Paris, le 15 juin 2011 Présentation du Rapport «La voiture de demain : carburants et électricité» Mercredi 15 juin 2011 par Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d analyse stratégique Seul le prononcé fait foi Se livrer à un exercice de prospective est toujours un exercice redoutable, mais, qui plus est, le tenter dans un domaine technologique est encore plus périlleux Au moment même où je vous parle, nul n est capable de dire si quelque part de l autre côté de l océan, un chercheur des laboratoires d Argonne ou de Berkeley n est pas en train de mettre au point la batterie de demain qui va révolutionner le monde automobile. Il ne se passe d ailleurs pas de mois sans qu une nouvelle innovation ne nous arrive des États-Unis Je vais donc essayer de vous présenter avec beaucoup d humilité ce que je retiens du rapport sur le véhicule de demain que Jean Syrota va vous exposer dans quelques minutes. Je commencerai par voyager dans le temps et par revenir un siècle en arrière, non pas au début du véhicule automobile et aux exploits de la jamais Contente, premier véhicule à
2 dépasser le 100 km/h, véhicule déjà tout électrique avec des batteries au plomb, mais à Thomas Edison, inventeur génial, co-découvreur à peu près au même moment que Graham Bell du téléphone. Aux début des années 1900, il a l intuition que le véhicule électrique va se développer, et il met au point une nouvelle batterie le nickel/fer, technologie bien meilleure que les batteries au plomb. Par rapport à celle-ci, leur densité énergétique est plus forte et leur temps de recharge deux fois moindre. La Detroit électrique, de 1911 à 1916, et la Baker électrique vont en être équipés. Manque de chance, ses véhicules électriques ne vont pas se développer, non pas parce que son invention n était pas bonne, ou ne fonctionnait pas, mais tout simplement parce que face à lui, va se développer une technologie qui marquera le début du vingtième siècle aux Etats-Unis, la Ford T qui repose non seulement sur le développement du pétrole, mais aussi sur un nouveau mode d organisation industrielle. Ainsi, une innovation technologique aussi merveilleuse soit-elle peut-elle être dépassée par une invention encore plus géniale Une fois rappelée cette leçon de modestie, que peut-on dire du véhicule de demain à l horizon de 2020? Je vais essayer de vous faire part d abord d un certain nombre de certitudes, puis de quelques interrogations! Première certitude, notre système automobile est à bien des égards «non durable» : en France, dans tous les secteurs, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué depuis 1990. Dans le transport, au contraire, elles ont nettement augmenté : près de 20 % depuis 1990 (même si ces émissions se sont stabilisées depuis 2002). Il nous faut inverser la tendance et nous donner les moyens d aller vers d autres types de mobilité ; notre parc automobile a doublé en une trentaine d années de même que nos déplacements en voiture : la congestion des grandes villes, songeons simplement au périphérique ou aux arrivées sur Paris des grandes autoroutes, nous fait perdre des milliers d heures chaque jour ; notre mode de consommation et d utilisation de l automobile n est pas exportable dans les pays émergents : la demande chinoise d hydrocarbures pour les transports pourrait quadrupler de 2005 à 2030, si l on suit les derniers scénarios de l AIE. Elle correspondrait aux deux tiers de l accroissement de la demande pétrolière de la Chine. Dans le même temps, la flotte de véhicules individuels passerait dans ce pays de 40 à 270 millions de véhicules. Nous devons donc repenser notre système automobile. Ceci signifie qu il va y avoir de la place demain pour d autres formes et d autres modes de mobilité. Deux ruptures possibles : a) Première rupture : notre rapport à la voiture évolue progressivement : en 2009, 79 % des Européens et 62 % des Français considéraient que la possession d une voiture était devenue une contrainte ; selon le baromètre mené par l institut Ifop pour AramisAuto.com publié en juin 2010, 47 % des français interrogés disent qu une voiture est avant tout un moyen de transport, une commodité, alors que seulement 3 % le perçoivent comme un plaisir. Incontestablement, les voitures font moins rêver.
