Chapitre VI Le continent américain entre tensions et integration



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CONCEPTION ET MISE EN PAGE : PAUL MILAN Thème 3 Dynamiques géographiques de grandes aires continentales Question 1 L Amérique, puissance du Nord, affirmation du Sud Chapitre VI Le continent américain entre tensions et integration Étude de cas : le bassin caraïbe, espace de fracture et de contact I L Amérique, un nouveau monde A Des territoires façonnés par les influences extérieures Au XVI e siècle, l arrivée des Européens bouleverse profondément le continent américain dans son organisation spatiale, économique, démographique et culturelle. Les Européens imposent partout leur domination mais de manière très différente en fonction des territoires américains conquis. Dans les territoires soumis par les Espagnols et les Portugais, une colonisation "prédatrice" est mise en place afin d exploiter économiquement les richesses naturelles et les populations indigènes au profit des métropoles. La volonté des autorités ibériques d évangéliser les autochtones est elle aussi déterminante. La conquête au XVI e siècle a été brutale et rapide. Les Espagnols s attèlent à maîtriser et à administrer les immenses espaces conquis en organisant leur exploitation économique et le déplacement massif des populations. Pour renforcer leur contrôle, les indigènes sont urbanisés dans les dizaines de nouvelles villes fondées. Mais le faible nombre de colons issus de la métropole comparé au gigantisme des territoires à administrer ont permis un métissage démographique, culturel et religieux important qui caractérise aujourd hui l Amérique "latine". En Amérique du Nord, l expansion anglo-saxonne est placée sous le signe de la colonisation de peuplement. La formation des 13 colonies à partir du XVII e siècle est marquée par la culture anglo-saxonne et sa morale protestante puritaine. Ici, les contacts avec les populations amérindiennes sont limités et le métissage est rejeté. Les colons s emparent des terres indigènes et en expulsent les tribus vers l Ouest ou les exterminent. D autres métropoles européennes imposent durablement leur influence : la France à Québec, dans les Antilles, en Guyane, et dans une moindre mesure en Louisiane et au Mexique ; les Hollandais au Surinam et dans les Antilles. Mais de quelque nature qu elle soit, la colonisation européenne a détruit les structures traditionnelles de l ensemble des sociétés américaines. L élément amérindien a quasiment disparu dans des régions entières (Amérique du Nord, Antilles...), décimé par le choc microbien, les guerres d extermination et l exploitation brutale de la main d œuvre (mine de Potosi en Bolivie) (doc 1). Cet effondrement drastique des effectifs amérindiens est comblé à partir du XVIII e siècle par la Traite négrière. Plus de 10 millions d Africains remplacent SYLVAIN RUBIC 1 GÉOGRAPHIE TERM L

I L AMÉRIQUE, UN NOUVEAU MONDE dans les plantations des Antilles, du Brésil ou du sud des Etats-Unis les Amérindiens disparus (doc 2). Ces esclaves apportent avec eux leurs coutumes et leurs rites, ce qui rajoute au syncrétisme culturel et au métissage démographique des Amériques (populations amérindiennes, blanches, noires, métisses, mulâtres...). A partir du XIX e siècle, la vague d immigration économique vers le Nouveau monde devient massive (40 millions d immigrants se sont installés aux Etats-Unis entre 1830 et 1970). Essentiellement européenne jusqu au début du XX e siècle, l immigration est depuis 1945 marquée par les flux en provenance d Asie. En outre, de puissants flux migratoires se sont constitués à l intérieur du continent, essentiellement de l Amérique latine vers les Etats-Unis. L acculturation et le métissage font du continent américain un creuset tout à fait exceptionnel. B La construction d une identité américaine L identité américaine, en partie issue de l influence du "vieux continent", se construit en opposition à la culture européenne à partir du XIX e siècle. Le premier État d Amérique à accéder à l indépendance est celui des Etats- Unis en 1776. La jeune nation, construite sur le modèle républicain, est fondée à partir des valeurs de la liberté et de la démocratie qui expliquent son opposition durable au colonialisme mais aussi son orientation vers l économie de libreéchange. Ce modèle exerce une forte influence sur le reste des territoires du continent américain, dont les Etats-Unis s affirment comme les leaders. Au début du XIX e siècle, c est au tour des colonies ibériques de recouvrer leur indépendance. Le libertador