Stratégies énergétiques: le modèle allemand en débat Dr. Christian Hey Conseil d Experts sur l`environnement, Allemagne (SRU) 1 Introduction Mesdames et messieurs, Je vous remercie de m avoir invité à ce débat d une importance cruciale pour l avenir. Comme vous le savez l énergie en Europe fait face à de multiples défis. Il faut décarboniser les sources de l énergie, minimiser les risques d accidents, garantir le stockage éternel des déchets, assurer la sécurité des services énergétiques à des coûts acceptables et enfin, sur une perspective à long terme, renouveler le parc de la production énergétique. C est-à-dire qu il nous faut prendre des décisions fondamentales dans le secteur de l énergie. De même que le Portugal, l Espagne et le Danemark, l Allemagne est un des pays européens qui s est décidé pour les énergies renouvelables. La décision du gouvernement allemand de sortir du nucléaire dans les douze prochaines années n est pas un choix romantique! Il s agit bien d une décision stratégique, économiquement et politiquement bien calculée. Cependant, il demeure en France comme en Allemagne un certain scepticisme quand au bon déroulement et fonctionnement des nouveaux systèmes! Certains points restent en effet à régler. Mais la direction est bonne. Voici les quatre points que je voudrais aborder. 1.Quelles étaient les décisions de l année passée? 2. Quelles sont les impacts immédiats sur les prix, la sécurité et les émissions de CO2? 3. Quelles sont les perspectives stratégiques et les défis à mi-terme? 4. Quelles pourraient être les perspectives franco-allemandes dans un cadre Européen dans les décennies à venir? Mais tout d'abord, un mot sur l organisme d ou je viens: Je travaille pour un Conseil scientifique établi par le gouvernement allemand afin d'effectuer des expertises indépendantes, parfois critiques sur l environnement. En Janvier 2011, deux mois avant Fukushima nous avons rendu un rapport sur «des chemins pour une électricité 100 % renouvelable». Notre rapport a fortement critiqué la ligne du gouvernement avant Fukushima de prolonger la durée de vie du nucléaire en Allemagne. 1. Les décisions principales du gouvernement allemand Comme vous le savez cette position initialement pro-nucléaire du gouvernement a été révisée fondamentalement entre Mars et Juillet 2011. D abord avec un moratoire sur les 8 réacteurs les plus anciens puis en Juillet, la décision sur la sortie du nucléaire étape par étape jusqu en 2022. 1 Merci à Aurore Burnel, Berlin, qui a corrigé la version française
La volte-face du gouvernement était motivée par des raisons aussi bien politiques qu'économiques. D'un point de vue politique, la renaissance du mouvement anti-nucléaire en Allemagne et la popularité des Verts (entre 20 30% dans les sondages) jouaient un rôle important. Au niveau économique, la croissance des énergies renouvelables, un nouveau secteur porteur dans la décennie précédente permettait de créer des emplois pour plus de 300 000 personnes. Il régnait une atmosphère de confiance dans la capacité des ER à couvrir tous les besoins électriques dans les décennies à venir à des coûts acceptables. C était le message de notre rapport et aussi celui de beaucoup d autres rapports scientifiques. Quand le gouvernement a pris cette décision, il fit aussi un pari sur l avenir. Cette décision, qui était fortement soutenu par la chancelière, Mme Merkel, fût une grande surprise. Mais il ne s agissait pas du tout d une décision révolutionnaire. En effet, on ne trouve pas de différence fondamentale entre le consensus négocié en 2000 par l administration rouge-verte et le secteur de l électricité et la décision de 2011 Figure 1 : source/ Prof. Dr. F. Müskens, BTU Cottbus, traduit par Christian Hey Regardez la différence entre la ligne bleue et la ligne verte. Après un certain détour erratique c est la ligne rouge - le gouvernement a opté pour une continuité avec les décisions des gouvernements précédents. La continuité est aussi un motif central des autres décisions de l année passée, déjà préparées par la stratégie énergétique de 2010: Tout d abord la continuité dans le soutien des énergies renouvelables. La loi allemande sur «l'octroi de la priorité aux sources d'énergies renouvelables» se base sur deux piliers : d une part, sur un paiement calculable pour chaque kwh, d autre part sur un accès prioritaire au réseau pour les énergies renouvelables. Le coût varie d'une technologie à l'autre, d'une énergie à l'autre. Il se base sur les coûts additionnels des sources renouvelables. Le niveau est adapté régulièrement aux donnés économiques et diminuent année après année. Les coûts additionnels sont financés par les consommateurs. L accès prioritaire privilégie les ER et force les énergies conventionnelles ainsi que le nucléaire, à s adapter aux besoins des ER. Naturellement un tel système mène à une croissance extraordinaire parce que le profit est garanti en toute situation. Mais le secret du succès est en même temps une cause de problèmes.
