«Professionnellement, j ai pu être témoin de la souffrance au travail. Ici, à l hôpital, ce sont d autres formes et expressions de souffrance.



Documents pareils
TÉMOIGNAGES de participantes et de participants dans des groupes d alphabétisation populaire

AVERTISSEMENT. Ce texte a été téléchargé depuis le site. Ce texte est protégé par les droits d auteur.

Auxiliaire avoir au présent + participe passé

Learning by Ear Le savoir au quotidien Les SMS, comment ça marche?

MEILLEURS AMIS... PEUT-ÊTRE? Producent Gabriella Thinsz Sändningsdatum: 23/

NOM:.. PRENOM:... CLASSE:.. STAGE EN ENTREPRISE. des élèves de...ème Du../../.. au./../.. Collège...

Je veux apprendre! Chansons pour les Droits de l enfant. Texte de la comédie musicale. Fabien Bouvier & les petits Serruriers Magiques

ISBN

Mademoiselle J affabule et les chasseurs de rêves Ou l aventure intergalactique d un train de banlieue à l heure de pointe

AVERTISSEMENT. Ce texte a été téléchargé depuis le site

1. La famille d accueil de Nadja est composée de combien de personnes? 2. Un membre de la famille de Mme Millet n est pas Français. Qui est-ce?

UN AN EN FRANCE par Isabella Thinsz

Paroisses réformées de la Prévôté - Tramelan. Album de baptême

OLIVER L ENFANT QUI ENTENDAIT MAL

Prise de rendez-vous pour une présentation

C est dur d être un vampire

LA MAISON DE POUPEE DE PETRONELLA DUNOIS

INT. SALON DE LA CABANE DANS LA FORÊT JOUR

Quelqu un qui t attend

Version 6.0 du 07/11/06. Comment décloisonner mes services et les faire travailler ensemble vers les mêmes objectifs?

Générique [maintenir Durant 10 secondes puis baisser sous l annonce]

Indications pédagogiques C3-15

Questionnaire 6-12 ans


Indications pédagogiques E2 / 42

le livret de Bébé nageur avec la complicité de bébé.

Que chaque instant de cette journée contribue à faire régner la joie dans ton coeur

Louise, elle est folle

Citizenship Language Pack For Migrants in Europe - Extended FRANÇAIS. Cours m ultim édia de langue et de culture pour m igrants.

ACTIVITÉ 1 : LES ADJECTIFS POSSESSIFS

Learning by Ear L hygiène: Comment éviter la diarrhée. Episode 06 «Se laver les mains»

Parent avant tout Parent malgré tout. Comment aider votre enfant si vous avez un problème d alcool dans votre famille.

LEARNING BY EAR. «Les personnes handicapées en Afrique» EPISODE 10 : «L histoire d Oluanda»

Information au patient

Ça me panique, pas question de le nier. Mais c est ma seule carence, le dernier point encore sensible entre elle et moi, ce fait que, dès qu elle

PAS SI DUR QUE ÇA! * La super chaussure qui donne envie de faire du sport! Flash basket*

À propos d exercice. fiche pédagogique 1/5. Le français dans le monde n 395. FDLM N 395 Fiche d autoformation FdlM

Vive le jour de Pâques

CAP TERTIAIRE/INDUSTRIEL

Réussir sa vie ce n est pas toujours réussir dans la vie.

TOUS MALADES! (Texte de M.-A. Ard) - Le Médecin :

La petite poule qui voulait voir la mer

L enfant sensible. Un enfant trop sensible vit des sentiments d impuissance et. d échec. La pire attitude que son parent peut adopter avec lui est

Le carnaval des oiseaux

Les p'tites femmes de Paris

Je viens vous préparer à cet évènement : L illumination des consciences

PRÉSCOLAIRE. ANDRÉE POULIN (devant la classe) : Je me présente, mais je pense que vous connaissez déjà mon nom, hein? Je m'appelle Andrée.

Premier cours d informatique

Donnez la valeur d un temps, c est dire pourquoi on l emploie.

que dois-tu savoir sur le diabète?

Jours et semaines. séquence 1 2. séance 1 Le jour, la nuit. séance 2 Les activités d une journée. séance 3 Une journée à l école.

