Madagascar : la forêt un modèle unique mais menacé de la côte



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Madagascar : la forêt un modèle unique mais menacé de la côte Madagascar est célébrée pour son incroyable richesse biologique. Dans le cadre des enseignements de la deuxième année du master «Biodiversité et écosystèmes Tropicaux» de l Université de la Réunion, les étudiants de la promotion 2008-2009 et leurs encadrants ont pu, lors d un séjour dans la forêt d Ambodiriana, toucher du doigt l extraordinaire biodiversité malgache mais également l urgence de sa conservation. Ils nous livrent ici le fruit de leur étude. Promotion 2008-2009 du master BEST accompagnée de ses guides et encadrants. * ADEFA : voir encadré page 30. 28 Anne Chauvin, Anaïs Dewaële, David Ringler Ont également contribué à la rédaction de cet article : - la promotion 2008-2009 du Master 2 Biodiversité et Ecosystèmes Tropicaux (BEST) : Julia Ka Laï Leung, Thomas François, Annabel Lereculeur, Kévin Coustaut, Guillaume Le Port, Lydie Héré, Stéphanie Dafreville, Clémence Hollinger, Carole Dilger, Clélia Oliva ; - l équipe des encadrants : Pr. Matthieu Le Corre (Université de La Réunion), Dr. Thierry Pailler (Université de La Réunion), Mickaël Sanchez (association Nature océan Indien) ; - et les bénévoles de l association ADEFA* : Chantal Misandeau, Annie-Claude Gonneaud et toute l équipe de l ADEFA sur place.

d Ambodiriana-Manompana de la forêt pluviale humide Est malgache Madagascar, isolée du continent africain par le Canal du Mozambique il y a environ 165 millions d années, constitue la quatrième île de la planète avec une superficie de 587 000 km². Dans «l île Rouge», la majorité des êtres vivants sont uniques au monde, conséquence directe des processus évolutifs qui ont affecté les espèces animales et végétales depuis la lointaine séparation de l Afrique. Avec plus de 80 % d espèces endémiques, Madagascar est l un des 25 hotspots (points chauds) de biodiversité de la planète. De par sa taille et son relief, l île est composée d une multitude de milieux naturels, des forêts tropicales humides du Nord-Est aux fourrés épineux des zones subarides du Sud-Ouest en passant par les mangroves et les formations altimontaines. Cette diversité géographique a permis à la faune et la flore d acquérir son originalité, et de développer une diversité spectaculaire dans la plupart des groupes taxonomiques. C est dans le Nord-Est de la «Grande-Ile» que se trouvent la plupart des forêts denses humides sempervirentes. La côte orientale est en effet sous l influence de l alizé austral qui achemine des masses d air humide provoquant des précipitations très importantes dans cette région ; ce qui a permis le développement de forêts luxuriantes. Madagascar, comme de nombreux pays en voie de développement, est fortement touchée par la déforestation (cf. ci-contre). Les forêts denses humides de la côte orientale n échappent pas à la règle : elles ont depuis longtemps disparu des plaines côtières pour demeurer uniquement sous forme de reliques sur les collines les moins accessibles. C est dans ce contexte, qu en étroite collaboration avec la population malgache, une association réunionnaise, l Association pour la défense de la forêt d Ambodiriana (ADEFA, cf. encadré page suivante), composée de naturalistes chevronnés et d amoureux de la La déforestation : un processus inévitable? De tout temps les malgaches ont utilisé les ressources de la forêt : récolte de bois de chauffe, coupe sélective de bois de construction ou de bois précieux. Même si ces prélèvements altèrent le milieu, ils ne conduisent pas à la déforestation. La culture sur brûlis en revanche, conduit à la destruction totale de la forêt. Ainsi la déforestation à Madagascar est l une des plus alarmantes du monde tropical. En effet, la forêt primaire humide, qui maintient les sols et un climat relativement humide, brûle chaque année et disparaît à vue d œil. Car l équation est simple pour les villageois malgaches : la terre est pauvre et elle s épuise vite, alors il faut défricher pour s assurer des terres cultivables (notamment pour la culture du riz de montagne). Une fois cultivé, le sol s épuise et s érode et les rendements diminuent. Il faut alors avancer encore un peu plus dans la forêt, défricher un nouveau secteur et ainsi de suite Il s agit bien sûr d une immense catastrophe écologique mais aussi d une terrible catastrophe pour les Malgaches eux-mêmes car la déforestation actuelle est annonciatrice d encore plus de disettes et de misère. De nombreux projets,alliant conservation des écosystèmes forestiers et développement économique des populations locales, voient le jour, à l image de ce que développe par exemple l ADEFA à l échelle du village de Manompana et des deux collines d Ambodiriana. Conscient des enjeux écologiques et humains et de la nécessité absolue d inverser le processus, le ministère des Eaux et Forêts, de l Environnement et du Tourisme multiplie ses efforts en étroite collaboration avec de nombreuses ONG, pour sensibiliser la population et pour l aider à trouver des solutions adéquates. L avenir nous dira si ces initiatives suffiront à préserver ce qu il faut encore considérer comme un des hotspots de la biodiversité mondiale. Les mots écrits en vert dans le texte renvoient au lexique page 50. 29

