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Transcription:

Numéros du rôle : 3824 et 3936 Arrêt n 161/2006 du 8 novembre 2006 A R R E T En cause : les questions préjudicielles relatives à l article 306 du Code civil, posées par la Cour d appel de Liège et la Cour d appel de Gand. La Cour d arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l arrêt suivant : * * *

2 I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par arrêt du 29 novembre 2005 en cause de M.-C. T. contre L.C., dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour d arbitrage le 6 décembre 2005, la Cour d appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : «L article 306 du Code civil tel qu il est interprété par la Cour de cassation dans ses arrêts du 4 janvier 1980 et du 23 avril 1982 [ ], ne viole-t-il pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu il crée une discrimination entre l époux demandeur d une pension alimentaire après divorce, selon que cet époux est défendeur dans une instance en divorce mue sur la base des articles 229 ou 231 du Code civil ou qu il est défendeur dans une instance en divorce mue sur la base de l article 232 du Code civil, du fait que dans la première situation, la pension ne lui sera pas accordée s il est établi qu il a commis l adultère, des excès, sévices ou injures graves, tandis que dans la deuxième situation, la même pension ne lui sera pas accordée dès lors que des fautes ou manquements sont reconnus dans son chef comme étant à l origine de la séparation de fait ou comme ayant contribué à son maintien pendant plus de deux ans, fautes ou manquements qui relèvent de l appréciation discrétionnaire du juge en l absence de tout critère objectif prédéfinis, mais qui, selon l interprétation de la Cour de cassation, peuvent présenter une gravité moindre que les excès, sévices et injures dont il est question à l article 231 du Code civil?». b. Par arrêt du 23 février 2006 en cause de A.T. contre B.V. et N.N., dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour d arbitrage le 8 mars 2006, la Cour d appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : «L article 306 du Code civil viole-t-il le principe constitutionnel d égalité et de nondiscrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) ainsi que les articles 10 et 11 de la Constitution juncto l article 6 de la Convention européenne des droits de l homme : 1. en tant qu il instaure une différence de traitement entre le demandeur en divorce pour cause de séparation de fait et le défendeur en divorce pour cause de séparation de fait, en ce qu une présomption de faute exclusive est instaurée à la charge du demandeur en divorce pour cause de séparation de fait? 2. en tant qu il instaure une différence de traitement entre différents défendeurs dans des actions alimentaires après divorce, selon que ces défendeurs se trouvent, dans la procédure de divorce, en position, d une part, de demandeur et, d autre part, de défendeur dans une procédure de divorce pour cause de séparation de fait, ou de demandeur ou de défendeur dans une procédure en divorce pour cause déterminée, en ce qu une présomption de faute exclusive est instaurée à la charge du demandeur en divorce pour cause de séparation de fait?». Ces affaires, inscrites sous les numéros 3824 et 3936 du rôle de la Cour, ont été jointes.

3 a) Dans l affaire n 3824 Des mémoires ont été introduits par : - L.C.; - le Conseil des ministres. b) Dans l affaire n 3936 Des mémoires et des mémoires en réponse ont été introduits par : - B.V.; - A.T.; - le Conseil des ministres. A l audience publique du 13 septembre 2006 : - ont comparu :. Me C. Beck, avocat au barreau de Nivelles, pour L.C., dans l affaire n 3824;. Me P. Praet, avocat au barreau de Termonde, loco Me C. Poppe, avocat au barreau de Gand, pour B.V., dans l affaire n 3936;. Me I. Naudts, avocat au barreau de Bruxelles, pour A.T., dans l affaire n 3936;. Me S. Naeije loco Me D. Gérard et Me A. Feyt, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J.-P. Snappe et L. Lavrysen ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d arbitrage relatives à la procédure et à l emploi des langues ont été appliquées. II. Les faits et les procédures antérieures Affaire n 3824 Alors qu elles étaient mariées depuis dix-sept ans, les deux parties devant le juge du fond se sont séparées le 23 janvier 1999.

