des stratégies pour maintenir ces sujets dans les essais afin d en assurer la validité. refus de soins de la part du médecin : Envers les patients âgés, de la part d équipes de spécialités médicales ou chirurgicales, estimant les demandes du médecin traitant ou du gériatre inappropriées (ex. pose d un stimulateur cardiaque, etc.). Le refus du seul fait de l âge est choquant, et l on aimerait que les décisions soient prises au terme d une évaluation des bénéfices attendus et des risques encourus, réalisée de façon pluridisciplinaire et discutée de façon collégiale. P. 7

Comment comprendre le refus de soins? sur le plan psychologique : Un refus de soins peut s expliquer par une absence d information du patient ou provenir d une insuffisance d écoute de la part du médecin ou du soignant ; il peut être réactionnel à un sentiment de perte de la maîtrise des événements qui concernent sa vie, voire à un sentiment de déshumanisation. Il peut traduire l épuisement lié aux différents renoncements obligés qu apporte la vieillesse, aux deuils à faire par rapport aux pertes physiques, à la perte du statut social antérieur, à l entourage qui devient plus clairsemé. Il peut s expliquer aussi par une douleur ou une souffrance morale insuffisamment prises en compte. Le refus de soins doit conduire les soignants à s interroger sur une éventuelle douleur qui n est pas verbalisée, mais s exprime par des signes indirects tels une apathie, un mutisme ou au contraire un état d agitation avec parfois refus alimentaire ou refus de soins. Une prise en compte efficace de la douleur repérée peut lever parfois rapidement une situation d opposition et de refus. Le vieillard vulnérable peut s enfermer dans un état dépressif, et il convient donc de chercher à discerner si le refus de soins correspond à un désir profondément ancré et durable, ou bien s il est l expression d une difficulté de vivre momentanée. En cas de doute, un traitement antidépresseur d épreuve semble incontournable. Plus particulièrement chez le patient dément, le refus peut aussi traduire son angoisse de mort souvent très forte, plus qu un véritable désir de mourir. N oublions pas ce que nous en dit Jean Maisondieu, qui voit dans la démence un refuge pour celui qui ne peut exprimer son refus viscéral de la mort Mais le refus de soins peut aussi exprimer une sorte de sagesse du patient âgé, fidèle à sa propre histoire, face à nos propositions de soins qu il juge disproportionnées au regard de ses attentes. Il nous enseigne alors à respecter ses propres limites et son désir d un espace de liberté. De même que le patient exprime par son attitude de refus une souffrance, de même le refus de soins peut induire une souffrance dans son entourage, tant parmi les soignants que parmi les membres de la famille. Peut-on en tant que soignant accepter de ne pas traiter un symptôme ou une maladie curable chez un patient qui refuse un traitement? Peut-on P. 8

accepter le refus des soins d hygiène, le refus de s alimenter sans tenter de convaincre, puisque l on ne peut contraindre? Face aux situations de refus de soins, les équipes soignantes sont soumises à de fortes tensions, car chacun se sent plus ou moins remis en cause dans son objectif professionnel premier qui est de soigner l autre. Cela évoque un échec de la mission du soignant qui peut être ressenti de façon très culpabilisante. Il convient d essayer de comprendre ce qui se joue dans la relation entre soignant et soigné : les interactions, les phénomènes d identification et de projection, les dérives possibles qui peuvent aller du maternage à l infantilisation en passant par le pouvoir dominateur. Il faut aussi savoir identifier, comme nous savons si bien le faire pour nos patients, quels sont nos propres mécanismes de défense face à l angoisse du patient âgé, et à ses détériorations tant physiques que psychiques sur le plan philosophique et éthique : Le respect de la liberté et de la dignité du malade implique le respect de son autonomie. L autonomie est la faculté de se donner à soi-même la loi de son action sans la recevoir d un autre. Selon l analyse de Suzanne Rameix, dans le domaine des soins, les décisions doivent donc se prendre au moins sous couvert d une négociation contractuelle, et le non consentement aux soins apparaît alors comme un contre-pouvoir à la technique, potentiellement manipulatrice de l homme. L autonomie du sujet, dans l analyse morale de Kant, ne peut par définition produire que des lois ; or le concept de loi impose l universalité. Produisant ses propres lois, l homme se libère des lois de la nature ou de la loi divine, mais pour se soumettre à la contrainte de sa raison législatrice universalisante. Et Suzanne Rameix poursuit : «Il faudra donc se demander, par exemple, si le refus de soins futiles est universalisable ; s il l est, on peut alors accepter, en respectant l humanité et du patient et du médecin, qu un patient et un médecin consentent à ne pas entreprendre des soins disproportionnés.» P. 9

