Université de Technologie de Belfort Montébliard MR00 Les enjeux du logiciel libre dans le monde de l éducation Étudiant : Enseignant : Jérôme Boursier Pierre Lamard 12 juin 2014
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Table des matières Introduction 4 1 Le logiciel libre 6 1.1 Origine............................ 6 1.2 Quatre libertés........................ 8 2 Monde éducatif et logiciel libre 11 2.1 Enjeux importants : la loi donne priorité au libre..... 11 2.2 Un état des lieux finalement désappointant........ 14 2.3 Analyse de l initative du «Tour de France du Numérique pour l Éducation» par Microsoft.............. 15 3 Questions posées à plusieurs enseignants 18 Conclusion 23 Bibliographie 24 Mots clés 25 2
Table des figures Richard Stallman......................... 6 Image principale du site de l opération.............. 16 3
Introduction En France, l éducation est ouverte à tous. Pour cela, différents moyens sont mis en œuvre pour que le savoir puisse être transmis, travaillé, acquis, et que les élèves puissent ensuite construire par dessus. Ces moyens ont régulièrement évolué au cours du temps, les livres ayant occupé une place proéminente durant de longs siècles. Ces ouvrages, que chaque élève avait le loisir de ramener chez lui afin d en faire une lecture à ses proches, de le feuilleter, ou encore d en recopier des parties... Vînt alors le temps du numérique et des nouvelles technologies. Ces dernières se sont vues gratifiées de toutes les qualités vantant leur bénéfice indéniable pour l éducation. Une meilleure accessibilité est apparue : chaque élève avait la possibilité d accéder à tout le savoir du monde d un simple clic ou glissement de doigt. Les logiciels lui fournissent tous les outils dont il a besoin pour s épanouir et développer ses capacités. L élève devient donc plus facilement acteur, il possède toutes les cartes en main pour communiquer facilement avec les autres élèves et les équipes pédagogiques. Rendre ses devoirs n a jamais été aussi aisé : une plateforme accessible pour toute l école permet de déposer le travail à rendre et d obtenir en retour les résultats. Pour autant, est-ce aussi facile? Est-ce que l arrivée des nouvelles technologies au sein des méthodes d enseignement est aussi bénéfique qu annoncée? Il suffit de prendre un peu de recul pour s apercevoir que finalement, ces moyens tant vantés ne libèrent pas l élève comme prévu. Afin de suivre certains enseignements, les élèves sont obligés de fait de se procurer le logiciel utilisé d une façon aujourd hui qualifiée «d illégale», sans quoi ils se retrouvent isolés et ne peuvent suivre correctement l enseignement délivré. En effet, les logiciels utilisés sont très majoritairement propriétaires 1 et sont disponibles à un prix inaccessible pour une partie 1. Je reviendrai plus en détail sur ce qualificatif dans la partie 1.1 page 6. 4
de la population et notamment les étudiants. Ils ne facilitent pas forcément le travail des équipes pédagogiques qui sont dès lors dans l impossibilité de préparer les cours, puisque les logiciels nécessaires ne sont disponibles qu au sein de l établissement et pour un nombre restreint d utilisateurs. Dans une autre direction, les logiciels libres peuvent être une alternative intéressante pour l enseignement grâce à aux quatres libertés 2 garanties pour tous. L utilisateur peut dès lors suivre l usage qui lui convient sans qu il n y ait de restriction quant au nombre d utilisateurs, au lieu d utilisation ou autre limite. Au travers de ce document, je souhaite donc me pencher sur ce rapport entre l éducation et l usage du logiciel libre et son importance au vu des missions de tout enseignement. 2. Voir partie 1 page 6. 5
1 Le logiciel libre 1.1 Origine Dans les années 1970, le Massachusetts Institude of Technology se voit doter d une nouvelle imprimante Xerox. Après quelques temps d utilisation, l imprimante est souvent victime d un bourrage papier. Fidèles à leur habitude, les informaticiens du laboratoire d intelligence artificielle essayent de regarder la source du problème pour le corriger. Ils se heurtent cependant à l impossibilité de voir le code source du programme lié à l imprimante. En effet, il n est pas public et Xerox ne souhaite pas le rendre disponible. Si le programme a un problème, c est à Xerox qu il convient d en référer, et il faut dès lors attendre la publication d un correctif. Richard Stallman, l un des informaticiens du laboratoire, demeure ainsi convaincu que de telles restrictions sont inacceptables et dangereuses pour l informatique et l utilisateur final. Figure 1 Richard Stallman Des licences voient alors le jour, avec notamment la GPL dont la 6
