LA BATAILLE DE MUREL. Philippe WARD Le troubadour ockcitan



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PROLOGUE En l an de grâce 1213 après Jean-Baptiste, le roi Amalrik III le Vil, monarque absolu de tout le pays franc, décida de conquérir les royaumes de Pyrène pour étendre son territoire. Après un échec retentissant devant Donostia, la capitale du royaume vask, les troupes franques se replièrent vers Lutécia. Cependant, l arrière-garde fut prise au piège et décimée par les guerriers vasks dans le défilé d Orria. Fou de rage, Amalrik III ne s avoua pas vaincu. Deux ans plus tard, il décida d asservir l Ock et la Katland, alliés naturels des Vaskons. Les soldats francs furent rejoints par les troupes du pape noir Gontran le Défiguré. Gontran déclara la guerre aux Ockcitans et aux Katalans pour des motifs religieux. Il souhaitait éradiquer l hérésie kathar qui prospérait en pays d Ock et de Katland. Pourtant le dieu de Jean-Baptiste avait été chassé de Roma au profit d une divinité diabolique dont personne ne devait prononcer le nom, servie par les cardinaux dégénérés de la cour du pape noir. Le roi des Francs et le pape noir désiraient, plus que tout, conquérir toute la région Sud de l Europa afin d y imposer leur puissance temporelle autant que spirituelle. Et leur objectif ultime était d annexer al-andaluz que gouvernait le sultan An-Nisâr. Les soldats, après avoir ravagé toute la partie orientale du royaume d Ock et défait les troupes des différents seigneurs, arrivèrent en vue de la cité de Tolosa. Cette histoire débute alors que les armées de Simon de Malfort, principal lieutenant d Amalrik III, et celles de Gontran le Défiguré découvrent dans la plaine de Murèl, aux abords de Tolosa, les troupes du roi d Ock Bérenger V et du roi Pere IX de Katland.

LA BATAILLE DE MUREL Philippe WARD Le troubadour ockcitan

CHAPITRE PREMIER Besièrs L odeur de la mort régnait sur toute la ville ; jusqu aux nuages qui tournaient au noir pour l envelopper. Les rares survivants se hâtaient d enterrer leurs morts, tandis que des bûchers fumaient encore, exhalant un air putride. Les hordes franques s étaient emparées de Besièrs trois jours plus tôt et en avaient chassé le vicomte Tenkavel qui s était replié dans les montagnes avec les siens. Puis, menés par Simon de Malfort, les Francs avaient poursuivi leur route dévastatrice en direction de Tolosa où s était réfugié le roi Bérenger V. La population de Besièrs, abandonnée aux soldats du pape noir, fut passée au fil de l épée sans distinction d âge ou de sexe. Gontran le Défiguré n avait de cesse de chasser l hérésie kathar. Puis, sous les ordres du cardinal Juberti, chef des Helvètes noirs, l une des âmes damnées de Gontran, les soudards avaient brûlé les fidèles kathars réfugiés dans leur temple et qui n avaient pas abjuré leur foi. Il ne restait plus dans Besièrs, auparavant si prospère, qu une poignée d habitants pris au piège. Une étrange troupe montait vers la cathédrale, le monument surplombant la ville de toute sa stature. Trente cavaliers s arrêtèrent avec fracas devant l immense porte gardée par une poignée de soldats. Vêtus d une armure noire recouverte par une tunique, noire elle aussi, barrée d une croix blanche inversée, les mystérieux cavaliers demeurèrent immobiles, indifférents à la puanteur alentour. Les bûchers dédiés à la gloire de Jean-Baptiste se trouvaient à quelques pas de l édifice. Les soldats reculèrent à la vue de la Légion noire des Maudits. Les plus folles rumeurs couraient à leur sujet. Il se murmurait qu ils étaient immortels, car déjà morts. Depuis deux ans, les légionnaires noirs écumaient tous les champs de bataille, apportant avec eux la mort et la peur, même chez leurs alliés. Leur chef était une femme : Agna la sorcière. Les gardes se regardaient pour savoir quelle attitude adopter. Aucun n osait s aventurer à demander aux damnés ce qu ils voulaient. Soudain, un bruit de sabots retentit, brisant le silence qui s était instauré entre les deux groupes. Un cheval blanc arriva, chevauché par une belle amazone aux longs cheveux roux, aux formes généreuses, vêtue de cuir. Elle portait une petite dague passée à la ceinture et tenait dans sa main droite un fléau de guerre, au manche clouté prolongé d une chaîne qui se terminait d une boule recouverte de fines pointes aiguisées comme des rasoirs. Les Maudits s écartèrent sans un bruit pour la laisser passer. Elle s arrêta à proximité de la porte de l église et toisa les soldats. Elle quitta sa monture, aussitôt imitée par ses hommes et, ainsi escortée, se dirigea vers l entrée. Les soldats qui gardaient les lieux s écartèrent à leur approche. L un d entre eux prit sur lui de courir avertir Gontran le Défiguré de l arrivée d Agna, et de ses légionnaires. Agna n attendit pas le retour du messager, elle entra sans invitation. Le soleil perçait difficilement par les rares ouvertures. Elle progressa d un pas décidé dans l allée centrale pendant que ses fidèles demeuraient en retrait. Elle avança sans le moindre regard pour tous les hommes qui se trouvaient à l intérieur, tandis qu ils la fixaient avec des yeux méprisants : une attention à laquelle elle était habituée et qui ne la touchait plus depuis longtemps. Que

