Interview de Daniel Attias professeur de français à l université d Oulu par Sylve Gautier, proviseur du Lycée Roosevelt de Reims Politique générale du gouvernement à l égard de l Université en Finlande et ses perspectives d évolution Le projet de loi actuellement examiné au parlement finlandais vise à élargir l autonomie des universités à l égard du ministère de l éducation. L Etat n assurerait plus que le financement du budget de fonctionnement, les universités étant incitées et encouragées à faire appel à des financements extérieurs pour la recherche. Il s agit donc de renforcer la coopération entre entreprises et universités. L autonomie signifie aussi que l université doit pouvoir répondre rapidement aux changements en cours de la société et surtout de l économie nationale. Deux moyens pour y parvenir : les personnels perdraient leur statut de fonctionnaire pour devenir des salariés de droit privé rapidement licenciables et conseil d administration de l université composé pour moitié de membres extérieurs. La collégialité traditionnelle du monde universitaire disparaîtrait. Un exemple concret : le nombre minimum de membres du conseil d administration est de 6 : 3 membres non universitaires dont l un serait président, 1 représentant de l ensemble des étudiants (par ex dans mon université à Oulu 16 mille étudiants inscrits dans 5 facultés), 1 représentant du personnel (chercheurs, enseignants, personnels administratifs confondus) et 1 représentant pour l ensemble des professeurs. Ce conseil pourrait très bien décider de supprimer des facultés entières ou des départements «non rentables», ce qui inquiète les facultés des sciences de l éducation, de lettres et les départements où l on pratique la recherche fondamentale et non appliquée. La loi devrait être applicable dès 2010. Un groupe de travail comprenant des représentants du ministère du travail et de l économie et du ministère de l éducation a remis le 23.3.2009 un rapport à leurs ministres qui invite les universités à mieux encourager qu à présent les étudiants à créer des entreprises. La mission de l université sera d offrir aux étudiants de meilleurs moyens de se préparer à la carrière d entrepreneur, de favoriser les innovations et de créer les conditions favorables à la création d entreprises. Les universités devront détecter mieux qu elles ne le font actuellement les étudiants qui présentent les qualités susceptibles de faire d eux de bons entrepreneurs. Elles devront initier des voies et moyens destinés à favoriser les innovations, leur commercialisation et la croissance des entreprises. Les deux ministères sont invités à renforcer leur coopération. Dans sa réponse au groupe de travail, la ministre de l éducation a confirmé que la mission de recherche, développement et innovation de l université s inscrit dans la stratégie nationale de promotion des innovations qui vise à faire de la Finlande le pays le plus novateur du monde. Les universités devront donc se renforcer, se spécialiser et s améliorer qualitativement. Son collègue de l économie a ajouté que le potentiel croissant de connaissances doit générer le plus tôt possible de nouveaux produits, de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois.
La transition de l'enseignement secondaire à l'enseignement supérieur? 3 ans s écoulent en moyenne entre le lycée et le début des études supérieures parce que les concours d entrée sont difficiles. Les bacheliers choisissent soit de faire une année sabbatique, soit d aller à l étranger pour y travailler un ou 2 ans, soit enfin de travailler en Finlande afin de prendre le temps de savoir ce qu ils veulent faire dans la vie. Les filières de l'enseignement secondaire? Même si le baccalauréat est national, le secondaire relève totalement de la compétence des communes et des municipalités. Je ne puis donner que l exemple de ma ville, Oulu (140 mille habitants), capitale de la moitié nord de la Finlande où toutes les formes d enseignement sont dispensées du jardin d enfant à l université, des écoles professionnelles aux IUT. La ville compte 9 lycées : un lycée réservé aux adultes qui suivent des cours du soir, un lycée musical et un lycée sportif. Tous les autres sont des lycées dits généraux. A la fin du collège, les élèves choisissent soit le lycée, soit l école professionnelle. Il n y a pas vraiment de filières dans les lycées ordinaires car le choix des matières est libre. Le lycéen peut à son gré suivre par exemple un cycle dit long de mathématiques ou au contraire un cycle court ou pas de mathématiques du tout. En 2007, il y avait 417 lycées en Finlande avec près de 100 000 élèves. Entre 2003 et 2007, le nombre d établissements a baissé de 8 % tandis que le nombre de lycéens a baissé de plus de 4 %. Alors que le nombre de places disponibles dans les lycées restait le même, le nombre de candidats diminuait. 16 % des élèves ont passé plus de 3 ans au lycée et le taux d abandon était de 2%. En revanche, on a compté que, de 2005 à 2007, le nombre d élèves optant pour l enseignement professionnel avait augmenté de 6 % dès le collège et de 2 % après le collège. En 2006, le taux d abandon était de 11 % au collège. Les pratiques d'orientation dans le secondaire? Il y a dans les collèges des conseillers d orientation qui reçoivent individuellement les élèves. Des visites / stages d observation de un à cinq jours sont organisées pour les élèves dans les diverses filières de formation afin de les guider dans leur choix. Le taux de succès au diplôme de fin du secondaire? 31 496 lycéens ont participé aux épreuves de la session de printemps du bac en 2008 et 28 954 ont été admis. Le taux d échec était de 9 % chez les garçons et de 6 % chez les filles. La proportion de titulaires de ce diplôme qui poursuivent des études supérieures? D après un rapport comparatif de l OCDE publié le 9.9.2008, 20 % seulement des jeunes finlandais de 19 ans commencent leurs études universitaires. Pour les jeunes de 20 ans, la proportion n est que d 1/3. L âge moyen des étudiants de 1ère année est de 21,6 ans. L accès à l enseignement supérieur est difficile en Finlande car, selon des données datant de février 2009, 40 % seulement des bacheliers sont admis immédiatement après le lycée. L âge moyen des diplômés des IUT est de 25 ans tandis que les étudiants obtiennent leur master à 27 ans. La grande préoccupation du gouvernement est d avancer le début des études pour que les jeunes entrent plus vite dans la vie active.