première version apparaît en 1989 et qui est destinée à garantir les quatre libertés 3 aux utilisateurs du logiciel placé sous cette licence. Plusieurs licences dérivées sont peu à peu apparues, plus ou moins permissives (utilisation du logiciel libre au sein d un logiciel propriétaire...) Ainsi, lors de son départ du MIT, il lance la Free Software Foundation, dans le but de promouvoir la distribution ouverte du code, mais également il accès à sa libre modification. Il souhaite y combattre les restrictions relatives à l accès au code source pour tout utilisateur, à son partage, mais aussi à sa modification. Il se met alors à créer son propre système d exploitation 4 libre qu il appelle GNU. Dans les années 1990, Linus Torvalds crée GNU/Linux : il utilise l existant de GNU, y apporte des finitions et en conçoit le noyau. Les contributions bénévoles se font de plus en plus nombreuses et le système connaît un succès de plus en plus large. Aujourd hui, de nombreux projets libres existent et sont très utilisés dans le monde. Ils concentrent de nombreuses contributions de développeurs indépendants mais également de sociétés privées. Au delà de l aspect logiciel, la problématique de l intéropérabilité est progressivement venue sur le devant de la scène aux côtés des logiciels libres : l intéropérabilité, c est le fait de pouvoir ouvrir un fichier avec n importe quel logiciel. Un fichier de traitement de texte doit pouvoir s ouvrir avec non seulement le logiciel de création, mais également avec tout logiciel de traitement de texte. Pour cela, le format dans lequel enregistre le logiciel d origine doit être ouvert et les spécifications doivent être disponibles pour que tout logiciel puisse implémenter son support. Ainsi, le logiciel libre est très attaché à l intéropérabilité des documents créés : un traitement de texte enregistrera au format odt (Open- Document), qui est un format libre, ouvert, et que chacun peut ouvrir avec un logiciel libre ou bien supporter dans un logiciel propriétaire à l aide de la documentation associée. C est notamment pour cela qu aujourd hui on parle principalement du Libre avec une majuscule : au delà du logiciel, on s attache aussi aux 3. Voir partie 1.2 page 8. 4. Le système de base sur un ordinateur qui fait le lien avec le matériel. 7
licences, à la culture, et plus généralement aux biens communs. 1.2 Quatre libertés Le logiciel libre s oppose donc à la notion de logiciel propriétaire. Le logiciel propriétaire est un logiciel dont le code source n est pas disponible publiquement. Il est édité et maintenu par un groupe fermé qui peut être une société ou un ensemble d individus. Les problèmes ne sont soulevés que par l équipe en charge du projet, et il faut également attendre un correctif de sa part, ce qui peut mettre plusieurs mois dans certains cas... Les utilisateurs ne peuvent donc pas consulter le code source des programmes utilisés et ne peuvent donc pas le modifier selon leurs souhaits. Microsoft, Oracle, Cisco sont un exemple de sociétés éditrices de logiciels propriétaires. A l inverse, le logiciel libre se caractérise par ce que l on appelle les quatre libertés : Usage : tout utilisateur a le droit d exécuter le logiciel pour n importe quel usage ; Modification : tout utilisateur a le droit de modifier le contenu du logiciel pour l adapter á ses besoins ; Étude : tout utilisateur a le droit d étudier le fonctionnement du logiciel ; Redistribution : tout utilisateur a le droit de distribuer le programme. Ces quatre points sont irrévocables : tout le monde doit pouvoir en jouir, sans condition. Ils caractérisent l essence même du logiciel libre et conduisent à de nombreux avantages. En effet, grâce à la mise à disposition de toutes les sources des programmes, chacun peut venir apporter une fonctionnalité dont il a besoin mais qui manque dans le logiciel. Un bug? Ce n est pas un problème, il suffit de le signaler pour que quelqu un le corrige ou mieux, il suffit de regarder d où il vient et de le corriger soi-même. Et cet aspect est loin d être futile ou réservé à une élite déjà sensibilisée 8
