15 septembre 2014. Excellence,



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HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L HOMME OFFICE OF THE HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS PALAIS DES NATIONS 1211 GENEVA 10, SWITZERLAND www.ohchr.org TEL: +41 22 917 9359 / +41 22 917 9407 FAX: +41 22 917 9008 E-MAIL: registry@ohchr.org Mandats du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d opinion et d expression ; du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme ; et du REFERENCE: UA BFA 1/2014: Excellence, 15 septembre 2014 Nous avons l honneur de nous adresser à vous en nos qualités de Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d opinion et d expression ; de Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme ; et de conformément aux résolutions 25/2, 25/18, et 26/12 du Conseil des droits de l homme. A cet égard, nous souhaiterions attirer l attention du Gouvernement de votre Excellence sur des allégations relatives à M. Newton Ahmed Barry, rédacteur en chef et co-fondateur du journal l Evénement, dont la sécurité serait actuellement en danger. Les menaces visant M. Ahmed Barry auraient un lien après que du matériel ait été dérobé dans les locaux du journal l Evènement. Selon les informations reçues: Il est rapporté que depuis février 2014, M. Newton Ahmed Barry, rédacteur en chef et co-fondateur du journal l Evénement, aurait fait l objet de plusieurs menaces et actes d agression et d intimidation. En particulier, en février 2014, il a été rapporté qu une intrusion à son domicile serait survenue alors qu il était absent, causant des blessures à son garde du corps. En mai 2014, des actes de vandalisme auraient été commis sur sa voiture. Il est rapporté que le 30 juillet 2014 les locaux du journal l Evénement auraient été investis par des individus non-identifiés qui auraient dérobé l ordinateur du rédacteur en chef ainsi que certains documents et de l argent. Il est par ailleurs rapporté que, suite à cet incident, M. Ahmed Barry aurait reçu des menaces de mort lors d appels téléphoniques anonymes. Selon les sources, ces menaces de mort et le cambriolage pourraient être liés à l intérêt que M. Ahmed Barry et le journal l Evénement auraient accordé à l affaire de la mort d un juge de la Cour constitutionnelle, Salifou Nébié. De plus, il est rapporté que des actes de surveillance et d intimidation seraient en constante augmentation suite à la couverture par le journal des événements ayant

suivi les débats sur l éventuelle organisation d un référendum destiné à modifier l article 37 de la Constitution du Burkina Faso concernant la limite du nombre de mandats présidentiels. Les sources indiquent que M. Ahmed Barry aurait saisi les autorités compétentes suite à chaque attaque subie et aux menaces qu il aurait reçues. Il est rapporté cependant que ses plaintes seraient restées sans réponse, que les autorités n auraient pas initié d enquête et qu aucune mesure de protection n aurait été prise pour garantir la sécurité de M. Ahmed Barry. Selon les informations, des incidents similaires d effraction et de vol de matériel professionnel seraient survenus à l encontre de l hebdomadaire l Opinion le 10 février 2014, et à l encontre du bimensuel Complément d enquête le 16 août 2014. De graves préoccupations sont exprimées quant aux allégations concernant les actes d agression et les menaces de mort dont aurait fait l objet M. Ahmed Barry, concernant l effraction et le vol de matériel dans les locaux du journal l Evénement, et relatives au fait que ces actes seraient liés aux activités de M. Ahmed Barry en tant que journaliste et au contenu des informations diffusées par le journal. De graves préoccupations sont par conséquent exprimées au sujet de l impact de ces faits sur l exercice légitime de la liberté d opinion et d expression, ainsi que du droit de chercher et de recevoir des informations et opinions, particulièrement dans le contexte de débats politiques et d enquêtes sur des actes présumés de corruption. De graves préoccupations sont par ailleurs exprimées au sujet du contexte d insécurité dans lequel travaillent particulièrement les journalistes et qui aurait occasionné les incidents allégués ci-dessus. Sans vouloir à ce stade préjuger des faits qui nous ont été soumis, nous souhaiterions faire référence à l article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par le Burkina Faso le 4 janvier 1999, qui précise que «[t]out individu a droit à la liberté d opinion et d expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d expression que ce soit.» Nous souhaiterions porter à l attention du Gouvernement de votre Excellence l observation générale n 34 du Comité des Droits de l'homme qui rappelle l obligation des Etats de prendre des mesures de protection à l égard de personnes subissant des attaques en raison de l exercice de leur droit à la liberté d opinion et d expression. Les menaces à la vie d un individu en raison de cet exercice du droit à la liberté d expression ne peuvent en aucune circonstance être compatibles avec l article 19 du PIDCP précité. Les journalistes sont fréquemment l objet de menaces, d actes d intimidation et 2