l un d eux essaye de porter la main sur elle et il rejoindrait aussitôt le dieu impie, celui qui ne devait pas être nommé et que les cardinaux adoraient. Au terme de sa marche, elle arriva devant Gontran le Défiguré. Le pape noir se tenait sur son fauteuil en or rehaussé de pierres précieuses, bordé par deux sculptures de marbre, placées juste devant l autel, représentant chacune un ange combattant un démon. Gontran ressemblait à un immense crapaud vautré attendant le passage d un moustique pour le gober. La balafre qui barrait son visage en une diagonale allant du sourcil droit au bas du menton lui donnait un air odieux que renforçaient deux petits yeux de fouine. Gontran le Défiguré avait accédé au trône de Roma après avoir commandité le meurtre des autres rivaux par ses fidèles soldats issus de la même région que lui, les Carpates. En moins de cinq ans, il avait assis son autorité sur la majeure partie de l Italia, à l exception du Sud, et d une grande partie de la Germanie, avant d étendre son influence sur le royaume franc. Amalrik s était incliné devant son pouvoir et aussi devant une imposante malle bien fournie en pièces d or. Maintenant, tous les deux rêvaient de s emparer des royaumes de Pyrène et de chasser les Morisques vers l Africa. Le pape noir était entouré par nombre de ses cardinaux. Parmi eux, Juberti, venu d Helvétie, Posel Virt Schneesturm, le cardinal du Nord, Rivero le premier qui avait suivi Gontran dans sa marche en avant ou Jirrodo, un nabot difforme mais au savoir impressionnant. Tous suivaient aveuglément Gontran, lui apportant leurs connaissances infinies en matière de nécromancie. À droite du pape, Agna reconnut le sénéchal Laguerre, l homme de confiance du roi des Francs, qui endossait le rôle de conseiller dans la conquête du royaume d Ock. Un guerrier émérite qui avait combattu sur tous les fronts, en tous temps et sans se poser la moindre question, servile serviteur de son roi et maintenant du pape. Agna s arrêta devant le pape et inclina légèrement la tête en signe de respect. Même si elle n en avait aucun pour lui, elle se devait d honorer au moins l étiquette papale. Elle le connaissait bien, par trois fois elle avait partagé sa couche, n éprouvant que dégoût et horreur. Mais il était si puissant qu elle n avait pas pu dire non. Elle était jeune et ne possédait pas la puissance de la nécromancie. Aujourd hui il en allait tout autrement. Agna savait que tous la regardaient avec un sentiment mêlé de mépris et de peur : mépris, parce qu'elle était une femme, et ces sous-êtres, à l exception de la cardinale Bernadette di Venezia, n avaient pas leur place dans ce monde d hommes, sauf dans leur lit. Peur, parce qu'elle était un des nécromants les plus puissants d Europa, comme le prouvaient ses mortsvivants, qui lui obéissaient aveuglément et qu'elle avait rappelés à la vie après la bataille contre les Vaskons. Tout ce qu elle savait de la nécromancie lui avait été enseigné par Dou n Ovetz, son maître, le plus grand des nécromants. Un thaumaturge venu de la lointaine Ukrania et qu elle avait tué quand elle lui eut soutiré tout son savoir. Elle l avait lentement égorgé, se délectant de la peur affichée dans ses yeux avant de vérifier par des procédés ignobles qu il ne pouvait plus rien contre elle, malgré tous ses pouvoirs. Enfin, elle avait dévoré son cerveau. Tous les cardinaux auraient aimé connaître ses secrets. Agna savait que Jirrodo ruminait de l'enlever pour lui arracher tout son savoir. Mais, jusqu à aujourd hui, il n'avait pas osé passer à l'acte et Agna attendait cela avec impatience pour s'imposer dans cette assemblée masculine. Agna, rouquine de l enfer, que nous vaut ta présence en ces lieux? demanda Gontran le Défiguré, un petit sourire, narquois et menaçant à la fois, aux lèvres. J espère que tu ne viens pas importuner cette assemblée pour un motif futile. Nous avons à régler des problèmes importants. Je ne me le permettrais pas, votre Sainteté, répondit Agna d une voix douce et légèrement sardonique. Je viens proposer mon épée et celles de mes hommes pour le combat qui va bientôt s engager contre les infidèles.