S. Bolivar, animé de l idéal panaméricain et hostile au colonialisme, parvient à chasser les troupes espagnoles d une grande partie de l Amérique du Sud. Bolivar fonde une éphémère République de Colombie qui unifie les territoires américains depuis la Bolivie jusqu au Venezuela. Mais à sa mort en 1830, sa tentative d unification ne lui survit pas et le territoire de la Grande Colombie se morcelle en plusieurs États. Seul le Brésil lusitanophone, indépendant depuis 1821, parvient à conserver son unité. Enfin, dans les Antilles, le leader noir Toussaint Louverture organise la révolte des esclaves d Haïti et en 1804, la République haïtienne est proclamée, première république noire. En revanche, cet élan ne remet pas durablement en cause la domination européenne sur une partie des Antilles. En fait, l identité américaine s affirme principalement sous l égide des Etats- Unis. L éviction des puissances européennes a laissé le champ libre aux Etats- Unis, qui ont cherché à faire éclore une solidarité panaméricaine sous leur hégémonie (doc 3). A la fin du XIX e siècle, les dernières colonies espagnoles des Caraïbes sont récupérées par les États-Unis (Cuba, Porto Rico) qui y installent des régimes complaisants. Le continent américain est considéré comme une "chasse gardée". Cette suprématie s exerce plus directement sur le bassin caraïbe, devenu "l arrière-cour" des États-Unis grâce à de multiples interventions militaires, à la politique du dollar et au contrôle sur le canal de Panama. SYLVAIN RUBIC 2 GÉOGRAPHIE TERM L

II LES AMÉRIQUES C Les rêves d unité Le rêve de l unification panaméricaine est caressé tout au long du XIX e siècle par les grands leaders politiques du continent. Leitmotiv récurrent, l unité américaine apparaît pourtant comme une chimère tant le continent est marqué par une complexité culturelle, de forts contrastes sociaux-économiques et spatiaux. Ces fractures sont autant d entraves à un processus d intégration accompli. Dès la doctrine Monroe (doc 3), les États-Unis revendiquent un processus d intégration continentale soumise à leur domination. Durant les XIX e et XX e siècles en effet, les Etats-Unis ont cherché à resserrer leurs liens économiques avec les autres Etats du continent tout en renforçant leur contrôle géopolitique. Cette suprématie étasunienne sur le continent américain atteint son paroxysme pendant la Guerre froide. Avec la création de l OEA (Organisation des Etats américains) en 1948, les autorités de Washington semblent sur le point de créer une organisation continentale unifiée sur laquelle ils exercent une totale hégémonie. Mais avec la révolution cubaine et surtout l affirmation économique et politique de certains Etats sud-américains depuis les années 1980, ce processus d intégration en faveur des Etats-Unis devient de plus en plus contesté. Dans les années 2000, les nations sud-américaines rejettent la ZLEA, projet de marché commun continental. Cet échec de l unification américaine n a pas empêché la formation de plusieurs organisations régionales, comme l ALENA, la CAN (Communauté Andine) ou le Mercosur à la fin du XX e siècle. Si certaines de ces associations apparaissent comme un moyen de contrecarrer l influence des Etats-Unis, à l instar de l ALBA (Alliance Bolivarienne pour les Amériques) d Hugo Chavez, ces organisations régionales sont surtout des étapes préalables à tout élargissement. II A Les Amériques La terre des métissages culturels Le continent américain, du Nord au Sud, apparaît comme un vaste creuset culturel grâce à la multiplicité des héritages et des apports migratoires qui s y sont agrégés. Nées et construites en relation à l extérieur, les identités américaines sont les fruits de la richesse de ses clivages et des liens qui traversent les espaces du continent, caractérisés par d intenses processus de métissages biologique, identitaire et culturel. La distinction culturelle héritée de la colonisation entre une Amérique anglosaxonne protestante et une Amérique latine catholique, s articule avec la résilience culturelle amérindienne, encore vivace dans plusieurs régions (Amérique centrale, les pays andins, l extrême Nord canadien), et les cultures africaines transposées en Amérique par l esclavage. Enfin, les multiples vagues migratoires issues de l Europe ou de l Asie qu a connu le continent depuis le XIX e siècle rajoutent à sa complexité culturelle. Ce mélange inédit a engendré de nombreuses formes d acculturation. Le catholicisme conquérant a souvent été teinté de syncrétismes, adapté aux cultes amérindiens locaux. L un des exemples les plus fameux est la Vierge de Guadalupe, au Mexique (14 millions de pèlerins par an). L installation des rites africains avec la déportation des esclaves noirs a permis de multiples syncré- SYLVAIN RUBIC 3 GÉOGRAPHIE TERM L