Les jours de la semaine

Handelsmittelschulen Bern Biel Thun

UNITÉ 5. Écris les noms des parties du corps indiquées dans les dessins. Bon Courage! Vol. 2

PRÉPARATION AU TEST! CULTURE INTERNATIONAL CLUB

EOI ARUCAS DEPARTAMENTO DE FRANCÉS DOSSIER PASSÉ RÉCENT FUTUR PROCHE PRÉSENT PROGRESSIF

guide du stagiaire Comment démarcher les entreprises, se présenter, décrocher un stage.

CLUB 2/3 Division jeunesse d Oxfam-Québec 1259, rue Berri, bureau 510 Montréal (Québec) H2L 4C7

La petite poule qui voulait voir la mer

Synopsis : Réflexion sur le temps qu'on prend, qui passe, qu'on n'a pas - et sur l'attente - d'un métro, d'un taxi ou d'un appel.

Le premier Coup de Gueule de la saison A la recherche des équipements du volleyeur marquettois.

L'aidant familial face à Alzheimer: la tablette un outil simple et pratique

LEARNING BY EAR. «Les personnes handicapées en Afrique» EPISODE 4 : «Handicapé mais pas incapable»

Programme internet de traitement du jeu excessif Partie cognitivo-comportementale

Unité 4 : En forme? Comment est ton visage?

Qu est-ce qui différencie une bonne photo d une mauvaise? Trois éléments sont importants : La composition L éclairage La qualité et la résolution

UR présente : Episode 3: Je ne sais pas si je t ai écrit 35 ou 55 lettres

Épreuve de Compréhension orale

C ÉTAIT IL Y A TRÈS LONGTEMPS QUAND LE COCHON D INDE N AVAIT PAS ENCORE SES POILS.

Fiche de synthèse sur la PNL (Programmation Neurolinguistique)

Nom Prénom :... Mon livret de stage

S ickness Impact Profile (SIP)

Histoire de Manuel Arenas

Découvrez La Formule Magique Pour Gagner De L argent Sur Internet

LE DISCOURS RAPPORTÉ

«J aime la musique de la pluie qui goutte sur mon parapluie rouge.

Compétence interactionnelle en français langue étrangère : l éclairage du corpus Lancom. Danièle Flament-Boistrancourt

Présentation : Ces quelques informations vous aideront à mieux comprendre son fonctionnement.

Dire à quelqu un de faire quelque chose

O I L V I E V R AIME SA FM

Guide d utilisation des fichiers bonus accompagnant le guide «L Argent est une science exacte»

La transition école travail et les réseaux sociaux Monica Del Percio

French 2 Quiz lecons 17, 18, 19 Mme. Perrichon

COLLEGE 9 CLASSE DE 3ème E TITRE DE LA NOUVELLE : «Mauvaise rencontre»

Questionnaire pour le Jumeau B Second né

Alice s'est fait cambrioler

Activités autour du roman

Compte rendu : Bourse Explora Sup

Directives. 1. Je lis beaucoup. 2. J aime utiliser la calculatrice, un chiffrier électronique ou un logiciel de base de données à l ordinateur.

SOYETTE, LE PETIT VER A SOIE

D où viennent nos émotions

Questionnaire pour connaître ton profil de perception sensorielle Visuelle / Auditive / Kinesthésique

MÉDECINE PSYCHANALYSE DROIT JURISPRUDENCE QUESTIONS À FRANÇOIS-RÉGIS DUPOND MUZART. première partie

EXAMEN MODULE. «U4 Le client au cœur de la stratégie des entreprises» Jeudi 5 septembre h30 11h30. Durée 2 heures

Ne tombez pas dans les pièges tendus par

RAWYA, YOUSSEF, SELIM, TARIQ, HUGO, EMILIE, WILFRIED, IBRAHIM, NIPUN et VALÉRIE DU CHÉNÉ

Conseil Diocésain de Solidarité et de la Diaconie. 27 juin «Partager l essentiel» Le partage est un élément vital.

