La place réservée à la petite paysannerie par les pouvoirs publics en Algérie DOUFENE HOCINE h_douf@yahoo.fr Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou Introduction La paysannerie algérienne, la petite en particulier, a connu des mutations profondes qui ont transformé ses conditions de reproduction prévalant durant la période coloniale (avant 1830). L'histoire agraire de l'algérie a montré que la dépaysanisation des zones à faibles potentialités agricoles, où domine la petite paysannerie, a démarré avec la pénétration du capital colonial français (1830 1962), qui a fait de cette frange de la paysannerie un réservoir de main d'œuvre pour la France et l'agriculture coloniale en Algérie. Après l'indépendance (1962), cette dépaysanisation a été accélérée par l'extension du marché de l'emploi non agricole, résultat du choix du modèle de développement basé sur l'industrie. Dans le cadre de l'articulation industries des biens d'équipements agriculture industries agroalimentaires, cette stratégie a privilégié la grande propriété foncière jugée seule capable de répondre aux objectifs du modèle. La petite paysannerie, privée des ressources étatiques, avait comme seule solution de sortie de la crise agricole la vente de sa force de travail. La marginalisation de la paysannerie parcellaire du développement économique, enclenché dans les années 1970 explique en partie la dépendance alimentaire de l'algérie et le net recul des produits locaux dans le modèle de consommation des populations, comme l'huile d'olive relevant de la petite paysannerie des régions montagneuses. Cette dépendance accrue du marché mondial agroalimentaire a fait réfléchir les pouvoirs publics, qui ont lancé en 2000 le Programme National de Développement Agricole (PNDA), qui a pris en considération toutes les franges de la paysannerie algérienne (tous secteurs juridiques confondus). Globalement, cette dernière est passée par plusieurs étapes allant de la période coloniales à nos jours. Période coloniale (1830 1962) Cette période coloniale est à l'origine de la première mutation qu'a connue la petite paysannerie, en le transformant en réservoir de main d'œuvre pour l'exmétropole. En effet, l'insertion aux marchés lointains de la métropole et à l'agriculture capitaliste coloniale en Algérie se faisait essentiellement par la vente de la force de travail, dont la rémunération constituait l'essentiel des revenus des familles. Cet exode
massif a rompu l'équilibre socio-économique, même précaire, des populations prévalant durant la période précoloniale (avant 1830), et où l'association des activités artisanales et des activités agricoles constituaient l'essentiel de la reproduction de la petite paysannerie. Trébous (1974) a bien souligné l'ampleur de l'émigration vers la France des populations des zones enclavées : "c'est dès 1871 que des fellahs des zones les plus déshéritées commencent à émigrer. En 1912, ils sont déjà quelques milliers en Europe". Cette dépaysanisation a été accélérée lors de la lutte de libération nationale (1954 1962), avec les villages de regroupements, à tel point que le même auteur a relevé que, dans les années 1950, des centres de regroupements déracineront près de deux millions et demi de paysans. Bourdieu et Sayad (1964) parlent "d'ouvrier paysan" qui a plus une logique de prolétaire que de paysan attaché à la terre. Cette brève rétrospective historique sur la paysannerie algérienne nous a permis de relever trois types d'approche de la petite paysannerie, réservoir de main d'œuvre, déracinement et "ouvrier-paysan". La petite paysannerie après l'indépendance (1962 2000) La petite exploitation située à la périphérie des zones à fortes potentialités est fortement défavorisée au point de vue fertilité des sols, ressources hydriques et nature du relief. A l'indépendance, cette frange de la paysannerie présentait un handicap lié à la faible potentialité des terres et à l'étroitesse des exploitations et au manque de crédits. En effet, dans le cadre de l'articulation industries agriculture telle que prônée par le modèle de développement algérien des années 1970, la croissance agricole est recherchée dans la grande exploitation étatique, située dans des régions à fortes potentialités agricoles. Cette approche relève de la thèse dualiste qui voit la petite paysannerie comme un obstacle au progrès technique. L'agriculture étatique est fortement privilégiée au détriment de l'ensemble dans l'affectation