Mars 2010 Association Pyrénéenne de Glaciologie Le glacier des Oulétes de Gaube (Vignemale) Surveillance à partir d appareils photos automatiques (2009) Appareillage automatique inférieur Vue depuis appareil supérieur
SOMMAIRE 1. PRESENTATION DU GLACIER DES OULETES 3 1.1. Situation géographique 3 1.2. Caractéristiques actuelles 4 1.3. Evolution récente 4 2. MISE SOUS SURVEILLANCE AUTOMATIQUE 5 2.1. Préambule : modification récente du glacier 5 2.2. Appareillage 6 2.3. Objectifs 6 3. RESULTATS 7 3.1. Données pratiques 7 3.2. Interprétations des résultats 7 4. CONCLUSION 9 BIBLIOGRAPHIE 9 L association Moraine tient à remercier vivement l ensemble des partenaires dont les logos figurent en première page, ainsi que l indispensable Luc Moreau pour la fourniture et la mise en œuvre du matériel. Document rédigé par Pierre RENE (Président de l Association Moraine) - mars 2010 - Association MORAINE Siège social Adresse de correspondance Mairie de Luchon Pierre RENE 06 71 47 30 32 23 allées d Etigny village asso.moraine@wanadoo.fr 31 110 Luchon 31 110 Poubeau www.moraine.fr.st - 2 -
Les glaciers sont vivants. A travers l opération entreprise au glacier des Oulétes, des séquences accélérées du mouvement glaciaire sont produites. Des crevasses s ouvrent, des blocs de glaces s individualisent, des séracs s écroulent 1. PRESENTATION DU GLACIER DES OULETES 1.1. Situation géographique Le glacier des Oulétes se situe dans le massif du Vignemale. Un des principaux secteurs glaciaires pyrénéens avec trois glaciers originaux dont le deuxième plus grand de la chaîne, celui d Ossoue (46ha). Le glacier des Oulétes se localise au départ de la vallée de Gaube (commune de Cauterets) dans le bassin versant du Gave de Pau. Localisation géographique du glacier des Oulétes Vue d ensemble du glacier des Oulétes GLACIER DES OULETES Cliché : P. René, 07-2009 - 3 -
1.2. Caractéristiques actuelles Ce glacier est assez singulier. En effet, sa position en fond de vallée lui vaut le record de l altitude la plus basse avec un front à 2270m et une altitude moyenne à 2410m, bien en deçà de l altitude moyenne des neiges persistantes (2900m environ). Cette anomalie s explique par son exposition Nord très favorable, au pied d une gigantesque paroi. Sur cette dernière, des Caractéristiques géographiques et physiques du glacier des Oulétes de Gaube - 09/2009 Sommet dominant : Vignemale (3298m) Commune : Cauterets (65) Coord. géo. : 42 46'45" lat. N / 0 08'36" long. O Nature du substratum : Marbres calcaires Réseau hydrographique : Gave de Pau Exposition : Nord Surface horizontale : 13ha Altitudes extrêmes : 2270m / 2550m Altitude moyenne : 2410m Dénivellation : 280m Longueur max horizontale : 550m Type : glacier de cirque et de suraccumulation avalanches se produisent tout au long de l hiver et viennent «gaver» le glacier. De plus, sa morphologie lui vaut la présence des plus importantes crevasses (30m de profondeur environ) conséquence d une dynamique d écoulement vigoureuse. Ce mouvement semble s être amplifié suite au découpage récent du glacier. Ainsi, la perte d un appui aval a sans doute entraîné une accélération du glacier. Zonage du glacier des Oulétes limite approximative en 2009 moraines du Petit Age Glaciaire (limite approximative du front en 1850) Echelle : 1/20 000 ème Fond cartographique : IGN, TOP 25 n 1647 OT. N zone crevassée front de glace instable Cliché : P. René, 09-2001 vue aérienne de la partie supérieure active (crevasses) Cliché : P. René, 10-2008 1.3. Evolution récente Comme le soulignent les moraines du Petit Age Glaciaire (période, située entre 1550 et 1850, favorable à l accroissement des glaciers), ce glacier formait autrefois une seule et même masse glaciaire avec celui du Petit Vignemale. Depuis la fin du XIX ème siècle, deux glaciers sont