Le 25 février 1999, M.-C. T. saisit le juge de paix sur pied de l article 223 du Code civil. Une ordonnance est prononcée le 1er avril 1999 qui condamne L.C. à payer à la demanderesse une pension alimentaire de 20 000 francs. Par citation du 26 mai 1999, L.C. introduit devant le Tribunal de première instance de Namur une action en divorce fondée sur l article 231 du Code civil, en reprochant à son épouse des faits d alcool, de violence et autres comportements injurieux. Le 11 juin 2001, il forme une nouvelle demande en divorce sur pied, cette fois, de l article 232 du Code civil. Par jugement du 7 novembre 2001, le Tribunal constatant la séparation de fait des parties depuis plus de deux ans accueille cette demande tout en ordonnant, en ce qui concerne l imputabilité de la pension, la jonction de la cause pour connexité avec la procédure antérieurement introduite sur la base de l article 231 du Code civil. A l issue des enquêtes, le Tribunal attribue, par jugement du 22 septembre 2004, l imputabilité de la séparation à M.-C. T. et celle de son maintien à L.C. C est contre ce jugement que M.-C. T. a interjeté appel. Par son arrêt du 29 novembre 2005, la Cour d appel de Liège relève que le seul enjeu du litige consiste dans l octroi, au profit de l appelante, d une pension alimentaire après divorce. Il en découle qu il faut déterminer s il y a ou non lieu à renversement de la présomption d imputabilité telle qu elle résulte de l article 306 du Code civil. Se fondant sur deux arrêts de la Cour de cassation, la juridiction a quo s estimant contrainte d apprécier «l alcoolisme» attribué à l appelante de manière différente selon que la demande en divorce repose sur l article 231 ou 232 du Code civil, se demande s il n en résulte pas une rupture d égalité entre les différents époux, sur laquelle elle interroge la Cour dans la question mentionnée ci-dessus. 4 Affaire n 3936 A.T. et B.V. se sont mariés le 11 août 1979. De leur union sont nés deux enfants. Les époux sont séparés de fait depuis le 10 novembre 1993. Après une procédure fondée sur l article 223 du Code civil, B.V. introduit, le 17 décembre 1993 près le Tribunal de première instance de Bruges, une requête en divorce sur la base de l article 231 du Code civil. Le 31 mars 1995, A.T. introduit à son tour une demande sur la base de ce même article, demande dont il se désiste le 24 janvier 2003. Par une ordonnance rendue en référé le 17 janvier 1996, B.V. obtient une pension alimentaire qui est confirmée par un arrêt de la Cour d appel de Gand. Par requête du 30 août 2002, A.T. introduit une nouvelle requête en divorce sur la base cette fois de l article 232 du Code civil, c est-à-dire d une séparation de plus de deux ans. Il demande entre autres de pouvoir prouver qu il n est pas à l origine de cette séparation et qu il peut donc renverser la présomption de l article 306 du Code civil. Par jugement du 12 mars 2004, le Tribunal de première instance de Bruges prononce le divorce sur la base de l article 232 du Code civil, autorise le demandeur à démontrer par toutes voies de droit qu il n est pas à l origine de la séparation et, dans l attente de cette preuve, le condamne au paiement d une pension alimentaire à son ex-épouse. Faisant appel de cette décision, A.T. conteste qu il soit à l origine de la séparation, estimant que la présomption établie par l article 306 du Code civil est contraire aux articles 6.1 et 6.2 de la Convention européenne des droits de l homme ainsi qu aux articles 10 et 11 de la Constitution. Il en déduit que deux questions préjudicielles devraient être posées à la Cour d arbitrage, ce que fait la Cour d appel de Gand dans les termes mentionnés ci-dessus.