à l informatique et possédant déjà des connaissances sur le sujet. Non, chacun peut venir y mettre du sien et apporter ses propres compétences pour faire évoluer un logiciel : participer à la traduction de l interface graphique, rédiger de la documentation, des guides d utilisation... Le logiciel libre et son usage dépassent donc les aspects simplement pratique et technique. Ils correspondent également au respect de la personne avec qui l on communique : lui partager un document qu elle ne pourra pas ouvrir sans devoir s arracher les cheveux, dépenser une somme d argent colossale pour louer une licence d un logiciel propriétaire n est jamais preuve d une grande considération d autrui. C est faire preuve d un manque de recul sur ses propres usages, de considérer qu ils sont standards et que tout le monde procède de la même façon, alors que ce n est pas toujours le cas et d autant plus lorsqu on utilise des logiciels propriétaires sans en être réllement conscient, simplement parce que «tout le monde l utilise» ou bien «j ai toujours procédé de cette manière, je ne vois pas pourquoi je changerais ma façon de faire». Ce comportement est problématique non seulement lorsqu il est pratiqué dans un cadre personnel, où l on porte atteinte soi-même à ses propres droits : à sa vie privée : comme montré notamment par les révélations d Edward Snowden, les éditeurs de logiciels propriétaires sont généralement complices des grandes agences de renseignement pratiquant une surveillance de masse des utilisateurs en installant des portes dérobées 5 au sein du logiciel. à une certaine indépendance et libre choix : les logiciels propriétaires sont soumis à licence, qui expire selon le bon vouloir de l éditeur. Si celui-ci sort un logiciel qui n est plus compatible avec une version antérieure, il force l utilisateur à acheter une nouvelle licence sous peine de rendre les anciens documents inexploitables et perdus à vie. On peut donc percevoir tout naturellement l intéret de ce type de 5. Mécanisme donnant pouvant donner accès total ou partiel aux données de l utilisateur du logiciel ou du système d exploitation dans le but de collecter des informations personnelles. 9
logiciel au sein du système éducatif : il est en parfait accord avec les valeurs éthiques de l enseignement et le partage des connaissances. 10
2 Monde éducatif et logiciel libre 2.1 Enjeux importants : la loi donne priorité au libre Après de nombreux débats 6 quant à l intérêt du logiciel libre au sein du système éducatif français et une forte mobilisation des différents acteurs du milieu (associatifs avec l APRIL ou professionnels avec le Syntec Numérique par exemple), le projet de loi relatif à l enseignement supérieur et à la recherche 7 a inclu différents points statuant de l importance du logiciel libre pour l enseignement. Le Sénat a adopté le texte en juillet 2013, suivi peu de temps après par l Assemblée Nationale. L article 9 du texte définitif précise ainsi : II. Au même code de l éducation, il est rétabli un article L. 123-4-1 ainsi rédigé : «Art. L. 123-4-1. Le service public de l enseignement supérieur met à disposition de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques.» «Les logiciels libres sont utilisés en priorité.» Pour la premère fois, la loi spécifie clairement que la priorité doit être donnée à l usage des logiciels libres dans l éducation. Les réactions ont été rapides, avec d un côté les avis positifs sur ce texte, et parmis eux ceux de l APRIL (notamment au travers de son délégué général Frédéric Couchet) : Le logiciel libre est l incarnation informatique de notre devise républicaine, «Liberté, Égalité, Fraternité», et permet l appropriation par tous de la connaissance et des sa- 6. Un article allant dans le même sens avait été introduit par le Sénat au sein du projet de loi sur la refondation de l école de la République : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ pjl12-441.html, mais un amendement du ministre Vincent Peillon l avait rendu inutile. 7. Texte définitif disponible sur le site de l Assemblée Nationale : http://www. assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0180.asp. 11