individualisés. Depuis 1850, la superficie du glacier a diminué de 65% passant de 38 à 13ha. De même, la perte de longueur atteint 45% puisqu il mesurait 1025m autrefois contre 550m aujourd hui. Néanmoins, il ne s agit pas d une régression constante. En effet, de nombreuses petites moraines frontales marquent des périodes de stagnation et d extension du glacier. Elles se situent dans les années 1890, 1920, 1940, 1970. Au cours des dernières années, une évolution rapide est à l origine de la mise sous surveillance du glacier. En effet, il tend à se couper en deux et un front de glace instable est apparu (voir 2.1.). - 4 -
2. MISE SOUS SURVEILLANCE AUTOMATIQUE 2.1. Préambule : modification récente du glacier Depuis 2005, en lien avec sa diminution de masse, ce glacier tend à se découper en deux à partir du milieu de la rive droite, c'est-à-dire du coté où le lit rocheux est abrupte et chaotique (la pente semble plus régulière en rive gauche). Ainsi, un front de glace d environ 100m de large sur 20m de haut est apparu. Celui-ci est particulièrement instable puisqu il repose sur une dalle rocheuse pentue. Durant la période estivale, quotidiennement, des blocs de glace (séracs) se détachent et se répandent sur la partie inférieure inactive du glacier. Cette nouvelle physionomie est réellement apparue au cours de l été 2007, notamment lors de l écroulement de masse du 22 juillet 2007 (voir 3.2.). 2004 2005 2006 2007 2008 2009 front de glace instable En plus de la fonte habituelle, ce glacier est donc soumis à une perte de masse par chutes de séracs. Cette deuxième cause d ablation semble être prépondérante puisqu environ un quart de la masse du glacier disparaît ainsi au cours d un été. La survie de ce glacier est donc tributaire d une très forte suraccumulation de neige (avalanches de la face Nord). - 5 -
2.2. Appareillage Afin d observer précisément l évolution de ce glacier, un dispositif photographique fixe et automatique a été mis en place. L appareillage se compose d un pied fixé dans la roche sur lequel est installé un boîtier étanche. Ce compartiment contient un appareil photo (10Mp) désossé et relié à un circuit imprimé externe. Ce dernier comprend entre autre les piles au lithium, la carte mémoire (8Go), le système de déclenchement automatique, le branchement de raccordement à l ordinateur pour programmer les heures et les fréquences de prises de vue. De plus, le dessus du boîtier est couvert de cellules photovoltaïques qui rechargent la batterie de l appareil photo, celle-ci sert à incruster la date des clichés. L association Moraine a acquis deux appareillages complets afin de surveiller simultanément le dessus et le front de séracs du glacier. Le système possède une autonomie d environ dix mois à raison de six photos par jour. Luc Moreau, glaciologue alpin et spécialiste de ce mode de surveillance, a fourni le dispositif, a assuré sa mise en place et a précisé son mode d utilisation (www.moreauluc.com). dispositif supérieur dispositif inférieur 2.3. Objectifs L observation photographique automatisée de ce glacier très remuant permet un suivi quotidien. A partir de la banque d images récoltée, on décortique l évolution du glacier d une part, et d autre part, on produit des séquences vidéo accélérées de l écoulement glaciaire. Ce travail présente plusieurs intérêts scientifiques et pédagogiques tels que : - l approfondissement de la connaissance générale de la dynamique d écoulement glaciaire (variations spatiotemporelles de la vitesse, déformation plastique, rupture et crevassement ), - la quantification de la vitesse de déplacement du glacier des Oulétes, - la surveillance du risque d instabilité, d écroulements glaciaires du site (chutes de séracs et de parties du glacier), - le suivi de la progression de l ablation glaciaire et de la division en deux du glacier, - la mise en évidence de la vivacité du glacier, en produisant des séquences vidéo accélérées de l écoulement glaciaire. - 6 -