5 III. En droit - A - Affaire n 3824 Position de l intimé devant la juridiction a quo A.1. Après avoir rappelé que le législateur, en instituant le divorce sur la base d une séparation des époux de plus de deux ans, voulait exclure par là toute idée de faute de l examen des conditions d admissibilité du divorce, et avoir, ensuite, rappelé les principes applicables au renversement de la présomption d imputabilité tels qu ils sont interprétés par la Cour de cassation, la partie intimée devant la juridiction a quo constate que même si selon cette jurisprudence les faits à l origine du divorce peuvent être appréciés selon un critère de gravité moindre dans les cas de l application de l article 306 du Code civil, il est possible de considérer qu il n y a pas une rupture d égalité entre différents époux demandeurs d une pension fondée sur l article 306 du Code civil, par rapport aux époux défendeurs en divorce sur la base des articles 230 ou 231 du Code civil. La réponse à la question préjudicielle est donc négative. Position du Conseil des ministres A.2.1. Après avoir rappelé le sens de l article 306 du Code civil dans la perspective des différentes formes de divorce admises en droit belge, le Conseil des ministres considère que les questions préjudicielles posées à la Cour n ont pas d objet. En effet, selon l article 301, 1er, du Code civil, seul l époux ayant obtenu que le divorce soit prononcé aux torts de son ancien conjoint dispose du droit de postuler une pension alimentaire après divorce. Il en découle qu il ne peut avoir été le simple défendeur en divorce dans une procédure en divorce mue sur pied des articles 229 et 231 du Code civil que décrit la Cour d appel. La première catégorie de personnes envisagée par la Cour d appel de Liège n entrant pas dans les conditions légales pour postuler une pension alimentaire après divorce, c est à tort, estime le Conseil des ministres, que la Cour d appel a entendu établir la comparaison mentionnée dans sa question. A.2.2. A titre subsidiaire, il estime que les deux catégories envisagées ne sont pas comparables, pour deux motifs. Le premier motif est que, dans les deux divorces, ce sont des preuves différentes qui peuvent être apportées sans qu il y ait d ailleurs, contrairement à ce que semble déduire à tort la Cour d appel de la jurisprudence de la Cour de cassation, de hiérarchie entre elles. Dans le cas du divorce «sanction», le manquement constitutif dudit divorce est unique; en revanche, l article 306 du Code civil impose, lui, la démonstration d une double faute pour rejeter l imputabilité du divorce : celle d être la cause de la séparation et celle d être aussi la cause du maintien de la séparation. Le second motif d incomparabilité des deux catégories envisagées est tiré par le Conseil des ministres de l examen de la ratio legis du divorce basé sur l article 232 du Code civil, lequel est élisif dans son principe mais non dans ses effets de la notion de faute. Ne sont par conséquent pas comparables, selon le Conseil des ministres, les situations des époux divorcés pour faute ou pour séparation dans la mesure où la preuve de la faute constitue, dans la première hypothèse, la cause du divorce sollicité alors que, dans la seconde, la notion de manquement intervient au niveau des effets de celui-ci. La question préjudicielle appelle alors, dans ce cas et à titre subsidiaire, une réponse négative.

6 Affaire n 3936 Position de la partie appelante devant la juridiction a quo A.3.1. Après avoir rappelé que même si le divorce prononcé sur la base de l article 232 du Code civil a supprimé toute référence à la faute, la partie appelante constate que celle-ci reste un élément déterminant pour l appréciation des effets du divorce. Or, l article 306 du Code civil selon lequel est établi le principe de la présomption d une faute exclusive dans le chef du demandeur en divorce pour séparation, laquelle ne peut être renversée que s il démontre que l autre époux est à l origine à la fois de la séparation et du maintien de celle-ci, viole, selon la partie requérante, les principes d égalité et de non-discrimination. Cette disposition, en effet, ne fait pas une application correcte du principe selon lequel c est au demandeur de faire la preuve de ce qu il allègue, contrairement, notamment, à l application correcte qui en est faite dans le cadre du divorce «sanction». La partie appelante conteste ensuite les prémisses relatives à l imputabilité du divorce après séparation qui ont conduit à l adoption en 1974 de l article 306 du Code civil. Elle poursuit alors en tentant de démontrer que la différence de traitement entre les époux selon les procédures de divorce intentées n a pas de fondement objectif et n est pas raisonnable. Elle renvoie encore à l arrêt n 48/2000 rendu par la Cour d arbitrage relativement à l article 307bis du Code civil. A.3.2. La partie appelante considère ensuite que l article 306 du Code civil viole les articles 6.1 et 6.2 de la Convention européenne des droits de l homme lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle estime en particulier que la disposition litigieuse viole le principe du droit à un procès équitable, à l égalité des armes et à la présomption d innocence. A.3.3. En conclusion, il faut donc admettre, selon la partie appelante, que la présomption de faute telle qu elle résulte de l article 306 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou en combinaison avec les articles 6.1 et 6.2 de la Convention européenne des droits de l homme. Mémoire de la partie intimée devant la juridiction a quo A.4.1. Tout d abord, la partie intimée considère que la première question préjudicielle n est pas relevante et donc non recevable dans la mesure où, contrairement à ce que semble soutenir la Cour d appel de Gand, l article 306 du Code civil n établit pas le principe d une faute exclusive dans le chef du demandeur en divorce sur la base de l article 232 du Code civil mais où c est à lui de prouver qu il n est pas à l origine de la séparation. Pour le surplus, la partie intimée tente de montrer que la différence de traitement qui résulte de l article 306 du Code civil par rapport aux époux qui ont divorcé sur la base des articles 229 et 231 du Code civil repose sur un critère objectif, à savoir le fait que le divorce sur pied de l article 232 du Code civil est un divorce qui a été voulu par le législateur comme un divorce sans faute, à la différence du divorce pour cause déterminée. A.4.2. En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, elle aussi doit être tenue pour irrecevable, selon la partie intimée. Pour le surplus, elle estime que la différence de traitement litigieuse n est pas aussi excessive que ce n est invoqué : en effet, dans les deux procédures, le tribunal doit apprécier la matérialité des griefs invoqués, la présomption de l article 306 du Code civil pouvant être renversée par le demandeur.