NOTRE PERE JESUS ME PARLE DE SON PERE. idees-cate

Tout savoir sur la vaccination de 0 à 6 ans. Mikalou se fait vacciner

Thèmes et situations : Agenda et Emploi du temps. Fiche pédagogique

Transcription:

Etre bénévole d accompagnement de personnes malades à l hôpital, en Oncologie Amélie est bénévole d accompagnement de personnes malades à l hôpital Saint Antoine, au Service d Oncologie. Une certaine forme de souffrance d autrui, Amélie, elle connait. Pendant plusieurs années, elle s est investie dans une entreprise de Conseil en Ressources Humaines : «Professionnellement, j ai pu être témoin de la souffrance au travail. Ici, à l hôpital, ce sont d autres formes et expressions de souffrance. Bénévolement, et en toute humilité, je tente de contribuer à les alléger» Amélie, bénévole à l hôpital Saint Antoine, au Service d Oncologie En ce jeudi après-midi, suivons Amélie dans ses rencontres avec : - Annick, bientôt 60 ans : «Moi aussi je récidive, mais je mets tout de mon côté pour pas y repasser», - Pascal, ses gardenias et ses chardonnerets, - Samir, son kick-boxing et son souhait de retour définitif au pays, tout en continuant d être «là-bas soigné». «L intensité et la force des échanges que je peux avoir avec les patients... Dans le regard, dans leur présence à l autre, il y a quelque chose d une acuité, d une vibration incroyables... Oui, j ai été bluffée par ça, dès le premier instant de mon bénévolat!» * * * * * * * * * * * * * Nous voilà dans le Service Oncologie. Une fois dans les couloirs, les pas hésitants d Amélie me confirment que ces lieux dans lesquels le Service Onco vient de s installer sont provisoires. «Les hôpitaux sont en pleine restructuration. Des travaux ont été engagés et, dans quelques mois, le

Service de nouveau déménagera, mais ce coup-ci, j imagine, dans des locaux flambant neuf et au maximum adaptés. Ah, ça y est, voilà le bureau des infirmières!». Patricia, infirmière et complice enjouée des bénévoles qui viennent accompagner «Bonjour, Patricia!» Salutations cordiales. Tenez, voilà les clefs du vestiaire pour vos sacs, capes et gilets. Les clefs, ok, on les remet là. Alors, quelles sont les nouvelles? Petits échanges sympathiques et informels sur la vie familiale de tous les jours. Et comme ça, Patricia, votre fille a fait le choix de Vichy! Cette ville, avec son architecture et son renommé thermalisme, a beaucoup de charme... même si l eau de certaines de ses sources est quasiment im-bu-vable! Rires. Et puis, Amélie et Patricia se concentrent sur le panneau mural, à l abri du regard des visiteurs. Dessus, à chaque numéro de chambres, sont inscrits le prénom et le nom des personnes hospitalisées. En un coup d œil, à l anonymat d un numéro désincarné correspond une identité qu ici ils savent reconnaître, et nommer dans le respect. Patricia évoque rapidement le bilan de la semaine qui vient de s écouler. Lundi, un décès, mardi, il y en a eu deux. Et hier encore. Et Patricia d aiguiller Amélie vers les patients qui ont besoin d être visités. Amélie griffonne quelques courtes notes qui lui permettront d entrer dans les chambres suggérées en compréhension de l actualité des patients. Nous voilà dans le couloir, et tu me dis : «Dans ce Service d Oncologie, je suis impressionnée par la qualité humaine du personnel, dans toutes les fonctions, infirmières, aide soignantes, la psychologue qu on va probablement croiser, l assistante sociale. Mes échanges avec eux, avant et après mes visites, donnent tout leur relief au bien-fondé de ma présence bénévole». Amélie, je te suis. Si j ai bien compris, on commence donc par une dame qui va recevoir la visite de sa mère. «Oui. Et pour ne pas la gêner, on l assurera que dès que sa mère arrivera, on la laissera discrètement en profiter». Annick, bientôt 60 ans : «Moi aussi je récidive, mais je mets tout de mon côté pour pas y repasser» Amélie tape à la porte de la chambre. Elle attend que ce signal de visite soit intégré puis ouvre la porte. «Bonjour Madame. Je suis Amélie, bénévole. Nous passons pour vous proposer de vous tenir un moment compagnie.» La surprise manifestement agréable d une visite bénévole ne met pas longtemps à faire place à un accueil favorable : «Oui, vous avez raison... Le temps est long!». «L infirmière Patricia nous a donné une bonne nouvelle : elle nous a dit que votre mère va bientôt venir vous voir! Mais promis-juré, on vous laissera en profiter!». Oui, elle va venir me voir. Le regard d Annick ne cache pas le plaisir anticipé d être bientôt par sa mère, visitée. Il ne dissimule pas non plus celui, en attendant, d avec nous un peu bavarder. La famille d Annick est de façon évidente une source de joies. La conversation s engage naturellement sur ses proches : Son fils Loïc, 22 ans, qui vient de commencer un stage rémunéré à La Défense. «C est fou les horaires qu il fait, mais sa force et son énergie sont là Il ne doute de rien, je le connais, c est moi qui l ai fait! Et dans sa tête, rien ni personne ne va lui résister. Oh oui, il en a du charme, et j ai bon espoir en son devenir. J ai su, vous comprenez, lui faire comprendre jusqu où il peut aller trop loin! Par exemple, adolescent, son désordre : et je te pose mon manteau là où je l ai enlevé, et je laisse mes chaussettes au pied du lit où je me suis déshabillé»... Le sourire d Annick, nous dit que non, elle ne n est jamais énervée. Elle s est juste appliquée à lui apprendre à respecter la vie en collectivité en ne semant pas les vêtements là où il se les est enlevés.