Forêt d AMBOdIrIANA-Manompana Collines déforestées aux abords de la forêt d Ambodiriana. Photo Clélia Oliva L ADEFA L ADEFA (Association de défense de la forêt d Ambodiriana) est une association française loi 1901 dont le siège social est situé à St-Leu, à La Réunion. Créée le 27 Décembre 1996, elle a pour objet «la gestion du site d Ambodiriana pour en assurer la protection, l étude la restauration et son intégration dans un projet de développement éco-touristique». En 1999, l ADEFA a signé une convention de gérance avec la délégation régionale de Toamasina du ministère des Eaux et Forêts, de l Environnement et du Tourisme. Cette convention a pour objet la délégation de gestion à l ADEFA de la forêt d Ambodiriana et de la forêt galerie bordant le fleuve Manompana et ses affluents supérieurs. L ADEFA réalise des études sur les milieux naturels et accueille des étudiants et des chercheurs, organise des voyages naturalistes. Elle s attache à faire émerger des compétences locales en organisant la formation de personnes pouvant prendre en charge le développement écotouristique. Elle propose des animations en faveur des enfants du village, pour développer leur intérêt pour la protection de l environnement, et des actions de sensibilisation en direction des villageois. Elle met en place des stratégies de restauration écologique des milieux dégradés en partenariat avec les villageois. Enfin, son objectif fondamental est d obtenir le classement officiel de cette forêt en Aire protégée volontaire (APV) afin de faire reconnaître la valeur patrimoniale de ce site exceptionnel. L ADEFA est une association à but non lucratif, gérée par des bénévoles. ADEFA, 3, rue des Cocotiers, Lot pointe des Châteaux, 97436 Saint-Leu. Tél.-fax. : 00.262.34.75.48. Courriel : adefa.mada@orange.fr 30 nature, a décidé de protéger une des dernières reliques de forêt primaire (120 ha). L ADEFA protège, étudie et restaure ce massif forestier de la côte Est depuis 1996. Au cœur de la région d Analanjirofo, à 200 km au nord de Toamasina, la forêt d Ambodiriana- Manompana se situe à sept kilomètres à l ouest du village côtier de Manompana, face à l île Sainte-Marie. Des guides de l ADEFA accompagnent les touristes et les scientifiques pour accomplir le trajet entre Manompana et la forêt d Ambodiriana : remontée de la mangrove en pirogue, traversée des plaines rizicoles et franchissement des bras du fleuve Manompana. Le parcours donne notamment l occasion d observer les tavy, squelettes pitoyables de ce qu était la forêt avant son exploitation par culture sur brûlis. Dans ce contexte, les deux collines que recouvre encore la forêt d Ambodiriana apparaissent comme le premier bastion intact avant les grands massifs forestiers du Nord-Est. La forêt d Ambodiriana-Manompana est une forêt tropicale humide de basse altitude (point culminant à 310 m d altitude). La canopée d Ambodiriana est dense mais ne dépasse pas les 30 mètres. Les lianes et épiphytes abondent du fait d un sous-bois ombragé. Ces formations végétales sont d une incroyable richesse, les estimations moyennes avancent plus de deux cents espèces végétales pour 100 m² de forêt. Les sentiers d Ambodiriana font découvrir la vie de cette forêt entrecoupée de magnifiques cascades. Dans le cadre des enseignements de la deuxième année du master «Biodiversité et écosystèmes tropicaux» de l Université de La Réunion, les treize étudiants de la promotion 2008-2009, accompagnés de deux doctorants malgaches, deux enseignants chercheurs de l université de La Réunion, d un herpétologue, et de deux bénévoles de l ADEFA, sont allés peaufiner les études dans la forêt pendant douze jours et en mesurer la biodiversité. Cet enseignement «en plein-air», au cœur d un des écosystèmes les plus menacés de la planète, a constitué une séance de travaux pratiques exceptionnelle où les étudiants et leurs encadrants ont pu toucher du doigt l extraordinaire biodiversité malgache mais également l urgence de sa conservation.