voirs. Il est donc fondamental qu il soit intégré en priorité à notre système éducatif. Merci aux députés et aux sénateurs d avoir, pour la première fois en France, introduit une disposition législative donnant la priorité au logiciel libre. Les citoyens et organisations proches du milieu du logiciel libre se sont ainsi réjouis suite à cet article, en rappelant la nature essentielle du logiciel libre dans le milieu éducatif : Le logiciel libre est un moyen de s assurer que tout le monde ait accès à l information, et que les élèves ne soient pas de simples consommateurs de produits numériques. C est en ces mots que Jeanne Tadeusz 8 a expliqué l importance de ce texte, face aux opposants du texte qui se sont alarmés d une atteinte au principe de neutralité technologique. Ainsi, le Syntec Numérique a réagi 9 : Pour les acteurs du numérique, le pluralisme et la neutralité technologique, adossés à l interopérabilité, sont les conditions sine qua none afin de s engager dans le développement des produits et supports technologiques pour répondre à l enjeu essentiel de la modernisation du service public éducatif et à l accompagnement des enseignants dans leur investissement pédagogique. La légalité d un tel article pose donc question d après le Syntec Numérique avec une mise à l écart d entreprises et la mise en avant d une part faible du marché des logiciels en France. 8. Responsable des affaires publiques à l April. 9. Le communiqué est disponible sur le site de l organisation : http://www.syntec-numerique. fr/content/numerique-educatif-et-pedagogique-les-professionnels-du-numerique-interpellent-le. 12
En effet, selon ces organisations, l article en question s oppose à la circulaire du 19 septembre 2012 du premier ministre 10, au sein de laquelle Jean-Marc Ayrault recommande le pluralisme des solutions informatiques à mettre en œuvre, tout en insistant et présentant les solutions disponibles basées sur le logiciel libre au sein de l administration de l État. En réponse, l April se base notamment sur une décision donnée par le Conseil d État en Septembre 2011. Cette décision 11 concernant un litige entre la région Picardie et deux SSII 12 reposait sur la distinction entre le marché de services et le marché de fournitures : les entreprises aptes à installer et faire du support de logiciels propriétaires sont également capables de faire la même chose avec du logiciel libre, puisque chacun peut s interfacer et se former dessus. De plus, la mise en place d une telle solution ne ferme pas le marché mais permet au contraire à plusieurs acteurs de se concurrencer entre eux pour obtenir le marché relatif à la mise en place et au support de cette solution. Une nouvelle fois l April a publié une analyse juridique 13 afin de poser le cadre existant au niveau européen. L Italie, l Espagne ainsi que le Portugal ont par exemple mis en place des politiques similaires (voire plus ambitieuses) concernant l usage prioritaire de solutions libres pour équiper l administration mais aussi toutes les antennes de l État, y compris l Éducation. Les principaux arguments avancés sont ceux de l économie réalisée grâce à l absence de licences coûteuses 14, mais également à la mutualisation des solutions entre les différentes institutions rendent leur mise en place plus aisée. 10. Circulaire accompagnée d une lettre et disponible sur legifrance : http://circulaire. legifrance.gouv.fr/pdf/2012/09/cir_35837.pdf. 11. Disponible sur le site du Conseil d État : http://arianeinternet.conseiletat.fr/arianeinternet/getdoc.asp?id=192208&fonds=dce&item=1. 12. Acronyme de Société de Services en Ingénierie Informatique. 13. http ://www.april.org/sites/default/files/20130612-note-legalite-disposition-legislative.pdf 14. Le Portugal table sur 500 millions d euros par an. 13