Annick aborde aussi spontanément les temps de transport. «Moi, tout ce temps où j ai travaillé, je ne cache pas que parfois, je revenais épuisée d 1 heure de temps de transport de retour. Et mon Loïc, arrivé avant moi du lycée, qui m accueillait, et compatissait alors que moi, jamais je ne me plaignais. Maintenant qu il fait les métros et RER bondés, il sait ce que c est, mais, comme moi, il sait que c est payer peu cher le prix de l indépendance financière qu ainsi on a gagnée. Il lui reste le week-end pour me visiter, alors ces samedis et ces dimanches, je les voir arriver!» Amélie sait recevoir les histoires de vie. Elle démêle le sens et la richesse de ces quotidiens pas si anodins, pas choisis par hasard, que les patients, spontanément, se mettent à raconter. Amélie sait aussi ne pas éluder la situation présente, et leur offre la possibilité de s exprimer sur ce qu ils vivent là, maintenant. Le fil est saisi ou laissé, en toute liberté : «Et ici, Madame, comment ça se passe?» La réponse fuse : «Ici, le personnel est formidable! Je sens qu ils me remontent le moral. Là, je suis en récidive, et il me reste 2 examens à faire pour savoir si on repart sur la chimiothérapie. Mais comme j y suis déjà passée, et qu on me l avait déjà expliqué, je sais que les repas, les protéines, aux repas du matin et soir c est recommandé. Alors, grâce à eux, à leur attention à mon alimentation, et à leurs plateaux repas, je prends soin de ne pas perdre de poids». Et Annick, sans éluder sa pathologie, évoque dans la foulée sa cousine. «Ma cousine, elle aussi elle a un cancer, elle est en récidive. Mais elle a négligé ses contrôles de tous les 6 mois. Nier ou pas s en occuper, ça fait reculer. Moi oui aussi je récidive mais je mets tout de mon côté pour pas y repasser. Je reconnais aussi que j ai la chance de pas habiter du côté de Brive : j ai pas 120 km aller-retour pour me faire contrôler, les hôpitaux compétents et les scanners performants ils sont là, à côté de chez moi...» Amélie félicite Annick pour son engagement dans le contrôle de sa santé. «Quand on est comme ça impliqués, on se donne toutes les chances de pouvoir la retrouver!». Là, maintenant, une dame âgée vient de rentrer. C est votre maman, n est-ce pas? Nous la saluons et nous répondons à l interrogation de son regard en nous présentant. «Comme promis, nous allons vous laisser profiter de votre maman, Madame. Vous dire tout le plaisir qu on a eu d avoir été reçues par vous». «Le plaisir a vraiment été pour moi». «Les petites choses qui font l essentiel» Nous sortons, petits signes de la main légers pour la remercier de nous avoir laissées l accompagner. La porte refermée, Amélie me dit : «Le bénévolat m a appris à accorder de l attention aux «petites choses» qui font l essentiel, celles qui sont spontanément évoquées par le patient malade ou en fin de vie, et dont il se nourrit». Pascal, ses gardenias et ses chardonnerets Amélie consulte ses mini-notes. Là, nous allons entrer visiter Pascal. C est aujourd hui qu il repart chez lui. Son retour ici, pour la poursuite de son traitement, est programmé dans 28 jours. «Bonjour Monsieur. Vous me reconnaissez? Je suis Amélie, et j ai déjà eu le plaisir de vous visiter. On peut vous tenir compagnie?» Le visage soudain tout sourire de Pascal nous dit manifestement oui.