Bulbophyllum occultum. Une orchidée des forêts humides de basse altitude des îles du sud-ouest de l océan Indien Devant l ampleur de la tâche, seulement trois composantes de la biodiversité malgache ont été mesurées, les reptiles, les oiseaux et les orchidées. Pour ces trois domaines, il s agissait de faire un inventaire semi-quantitatif des espèces présentes dans la forêt, en bordure et dans les secteurs dégradés limitrophes, afin de mesurer les effets de la modification des habitats sur la biodiversité. Chaque jour, trois équipes thématiques, constituées d un encadrant, de quatre ou cinq étudiants et de pisteurs du village, partaient dès l aube explorer la forêt et en étudier la biodiversité, n en revenant qu à la tombée de la nuit. Le travail n était cependant pas terminé puisque toutes les soirées ont également été utilisées pour des sorties nocturnes, à la recherche des lémuriens, insectes pollinisateurs, reptiles, amphibiens et autres oiseaux de nuit parfaitement indétectables dans la journée. Photo Julia Ka Laî Leung Photos Thierry Pailler L avifaune d Ambodiriana Photo ADEFA L échantillonnage de l avifaune s est appuyé sur plusieurs méthodes complémentaires. La capture des individus aux filets fixes dans différents habitats de la forêt a permis l échantillonnage des espèces de sous-bois dont certaines espèces sont extrêmement discrètes. La capture a par ailleurs l avantage de permettre une identification sûre et d apporter des infor- A gauche : Angreacum sesquipedale, l étoile de Madagascar. Une orchidée emblématique et endémique de Madagascar Cynorkis lowiana dont les colonies tapissent les bords de cascades. L eurycere de Prévost, oiseau endémique menacé encore abondant dans la forêt d Ambodiriana. 31

Phelsuma serraticauda. L un des nombreux geckos verts de Madagascar. 1 Union internationale pour la conservation de la nature Le bulbul vert de Madagascar, espèce caractéristique des sous-bois dense de la forêt primaire humide de Madagascar. 32 mations complémentaires sur la biologie des espèces (biométrie, sex-ratio, structure par classes d âge). Les points d écoute, les enregistrements de vocalisations et les observations directes ont complété l inventaire. En une semaine d effort d échantillonnage, 46 espèces ont ainsi été recensées, et 56 individus ont été capturés, identifiés, mesurés et relâchés. Cette forêt héberge des espèces vulnérables (selon les critères UICN 1 ) comme l étonnant eurycère de Prévost (Euryceros prevostii). Cette espèce appartient à la famille des Vangidae tout comme le vanga écorcheur (Vanga curvirostris) et l artamie rousse (Schetba rufa), eux aussi observés à Ambodiriana. Les Vangidae représentent un exemple connu de radiation adaptative en milieu insulaire, presque aussi célèbre que les fameux pinsons de Darwin aux Galápagos. Chaque membre de cette famille a ainsi évolué en acquérant une forme de bec unique, adapté à un régime alimentaire spécifique. L eurycère de Prévost, avec son bec hypertrophié d un bleu vif, s attaque à de grands arthropodes et même à de petits reptiles et amphibiens. Cette espèce, restreinte à la partie nord-est de Madagascar, voit sa population décroître avec la fragmentation de son habitat. Une autre originalité de la forêt d Ambodiriana-Manompana est la présence d espèces terricoles comme les couas de Serre et de Verreaux (Coua serriana, C. verreauxi), les râles à tête grise (Canirallus kioloides) et les rolliers terrestres (Brachypteracias squamiger et B. leptosome), très souvent victimes de la chasse. Leur abondance dans la forêt d Ambodiriana- Manompana atteste de l excellent état de santé Photo Matthieu Le Corre de la communauté d oiseaux et de la très faible pression de chasse. Les