Les filières d'enseignement supérieur possibles pour les titulaires du diplôme du secondaire? Université et IUT (3 ans d études environ diplôme niveau licence). Il existe aussi quelques établissements spécialisés : École nationale d art dramatique, Académie Sibelius (musique), Ecole des Beaux arts La sélection (ou non) à l'entrée du supérieur? Le baccalauréat ne donne que le droit de se présenter aux concours d entrée à l Université, dans les IUT et les établissements mentionnés. Tous pratiquent le numerus clausus. Des filières comme la médecine vétérinaire, l orthophonie, les sciences économiques sont ultra sélectives car la demande excède largement l offre. Il y a donc au sein du même établissement des pratiques tout à fait différentes selon les disciplines. Dans mon université par exemple, il est nettement plus facile d être admis pour étudier le suédois ou l allemand que l anglais ou bien les mathématiques que le marketing. Une fois admis à l université, l étudiant qui a obtenu le droit d étudier telle matière principale ne pourra pas changer en cours d études de matière principale, à moins de repasser le concours d entrée. Il pourra tout au plus choisir sa matière préférée comme matière secondaire. Il existe par ailleurs deux moyens payants de faire des études supérieures. L un en s inscrivant à «l Université dite ouverte» qui propose un grand nombre de cours par exemple à des salariés ou des retraités et l autre qui consiste à demander à un département le droit de faire un cycle d un an ou de deux ans d études dans une matière bien précise. En général le département n accepte ces étudiants extérieurs que s il a suffisamment d enseignants et que les groupes ne sont pas trop nombreux. Les droits d'inscription? Ils varient selon les universités, selon les matières choisies. Il semble que la moyenne nationale soit de 400 euros par an. Tous les étudiants, quels que soient les revenus des parents, touchent une allocation d études. Celle-ci est si modeste toutefois que beaucoup d étudiants travaillent ou bien demandent un prêt bancaire. Les filières dans l'enseignement supérieur Il n y a pas de classes supérieures dans les lycées. Les universités ont adopté le système LMD tandis que les IUT finlandais décernent des «bachelors». Toutes les filières possibles et imaginables sont proposées par les universités. Il n y a pas d écoles d ingénieurs. Mais il existe des universités spécialisées en technologie (à ma connaissance 2) et quelques unes pour les études supérieures commerciales. La minorité suédophone de Finlande a ses propres établissements qui peuvent toutefois accueillir aussi des finnophones. L'accompagnement des étudiants dans les premières années du supérieur Il y a des journées d accueil des nouveaux étudiants à la rentrée de septembre. Des étudiants de 3 ème, 4 ème année animent des petits groupes d étudiants. Depuis l adoption du système Bologne, chaque étudiant a le droit de réclamer un programme d études individualisé. Les abandons, réorientations, succès dans le 1er cycle d'enseignement supérieur? Le taux d abandon est faible ; il varie de 6,4% à 10,2%. Je n ai pas de chiffres pour le reste. Lorsque l étudiant se rend compte au bout d un an ou deux que sa matière principale ne le satisfait pas, il peut
prendre deux décisions : soit il va dans une autre université où sa matière est «mieux» enseignée ou bien a un profil différent, ou bien il change de matière en restant dans la même université. J ai eu par exemple des étudiantes de mathématiques et de sciences économiques qui avaient découvert que les langues étrangères leur convenaient mieux. D autres étudiants avaient quitté leur département de langues étrangères pour aller dans le sud de la Finlande où se trouvent des départements qui forment des traducteurs et interprètes. Une autre étudiante trouvant que la section d anthropologie culturelle était trop modeste à Oulu a décidé d aller dans une université du sud où les cours étaient plus variés. La notion de cycles dans les universités finlandaises est plutôt floue car il n y a rien d éliminatoire. L étudiant collecte les crédits nécessaires pour avoir sa licence (180 crédits) puis son master (120 crédits). Il y a trois niveaux pour les matières principales où il y a une chaire ou plus, et deux niveaux pour les matières secondaires où il n y a que des maîtres de