II LES AMÉRIQUES tismes donnant naissance à des cultes originaux (les cultes afro-brésiliens du Candomblé et du Macumba, le Vaudou haïtien, la Santeria cubaine...). La fracture entre monde protestant et catholique tend à se brouiller avec l expansion de ces religions hors de leurs zones d influence traditionnelles. Les protestants évangéliques convertissent chaque année de nombreux fidèles en Amérique latine (22 % des Brésiliens sont devenus protestants), tandis que l Eglise romaine s affermit aux Etats-Unis en parallèle avec les vagues migratoires latino-américaines (20 % de catholiques). Avec les apports migratoires des XIX e et XX e siècles issus de tous horizons, de nouvelles communautés religieuses s établissent sur le continent : islam au Surinam et au Brésil, judaïsme aux Etats-Unis et en Argentine... Ce terreau culturel américain se retrouve aussi dans les évolutions linguistiques (spanglish, portugnol) et la création artistique, très riche et souvent exportée à l échelle continentale et planétaire (Jazz, reggae, samba...). B Les contrastes socio-économiques Les remesas : transferts financiers en provenance des travailleurs émigrés. L opposition entre une Amérique du Nord très développée et une Amérique latine en développement est profonde (doc 1). Cette dernière connaît néanmoins des dynamiques nouvelles qui produisent en son sein d importants contrastes socio-économiques. L Amérique latine est partagée entre des pays émergents, des pays pétroliers, en développement et un PMA. L Amérique latine a connu de réels progrès socio-économiques depuis la fin du XX e siècle, en corrélation avec la démocratisation politique (doc 2). Deux "Amériques" latines se dégagent : l une est émergente, sous l effet de la mondialisation et de la demande asiatique (pays du Cône Sud, Mexique). Depuis plusieurs décennies, ces pays connaissent une forte croissance économique liée à la diversification de leurs relations commerciales. Moins dépendants des États-Unis dans leur commerce extérieur, les pays de "l Amérique émergente" se sont affirmés comme de nouveaux pôles mondiaux. Les mécanismes de redistribution des richesses mis en place ont permis l élévation du niveau de vie de leurs populations, même si la grande pauvreté reste présente (favelas brésiliennes, petits agriculteurs argentins...). Pour "l autre Amérique", la réalité du développement est encore très variable. Une grande partie de l Amérique centrale et plusieurs pays andins affichent des IDH faibles et inchangés depuis les années 1960. L amorce du progrès est très lente. La zone caraïbe connaît les plus forts contrastes : un PMA (Haïti) côtoie de micro-etats insulaires dont l IDH égale celui des pays développés (la Barbade, 37 e rang mondial). Le cas de Cuba est spécifique : l île avait connu de grands progrès sociaux grâce à l aide de l URSS, mais l effondrement de cette dernière et la persistance de l embargo américain a inversé cette tendance. Ainsi, malgré le processus de rééquilibrage en cours, l ensemble du continent reste sous la domination économique des États-Unis. Ceux-ci possèdent un poids écrasant : 1 er PIB mondial, ils sont les principaux pourvoyeurs d IDE et les premiers acteurs commerciaux. Pour la grande majorité des pays du continent, les États-Unis sont les principaux partenaires commerciaux. Les transferts de devises (remesas) générés par les nombreuses diasporas installées aux Etats-Unis renforcent encore la dépendance économique du continent (1/4 du SYLVAIN RUBIC 4 GÉOGRAPHIE TERM L

III LES PROCESSUS D INTÉGRATION À L ŒUVRE EN AMÉRIQUE PIB haïtien provient du transfert des devises). C Des tensions géopolitiques anciennes et persistantes Les frontières des pays américains sont en grande partie des frontières héritées de la colonisation. Les nations cherchèrent en premier lieu à maîtriser et consolider leurs limites territoriales, d où découle une partie des tensions géopolitiques du continent (doc 3). L Amérique latine est un espace politisé à l extrême, profondément imprégné par l instabilité. L autoritarisme caractérise la culture latino-américaine, avec la figure centrale du caudillo, héros militaire ou révolutionnaire providentiel, encore exploitée par les dirigeants politiques (Evo Morales, Hugo Chavez...). Terre de dictateurs sanguinaires et de révolutionnaires charismatiques, l espace latino-américain est marqué