captures au filet ont permis de montrer l abondance d oiseaux du sousbois comme les bulbul vert de Madagascar et bulbul zosterops (Bernieria madagascariensis et B. zosterops), deux espèces discrètes passant facilement inaperçues par les méthodes d inventaire classiques. L avifaune de la forêt se caractérise également par l abondance des espèces de rapaces diurnes (six espèces) et nocturnes (au moins deux espèces), ce qui témoigne là encore de la bonne santé du milieu. Comme on pouvait s y attendre les espèces forestières les plus sensibles comme les rolliers terrestres, les couas et l eurycère, sont strictement cantonnées aux lambeaux forestiers intacts et disparaissent totalement des inventaires des zones limitrophes dégradées et des secteurs défrichés. Reptiles en danger Photo Carole Dilger L état de conservation de la forêt d Ambodiriana-Manompana permet de retrouver de très nombreux genres de reptiles endémiques de l île de Madagascar, disparus des milieux dégradés environnants. C est en tout cas ce que suggèrent les résultats obtenus par l identification a posteriori des espèces à partir de clichés, des traits caractéristiques des spécimens (morphologie générale, disposition des écailles, tégument, forme des doigts, couleur, etc.). La capture manuelle, ou dans des seaux enterrés (pitfall), a aussi permis d obtenir des mesures biométriques assez

Forêt d AMBOdIrIANA-Manompana rares sur ces espèces. Dans ce fragment relictuel de forêt primaire, vingt-et-une espèces de six familles ont été dénombrées : serpents (Boidae, Colubridae), geckos (Gekkonidae), scinques (Scincidae), gerrhosaures (Gerrhosauridae) et caméléons (Chamaeleonidae). Madagascar abrite deux tiers des caméléons du monde, soit 346 espèces. Ces animaux qui changent de couleur selon la température, la lumière, leur degré de stress ou leur propre santé, sont à l instar des lémuriens de véritables emblèmes de l île. A Ambodiriana, quatre espèces ont été répertoriées dont Calumma parsonii, caméléon géant de près de 70 cm. Cette espèce inféodée à la canopée est d ordinaire très difficile à apercevoir. Seul un individu a été aperçu, à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Les caméléons du genre Calumma semblent les mieux adaptés aux conditions d une forêt tropicale humide trop peut-être, car ils sont aussi les plus sensibles à la déforestation. C est pour cette raison qu ils ont disparu des abords de la forêt, transformés par l anthropisation des milieux. Si la plupart Photo Matthieu Le Corre Uroplatus fimbriatus. Un des reptiles les plus spectaculaires de la forêt. des espèces de Calumma sont fortement liées au milieu forestier, le genre Furcifer représenté à Ambodiriana-Manompana par l espèce F. pardalis est en général plus adaptable, pouvant vivre aussi bien dans des habitats altérés que dans des forêts sèches de l Ouest de Madagascar. Le site regorge aussi de surprenants caméléons nains (moins de 5 cm) Brookesia superciliaris, extrêmement lents, passant le plus clair de leur temps dissimulés dans des feuilles mortes. Ces minuscules caméléons ont la particularité d avoir un mode de vie terrestre. Ils sont munis d une queue relativement courte et peu préhensible, dont l extrémité fait office de «cinquième pied» lors de leurs déplacements. Beaucoup de geckos ont par ailleurs été répertoriés à Ambodiriana (onze espèces) dont près de la moitié appartiennent au genre diurne Phelsuma. Les plus spectaculaires geckos nocturnes de la forêt sont représentés par l espèce Uroplatus fimbriatus (cf. encadré page suivante). Pour la majorité de ces reptiles la menace d une extinction se fait de plus en plus pressante étant donné le lien étroit qu ils ont tissé avec leur biotope au