sur le plan juridique : L information devient donc l élément clé qui alimente l autonomie du patient dans la décision de soins et qui lui permet d exprimer son consentement. Implicite jusqu en 1995, l information est désormais inscrite et détaillée dans le Code de déontologie médicale qui stipule dans son article 35 : «Le médecin doit à la personne qu il examine, qu il soigne ou qu il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.» Depuis 1997, les magistrats ont décidé qu il appartenait désormais au médecin d apporter la preuve qu il avait donné au malade l information appropriée ; ceci complique particulièrement la situation en gériatrie, domaine où il est plus difficile de demander un consentement écrit. En revanche, le refus du consentement sera toujours noté dans le dossier, par exemple un refus d hospitalisation. Et l article 36 du Code de déontologie indique : «Si le malade est hors d état d exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.» Il y a là une obligation d expliquer en détail aux membres de la famille la situation et le projet thérapeutique envisagé, et l entourage peut alors apporter au médecin le témoignage de ce qu aurait souhaité la personne âgée si celle-ci avait été capable d exprimer sa volonté. De plus, la loi du 04 mars 2002, puis la loi du 22 avril 2005 ont développé la possibilité pour toute personne de rédiger des directives anticipées, et également de désigner une personne de confiance. On peut simplement déplorer que ces lois soient encore insuffisamment connues du public, mais aussi des soignants voire du monde médical. L impossibilité de consentir, pour un patient âgé, malade, ou dépendant, ne doit pas cependant en faire un citoyen de deuxième classe : il reste une personne humaine dont la dignité et la respectabilité lui sont intrinsèques et ne peuvent être remises en cause. L impossibilité de consentir peut être de fait, par exemple en cas de démence, mais la finalité d une décision thérapeutique reste d améliorer la situation du patient, son confort et sa qualité de vie. Et l on mesure combien, dans cette situation, l habituel dialogue singulier médecin / P. 10

malade devient un échange beaucoup plus large entre une équipe pluridisciplinaire et l entourage du malade. L impossibilité de consentir peut-elle être de droit? Nombreuses sont les personnes, en institution gériatrique, qui sont placées sous régime de protection juridique ; pour autant, même si elles doivent être conseillées ou bien représentées, elles conservent souvent des capacités de compréhension, d expression, voire de consentement, et il semble primordial de recueillir au minimum leur avis pour les décisions qui les concernent, qu il s agisse d une entrée en institution ou bien d un quelconque traitement. Leur avis pèsera dans la décision finale, mais ne sera pas obligatoirement suivi, par exemple en cas de trouble du jugement. (De la même façon que les directives anticipées, l avis de la personne de confiance ou l avis de tel membre de la famille, selon la loi Léonetti, doivent être pris en compte dans les décisions mais ne s imposent pas au médecin, qui reste au final celui qui prononce la décision et en assume la responsabilité). P. 11

Quelle attitude adopter face au refus de soins? Soulignons qu en amont de ces situations de refus ou de décisions difficiles à prendre, il convient de s attacher à mettre tout en œuvre pour des conditions de vie et d hébergement satisfaisantes pour les personnes âgées, dans un souci de qualité de soins adaptés à chaque patient dans le cadre d un projet de soins défini en équipe et écrit (de trop nombreuse équipes font des projets de soins sans les formaliser véritablement) pour le médecin et l équipe soignante : - il s agit tout d abord d entendre ou de percevoir cette volonté chez un vieillard ; cela nécessite une certaine humilité de la part du médecin, auquel le patient trace ainsi les limites de son art - soulignons aussi que, si les critères d âge et de handicap ne peuvent à eux seuls peser sur les décisions, on doit néanmoins en tenir compte pour que celles-ci restent éthiquement valables, lorsqu elles concernent des personnes vulnérables ou en situation précaire - pour les soignants, face à un refus de soins, il s agit de dépasser le cap de la déstabilisation, de l incertitude, de la frustration ou même de la culpabilité, pour s interroger sur leurs pratiques et les valeurs qui les soustendent, sur la relation de soins qu ils souhaitent et notamment sur la place laissée au patient pour exprimer son autonomie, même lorsqu il est âgé, dépendant, malade, ou dément - sortir des alternatives : accepter ou refuser, faire ou ne pas faire. Ce sont peut-être de faux problèmes, car ils semblent cristalliser toutes les attentes et les espoirs sur un moment unique de décision, alors que celleci s inscrit dans le continuum d une histoire et d un parcours de soins où la vigilance éthique se doit aussi d être présente à chaque étape. - écouter l avis des soignants et de l entourage, rechercher en équipe des compromis et accepter de laisser au patient des possibilités de choix, même à propos de détails,. - être capable enfin de s incliner devant ce refus, tout en continuant à proposer des soins de confort et à assurer un entourage relationnel et affectif de qualité, sans abandonner celui qui choisit d autres voies, selon d autres valeurs Le CCNE rappelle ceci clairement dans son avis n 87 intitulé «Refus de traitement et autonomie de la personne» : «Une personne en fin de vie est dans la plus grande vulnérabilité qui soi, et l accompagnement, quelle qu en soit sa forme, constitue une exigence qui transcende largement le refus de traitement. Respecter un refus de traitement engage une obligation d accompagnement. C est pourquoi P. 12