par la violence politique jusqu à la caricature (coups d Etat, rébellions armées...). Les tensions géopolitiques restent aussi très présentes jusque dans les années 1990. De nombreux conflits ont opposé les pays latino-américains, dont la dévastatrice guerre du Chaco entre le Paraguay et la Bolivie (1932/1935) ou la guerre du "football" entre le Salvador et le Honduras (1969). Ces conflits ont très souvent pour origine des revendications frontalières. Ces tensions récurrentes ont largement entravé le développement d une partie du continent américain. Mais la fin du XX e siècle apporte une nouvelle stabilité propice à la prospérité et à la résolution des conflits territoriaux (accord de 1991 entre le Chili et l Argentine). Les États-Unis ont suivi les rapports de force entre les Etats pour les orienter au mieux de leurs intérêts. Depuis le XIX e siècle, le continent a été le théâtre de l expansion étasunienne que la Guerre froide a exacerbé avec l installation de régimes socialistes dans les années 1960/1980. Les Etats-Unis y ont multiplié les interventions militaires et les renversements de régimes considérés comme hostiles. Depuis les années 1990, le rejet largement répandu en Amérique latine de l hégémonie américaine prend de nouvelles formes : des liens de solidarité se sont créés entre les Etats qui contestent cette suprématie. L organisation du Mercosur, et plus encore celle de l ALBA, sont la traduction de cette volonté d indépendance face au tout puissant voisin. Des pays comme Cuba, le Venezuela ou l Equateur ont adopté des positions très virulentes et les dirigeants instrumentalisent les sentiments "anti-yankee" de leur population. III Les processus d intégration à l œuvre en Amérique Une organisation régionale : organisation fondée sur un traité multilatéral entre différents Etats qui souhaitent coordonner leurs actions sur un sujet déterminé. Une zone de libre-échange : espace économique dans lequel les barrières tarifaires sont réduites ou abolies entre les Etats membres afin de promouvoir la libre-circulation des biens et des capitaux. Les maquiladoras : usines de FTN américaines installées dans une zone franche de la frontière mexicaine afin d en exploiter les bas coûts salariaux. Une union douanière : espace de libre-échange approfondi où les Etats membres ont décidé de fixer un tarif commun dans leurs échanges avec les pays extérieurs. SYLVAIN RUBIC 5 GÉOGRAPHIE TERM L

III LES PROCESSUS D INTÉGRATION À L ŒUVRE EN AMÉRIQUE A ALENA, une organisation régionale dominante mais contestée Entré en vigueur en 1994, l ALENA (Accord de Libre-Echange Nord-Américain) est une organisation régionale qui rassemble les États-Unis, le Canada et le Mexique malgré les vives oppositions exprimées dans chaque pays au moment de sa création. Cet accord garantit la libre circulation des biens et des capitaux, mais non des personnes. Jusque dans les années 2000, cet accord de libre-échange a permis une forte croissance économique dans la zone. Rassemblant près de 460 millions d habitants, les liens économiques entre les trois pays se sont resserrés et forment aujourd hui l une des aires commerciales les plus productives de la planète (PIB de 18000 milliards de dollars). Le Mexique, moins développé, a connu d importants progrès économiques grâce aux investissements massifs des FTN américaines, notamment transfrontaliers (les maquiladoras). Le Canada a pu intensifier ses exportations en direction du voisin américain, grand consommateur de ressources énergétiques, minières et agricoles canadiennes. Pourtant, l ALENA est très controversé car il renforce le déséquilibre économique entre les partenaires, et accroît leur dépendance. 80 % des exportations du Mexique et du Canada sont dirigées vers les États-Unis. Pour beaucoup, l ALENA s est fait avant tout au bénéfice de ces derniers, "en mobilisant la main d œuvre mexicaine et les ressources canadiennes au profit du capital étasunien". Si le Canada est parvenu depuis quelques années à diversifier ses relations commerciales et diminuer sa dépendance économique, le cas mexicain est plus difficile. Le choix du Mexique d arrimer son économie engendre sur son territoire de forts contrastes spatio-économiques. Tandis que les régions du nord connaissent une forte croissance et élargissent leurs débouchés, la moitié sud du pays a vu ses liens commerciaux avec les Etats de l isthme se rompre. La moitié sud du Mexique a été reléguée à l approvisionnement du marché intérieur. Les petits agriculteurs, auparavant protégés par des tarifs nationaux préférentiels, ont été touchés