3. RESULTATS 3.1. Données pratiques Le dispositif a été installé pour la première fois les 18 et 19 juillet 2009. Un disfonctionnement maintenant résolu a malheureusement empêché le fonctionnement de l appareil supérieur entre le 28 juillet et le 24 septembre 2009. L autre appareil a fonctionné parfaitement entre le 19 juillet et le 15 novembre 2009 soit 119 jours. Après suppression des clichés inutilisables (neige, pluie, nuages, pénombre ), la banque d images constituée retrace le comportement du glacier pendant quatre mois. Après sélection d une photo par jour, une séquence vidéo a été produite. La séquence de treize secondes résume quatre mois de vie du glacier. On visualise très nettement l écoulement, les variations de vitesse, l ouverture des crevasses, l écroulement des séracs En outre, on obtient aussi un enregistrement de la météo et de la fréquentation du lieu! 3.2. Interprétations des résultats Le décorticage des photographies a permis de mettre en évidence et de déduire un certain nombre d éléments : - A propos de la déformation de la glace : en rive gauche, la partie supérieure active du glacier est encore reliée avec la zone basse morte (couverte de débris rocheux). La différence de dynamique d écoulement se traduit par le plissement du glacier, semblable à une vague, entre ces deux parties. Sur le terrain, on se rend compte de l augmentation de la pente entre le début et la fin d été lorsque l on monte sur la partie supérieure. Ce bombement provoque peut-être un décollement de la semelle du glacier du socle rocheux. La glace se déforme ici sans se rompre. C est une illustration du caractère plastique de la glace, c'est-à-dire une déformation irréversible. pente régulière bombement plissement le 20-07-2009 à 16h04 le 19-10-2009 à 16h10 Plissement du bras de glace entre zone supérieure active et partie inférieure morte, en trois mois - La formation de crevasses est la conséquence de l écoulement glaciaire. En effet, lorsque les contraintes de tension (étirement) dépassent la plasticité de la glace, il y a rupture. Tout en se déplaçant vers l aval, les crevasses vont atteindre leurs dimensions de maturité pour ensuite disparaître et être remplacées par d autres venues de l amont. Ainsi, la zone crevassée est toujours la même. La formation de crevasses coïncide avec l individualisation de blocs de glace : les séracs. le 19-07-2009 à 13h12 le 27-07-2009 à 19h15 Apparition et évolution synchrones de crevasses et séracs, en une semaine - 7 -
- Les séracs sont donc des tours de glace individualisées par un crevassement intense. Dans le mouvement, ces blocs de glace sont amenés à perdre l équilibre, à se détacher et à provoquer une chute de séracs. le 07-10-2009 à 16h15 le 07-10-2009 à 18h16 Effondrement d un sérac en fin d après-midi - Les variations de vitesse sont perceptibles à la fois dans l espace et dans le temps. D une part, l écoulement est nettement plus rapide au centre qu en rive gauche car en bordure la glace subit davantage de frottements. De surcroît, la partie centrale n a pas d appui puisque le glacier s est fractionné d où une vitesse accrue. D autre part, l accélération et le ralentissement global du glacier sont fonction des conditions météorologiques. Par exemple, lors des épisodes neigeux d automne, le froid associé va ralentir la glace tandis que lors des épisodes chauds, le glacier va accélérer grâce à l effet lubrificateur des eaux de fonte. Aussi, il semble que des glissements saccadés, «en bloc» soient observés. - A propos de la vitesse d écoulement à proprement dite : elle a été estimée en prenant d une part des repères de distance