3 C est une invitation claire à développer des services dans lesquelles la voiture n est plus qu un outil au service des déplacements : l auto partage et le covoiturage devraient donc pouvoir se développer. b) Deuxième rupture : l adoption de nouveaux véhicules : le vélo électrique peut renouveler notre plaisir du deux-roues. Il suffit d appuyer sur un bouton pour monter les côtes avec beaucoup plus de facilité qu auparavant ou pour prendre de la vitesse au démarrage sans effort! De la même façon, un nouveau véhicule tel que le twizy, quatre roues électrique de Renault, sans portières, avec deux passagers l un derrière l autre, peut susciter un engouement certain de la part du public, à condition toutefois que son prix ne soit pas trop élevé. Deuxième certitude : le véhicule thermique a encore un avenir non négligeable devant lui. Tous les constructeurs reconnaissent aujourd hui qu il représentera près de 90 % des ventes de véhicules en 2020. Ses améliorations peuvent être significatives : son efficacité énergétique devrait quasiment doubler d ici 2030. Ces améliorations, en l occurrence le downsizing, l injection directe, la commande électromagnétique des soupapes devraient diviser par deux les émissions de C02. Nous devrions ainsi être en dessous de 70 g CO2/Km! Ce chiffre de 70 G CO2/km est certainement l un des objectifs à imposer demain au véhicule thermique et plus vite on l annonce, plus vite les constructeurs automobiles chercheront à le décliner, et, plus vite, il deviendra réalité. Troisième certitude : nous allons assister à une électrification progressive du véhicule thermique avec deux approches différentes mais complémentaires : les systèmes dits «stop & start» coupent le moteur lorsque le véhicule est à l arrêt et le redémarrent ensuite, ou mieux, parviennent à le couper lorsque le véhicule roule en dessous d une certaine vitesse entre 10 et 20 kilomètres/heure : en ville, dans les zones les plus congestionnées, ils réduisent ainsi les consommations de 20 % à 25 %. Les rendre obligatoires à court terme, ainsi que le propose Jean Syrota, me paraît une recommandation simple et de bon sens ; les véhicules hybrides associant deux moteurs, thermique et électrique, peuvent également se développer, certes au départ pour un marché haut de gamme. Le moteur électrique fonctionne dans les faibles vitesses, le moteur thermique prenant ensuite le relais. Vous me répondrez qu un tel véhicule à double motorisation sera toujours plus cher qu un véhicule avec une seule motorisation. Ce serait une erreur : dès lors que ces deux motorisations travailleront non plus l une après l autre mais de façon complémentaire vous pourrez peut-être diminuer le prix. Là encore l idée est très simple, votre moteur thermique, bénéficiant d un surcroît de puissance en raison de la présence du moteur électrique, peut être dimensionné de manière plus réduite et donc coûter moins cher : on retrouve là le downsizing. Il devrait être également moins cher qu un véhicule électrique : compte tenu de la présence du réservoir à essence, la capacité de la batterie peut en effet être plus faible, ce qui diminue d autant le coût du véhicule. Quatrième certitude : les modèles mis en vente jusqu à aujourd hui de véhicules électriques sont probablement trop coûteux et limités en autonomie. Si, au Salon International de l'automobile de New York, la berline électrique Nissan Leaf a reçu le 21 avril 2011 le prix de
4 Voiture Mondiale de l'année 2011, au moment de la lancer en France, le vice président de Nissan Europe a fait preuve d une grande honnêteté au moment où il présentait le modèle en France. Il a souligné d une part, que même si les tests normalisés indiquaient une autonomie proche de 170 km, dans la vie courante, celle-ci était plutôt voisine de 70 km, et que ses espérances de vente portaient sur 500 à 1 000 véhicules dans les douze prochains mois en France. Les véhicules électriques sont donc limités pour le moment à des marchés de niche. À partir de là, le développement du véhicule tout électrique dans les prochaines années me semble se résumer à deux questions essentielles : va-t-on parvenir à améliorer significativement les batteries pour donner à ces voitures une autonomie supérieure à 200 km? va-t-on parvenir à abaisser suffisamment le prix de ce véhicule pour qu il soit moins cher que le véhicule thermique? La technologie de la batterie est bien évidemment au centre de cette interrogation. Il n existe pas aujourd hui de batterie sûre, peu chère, avec une grande autonomie et une longue durée de vie. Pour dépasser leurs