2.2 Un état des lieux finalement désappointant Au vu des retours d expériences plutôt positifs, l adoption de telles solutions dans le système éducatif français devrait être naturel et dans la logique des choses. Car au delà de cet aspect économique, le logiciel libre répond également à la devise de la République française : Liberté, Égalité, Fraternité. Cependant, aujourd hui, les formats fermés et les logiciels propriétaires sont devenus un standard de fait dans l administration et les enseignements au sein des universités. La grande majorité des documents exigés par l administration ou par les enseignants ne peuvent être modifiés que par des logiciels propriétaires dont la licence coûte souvent cher et qui n est disponible que sous certains systèmes d exploitaton, eux aussi propriétaires et soumis à licence. Par conséquent, les étudiants n ont souvent d autre choix que de se plier et suivre le mouvement, en se procurant les logiciels d une manière ou d une autre. Et généralement, pour la majorité, ces logiciels sont obtenus illégalement en à cause notamment de leur prix d achat, inabordable pour des étudiants. Ce comportement possède non seulement des risques pour l ordinateur en lui-même (de nombreuses infections profitent de cette «habitude» pour se propager et s installer sur les ordinateurs en essayant de berner l utilisateur, et c est particulièrement efficace dans le milieu étudiant), mais également pour l étudiant en lui-même qui se retrouve piégé et dépendant d un logiciel qu il ne contrôle pas mais avec lequel il doit effectuer son travail. En effet, les consignes peuvent notamment impliquer de respecter la charte graphique de l établissement. Charte qui est disponible en format propriétaire, qui ne s ouvre correctement qu avec un certain logiciel sous un certain système d exploitation, tous deux hors de prix. Bien entendu, les choses peuvent évoluer. La plateforme pédagogique 14
de l UTBM utilise par exemple Moodle qui est un logiciel libre. Mais en contrepartie, de nombreuses technologies propriétaires sont utilisées tant et si bien qu il devient très difficile d accéder à une machine utilisant un système d exploitation libre pour certains TP par exemple. Et il est même nécessaire dans la plupart des salles d utiliser un système d exploitation propriétaire afin d accéder indirectement à un système d exploitation libre, ce qui paraît assez invraisemblable. Des associations essayent pourtant de sensibiliser, c est le cas de Lolut 15 à l UTBM. Cependant, les habitudes ont la peau dure et la réception n est pas vraiment bonne ni suivie d effet - elle est le plus souvent ignorée. 2.3 Analyse de l initative du «Tour de France du Numérique pour l Éducation» par Microsoft En 2011, Microsoft a annoncé le partenariat avec le Café Pédagogique 16 et le SCEREN 17 pour la mise en place du Tour de France du Numérique, afin de présenter et tester de nouvelles solutions qualifiées d innnovantes pour l Éducation. En parcourant la France au travers des écoles, Microsoft expose et teste de nombreuses solutions que l entreprise qualifie d innovantes : tableaux et tapis interactifs, tablettes tactiles, logiciels...logiquement, ces produits sont développés exclusivement par Microsoft et ne sont utilisables que sous licence à un prix (très) élevé, même pour des établissements scolaires. Ces outils sont donc propriétaires, et leur usage est restreint à la seule utilisation prescrite par Microsoft : au sein des écoles, sans possibilité pour les élèves de pouvoir en profiter chez eux excepté en acquérant une nouvelle fois le matériel ainsi que la licence. Sous la forme d expériences, les enseignants étaient encouragés à faire utiliser à leurs élèves les technologies proposées par Microsoft. Pour pos- 15. Association de promotion du logiciel libre à l UTBM : https://ae.utbm.fr/lolut. 16. Site de veille informative et technologique, notamment partenaire de Microsoft - http:// www.cafepedagogique.net. 17. Éditeur de ressources pédagogiques publiques, sous la tutelle du ministére de l Éducation Nationale. 15
tuler, les enseignants devaient remplir un document au format propriétaire.doc á la page http://www.cafepedagogique.net/pages/tdfnumerique. aspx La communication de l opération s est principalement orientée autour d un site internet : http://www.numeriquepourleducation.fr. Ce dernier regroupe les différentes informations sur les évènements organisés, et est agrémenté des couleurs de Microsoft et du nouveau systéme d exploitation Windows 8, ĺ image de l entête du site : Figure 2 Image principale du site de l opération On y observe donc allègrement un enfant tenant une tablette animée par le système d exploitation Windows 8. Le programme des activités proposées se déroule au cours d un aprèsmidi. L agenda est le même pour toute l opération, en voici un extrait : Atelier 1 : Les tablettes pour l Éducation : Lors de cette session nous vous présenteront les nouvelles tablettes sous Windows 8 : le meilleur de la tablette et du PC pour l équipement des enseignants et des élèves. 16