à l aide de la carte topographique et de photos aériennes, et d autre part en suivant le cheminement de séracs tout au long des quatre mois de photographies. La distance parcourue est de l ordre de 50m entre le 18 juillet et le 15 novembre 2009. Puisque l écoulement débute au printemps (en hiver le glacier est quasi immobile), il manque un à deux mois de mouvement. On peut donc conclure que la vitesse maximale (centre du glacier) est comprise entre 50 et 70m/an. Sachant que la partie du glacier concernée fait 200 à 250m de long, il perd environ un quart de sa longueur au cours de l été! Cette vitesse parait anormalement élevée face aux dimensions du glacier d où sa dislocation importante. Ce déplacement rapide n est pas synonyme de bonne santé, mais est une illustration de l état de déséquilibre du glacier face aux conditions climatiques actuelles. Cette évolution se rapproche davantage d un «acte suicidaire»! A titre de comparaison, Ossoue et Maladeta, dans les Pyrénées, se déplacent de quelques mètres par an. Dans les Alpes, celui d Argentière avance à 100m/an avant la chute de séracs de Lognan et 300m/an dans la chute. La Mer de Glace atteint environ 600m/an aux séracs du Géant et 100m/an au niveau du moulin. Suivi du déplacement de deux points de repères au cours de quatre mois - 8 -
- Concernant le risque glaciaire pour les randonneurs, il faut noter que les chutes de séracs sont quotidiennes durant la période estivale. De plus, comme le montrent les deux évènements ci-dessous, les volumes mis en jeu et les distances parcourues par les blocs de glace peuvent parfois largement dépasser les évènements quotidiens. On note ainsi deux faits remarquables : - le 22 juillet 2007 vers 4h du matin, un morceau du glacier de plusieurs milliers de mètres cubes se détache et parcourt jusqu à 300m de distance. Le puissant bruit provoqué, semblable à un coup de tonnerre, a réveillé l ensemble des randonneurs (aire de bivouac et refuge). (Témoignage de J-T. Ara, gardien du refuge des Oulétes). - le 18 juillet 2009, un bloc de glace de 2m 3 est retrouvé 400m en aval de son point de décrochement, c'està-dire bien plus bas que la zone habituelle de dépôt. zone de départ zone de dépôt Ecroulement de masse du 22-07-2007, cliché : J-T. Ara Bloc de 2m 3 ayant parcouru 400m, le 18-07-2009 - Enfin, après sélection d une photo par jour dans la banque d images, des séquences vidéo ont été produites. A raison de huit images (= huit jours) par seconde, on visualise quatre mois du glacier en treize secondes. Ainsi, le déplacement pleinement perceptible illustre le caractère «vivant» du glacier. Ces documents constituent des outils pédagogiques de choix pour expliquer au plus grand nombre le phénomène glaciaire. 4. CONCLUSION Cette première campagne de surveillance du glacier des Oulétes se révèle intéressante à plusieurs titres et met clairement en évidence l importance de la dynamique du glacier. Il est très remuant, conséquence de son déséquilibre face aux conditions climatiques et de son contexte topographique local. Les résultats et observations contenus dans ce rapport seront étoffés et complétés grâce aux suivis des années à venir. BIBLIOGRAPHIE ASSOCIATION MORAINE, 2003, Reconstitution des variations frontales de trois glaciers pyrénéens depuis la fin du Petit Age Glaciaire (1850), Programme ECLIPSE, Rapport d étude, 31p. ASSOCIATION MORAINE, 2009, Les glaciers des Pyrénées françaises - Rapport d'étude 2008-09, 27p. RENE E., RENE P., 12-2007, Ecroulement au glacier des Oulettes, Bulletin de l'association Moraine n 26, 4p. RENE E., RENE P., 09-2009, Des chutes de séracs aux Oulettes, Bulletin de l'association Moraine n 33, 4p. RENE E., RENE P., 12-2009, Des appareils photos automatiques aux Oulettes, Bulletin de l'association Moraine n 34, 4p. - 9 -