L'INFORMATION DU PATIENT A. Lienhart, Département d Anesthésie-Réanimation - Hôpital Saint-Antoine - Paris, France. INTRODUCTION Ce sujet a une double connotation, médicale et juridique. Médicale, car le consentement libre et éclairé du patient est un préalable indispensable aux soins. Juridique, car le défaut d information préalable est une faute susceptible d entraîner la condamnation du praticien (en exercice privé, pour laquelle il doit être assuré), ou de l hôpital (en pratique publique), à verser une indemnité en cas de préjudice rattachable à ce défaut d information. 1. DATE DE L INFORMATION Le fait que la consultation pré-anesthésique doive réglementairement avoir lieu plusieurs jours avant l acte obéit à des impératifs techniques permettant de faire réaliser en temps utile les examens éventuellement nécessaires, ou d adapter les traitements. Mais ce délai est également indispensable pour permettre une décision réellement libre. En effet, informé le jour-même, ou hospitalisé la veille, le patient comme l anesthésiste-réanimateur est soumis à une contrainte. L exemple le plus caricatural est celui des colonoscopies, où des patients apprenaient peu avant
MAPAR 1997 l examen que les termes employés par le médecin ayant demandé l examen : «on vous fera quelque chose pour que vous n ayez pas mal», recouvraient en réalité une anesthésie. Quelle est la liberté de décision de celui qui s est organisé pour se rendre libre ce jour-là, a bu plusieurs litres de PEG, s est déplacé vers la clinique ou l hôpital? Désormais, le caractère préalable de la consultation pré-anesthésique évite cet écueil. A condition toutefois qu une information réelle soit fournie. De manière incidente, bien que ceci ne concerne pas notre spécialité, il est évident que ces règles sont également valables pour l opérateur. A titre d exemple, un arrêt récent de la Cour de Cassation (25.2.1997) a rappelé, à propos d une endoscopie compliquée de perforation colique, l importance de l information préalable pour qui conteste la demande d indemnisation. De ce point de vue, structurellement, l absence de consultation préalable peut constituer une indiscutable fragilité, mais le «renversement de la charge de la preuve» instauré par cet arrêt fait que cette consultation n'est pas une «preuve» suffisante que l'information a bien été donnée. Cependant, le fantasme étalé par certains médias «grand public», de listes de complications à faire signer au patient, ou de «dérive à l américaine», dont la démonstration reste toujours à faire, sont du domaine de la contrevérité, pas nécessairement innocente. Les «bonnes pratiques» françaises ne sont pas les pratiques nord-américaines et devoir d information n est pas synonyme de «décharge» à faire signer. En terme de responsabilité civile, en pratique privée, il s agit de sceller un contrat «tacite» suffisamment éclairé. La question juridique est différente à l hôpital public, mais les principes de loyauté dans l information restent les mêmes. Dans tous les cas, au plan pénal, l'intervention sur le corps humain exige un consentement préalable. 2. DE QUELS RISQUES DOIT-ON PARLER? Cette question revient à demander s il faut mentionner tous les risques des techniques envisagées ou envisageables, ou signaler l existence de certains risques, généraux ou plus spécifiques du patient et de l acte envisagé. Elle est posée aussi bien par ceux qui ont vu les listes qu il est demandé de signer aux patients préalablement à une anesthésie aux USA, incluant la mort, les accidents des cathétérismes veineux profonds, etc..., que par ceux qui voient dans l incongruité de la proposition dans notre culture, un moyen de faire obstacle à la pression de demande d information. Le premier élément de réponse se situe dans l évidente erreur qui consisterait à affirmer qu une anesthésie pourrait être sans aucun risque. Dès lors, il apparaît évident que l existence d un risque doit être évoquée. Paradoxalement, cet impératif est d autant plus important que l acte, et l anesthésie qui l accompagne, comportent un risque faible. Qui pourrait s imaginer qu une chirurgie portant sur les coronaires ne comporterait ni anesthésie ni risque? En revanche, un acte bénin - ou présenté comme tel - comme une chirurgie esthétique ou un examen endoscopique, ne 290
Session professionnelle s accompagne pas d une telle évidence, d autant que l anticipation habituelle d un retour au domicile, dans le cadre de «l ambulatoire», porte à faire croire à une absence de danger. En réalité, le paradoxe n'est qu'apparent si la problématique est énoncée en terme de rapport bénéfice / risque : moins l'acte envisagé a de bénéfice thérapeutique, plus il importe que le patient ait conscience du niveau de risque de l'ensemble acte + anesthésie ; inversement, lorsque l'intervention s'impose, avec un bénéfice thérapeutique évident, s'il reste impossible de se soustraire à l'obligation d'information, l'objectif est surtout de concourir à la réalisation de la thérapeutique. Il est donc entendu que le risque doit être évoqué, mais faut-il pour autant préciser tous les risques? Chacun de nous sait que c est impossible. Il convient donc de faire un choix. Sans pouvoir fixer de règle absolue, quelques orientations peuvent être proposées. Les inconvénients les plus habituels sont certainement à mentionner. Les problèmes graves, lorsqu ils sont exceptionnels, ne méritent habituellement qu une allusion, à quelques exceptions près. D une part, lorsque le patient pose directement la question. D autre part, lorsque, comme précédemment indiqué, la bénignité de l acte fait que c est le seul risque notable pour le patient. Enfin et surtout, lorsqu il existe une alternative ne comportant pas les mêmes risques. A titre d exemple, l analgésie obstétricale par anesthésie péridurale, ou l analgésie postopératoire par la même technique, mérite que l information ne porte pas que sur les bénéfices de la méthode, mais mentionne les exceptionnelles séquelles neurologiques, tout en les remettant à leur juste place et en les situant dans l expérience personnelle du praticien. 