limites actuelles, un saut technologique est nécessaire. Il pourrait provenir dans une premier temps de l utilisation de silicium qui conduirait à une amélioration de l autonomie d environ 20 %. À terme, l idée pourrait consister à développer des batteries lithium-air. Leur autonomie autoriserait des parcours de l ordre de 500 kilomètres. Mais elle demande encore des développements scientifiques puis une mise au point industrielle qu il n est guère possible d envisager, selon les chercheurs, avant au moins une dizaine, voire une vingtaine d années. Le jour où ces recherches déboucheront, le véhicule électrique devrait connaître un nouvel essor : toute la question cependant est de savoir si elles peuvent déboucher rapidement. Malgré cette incertitude, les différents pays du la planète se sont lancés avec force dans la course à la mise au point de véhicules hybrides et électriques probablement pour diverses raisons : la première, particulièrement valable pour les États-unis et la Chine est de réduire la dépendance pétrolière ; la deuxième est de rester à la frontière technologique ou d y revenir. Depuis vingt ans, avec l invention par Sony des batteries au lithium, ce sont les Asiatiques, Japon, Corée du Sud et Chine qui font la course en tête et qui dominent de très loin le marché des accumulateurs lithium-ion. Les États-Unis, quasiment absents de ce marché, reconstituent leur potentiel industriel au travers du plan de relance décidé en 2009 par la présidence américaine et de vastes programmes de recherche. La France s est dotée récemment, sous l impulsion de la Direction générale de la recherche et de l innovation, d un réseau de recherche et technologie sur le stockage électrochimique de l énergie, piloté par le professeur Jean-Marie Tarascon, qui est reconnu au plan mondial pour la qualité de ses travaux ; la troisième particulièrement valable en France et au Japon, c est la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais cette raison dépend fortement de la manière dont on produit l électricité. En France, un véhicule électrique pourrait émettre de 10 à 20 g de CO2 par kilomètre compte tenu des émissions de la production électrique associée. En Chine par contre, où la production d électricité se fait massivement à base de charbon, ce chiffre serait de 160 g CO2/km. Ainsi, un fort développement du parc des véhicules tout électriques en Chine augmenterait vraisemblablement fortement les émissions de CO2 : dans la lutte contre le réchauffement climatique, l une des premières priorités consiste à réduire les émissions de
5 gaz à effet de serre de sa production d électricité. De manière plus générale, le développement du véhicule électrique (surtout si l on tient compte des émissions de CO2 liées à la fabrication de la batterie) ne conduit à réduire aujourd hui les émissions de gaz à effet de serre que dans un nombre limité de pays. En attendant, les véhicules électriques sont donc limités pour le moment à des marchés de niche. Leur développement dans un pays donné peut être accéléré par un certain nombre de facteurs : ils pourront néanmoins se développer si la puissance publique met en place des incitations suffisamment fortes à cet effet d ordre réglementaire (interdiction ou limitation de circulation des véhicules thermiques dans certaines zones) ou économiques (péages urbains, vignette, ). Ces incitations pourraient profiter également aux véhicules hybrides ; l exemple de la Toyota Prius nous montre qu il faut du temps pour dessiner une nouvelle voiture et la rentabiliser. La première Prius remonte à la fin des années 1990. Il est donc important pour un constructeur qui souhaiterait dans le futur être en tête du marché mondial des véhicules électriques et hybrides de produire dès maintenant de telles voitures, même si elles correspondent dans un premier temps à des niches commerciales, et de les améliorer au fur et à mesure du temps ; à la puissance publique d investir dans la recherche de long terme portant par exemple sur les batteries lithium air, aux industriels d améliorer les batteries actuelles ; à l État également de mettre en place les normes et réglementations nécessaires pour le développement de ces véhicules : je pense en particulier aux normes des prises et bornes de recharge. Je pense également à l idée de rendre obligatoire le stop and start qui va conduire à l électrification progressive des nouveaux véhicules. Contact Presse Centre d analyse stratégique Jean-Michel Roullé Responsable de la communication Tél. : +33 (0) 1 42 75 61 37 jean-michel.roulle@strategie.gouv.fr