L offre n est pas bien adapté aux besoins du marché.-pour mieux intégrer les ER dans le marché, le gouvernement a commencé à expérimenter avec des options de paiements plus variables selon les conditions du marché. La vraie innovation dans ces mesures est un nouvel instrument de la planification des infrastructures. Vous avez bien compris : planification un mot tabouisé par les avocats du marché libre en Allemagne. Il est évident, que de nouvelles infrastructures sont nécessaires pour relier les nouveaux centres de production au nord-est et les centres traditionnels d'où émane la demande au sud-ouest de l Allemagne. Mais les besoins exacts des infrastructures dépendent de la composition et de la localisation future des ER : La nouvelle planification commence par une procédure de développement de scénarios différents pour 2020 et 2030 proposés par l Agence fédérale des réseaux (BNA) et les entreprises de transmission. Les scenarios définissent la composition ainsi que la localisation des installations, afin de définir les besoins des infrastructures. Ils seront actualisés régulièrement. Pour la première fois, le public était invité à commenter les projets qui ont ensuite été modifiés selon ses propositions. Même les ONG environnementales félicitent la BNA pour son approche ouverte et transparente. Par la suite, le Parlement fédéral adoptera une loi sur les besoins des infrastructures. Le processus d obtention des permis en sera accéléré par la centralisation de la procédure au niveau fédérale. Cette centralisation toutefois n est pas sans risque pour l acceptabilité publique. Dans un même temps l Agence Fédérale des Réseaux aura amélioré la rentabilité des investissements. L'avenir nous montrera si ces mesures auront été suffisantes pour accélérer les investissements. L Allemagne a choisi un approche complexe : la fermeture des installations nucléaires crée un moment opportun pour investir dans les ER. Leurs conditions de croissance sont maintenues. Et l Allemagne modernise son système de planification des infrastructures. 2. Les impacts et les craintes Est-ce que les craintes que cette décision provoque la hausse des prix et les importations d énergie sont justifiées? Je crois que non! En Mai 2011, les trois quarts de la capacité nucléaire n étaient pas utilisés. Malgré cela, il n y a pas eu d effet significatif sur le prix de l'électricité (fig. 2 & 3). Figure 2 - source/ EEX (European Energy Exchange) 24.10.2011
Figure 3 - source/ EEX (European Energy Exchange) En 2008 on remarquait la hausse des prix à long terme. Mais pas en 2011! La raison est simple : ce n'est pas le coût du nucléaire qui définit le tarif, mais le coût du dernier générateur pour satisfaire la demande à un moment donné. En Allemagne c est une centrale à charbon ou une centrale à gaz. Figure 4 - source/ T. Nagel, 2011 Le bilan d échange entre l Allemagne et les autres pays est devenu légèrement négatif (fig. 4). ) Mais avec 50 100 Gwh/jour il représente 3 à 6 % de la demande et de la production quotidienne. On ne peut donc pas parler de grandes répercussions internationales, même si la fluctuation de l offre dérange occasionnellement nos voisins. Cela va changer dès que plusieurs installations actuellement en construction seront mises en service entre 2013 et 2015. C'est un peu plus compliqué en ce qui concerne les émissions de CO 2. Tout d'abord l objectif du gouvernement de réduire les émissions de CO 2 de 40% jusqu à 2020 n est pas en danger. L Allemagne a pu réduire ses émissions de 25% jusqu en 2010 et selon
une étude récente pour le Ministère de l environnement, l Allemagne va atteindre moins 35% sans mesures additionnelles et plus de 40% avec des mesures par exemple sur l utilisation rationnelle de l énergie. Cependant j aperçois un problème : du fait de la décision prise en l an 2000 de sortir du nucléaire, l industrie a investi dans le charbon. Entre 2010 et 2015, 11 GW de nouvelles centrales à charbon seront construites, et l industrie est d'avis qu au moins 10 GW supplémentaires seront nécessaires. Il y des doutes que cela soit nécessaire. En plus cela engendrera des problèmes pour les réductions de CO 2 nécessaires après 2020. On investirait dans une structure qui serait obsolète dans les années 2030 ou 2040 au plus tard! 3. Les défis à mi-terme La croissance des ER doit faire face à un triple défi : La sécurité de l approvisionnement Les coûts Les réseaux D abord : la fluctuation des énergies renouvelables pose un problème pour la stabilité du réseau et pour la sécurité (fig. 6). Voilà regardez une simulation heure par heure pour 2020 et les capacités conventionnelles qui seront nécessaires. À chaque moment l offre et la demande doivent être identiques, pour maintenir la stabilité du système. La fluctuation naturelle du vent et du soleil ne garantit pas que la demande soit satisfaite à chaque moment. Il y aura des risques de surproduction : à certains moments, il faudra par conséquent arrêter les éoliennes ou exporter le surplus d'électricité. Il y aura également des risques de sous-production. Figure 6 - source/ SRU 2011 La solution à court terme c est d assouplir la capacité des installations existantes. L Allemagne en possède suffisamment.