3. COMMENT ABORDER LE PROBLEME? Cette question est souvent accompagnée du commentaire : «si je dis au patient qu il risque de mourir ou d être paraplégique, il refusera tout soin». Il est vrai que du tact est nécessaire. Certaines réalités ne doivent pas être assénées et la consultation ne doit pas servir à l anesthésiste-réanimateur à transférer son anxiété sur le patient ou sa famille. S il revient à chacun de trouver ses propres solutions, quelques pistes conduisent généralement au but souhaité : informer sans inquiéter inutilement. Une première façon de signaler le risque sans y insister lorsqu il est exceptionnel, est d indiquer que le risque nul n existe pas et de laisser le temps au patient de poser des questions s il le désire. Une autre façon, non exclusive de la première, est de fournir un exemple imagé de la prise de risque, tiré de la vie quotidienne, comme la conduite automobile ou la marche en ville. Une autre, également non exclusive, est d aborder le problème par les moyens utilisés pour prévenir le risque : surveillance du cœur par visualisation permanente de l ECG, surveillance permanente de l oxygénation du sang par l oxymètre de pouls, etc. L importance des moyens mis en œuvre donne un reflet indirect de l importance 291
MAPAR 1997 accordée par l anesthésiste-réanimateur au risque, tout en fournissant une réponse à l inquiétude générée par la compréhension qu'un tel risque existe. Plus accessoirement, l image de «haute technologie» de l anesthésie-réanimation s en trouve améliorée. De la même façon, s il existe un risque spécifique, lié à la pathologie ou à la chirurgie, il est souvent moins inquiétant d aborder le problème en même temps qu on énonce la solution proposée. Par exemple, chez un patient âgé et cardiaque, l information peut être du type : «bien sûr, vous n avez pas un cœur de 20 ans et il est évident que ceci augmente votre risque, mais ce que je peux vous dire, c est d une part que nous avons anesthésié beaucoup de patients comme vous et que ça s est le plus souvent bien passé, d autre part que vous êtes dans la meilleure condition possible pour votre intervention et que votre cœur sera surveillé en permanence par des appareils». Il va de soi que ce propos suppose que ce soit vrai. Si ce n est pas le cas, mieux vaut mettre le patient dans une situation telle que ce propos puisse lui être tenu. Ou l informer du caractère non exceptionnel des problèmes soupçonnés. En effet, l information pour le risque non exceptionnel ne peut être aussi générale. Il peut s agir d un risque vital et il convient alors de le comparer au risque d évolution spontanée de la maladie, en tenant compte du souhait de qualité de vie du patient. Mais les inconvénients éventuels de l anesthésie ne se limitent pas au risque vital ou de séquelles neurologiques lourdes. Beaucoup plus fréquents sont les échecs relatifs d anesthésie loco-régionale, les nausées au réveil, l inconfort de la salle de réveil, la sonde gastrique, la douleur postopératoire... L essentiel de ces problèmes doit être évoqué pour que le patient puisse s y préparer. 4. LE CHOIX DE LA TECHNIQUE REVIENT-IL AU PATIENT? Pour pouvoir faire un choix, il faut être informé et l anesthésiste-réanimateur est certainement le mieux informé pour faire ce choix. De plus, celui qui réalise l acte est seul à pouvoir décider de celui-ci, donc la décision finale revient à celui qui fait l anesthésie : ni au chirurgien, ni à un collègue ayant vu le patient en consultation. D un autre côté, le patient doit avoir donné son accord et avoir été informé auparavant. S il découvre au dernier moment un changement de personne et de technique, il peut légitimement penser que le contrat initial n est pas respecté (secteur privé) ou qu il existe un dysfonctionnement dans l hôpital (secteur public). Il doit donc être prévenu de cette possibilité dès la consultation. Concernant la technique, il est rare que le choix des produits d une anesthésie générale fasse l objet d une information détaillée du patient en dehors de cas particuliers, telle une allergie, donc cette question est inapparente. Ce n'est en revanche pas le cas du choix entre anesthésie générale (AG) et anesthésie locorégionale (ALR) ou AG + ALR per- et/ou postopératoire. Dans tous les cas, les 292