conférences. Le premier niveau dit «études de base» se fait en un an minimum et le second «études de la matière» en un an minimum, mais l étudiant est libre de son rythme. Le 3 e niveau dit d «études approfondies» se termine par la rédaction d un mémoire de 80 pages ou plus. Pour avoir une licence, l étudiant doit avoir obtenu 70 crédits au moins dans sa matière principale. Il peut avoir 2 ou 3 matières secondaires en plus (Niveau 1 : 25 crédits et Niveau 2 : 35 crédits). Au niveau master, il doit obtenir 120 crédits minimum dont 80 crédits pour sa matière principale (dont 40 pour le mémoire). Il peut donc essayer d avoir un niveau 1 ou niveau 2 dans une autre matière secondaire. Il paraît donc difficile de parler d échec puisque l étudiant collecte à sa convenance et à son propre rythme des crédits en adjoignant à sa matière principale diverses matières secondaires. Les études ne sont pas organisées en années (sauf pour des matières comme la médecine ou les diverses études d ingénieur), mais en niveaux 1, 2 et 3. Egalité ou inégalité des chances Le système de programme d études personnalisées pour chaque étudiant permet justement à chacun d étudier ce qui l intéresse vraiment. J ignore quelles sont les pratiques de discrimination positive, mais on tente surtout par des campagnes d information de remédier au fait qu il y a «trop» de filles dans certaines filières et trop de garçons dans d autres. Je ne parle que de ce que je sais et je donnerai mon exemple. Comme le français n attire que des filles, lorsqu un garçon se présente à l examen d entrée, il est noté moins sévèrement. Pour les étudiants handicapés, il est possible que des points supplémentaires leurs soient accordés lorsqu ils se présentent à l examen d entrée à l université. Remarques complémentaires (et personnelles) L université s occupe énormément des étudiants, j aurais même tendance à dire qu elle les materne un peu. Les jeunes sont autonomes dès l âge de 18 ans et vivent très rarement avec leur famille. Il faut bien donc que la société prenne le relai des parents. Un autre exemple : les représentants des étudiants au conseil de notre faculté des lettres ont exigé et obtenu sans discussion que les noms des étudiants disparaissent des listes des résultats d examen. Seul le numéro de leur carte d étudiant apparaît. Leur estime de soi, leur honneur et leur dignité sont ainsi respectés! Des stages rémunérés financés par l Etat leurs sont proposés l été. Il y a tout un personnel d encadrement pour les informer, les conseiller, les guider dans leurs études et pour les démarches
nécessaires pour aller en échange à l étranger. Tout est fait pour qu ils se sentent à l aise et surtout qu ils se sentent écoutés. Il y a, une fois par an au moins, une réunion organisée par les associations d étudiants de telle ou telle matière avec parfois en amont des questionnaires d évaluation des cours et des enseignants que les étudiants remplissent en gardant l anonymat. Les étudiants peuvent émettre oralement ou par écrit des souhaits et même des critiques aux enseignants. Ils sont très conscients de leurs droits et se plaignent le plus souvent que tel cours soit chichement rémunéré. Selon eux, dans certaines matières, on distribue généreusement les crédits tandis que pour d autres (les langues étrangères par exemple), on en donne deux fois moins pour 3 fois plus de travail. La distance étudiant/enseignant n est pas aussi grande que par exemple en France. Il est donc fort à parier que, dans de nombreuses disciplines, les enseignants n osent pas «trop» réclamer de travail aux étudiants. Par exemple en littérature ou en histoire, on comptera le nombre de pages des livres ou le nombre de livres que les étudiants devront lire en fonction du nombre de crédits que l étudiant peut obtenir pour un cours. Ah oui, pour certains cours, aucun enseignement n est donné faute de personnel, mais les étudiants peuvent passer des examens où ils devront répondre à des questions sur des livres ou des articles qu ils auront lus seuls. Remarque en passant : les examens oraux sont rares car très peu prisés. On peut dire que la majorité se contente du strict minimum exigé. Le comble du bonheur pour un enseignant, tant c est devenu rare, c est qu un étudiant vienne à son cours par intérêt, par curiosité intellectuelle et non simplement pour avoir des crédits.