Gontran plongea son regard d un noir de jais, froid et dur comme l acier, dans celui de la jeune femme qui ne cilla pas. Je reconnais là ta grandeur d âme : venir quand la bataille est finie, répondit Gontran avec un rictus fourbe. Nous n avons pas besoin de tes morts-vivants, ni même de ta nécromancie. Tolosa tombera comme un fruit mûr. Bérenger n a plus qu une partie de son armée avec lui. Agna ne releva pas la perfide allusion. La bataille est loin d être finie, lâcha Agna. Dans moins de deux jours, les troupes du roi de Katland rejoindront celles de Bérenger à Tolosa. À ce moment-là, vous aurez besoin de mes légionnaires pour remporter la bataille. Gontran ne put que marquer sa stupéfaction à l annonce de cette nouvelle. Il se tourna vers Juberti et lui demanda d une voix sèche : Vous ne m avez pas prévenu de cette alliance? Le cardinal Juberti, caressant nerveusement la croix inversée pendue à son cou, prit son temps pour répondre. Je l ignorais, votre Sainteté. Nous pensions que Pere IX ne bougerait pas et que son armée demeurerait à Perpinyà comme nous l avaient assuré nos espions. Tous des idiots! s exclama Gontran. Allez me chercher Galerne de Palerme. Tremblant de peur devant le courroux du pape noir, Juberti se précipita vers la sacristie. Il revint au bout d une trentaine de secondes, accompagné d un homme dont le visage était caché par une cagoule rouge. Agna se douta qu il s agissait du maître espion du pape, le seul à connaître ses traits. Galerne, je viens d apprendre que les troupes de Pere IX vont rejoindre celles de Bérenger, aboya Gontran. Dans l énervement, les chairs boursouflées de sa cicatrice s embrasaient sous l afflux de sang, son corps était secoué de spasmes de colère. Pourquoi ne m as-tu pas prévenu? Le maître espion se pencha vers le pape noir et lui murmura quelque chose à l oreille. Gontran réfléchit et acquiesça d un hochement de tête. Aussitôt Galerne disparut dans l obscurité de la cathédrale, en route vers sa nouvelle mission. Gontran fixa Agna, il avait retrouvé son sourire mordant : Que demandes-tu en échange de tes services? Rien, répondit la jeune femme. Vous aider suffit à mon bonheur. Gontran partit dans un grand éclat de rire, imité par toute l assistance. Je ne te crois pas, mais je vais faire comme si. Maintenant, laisse-nous, j ai à parler à mes cardinaux. Tu te mettras en rapport avec le sénéchal Laguerre, il te dira où et quand rejoindre notre armée. Agna se retourna sans effectuer la génuflexion officielle, puis remonta l allée centrale sans se soucier des regards assassins qui se plantaient dans son dos. Ses légionnaires l encadrèrent et la suivirent de leur démarche saccadée. Ils quittèrent la cathédrale au grand soulagement de tous. Dehors, Agna respira à pleins poumons. Elle était fière d elle, fière d avoir parlé d égale à égal avec le pape noir. Les cardinaux et les seigneurs francs allaient devoir apprendre à la connaître et ne pas la sous-estimer. Son plan se mettait petit à petit en place. Maintenant le temps n était plus ni à la réflexion, ni aux intrigues, mais au combat.