de plein fouet par la libéralisation des échanges avec les Etats- Unis (doc 1). L entrée du Mexique dans l ALENA a détruit près d 1,5 millions d emplois dans l agriculture et a augmenté les prix des denrées agricoles. Ces populations appauvries, vivant en partie grâce aux remesas, se tournent de plus en plus vers la migration aux Etats-Unis. Le Mexique voit son territoire se dualiser sous l effet de l intégration à l ALENA : les régions du nord du pays, dynamiques, s opposent aux régions du sud qui cumulent les handicaps (doc 2). L intensification du trafic de drogue vient rajouter aux difficultés du Mexique, les narcos mexicains utilisant les liens transfrontaliers afin de répondre à la demande du riche marché de consommation américain. B Le Mercosur, un modèle concurrent et dynamique Créé en 1991 à l initiative du Brésil et des pays du Cône Sud, le Mercosur fait figure d organisation régionale rivale de l ALENA. L un de ses objectifs originels est de rééquilibrer les forces économiques du continent. Devenu en quelques années un pôle économique structurant de l Amérique du Sud, le Marché commun du Sud est une vaste union douanière qui regroupe le Brésil, l Argentine, le Paraguay, l Uruguay. SYLVAIN RUBIC 6 GÉOGRAPHIE TERM L

III LES PROCESSUS D INTÉGRATION À L ŒUVRE EN AMÉRIQUE Cette organisation a permis aux pays membres de réduire leur dépendance économique envers les États-Unis, tout en intensifiant leurs relations commerciales entre pays voisins. Malgré des rapports de force déséquilibrés, dominés par le géant brésilien (doc 3), l ensemble des partenaires ont élevé leur croissance économique, tandis qu une DIT s est mise en place, promouvant la spécialisation de chaque pays. Cette communauté économique est renforcée par un rapprochement politique (consolidation de la démocratie) et une convergence des législations, sur le modèle de l Union-européenne. Le succès du Mercosur a favorisé son attractivité à l ensemble du continent américain, et le processus d intégration se veut plus large (entrée du Venezuela en 2012, accords de rapprochement avec la CAN, Communauté Andine). À terme, toute l Amérique du Sud pourrait s intégrer, comme l accord de l UNASUR le laisse entrevoir. De nombreux projets destinés à renforcer le processus d intégration économique de l Amérique du Sud ont vu le jour sous l impulsion du Mercosur : l intégration énergétique en particulier est l un des projets les plus ambitieux (doc 4). La construction d un gazoduc entre l Argentine et la Bolivie, et les accords sur l approvisionnement électrique du Brésil par le Paraguay sont quelquesuns des projets les plus aboutis. C Une multitude d organisations régionales inabouties Au-delà de ces deux pôles qui tendent à recomposer l organisation spatiale du continent, d autres processus d intégration ont été mis en place, parfois de longue date (Marché Commun d Amérique Central MCCA fondé en 1960 ; Communauté andine des nations CAN, fondée en 1969) et qui connaissent beaucoup moins de dynamisme. Ces organisations régionales essayent souvent d intégrer des espaces politiquement et socialement très fragmentés, ce qui explique leur manque de résultats, à l instar de la CARICOM (Communauté caribéenne). En outre, ces multiples accords d intégration restent souvent dominés par la puissance économique des États-Unis. Ainsi, plusieurs de ces associations sont délaissées ou restent lettre-morte. L OEA, seule organisation rassemblant la totalité des pays d Amérique lors de sa signature en 1948, est tombée en désuétude à la fin de la Guerre froide. Malgré les efforts des Etats-Unis, l OEA est vivement contestée par de nombreux pays d Amérique latine, spécialement ceux du Mercosur. Car plus qu aucune autre organisation, elle est le symbole de la mainmise étasunienne sur le continent. Le projet du président Clinton (1993/2001) de former une zone de libre-échange continentale, la fameuse ZLEA, est elle aussi entravée par l opposition d une partie des Etats sud-américains. En réalité, le trop grand nombre de ces organisations régionales, la divergence de leurs intérêts et leurs disparités spatio-économiques freinent le processus d intégration. Seuls l ALENA et le Mercosur apparaissent comme des processus d intégration réellement avancés et semblent en mesure de réaliser une intégration plus large à l échelle continentale. Ces deux pôles, par leur rayonnement et leur attractivité, ont vocation à s étendre. Leur rivalité apparaît comme un facteur puissant de recomposition spatiale du continent américain (voir croquis). SYLVAIN RUBIC 7 GÉOGRAPHIE TERM L