des ressources. Les crédits à court, moyen et long terme ont surtout bénéficié aux unités de production du secteur étatique et secondairement au secteur privé moderne au détriment du secteur privé parcellaire. En effet, la structure des investissements agricoles à travers les différentes rubriques ne peut concerner que les systèmes de culture et d'élevage intensifs pratiqués pour l'essentiel par la grande propriété étatique. Le secteur privé parcellaire, surtout en zones de montagne pratique un système de polyculture élevage extensif à dominant arboricole et petit élevage. Gernigon (1984) a souligné à juste titre que "l'amélioration qualitative de l'agriculture dépendra non pas des réformes du régime de la propriété, mais de l'aide que les pouvoirs publics apportent aux petits paysans dans le domaine du crédit, de la mécanisation et de la formation". En l'absence d'une politique agricole globale cohérente, le critère de solvabilité financière appliqué par les banques exclue de fait le petit paysan. Globalement, durant les années 1970 à 1980, le secteur privé parcellaire qui contrôle plus de 50% de la superficie agricole utile (SAU) évaluée à 7.500.000 hectares, n'a reçu en moyenne que 10% des crédits affectés à l'agriculture. Cette situation n'a pas permis de corriger les déséquilibres légués par la période coloniale sur les plans social, économique et
technique. De ce fait, la petite exploitation agricole devient plus un lieu de résidence qu'un support d'activités productives. Bourenane (1977), dans son analyse de l'agriculture du secteur privé en Algérie a montré que la crise agricole n'est pas celle de la paysannerie. Cette dernière s'en est sortie en se prolétarisant. La petite paysannerie et les rapports marchands Le développement du secteur privé agricole laissé en période d'attente depuis une décennie (1962 1971), suppose au préalable sa restructuration. C'est un des objectifs assignés à la révolution agraire de 1971. Cette dernière qui devait par le biais du secteur coopératif, jouer un rôle démonstratif au niveau de l'élévation de la productivité et de l'amélioration des conditions de vie des paysans, n'a pas atteint son objectif d'intégration de la petite paysannerie. Son impact a été très limité, surtout en zones de montagne, vu la faiblesse de l'assiette foncière et les revenus agricoles médiocres envisagés à travers les fourchettes d'attribution. Par contre, la dynamique globale induite par l'extension des rapports marchands, à travers l'intégration de la force de travail agricole au marché de l'emploi non agricole, a fortement marqué l'évolution des systèmes de production relevant de la petite paysannerie. Ces changements se sont traduits sur le plan socio-économique par une forte prolétarisation de la petite paysannerie et par une régression des systèmes de production vivriers locaux. L'absence de logique territoriale induite par la nonintégration de la dimension spatiale dans l'approche du développement économique des régions n'a pas permis la valorisation des potentialités locales et le développement des zones enclavées, où domine la petite paysannerie. Cette situation nous autorise à parler de rupture avec la condition paysanne et le reniement de l'esprit paysan, pour reprendre Bourdieu et Sayad (1964), dans leur analyse de la société traditionnelle. Nous citerons à titre d'exemple la région des montagnes de Kabylie, où domine la petite exploitation et où l'activité oléicole, fortement représentée dans la SAU, n'a pas constitué une priorité dans la politique des oléagineux de l'état. D'une manière générale, les politiques foncière et agricole des pouvoirs publics initiées depuis 1962 jusqu'aux années 1980, ont favorisé les grandes propriétés foncières relevant du secteur étatique, puis élargies au secteur de la révolution agraire mise en place en 1971. Il en ressort que le statut juridique des terres et la taille de l'exploitation ont été déterminants dans le choix des types d'exploitation à promouvoir, et ce au détriment de la petite paysannerie. Le programme d'ajustement structurel imposé à l'algérie à partir des années 1990 a mis fin à cette politique agraire par l orientation de la politique foncière vers une libéralisation des marchés fonciers. La nouvelle politique agricole mise en place à partir de 2000 et intitulé le Programme National de Développement Agricole (PNDA) s inscrit dans une dynamique globale de relance de l agriculture nationale.