Atelier 4 : Les outils de gestion de la classe pour les enseignants : Avec Multipoint Server les enseignants disposent d un outil de gestion de classe, afin de monitorer à tout instant le travail des élèves. Il y était donc proposé de présenter plusieurs solutions développées par Microsoft (Windows 8, PixelSense, Multipoint Server...), sans qu il n y ait une évocation des alternatives libres existantes, plus en adéquation avec la mission de l éducation et moins onéreuse pour les écoles. Cela s inscrit dans les pratiques de lobbying plus larges de la firme de Redmond, et notamment auprès des ministères : des formations sont organisées régulièrement au siège de Microsoft, à Issy-les-Moulineaux, durant lesquelles les inspecteurs d académies sont conviés. Le contenu et le matériel utilisé lors des ces journées n est pas accessible avec le budget de l Éducation Nationale. Dans la même veine, Ludovia 18 rassemble tous les ans les acteurs (enseignants, chercheurs...) ainsi que les personnalités politiques comme le ministre de l Éducation Nationale...et Microsoft. Ainsi, comme l explique Sabine Blanc au sein de son article sur Owni 19, l entreprise cherche à construire une légitimité pédagogique en augmentant la place des TIC dans l éducation, qui profiterai par conséquent à augmenter proportionnellement les parts de marché de l entreprise. 18. Université d été sur l e-éducation qui réunit diverses personnalités du milieu 19. Microsoft programme l école : http://owni.fr/2012/08/27/ microsoft-programme-lecole/ 17
3 Questions posées à plusieurs enseignants Afin de comprendre l enjeu du logiciel libre au plus près des pratiques éducatives des enseignants, voici plusieurs réponses d enseignants aux questions que j ai pu leur poser. Ces enseignants œuvrent à différents niveaux : primaire, secondaire...et leur témoignage apporte un éclairage «de l intérieur» sur l influence du logiciel libre dans leur quotidien. Mathieu Triclot Philosophe français, auteur de Philosophie des jeux vidéos et maître de conférences à l UTBM. Question Au sein de votre enseignement, utilisez-vous des logiciels libres? Si oui lesquels et comment? De manière régulière, enseignement et recherche, je privilégie pour mon propre usage des solutions libres : Libre office, R stats, Ubuntu, etc. Nous n utilisons pas de logiciels spécifiques pour l enseignement de philosophie! Mais il peut nous arriver de prendre des notes collaboratives en cours sur des applications type Framapad. Question Pensez-vous que cela apporte un réel plus quant à votre pratique pédagogique? Dans la mesure où les logiciels n ont pas à être modifiés (R stats, mis à part, mais c est de la recherche plutôt que de l enseignement), je ne vois pas de gain en efficacité par rapport à des solutions propriétaires. La possibilité d être aidé facilement par la communauté ne rentre par exemple pas en ligne de compte, alors que c est un gros avantage du libre. La raison de l usage est donc plus éthique et politique que directement pratique... en tout cas pour un cours de philosophie. Ceci dit, la gratuité qui accompagne souvent les solutions libres est aussi un argument. 18
Question Avez-vous l occasion de faire travailler vos élèves sur des projets libres? Si oui, ést-ce une bonne expérience? Si non, pourquoi? J ai deux projets suivis en MR qui impliquent la programmation d un logiciel (un key logger pour enregistrer les rythmes de parties de jeux vidéo et un outil d aide à l analyse et au codage de situations filmées). Les deux sont sous licence libres. Le réemploi du code par d autres étudiants est une condition essentielle de ce genre de projets. Question Quelle licence utilisez-vous pour vos cours? Encouragezvous le partage et la distribution de vos supports? Pourquoi? Dans la mesure, où il n y a que circulation réduite au groupe classe, plutôt que mise à disposition publique, je n utilise pas de licence. Question La loi a donné priorité à l usage du libre à l école grâce à l article 9 de la loi relative à l enseignement supérieur et à la recherche, votée en Juin 2013 : http://www.assemblee-nationale. fr/14/ta/ta0180.asp. Est-ce une bonne chose? Avez-vous