Session professionnelle avantages et inconvénients des différentes méthodes doivent être exposés, avec leurs incertitudes et leurs limites. Bien évidemment, le praticien indique sa préférence, mais dès lors que l état du patient, le type de chirurgie et la pratique de l anesthésiste-réanimateur rendent une alternative possible, les termes de celle-ci méritent d être schématisés. Par ailleurs, si le praticien n est pas certain d être celui qui réalisera l anesthésie, par exemple pour des motifs d organisation, il en prévient le patient. La visite préanesthésique permettra à celui qui réalisera l anesthésie de se présenter et de compléter l information, en tenant compte des données de la consultation préanesthésique, qui a fait l objet d un dossier. Si le patient rentre dans l'établissement le jour-même de l acte, ou si le praticien qui réalise l anesthésie est différent de celui qui a réalisé la visite préopératoire de «prémédication», cette dernière information a lieu le plus tôt possible avant l anesthésie. Dans tous les cas, il est utile que l information donnée au patient lors de la consultation pré-anesthésique figure dans le dossier établi lors de cette consultation, et ce pour plusieurs raisons. La première est que c est le seul moyen pour l anesthésiste-réanimateur qui réalise l anesthésie de savoir ce qui a été dit au patient plusieurs jours plus tôt, éventuellement par un collègue. La seconde est que c est un bon moyen, en cas de litige juridique, d apporter la démonstration que le patient a bénéficié d une information. Entre les préoccupations «sécuritaires» des uns, envisageant de faire signer des listes de complications, et le refus de communication des autres, il existe un vaste champs d information simple et loyale, résumée dans le dossier à toutes fins utiles. Enfin, si (lorsque) un formulaire d'information est (sera) établi par un consensus professionnel, il est bon de le remettre au patient. Sa signature par le patient est un problème d'une toute autre nature et, tant qu'elle n'est pas demandée par un texte réglementaire (comme dans la loi Huriet), une clause des contrats d'assurance professionnelle ou un avis du Conseil de l'ordre des Médecins (comme pour la chirurgie esthétique), elle ne peut être recommandée. Il importe en revanche de s'être assuré que le patient n'a pas d'autre question à poser avant de terminer la consultation. 5. LA TRANSFUSION SANGUINE Lorsqu une transfusion sanguine est prévisible, le patient doit être informé de cette éventualité. S il a été transfusé, il doit être informé de cette réalité. Un suivi biologique post-transfusionnel est programmé à cette occasion, à la recherche notamment d une contamination virale. Pour juger de l évolution des marqueurs recherchés trois mois après la transfusion, il est utile de réaliser les mêmes examens avant la transfusion. Si cette recherche comporte une sérologie VIH, le patient doit en être spécifiquement informé. 293
MAPAR 1997 6. FAUT-IL ABORDER LE RISQUE DE L'ACTE THERAPEUTIQUE OU DIAGNOSTIQUE? S il fallait répondre à cette question de façon binaire, il faudrait probablement répondre par la négative, chaque médecin devant tenir informé le patient dans son propre domaine, sans porter de jugement sur l information fournie par un confrère. Mais il faut se méfier des réponses binaires, la réalité étant plus complexe. Que penser du chirurgien qui dit à son patient que son intervention ne comporte aucun risque vital, alors qu il sait que l anesthésie qu elle rend nécessaire en comporte un, même s il est exceptionnel? Réciproquement, un anesthésiste-réanimateur qui constate qu un patient n a pas la moindre idée du risque global d une intervention lourde peut-il faire comme si ce risque était limité à la seule anesthésie, alors que ce ne serait pas le cas? La déontologie et l honnêteté intellectuelle veulent, d une part que chacun fournisse au patient une idée approximative du risque global de l intervention réalisée sous anesthésie, car la distinction entre deux spécialités n est ni simple ni forcément pertinente pour le patient ; d autre part que chacun renvoie à l autre spécialiste les questions précises qui concernent celui-ci. Le tout avec tact, car on imagine le degré d anxiété d un patient qui détecterait une divergence d avis entre deux médecins dont l activité doit au contraire converger pour le succès de l intervention. Là encore, une façon positive d aborder le problème est d évoquer les moyens techniques utilisés par l anesthésiste-réanimateur pour permettre que tout se passe bien : monitorage, éventuel accélérateur de transfusion, surveillance en salle de réveil, voire passage en unité de soins intensifs si nécessaire. CONCLUSION La consultation pré-anesthésique donne l'opportunité d une information convenable. Encore faut-il utiliser cette occasion. Par ailleurs, elle pose le problème de la transmission de cette information à un autre anesthésiste-réanimateur, si celui qui a donné l information n est pas celui qui réalise l anesthésie. Ceci rend impératif une transmission écrite, rend souhaitable un accord entre les praticiens, au cas par cas si ce travail en commun est exceptionnel, de façon plus générale si la pratique est courante. Il en découle que certaines modalités d organisation méritent une homogénéisation des pratiques, au minimum en matière d information. Enfin, d'un point de vue juridique, l'information du patient ne règle que le problème du défaut d'information. Si le risque évoqué se réalise, l'information préalable ne retire pas toute possibilité au patient ou ses ayants droit de voir une plainte aboutir en cas de faute dans la réalisation de l'acte. C'est en ce sens que, à l'heure actuelle, la signature d'une «décharge» n'aurait pas une grande valeur juridique. 294