toute pratique de refus ou de retrait ne peut jamais se limiter à l acte thérapeutique lui-même, mais oblige à la mise en place d autres stratégies d aide.» Le refus du patient oblige à la parole, à l échange, au dialogue, dans un climat de confiance : il s agit de faire alliance, de décider ensemble, dans une sorte d «alliance thérapeutique», comme disent avec justesse les psychiatres. Il s agit d un pacte qui engage les deux partenaires et aussi d une tentative de modérer l évidente asymétrie dans la relation entre le médecin et le malade, celui qui a du savoir et du pouvoir et celui qui n en a pas, celui qui est debout et celui qui est allongé, celui qui est bien portant et celui qui est malade. Alors une ouverture est possible vers un consentement, évolutif au fil du temps, à condition que s installe un climat d écoute et de confiance qui permette un véritable accompagnement dans la durée. Il s agira aussi d accepter les limites du travail des soignants en gériatrie, le poids de tâches répétitives et de soins qui conduisent malgré tout vers la mort, inéluctablement, plutôt que vers la guérison. Ceci est vrai pour bien des maladies chroniques graves, mais avec une allure particulière chez les déments, dont l état semble se dégrader inexorablement au fil du temps et de l évolution de la maladie. C est le travail en équipe et la cohérence de la prise en charge, la concertation répétée et les espaces de parole telles les réunions de synthèse hebdomadaires et les groupes de parole, qui pourront éviter l usure et le sentiment d isolement du personnel, et permettre des relations de qualité entre soignants et soignés, des relations de personne à personne où chacun se sent reconnu et respecté. Ce travail d équipe permet aussi au médecin de prendre des décisions médicales difficiles dans ces situations difficiles où les certitudes vacillent. Ensemble, on parvient à définir et coordonner les prises en charge ; en référence à des valeurs communes, le rôle de chacun est défini et valorisé, les différentes approches professionnelles s harmonisent et deviennent complémentaires, la bientraitance devient autre chose qu un mot et peut se vivre. P. 13

pour la famille et les proches Pour maintenir le lien familial, il convient d intégrer la famille dans la prise en charge du patient, autant que faire se peut (c'est-à-dire à la mesure aussi de leur désir dans ce domaine), et selon différentes modalités à trouver au cas par cas, selon les institutions et selon les individus : dans le processus d admission, dans l élaboration du projet de vie, dans les gestes de la vie quotidienne comme l aide à l alimentation ; n oublions pas que les proches ont souvent passé, durant les mois précédant l entrée en institution, beaucoup de temps à accomplir seuls ces gestes au domicile, et qu ils se sentent souvent dépossédés de leur fonction, quoique de façon ambivalente et avec un certain soulagement Il importe toujours, quelles que soient les formes d implication proposées aux proches, d éviter que s installe un vécu de culpabilité pour eux et /ou de rivalité avec l institution et son personnel. Une grande attention à la communication est donc nécessaire, en expliquant ce qui se passe, en fournissant des informations claires, en accompagnant la famille durant une évolution souvent longue et apparemment dénuée de sens, ce qui génère de la souffrance. Les proches connaissent l histoire de vie et les traits de caractère du malade et peuvent éclairer les soignants dans certaines situations difficiles à comprendre, à condition qu on leur laisse un espace d échange où ils se sentent écoutés. Un mot pour souligner toute la place des bénévoles dans ce type d accompagnement, à condition qu une formation minimale puisse venir étayer la bonne volonté, nécessaire mais non suffisante Pour conclure, le refus de soins comme le refus alimentaire demande d abord d être entendu ; cela nécessite certainement une certaine humilité de la part du médecin, auquel le patient trace ainsi les limites de son art Face au refus de l autre en matière de soins, il existe toujours différentes possibilités de réponses de la part des soignants, mais les meilleures attitudes semblent se situer, au cas par cas, dans la recherche d un compromis, en laissant au patient des possibilités de choix même minimes, mais aussi en sachant accepter ce refus et continuer à accompagner l autre dans son cheminement. P. 14