trouvé que cela ait été suivi d effet en pratique? Cela me paraît absolument logique. Il me semble que le libre progresse lentement mais sûrement sur les postes de travail. Mais cette progression me paraît encore trop lente. Sur le plan de la recherche, je suis aussi préoccupé par la question de l open access. Question Avez-vous entendu parler du Tour de France du Numérique de Microsoft, évènement durant lequel les nouvelles technologies pour l enseignement proposés par Microsoft sont présentées? (http://www.framablog.org/index.php/post/2013/01/ 22/tour-de-france-numerique-education-microsoft) Y avez-vous participé, qu en est-il ressorti? Je n en ai pas entendu parler. 19
Enseignant dans une école maternelle située à Montpellier, avec une classe de Grande Section (enfants de 5/6 ans). Question Au sein de votre enseignement, utilisez-vous des logiciels libres? Si oui lesquels et comment? J utilise des logiciels libres pour préparer mes cours : La suite bureautique LibreOffice pour créer mes fiches de préparation et les fiches de travail destinées aux éèves. Occasionnellement, The Gimp pour la retouche d images. Hubic de OVH, qui n est pas libre mais basé sur une infrastructure open-source (OpenStark), pour synchroniser certains de mes documents et y accéder aussi bien chez moi qu à l école. J en utilise également à l école : Ubuntu 14.04 sur les 7 ordinateurs de la salle informatique que nous avons créée cet année. Des suites {educatives adaptées à l école maternelle : OmniTux, Childsplay et GCompris. D autres logiciels comme Klettres pour apprendre l alphabet, Pairs pour travailler la mémoire... Question Pensez-vous que cela apporte un réel plus quant à votre pratique pédagogique? Cette année, nous avons récupéré 7 ordinateurs inutilisés auprès d un établissement public administratif situé à Montpellier. Ces ordinateurs nous ont été fournis sans sytème d exploitation, l installation d Ubuntu nous a donc permis d éviter l achat et la gestion de licences Windows. De plus, la maintenance informatique n est pas régulièrement assurée dans les écoles maternelles et élémentaires, ce sont souvent les enseignants qui doivent prendre sur leur temps libre pour s en occuper. Pour gagner du temps et éviter tout problème, un système robuste et fiable est nécessaire : c est le cas pour Ubuntu qui est stable, gère automatiquement les mises à jour du système et des logiciels installés etc... De manière générale, la gratuité des logiciels libres que j utilise est un gros avantage. La logique non-marchande est également importante, cela répond à l exigence de neutralité commerciale du service public d éduca- 20
tion. D autre part, la possibilité pour les élèves (et pour les enseignants) d utiliser gratuitement et légalement les mêmes logiciels ailleurs est un point positif. La gratuité et la licence libre favorisent donc légalité d accès à ces ressources. Enfin, puisque j utilise exclusivement LibreOffice pour créer mes fiches de préparation et les fiches de travail destinées aux élèves, tous mes documents utilisent un format libre et ouvert : le format OpenDocument. Cela facilite le partage de ces documents, qui peuvent être lus et modifiés sous différents systèmes (Windows, Linux, Mac...), avec un logiciel libre et gratuit (LibreOffice ou OpenOffice). Cela garantit également la pérennité de ces documents, car ils ne sont pas soumis aux décisions d un éditeur commercial qui pourrait décider de ne plus supporter ce format à l avenir. Question La circulaire Ayrault http://circulaire.legifrance. gouv.fr/pdf/2012/09/cir_35837.pdf incite à l usage du logiciel libre au sein de l administration ainsi que dans le système éducatif. Trouvez-vous que cela soit positif? A t-elle fait évoluer vos pratiques? Cette circulaire est un pas en avant important. Malheureusement, elle n est pas toujours suivie d effet sur le terrain. Un exemple : les documents envoyés aux écoles par l administration sont souvent enregistrés dans des formats propriétaires liés à Microsoft Office, alors que la majorité des écoles ne sont pas équipées de ce logiciel... Question Avez-vous entendu parler du Tour de France du Numérique de Microsoft, évènement durant lequel les nouvelles technologies pour l enseignement proposés par Microsoft sont présentées?http://www.framablog.org/index.php/post/2013/01/ 22/tour-de-france-numerique-education-microsoft Y avez-vous participé, qu en est-il ressorti? Je n y ai pas participé, mais cette initative montre une fois de plus l intrusion déditeurs commerciaux (et particulièrement de Microsoft) au sein de léducation Nationale. Cela me paraît opposé aux valeurs qui sont (devraient être) celles de lécole de la République, notamment la neutralité commerciale et légalité d accès aux ressources informatiques. 21