D ailleurs une telle flexibilité est économiquement et techniquement difficile à réaliser avec le nucléaire. C est une des raisons pour lesquelles nous avons dit dans notre rapport, qu il n y a pas de compatibilité entre le nucléaire et les énergies renouvelables. A long-terme l alternative c est de développer les technologies de stockage. La technologie la moins coûteuse, c'est celle des centrales hydroélectriques à accumulation par pompage. Mais l Allemagne n a pas une géographie favorable pour l hydroélectricité. Il lui faut donc importer. Nous avons recommandé de coopérer avec la Norvège qui possède de nombreux réservoirs avec une capacité de plus de 80 TWh/a, une capacité suffisante si l on investit dans le pompage. Il y en a beaucoup d autres technologies de stockage, comme l air comprimé de stockage d énergie, les piles ou la conversion d électricité en gaz. Tout ca sera disponible dans une dizaine d'années.. Le deuxième problème, c est de contrôler les coûts. Evidemment le renouvellement du secteur, les nouvelles installations, les infrastructures demandent des investissements immenses. Nous estimons à quelques dizaines de milliards au cours des 20 prochaines années. Mais ceci représente des coûts additionnels de 100 200 par ménage et par an, un coût supportable. Ces investissements seront payés par les consommateurs. Nous nous attendons, à ce que les coûts des énergies renouvelables soient plus bas que les coûts des autres sources entre 2030 et 2040. Mais à court terme il existe un coût additionnel. C est la raison pour laquelle il faut être prudent avec ce que l on soutient. Le problème en Allemagne, c est la croissance extraordinaire de l énergie solaire. Dans les deux ans passés le photovoltaïque a augmenté de 15 GW. Une telle croissance ne peut pas continuer. Malgré une dégression très forte des coûts de production à plus de 50% dans les années passées, le solaire reste une source chère. Alors on aura trop d énergie provenant d une source trop coûteuse. Il faut donc corriger ce développement. Le troisième problème c est celui du développement des réseaux. On a seulement réalisé à peu près 100 km au lieu des 900 km qui étaient considéré comme nécessaires pour 2015. C est la raison pour laquelle la réforme de la planification des infrastructures était tout à fait urgente! Mais malgré ces défis, la croissance des ER va passer de l état de niche à celui de facteur systémique en moins de 20 ans. En 2000, les renouvelables avaient une part de 4% de la production électrique, en 2011 leur par s est multipliée par 5 à un niveau de presque 20%, et en 2020 selon les scénarios les plus fiables pour l Agence des Réseaux on va dépasser les 50%. La croissance inattendue vient des anciennes régions nucléaires qui ont commencé à libéraliser leurs pratiques de permis restrictif contre l éolien. C est une nouvelle qualité à laquelle ni les technologies, ni la régulation du marché ne se sont déjà suffisamment adaptées. Pendant la décennie suivante il faudra réinventer le système, trouver des solutions innovantes pour maîtriser la nouvelle flexibilité de sources moins contrôlables, innover et expérimenter en termes de technologie et de régulation. Ce savoir-faire qui consiste à maîtriser un système extrêmement complexe de façon intelligente et adaptable sera un savoir-faire qui va se vendre au monde entier et mettre l Allemagne dans une position unique. Les modules de PV peuvent être imités facilement en Chine mais pas les solutions intelligentes pour le système. 4. Le cadre Européen : la convergence? En Allemagne, on est confiant, que l avenir est renouvelable. 100% est un objectif tout à fait réaliste (Figure 7 : Wachstum der EE in D) : vous voyez qu il ne faut pas accélérer la croissance pour atteindre 100% entre 2040 et 2050! Ni le nucléaire ni le charbon ne seront plus nécessaires!
Figure 6 - source/ SRU 2011 Il est intéressant de constater qu'au niveau Européen l avenir est aussi en train de devenir renouvelable. La Commission Européenne a publié la Feuille de Route Energie 2050. Pour la décarbonisation envisagée, i l électricité doit devenir pratiquement carbonezéro. Alors comment y parvenir? Le résultat du calcul économique est étonnant : même dans le scénario nucléaire qui attend une renaissance du nucléaire en Europe, il est calculé que les sources d'énergies renouvelables vont quadrupler d ici 2050 et atteindre presque 60% à cause de leur compétitivité supérieure.. Techniquement la Commission Européenne, comme beaucoup d autres institutions, considère les presque 100 % comme un but réaliste. Pour terminer : l avenir des énergies renouvelables comme sources primaires pour l électricité est certain! L avenir du nucléaire ne l est pas même pas dans des scénarios purement économiques. À mon avis il y a un moment d un choix sans regret économique : c est celui de la fin de la vie économique des installations nucléaires actuellement en service. On aura alors le choix entre une nouvelle génération de réacteurs nucléaires et une innovation systémique. L Allemagne a déjà pris sa décision tôt ou tard la France prendra la sienne. Je vous souhaite un bon choix! Merci pour votre attention!