Les nouvelles approches du développement agricole et rural à partie de 2000 La nouvelle politique de développement agricole et rural constitue une rupture avec les approches dichotomiques antérieures. Les réformes que prône le Programme National de Développement Agricole lancé en 2000 ont nécessité un budget colossal, sans précédent, de prés de 40 milliards de dinars, géré par le Fond National de régulation et de Développement Agricole (FNRDA). Les principales actions initiées sont la mise en valeur des terres, la modernisation du secteur agricole, le développement des filières, les programmes de reconversion agricole Selon Bessaoud (2006), "le dispositif du FNDRA a profité à près de 220.000 exploitations, mais a exclu 600.000 exploitations éparpillées ou isolées (ce qui représente une population rurale de prés de 10 millions de personnes". Ces populations exclues du dispositif du FNDRA représentent en grande partie la petite paysannerie, largement dominante au point de vue nombre d'exploitations. Les estimations faites en 2008 ont révélé que les exploitations inférieures à 5 hectares représentent 62% de l'ensemble des exploitations agricoles. Pour faire bénéficier la petite exploitation de la politique de relance agricole, il faut au préalable sédentariser les populations par la mise en place d'infrastructures de base et de services. Ce rôle est dévolu en 2002 au Programme National de développement Agricole et Rural (PNDAR). Au fait il s'agit de l'élargissement du PNDA à la dimension rurale. L'un des objectifs de ce nouveau programme est la réduction des disparités régionales par le développement des activités à caractère social, économique et environnemental avec la participation des acteurs locaux. L'originalité de cette nouvelle approche est qu'elle prend en considération les doléances des populations rurales. D'une gestion de type hypercentralisée et uniformisée à l'ensemble des espaces agricoles nationaux, on est passé à une gestion de type décentralisé avec la participation des populations rurales à l'identification des actions envisagées. En 2005, les pouvoirs publics ont défini la nouvelle Stratégie de Développement Rural Durable (SDRD), suivie en 2006 d'un Plan de Renouveau Rural (PRR) dont l'objectif principal est la valorisation des ressources locales par les acteurs locaux organisés. Pour mieux appréhender les besoins des populations rurales, cette stratégie se base sur les Programmes de Proximité de Développement Rural (PPDR), dont les actions sont très diversifiées et élargies à la petite paysannerie. Nous citerons la mise en valeur des terres, l'aménagement des points d'eau, les travaux sylvicoles, la taille des oliviers, la confection de cuvettes, l'élevage apicole, l'élevage ovin, l'élevage bovin, l'ouverture et l'aménagement de pistes agricoles. D'une manière générale, beaucoup d'efforts ont été consentis en faveur du secteur agricole en général, et de la petite paysannerie en particulier. Les espaces ruraux sont devenus plus actifs grâce au désenclavement de plusieurs territoires longtemps laissés à l'abandon par les politiques antérieures. Néanmoins un bilan reste à faire pour évaluer le niveau de réalisation de toutes les opérations engagées et le nombre de petites exploitations bénéficiaires.
Conclusion Les politiques agricole et rurale menées par les pouvoirs publics entre 1962 et les années 1980 ont privilégié la grande exploitation agricole, surtout étatique, jugée seule capable de rentabiliser le capital investi. De ce fait, les efforts de l'état ont été concentrés sur les zones à fortes potentialités agricoles déjà favorisées lors de la période coloniale. La petite paysannerie, implantée dans des régions pauvres et enclavées (exemple des zones de montagne) est restée en dehors du processus de développement économique tel que prôné par la planification. Il a fallu attendre les années 2000 pour qu'un Programme National de Développement Agricole (PNDA) soit mis en place avec comme objectif principal la valorisation de toutes les potentialités agricoles du pays. Pour la première fois depuis l'indépendance, la petite paysannerie a été prise en considération dans la nouvelle politique agricole et rurale grâce aux programmes de développement de proximité. Ces derniers ont permis le désenclavement de plusieurs régions et la relance de plusieurs activités agricoles.