7 Position du Conseil des ministres A.5.1. Pour répondre à la première question préjudicielle, soutient le Conseil des ministres, il faut d abord rappeler que, dans le cas des deux divorces comparés, le principe est le même : seul l époux coupable est tenu de payer une pension à son ex-époux et les deux époux sont libérés si le divorce a été prononcé aux torts réciproques. La seule différence est que la notion de «faute» dans le cas de l article 306 du Code civil est différente de celle reconnue dans les articles 229 et 231 du Code civil. Quant à la présomption de faute qui existe dans le chef du demandeur d un divorce pour séparation de plus de deux ans, le Conseil des ministres entend montrer qu elle est raisonnablement justifiée par rapport aux objectifs recherchés par le législateur quand il a institué ce type de divorce en 1974. Dans son principe, ce divorce est élisif de faute, pas dans ses effets. La jurisprudence a, dès lors, pour appliquer l article 306 du Code civil, distingué trois cas de figure. Le premier est celui où la partie qui demande le divorce ne démontre pas que c est l autre qui en est à l origine, auquel cas elle doit payer une pension. Le deuxième cas est celui où cette même partie démontre qu elle n est responsable ni de la séparation ni de son maintien : dans ce cas, elle est libérée du devoir de payer une pension. Enfin, si elle ne peut montrer que l ex-époux est à l origine d une des deux situations, aucun des deux époux ne peut prétendre à une pension. Il résulte de ceci que, selon le Conseil des ministres, la violation des articles 10 et 11, lus en combinaison avec les articles 6.1 et 6.2 de la Convention européenne des droits de l homme, n est pas fondée. Le Conseil des ministres renvoie à l arrêt n 163/2001 rendu par la Cour d arbitrage. A.5.2. Quant à la seconde question préjudicielle, elle doit, estime le Conseil des ministres, pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans son mémoire dans l affaire n 3824, être considérée comme sans objet. A.5.3. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres estime que l on ne peut admettre le raisonnement tenu par la partie appelante devant la juridiction a quo relatif à la violation de la présomption d innocence et au droit à un procès équitable. Il renvoie notamment à l arrêt n 27/2000 rendu par la Cour d arbitrage et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l homme qu elle y cite. - B - B.1. Chacun des époux peut demander le divorce pour cause d adultère de son conjoint (article 229 du Code civil) ou pour excès, sévices ou injures graves de celui-ci (article 231 du même Code). Chacun des époux peut également demander le divorce pour cause de séparation de fait de plus de deux ans, s il ressort de cette situation que la désunion des époux est irrémédiable et que l admission du divorce sur cette base n aggrave pas de manière notable la situation matérielle des enfants mineurs (article 232 du même Code).

8 B.2. Alors que le divorce pour cause déterminée visé aux articles 229 et 231 du Code civil est fondé sur la faute de l un des époux, le divorce visé à l article 232, alinéa 1er, du même Code est fondé, selon les développements de la proposition de loi ayant abouti à la loi du 1er juillet 1974 qui a inséré l article 306 en cause dans le Code civil, sur la circonstance qu après un certain nombre d années de séparation de fait, «la chance d une réconciliation entre les époux est devenue inexistante» (Doc. parl., Sénat, 1971-1972, n 161, p. 1). B.3. Le tribunal peut accorder à l époux qui a obtenu le divorce, sur les biens et les revenus de l autre époux, une pension pouvant permettre au bénéficiaire, compte tenu de ses revenus et possibilités, d assurer son existence dans des conditions équivalentes à celles dont il bénéficiait durant la vie commune (article 301, 1er, du Code civil). Lorsqu il s agit d un divorce pour cause de séparation de fait, l époux qui a demandé et obtenu le divorce est considéré comme celui contre qui le divorce est prononcé. Le tribunal peut cependant lui accorder une pension s il apporte la preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l autre époux (article 306 du Code civil). B.4. Les questions préjudicielles visent en substance à demander à la Cour si cette dernière disposition fait naître une discrimination à l égard de : - l époux à la demande duquel le divorce pour cause de séparation de fait est prononcé, parce que la disposition, en ce qui concerne l attribution d une pension alimentaire, instaure à sa charge une «présomption de faute exclusive» (affaire n 3936); - l époux défendeur dans une procédure de divorce pour cause de séparation de fait, en ce que les fautes et manquements dont l époux demandeur de la pension alimentaire doit apporter la preuve pour se voir accorder cette pension alimentaire peuvent présenter une gravité moindre que les excès, sévices et injures visés à l article 231 du Code civil (affaire n 3824).