cours de leur évolution et la rapidité avec laquelle cet environnement est détruit. La destruction massive des habitats réduit continuellement l aire de répartition de nombreuses espèces. Sur les traces de Darwin La ripisylve du fleuve Manompana héberge une magnifique population de l étoile de Madagascar (Angraecum sesquipedale), une orchidée spectaculaire endémique de l île. Cette orchidée d un blanc ivoire, célèbre exemple de coévolution, forme une étoile à six branches. A la nuit tombée, un doux parfum s élève de son éperon étonnamment long (25 à 30 cm) attirant un papillon nocturne, Xanthopan morgani praedicta, qui possède une trompe d une longueur remarquable (25 cm). Ce sphinx, en forçant la corolle afin de se délecter du nectar, détache les pollinies qu il transportera ensuite vers une autre orchidée, effectuant ainsi la pollinisation. En observant cette spectaculaire orchidée, Darwin avait prédit l existence d un tel papillon en 1862 : «Dans plusieurs fleurs que m a envoyées Mr. Bateman, j ai trouvé des nectaries de onze pouces et demi de long, avec seulement le pouce et demi inférieur rempli de nectar très doux [ ] Il est cependant surprenant qu un insecte soit capable d atteindre le nectar : nos sphinx anglais 33

Myzopoda aurita, chauve-souris endémique des forêts humides de la côte ouest malgache (en médaillon gros plan de la ventouse alaire). 34 ont des trompes aussi longues que leur corps ; mais à Madagascar il doit y avoir des papillons avec des trompes capables d une extension d une longueur comprise entre dix et onze pouces!». L habitat de cette population d orchidées, ainsi que la vingtaine d autres espèces qui l accompagne, est malheureusement fortement menacé aujourd hui. En effet, la ripisylve est un habitat fragile compris entre le lit de la rivière et les zones marécageuses. Cet habitat propice au développement de plusieurs espèces emblématiques d orchidées (Angraecum spp, Bulbophyllum spp, Aeranthes spp ), d oiseaux (guêpiers, rolliers, martin-pêcheurs, hérons, dendrocygnes, etc.) et de reptiles (boas ) est également nécessaire à la retenue des berges de la rivière. La ripisylve est régulièrement détruite pour laisser place à des zones agricoles (rizières essentiellement). La ripisylve représente donc un enjeu de conservation important non seulement pour le maintien de la biodiversité originale qu elle renferme mais aussi pour celui d une agriculture durable en limitant les effets de l érosion des berges. Hormis, Angraecum sesquipedale, un cas d école bien connu dans le domaine de l évolution, les orchidées habillent les arbres de formes, d odeurs et de couleurs variées, du jaune au blanc en passant par le mauve délicat. Photos Marc Fayolle La vie nocturne de la forêt d Ambodiriana. La forêt d Ambodiriana ne s endort jamais, elle se métamorphose au lever et au coucher du soleil. A la nuit tombée, sans que l on y prenne garde, les animaux diurnes regagnent leurs abris et s endorment alors qu un vaste cortège de noctambules s éveille. L occasion pour une dizaine d espèces de grenouilles arboricoles logées dans les creux de troncs d arbres ou posées sur des feuilles rigides de fournir une étourdissante bande-son aux explorateurs nocturnes. On a découvert au crépuscule une forêt totalement différente de celle parcourue quelques heures auparavant. Chacun peut faire le soir l expérience d une rencontre avec les plus petits lémuriens au monde : les microcèbes roux (Microcebus rufus). Mesurant à peine 30 cm de long (dont 15 cm de queue), ils sont aisément observables dans l obscurité grâce à la brillance de leurs yeux, fruit du fonctionnement très efficace de leur tapetum, organe sous-rétinien réfléchissant qui leur permet de voir de