Question libre Souhaitez-vous ajouter quelque chose? (expérience, anecdote...) Le service public d éducation est malheureusement de plus en plus territorialisé, on peut aussi le constater au niveau de l équipement informatique. Les communes investissent de manière plus ou moins massives et éclairée dans l équipement informatique, créant de profondes inégalités. Certaines communes équipent leurs écoles avec des ordinateurs fonctionnant grâce à un système et des logiciels libres, ouvrant largement les possibilités offertes aux enseignants et aux élèves (Montpellier propose par exemple des classes mobiles sous Linux Mint). A l opposé, d autres communes vont sur la voie des solutions fermées : classes mobiles Mac, ipad... De plus, les enseignants manquent en général de formation informatique et sont plutôt démunis dans ce domaine. Beaucoup d entre eux, habitués à utiliser des solutions fermées (ou ne connaissant que ça), se retrouvent un jour ou l autre bloqués : des documents créés avec sous Microsoft Office qu ils ne peuvent plus lire suite à un changement de version ou qu ils ne peuvent pas partager avec des collègues etc... Pourtant, des alternatives existent : Open-Sankoré pour les TNI, LibreOffice pour la bureautique... Pour des raisons de coût, mais aussi grâce à l action de quelques individus, ces alternatives semblent se développer à l école, mais le chemin reste long. 22
Conclusion Nous avons pu le voir, les enjeux du logiciel libre sont très nombreux, et encore plus dans le monde éducatif. Les économies réalisées par ce biais est un argument très avancé, mais réducteur quant au potentiel de ces logiciels : indépendance, liberté d étudier, interopérabilité... sont autant d avantages parfaitement en phase avec la mission éducative de l Éducation Nationale. Pour autant, leur adoption est loin d être la règle dans tous les établissements, où un lobbying intense est mené par les entreprises percevant là un marché juteux et s attachant une clientèle en étant présent discrètement mais efficacement dans le travail quotidien des structures scolaires, comme ça a notamment été le cas avec le Tour de France du Numérique. Mais des individus cherchent à faire bouger les choses et à favoriser l usage de solutions libres, respectueuses de l élève et de l enseignant : conférences, ateliers sont organisés ; et l apprentissage se fait dès le plus jeune âge comme l enseignant de Montpellier a pu en témoigner. Car aussi bien l Enseignant que l Étudiant ont compris qu ils avaient tous les deux beaucoup à y gagner, afin de construire l École de demain. 23
Références [1] Julian Assange, Jacob Appelbaum, Andy Müller-Maghun et Jérémie Zimmermann : Cypherpunks, Freedom and the future of the Internet. OR Books, 2012, 186p. ISBN : 978-1-939293-00-8. [2] FSF : Quel est le lien entre logiciel libre et éducation? [en ligne], Avril 2014. Consulté le 11 Avril 2014, dossier disponible sur https: //www.gnu.org/education/education.fr.html. [3] Alexis Kauffmann : Tour de france du numérique pour l Éducation ou pour microsoft? [en ligne]. Janvier 2013. Consulté le 11 Avril 2014, disponible sur http://www.framablog.org/index.php/post/ 2013/01/22/tour-de-france-numerique-education-microsoft. [4] Peter Suber : OpenAccess. MIT Press essential knowledge. Mit press édition, 2012. Disponible sur https: //mitpress.mit.edu/sites/default/files/titles/content/ 9780262517638_Open_Access_PDF_Version.pdf - ISBN : 978-0- 262-51763-8. 24
Mots-clés Logiciels libres ; Logiciels libres - Aspect économique ; Logiciels libres - Aspect social ; Technologie éducative ; Internet en éducation ; Logiciels libres éducation ; intéropérabilité ; Open source software ; Free Software ; Enseignement à distance ; Systèmes d enseignement ; Environnement numérique de travail ; Learning centres ; interopérabilité ; liberté ; indépendance ; ouverture ; apprentissage 25