Pascal est très fin mais son corps est dans la minceur, pas dans la maigreur. Et sa calvitie induite par la chimiothérapie s accorde bien à cette mode masculine des cheveux rasés de près. «Votre sourire nous dit qu aujourd hui, ça va comme vous le souhaitez» «Oh oui, je vais sortir et retourner chez moi, à Cholet! Même si je sais que je reviendrai dans 28 jours, pour ma prochaine chimiothérapie, c est bon de retourner chez moi! En plus, là, je vous revois, et c est vraiment sympa!» «Notre propre sourire vous dit aussi tout le plaisir qu on a à le faire, ce bénévolat!» «Moi, vous voulez que je vous dise ce que j aime faire? Dans ma vie professionnelle, j ai travaillé dans la nature, grâce à mon CAPA» «C est quoi un CAPA?» «C est le Certificat d Aptitude Professionnelle Agricole! L horticulture, ça a été ma passion. Des métiers, j en ai faits, et j ai même travaillé dans la restauration. Mais vraiment, mon préféré, ça a été celui où j étais dans la nature». Et Pascal de nous exprimer, emballé de ses souvenirs, son plaisir d avoir travaillé dans les espaces verts. Qu il aime regarder le ciel, et même le reflet du ciel dans l eau des flaques. «Et les gardenias, oh, les gardenias, ces fleurs, y a pas plus beau. En plus, y a pas que ce qu on voit, dans la nature, y a ce qu on entend. Moi, mon chant d oiseau préféré, c est celui des chardonnerets!» Nos échanges se poursuivent sur la beauté de la nature. Au début de notre entretien, Pascal n a pas éludé sa réalité : il va revenir dans 28 jours, il le sait. Mais c est un autre savoir qu il a envie de partager, celui de sa connaissance et de son amour de la nature. Amélie amorce en douceur son retour : «Quand vous reviendrez, je reviendrai vous voir. Je viens ici les jeudis après-midis» Tout au long de la visite, le sourire n a pas quitté le visage de Pascal. Il hoche de la tête pour répondre oui et mille mercis! «Quand un patient se ressource comme ça... qu est-ce qu il m envoie comme énergie!» Nous voilà dans le couloir. Amélie regarde l heure. Oui, il nous reste le temps de visiter un dernier patient. Mais avant, tu me confies : «Ce bénévolat demande une énergie peu commune. Mais quand un patient se ressource comme ça de nos échanges et me manifeste la reconnaissance de ma présence, qu est-ce qu il m envoie comme énergie!» Nous nous dirigeons maintenant vers la chambre de Samir. Au passage, nous échangeons de chaleureux «bonjour!» avec le personnel que nous croisons. Samir, son kick-boxing et son souhait de retour définitif au pays, tout en continuant d être «là-bas soigné» Après avoir annoncé notre venue dans la chambre par 3 petits toc-toc à la porte, nous voilà au chevet de Samir. Amélie se présente à lui et finit doucement par «Vous voulez bien qu on vous tienne compagnie?». Samir détache son regard de la télévision omniprésente et à hauts sons et nous fixe sérieusement, sans répondre à la question. Amélie se tait, et attend calmement. Elle sait que, «parfois, la parole ne vient pas. Ni oui, ni non. Peut-être alors tenter, dans le respect, de rester là, et d offrir ma présence?»