9 Dans les deux parties de la question préjudicielle posée dans l affaire n 3936, les demandeurs en divorce pour cause de séparation de fait sont comparés aux défendeurs en divorce pour cause de séparation de fait. Dans la deuxième partie de la question, sont ajoutés en outre à ces catégories les demandeurs et les défendeurs en divorce pour cause déterminée, catégorie d époux à l égard desquels n existerait pas non plus, dans le cadre de l octroi d une pension alimentaire, la «présomption de faute exclusive» qui pèse sur la première catégorie de personnes nommée. Les catégories à comparer dans la question préjudicielle posée dans l affaire n 3824 sont les défendeurs en divorce pour cause de séparation de fait, d une part, et les défendeurs en divorce pour cause déterminée, d autre part. Certes, l époux appartenant à cette dernière catégorie ne peut, en vertu de l article 301, 1er, du Code civil, recevoir une pension alimentaire, mais le juge a quo vise manifestement la situation particulière dans laquelle «la pension ne sera pas accordée à l époux qui a obtenu le divorce si - dans le cadre d une demande reconventionnelle en divorce dirigée contre lui par son conjoint sur la base des articles 229 ou 231 du Code civil - il est établi qu il a commis l adultère, des excès, sévices ou injures graves». Quant à la question préjudicielle posée dans l affaire n 3824 B.5.1. Contrairement au divorce pour cause déterminée, le divorce pour cause de séparation de fait n est pas fondé sur l existence d une «faute». Dès lors, pour obtenir le divorce pour cause de séparation de fait, aucune preuve de faute ne doit être apportée. Ce n est que lorsqu il s agit de régler les effets du divorce, et en particulier de statuer sur une demande de pension alimentaire, que le législateur instaure une présomption de faute dans le chef de l époux qui demande le divorce. B.5.2. La différence fondamentale entre les deux formes de divorce justifie objectivement et raisonnablement que les fautes et manquements qui doivent le cas échéant

être prouvés pour obtenir une pension alimentaire puissent présenter une gravité moindre que les faits visés aux articles 229 et 231 du Code civil. 10 B.5.3. La question préjudicielle posée dans l affaire n 3824 appelle une réponse négative. Quant aux questions préjudicielles dans l affaire n 3936 B.6.1. C est au législateur qu il appartient d apprécier dans quelle mesure il y a lieu de protéger un époux qui, par une initiative unilatérale de son conjoint, serait privé du secours que se doivent les époux, aux termes de l article 213 du Code civil, et se trouverait dans le besoin. Il peut, à cet effet, prolonger, au-delà du mariage dissous par le divorce, certains effets de l obligation de secours à charge d un des époux, en obligeant cet époux à verser une pension alimentaire. B.6.2. La présomption instaurée par l article 306 du Code civil peut toutefois être renversée. Le tribunal peut accorder une pension alimentaire à l époux qui a demandé le divorce si celui-ci apporte la preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l autre époux. B.6.3. Il s ensuit que le législateur n a pas porté atteinte de manière disproportionnée aux intérêts de l une des catégories d époux concernées. B.7.1. Dans l affaire n 3936, le juge a quo demande à la Cour de contrôler aussi la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l article 6 de la Convention européenne des droits de l homme qui garantit le droit à un procès équitable et la présomption d innocence. B.7.2. L article 6.2 de la Convention européenne des droits de l homme dispose : «Toute personne accusée d une infraction est présumée innocente jusqu à ce que sa culpabilité ait été légalement établie».

L article 306 du Code civil n entre pas dans le champ d application de cette disposition. 11 B.7.3. Pour le surplus, ni la décision de renvoi ni l exposé fait par les parties ne permettent d apercevoir en quoi la disposition en cause porterait atteinte de manière discriminatoire au droit à un procès équitable. B.8. Les questions préjudicielles posées dans l affaire n 3936 appellent une réponse négative.

12 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L article 306 du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d arbitrage, à l audience publique du 8 novembre 2006. Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux M. Melchior