nuit. D autres découvertes peuvent être spectaculaires. Lors d une session nocturne d échantillonnage de l avifaune, une rarissime chauve-souris, Myzopoda aurita, est venue se prendre dans les filets. Munie de ses ventouses alaires fixatrices, elle offre un spectacle unique. Au sol et à hauteur de regard les découvertes sont innombrables. Une communauté impressionnante de geckos nocturnes, aux formes et aux robes plus improbables les unes que les autres, orne la forêt. Les spécimens du genre Uroplatus («geckos à queue plate»), endémiques de Madagascar, experts dans l art du mimétisme, sont particulièrement impressionnants avec leur tête massive, «crocodilienne» mais aussi fortement menacés par la fragmentation de leur habitat auquel ils sont fortement inféodés! De nombreux genres sont visibles à Ambodiriana-Manompana tels que les Bulbophyllum avec B. occultum et ses petites fleurs si discrètes, mais aussi les genres Angraecum, Jumellea, Oberonia, Aeranthes, Cynorkis, Benthamia, Habenaria, Goodyera, etc Plus d une quarantaine d espèces est aujourd hui répertoriée, mais des investigations futures pourraient bien doubler voire tripler ce nombre au sein de la forêt. Des yeux dans la nuit Personne ne sait vraiment comment les lémuriens sont arrivés à Madagascar. Toujours est-il que ces primates trouvent refuge dans les forêts de l île depuis des millions d années. Dans la forêt d Ambodiriana-Manompana, des espèces

Forêt d AMBOdIrIANA-Manompana Photo Matthieu Le Corre nocturnes (cf. encadré page précédente) comme le microcèbe roux (Microcebus rufus) et l avahi laineux oriental (Avahi laniger), des eulémurs (Eulemur fulvus et Eulemur rubriventer) et des lémuriens diurnes comme le petit hapalémur (Hapalemur griseus) et le lémur vari (Varecia variegata) ont déjà été recensés. Les observations se font le plus souvent la nuit mais quelques individus sont visibles en journée. Le chant très particulier des Indri indri, faisant penser au chant des baleines, a même pu être entendu plusieurs fois au sommet de l une des deux collines de la forêt. Ces animaux emblématiques de Madagascar sont mis en péril par les hommes qui les chassent parfois et surtout par la destruction de leurs habitats. En effet, les lémuriens sont actuellement extrêmement menacés et de nombreuses espèces font partie de la liste rouge de l UICN. Des initiatives de protection de la forêt primaire comme celle pilotée par l ADEFA ont un impact bénéfique : elles maintiennent un habitat favorable et servent de corridors entre plusieurs fragments forestiers disjoints. Les enjeux de la conservation La conservation du patrimoine naturel est un enjeu majeur à l échelle mondiale et Madagas- car, avec un taux d endémisme record, est particulièrement concerné. L effort de sauvegarde de la biodiversité passe donc par la mise en réserve d espaces encore peu altérés et par une gestion durable des ressources. A. C., A. D. & D. R. Pour en savoir plus : Association ADEFA : www.adefa-madagascar.org Master BEST (Université de La Réunion) : www.univ-reunion.fr/best Association Nature océan Indien : nature-ocean-indien.org Remerciements : Cette expédition du Master BEST 2 e année «Biodiversité et écosystèmes tropicaux» n aurait pas pu avoir lieu sans le soutien financier de la Direction des relations internationales et celui de la Faculté des sciences et technologies de l Université de La Réunion. Nous remercions également l ensemble de l équipe de l ADEFA sur place ainsi que les villageois de Manompana pour leur soutien logistique et leur accueil. Merci également à Marc Fayolle et Ségolène Beaucent pour leur aide sur place et leur expertise. Une des nombreuses cascades traversant la forêt intacte d Ambodiriana. 35