Et puis, enfin, lentement, Samir nous adresse quelques mots, mais qui sont inaudibles. «On ne vous entend pas. Si vous le voulez, on peut peut-être baisser le son de la télévision?» Samir actionne lentement la télécommande. C est signe que la communication est susceptible de s instaurer. «Ah, merci, Monsieur! On peut vous entendre, maintenant. Vous allez pouvoir nous dire ce que vous souhaitez» «Je veux retourner dans mon pays!» Dans le silence retrouvé, ces mots, prononcés lentement mais résolument, résonnent comme un écho. Cette déclaration sera sans cesse réitérée. «Il est loin, votre pays?» Un geste de la main de Samir balaie les distances, et accompagne sa réponse : «Je suis de Tunisie». «On connait! C est beau! «Je voudrais être là-bas soigné». Amélie évoque la présence d une assistante sociale dans le Service. «C est à elle qu il faut en parler. Elle peut se renseigner, savoir quels sont vos droits, et si, là-bas, vous pourrez continuer à être soigné. Si vous m y autorisez, je lui en parlerai».... Fatigué, Samir reporte son attention sur les images de la télévision. Il porte un jean impeccable, une ceinture à boucle métallique, un sweat-shirt sportif bleu, avec le numéro 3 stylisé sur les manches, et des silhouettes de cavaliers en course sur la poitrine. «Ah, on voit à votre haut que vous aimez le sport! Le cheval, peut-être? Il faut dire que les chevaux arabes sont magnifiques!» Samir nous réaccorde son attention. Pour la première fois, il se laisse gagner par un léger sourire : «Non, je suis jamais monté dessus! Moi, ce que j aime, c est le kick-boxing» «C est de la boxe?» «Oui! On joue avec les poings et avec les pieds!» Ca y est, son plaisir est là, d évoquer ce qui l a le plus passionné. Partout il y a joué, dans tous les quartiers. «Tu as pas besoin, de rien, juste tes pieds et tes mains!» Et tout de suite, Samir enchaîne sur son retour au pays. «Je veux retourner, et tout le temps y rester» Amélie le rassure : «Oui, on vous comprend, Samir. Comptez sur moi, j en parlerai, si vous le voulez, à l assistante sociale. Elle se renseignera et elle viendra pour vous dire si c est possible que vous retourniez dans votre pays, près de vos copains de kick-boxing, tout en continuant à être soigné». Cette fois-ci, la tête de Samir dit lentement oui à la proposition d Amélie. Puis, de nouveau, son regard happé par les images de la télé, il cale précautionneusement son dos sur l oreiller. «Nous ne voulons pas vous fatiguer. On va vous laisser vous reposer. Merci, merci vraiment de nous avoir reçues à votre chevet». Le regard de Samir est de nouveau sur nous : «C est moi pour vous, le merci». Une fois sorties, Amélie me confie : «Les patients ont parfois un rythme très lent, auquel il faut s accorder. C est comme prendre le pouls du rythme de l autre. Mais en même temps, il y a ce qui passe par leur regard : tu as vu cette vivacité, avec son évocation du retour au pays où il jouait partout au kick-boxing? Bon, si on a la chance que l assistante sociale soit disponible et là, on va lui poser la question de cette possibilité de retour au pays». Oui, elle est là! Très ouverte, elle nous reçoit dans son bureau provisoire. Amélie démêle avec elle la complexité de réalisation de ce souhait : «Ici, en France, il est hébergé par sa famille mais il n a jamais travaillé. C est un sujet que j ai bien-sûr avec lui abordé. Il sait qu ici il peut, sans argent, être traité, soigné. C est une réelle souffrance morale pour lui, de se sentir tiraillé entre un sentiment profond d exil, et la nécessité de cet exil pour sa santé. Il a besoin de temps pour réaliser, du point de vue de sa santé, l impossibilité de se ré-enraciner dans son pays d origine.».

«Merci! Je me doutais bien que vous vous étiez déjà impliquée dans cette problématique compliquée! Oh, maintenant, pour moi c est l heure de m en aller!». Et nous prenons cordialement congé de la subtile assistante sociale. Amélie, maintenant, tu dois aller chercher à l école ton petit garçon de 5 ans. Maintenant que nous sommes à la sortie de l hôpital Saint Antoine, et avant de nous quitter, tu veux bien nous exprimer ce que tu retiens en priorité de ton bénévolat? Qu est-ce qui te porte comme ça, dans le sourire et le partage avec les plus fragilisés? «La chose qui me vient à l esprit, c est l intensité et la force des échanges que je peux avoir avec les patients... Ils sont pourtant très fatigués. Mais ils ont dans le regard, et dans leur présence à l autre, quelque chose d une acuité, d une vibration incroyables... Oui, j ai été bluffée par ça, dès le premier instant de mon bénévolat!» Communication Fraternité Accompagnement des Personnes Malades accompagnementdesmalades@petitsfreres.asso.fr Maryvonne Sendra