d agressions en raison de leurs activités et ces agressions devraient faire sans délai l objet d enquêtes diligentes, les responsables doivent être poursuivis, et les victimes ou les ayants droit, si la victime est morte, doivent pouvoir bénéficier d une réparation appropriée (CCPR/C/GC/34, para 23). Tout manquement au devoir de mener des enquêtes approfondies et d engager des poursuites pénales contre les responsables crée une culture de l impunité qui perpétue la violence et peut être interprété comme une tolérance ou un consentement de la part de l État concerné (A/HRC/14/23, para 95). Nous souhaiterions également nous référer au rapport soumis au Conseil des droits de l homme par le Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection de la liberté d opinion et d expression sur la protection des journalistes et la liberté des médias. Le rapport souligne les obstacles auxquels sont confrontés les journalistes au quotidien, particulièrement en temps de crise où ont lieu entre autres des confiscations et destructions de matériel professionnel, des vols d informations, des surveillances illégales, des entrées par effraction dans les bureaux, des actes d intimidation et de harcèlement mais aussi et surtout des menaces de mort, ainsi que des enlèvements, disparitions forcées et assassinats. Le rapport fournit des recommandations sur la protection, la prévention et la lutte contre l impunité des crimes commis contre les journalistes (A/HRC/20/17, para 48). Nous souhaiterions par ailleurs attirer l attention du Gouvernement de votre Excellence sur le paragraphe 4 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions, adoptés par le Conseil Economique et Social dans sa résolution 1989/65 selon laquelle il incombe aux États de fournir «une protection efficace assurée par des moyens judiciaires ou autres aux personnes et aux groupes qui seront menacés d'une exécution extrajudiciaire, arbitraire ou sommaire, y compris à ceux qui feront l'objet de menaces de mort.» Nous tenons à souligner que toute personne a le droit fondamental à la vie et à la sécurité de sa personne tel que défini dans l'article 6 (1) du PIDCP. En outre, ces allégations semblent contrevenir à la responsabilité principale et au devoir de l État de protéger, promouvoir et rendre effectifs tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales, selon la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l homme et les libertés fondamentales universellement reconnus du 8 mars 1999, et en particulier ses articles 1, 2 et 12. Vous trouverez les textes complets relatifs aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l'homme sur notre site internet à l'adresse 3

suivante www.ohchr.org. Nous sommes également en mesure de vous fournir ces textes sur demande. Au vu de l urgence du cas, nous saurions gré au Gouvernement de votre Excellence de nous fournir une réponse sur les démarches préliminaires entreprises afin de protéger les droits de la personne ci-dessus mentionnée. Il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l homme, de solliciter votre coopération pour tirer au clair les cas qui ont été portés à notre attention. Etant dans l obligation de faire rapport de ces cas au Conseil des droits de l homme, nous serions reconnaissants au Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points suivants: 1. Veuillez nous faire parvenir toute information ou tout commentaire complémentaire en relation avec les allégations susmentionnées. 2. Veuillez nous préciser quelles mesures ont été prises en réponse aux allégations susmentionnées. En particulier, veuillez nous faire parvenir des informations détaillées concernant des enquêtes éventuelles qui auraient été ouvertes concernant les actes d agression et les menaces dont aurait fait l objet M. Ahmed Barry, ainsi que concernant l effraction et le vol de matériel dans les locaux du journal l Evénement. 3. Veuillez nous faire parvenir des informations détaillées concernant d éventuelles mesures prises pour garantir la sécurité de M. Newton Ahmed Barry, suite aux menaces qu il aurait subies. 4. Veuillez nous faire parvenir des informations sur les mesures qui auraient été prises pour protéger et promouvoir la liberté d opinion et d expression, ainsi que la sécurité des journalistes au Burkina Faso. Dans l attente d une réponse de votre part, nous prions le Gouvernement de votre Excellence de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits et des libertés de l individu susmentionné, de diligenter des enquêtes sur les violations qui auraient été perpétrées et de traduire les responsables en justice. Nous prions aussi votre Gouvernement d adopter, le cas échéant, toutes les mesures nécessaires pour prévenir la répétition des faits mentionnés. Nous nous engageons à ce que la réponse du Gouvernement de votre Excellence soit reflétée dans le rapport qui sera remis au Conseil des droits de l homme pour examen. 4

Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de notre haute considération. David Kaye Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d opinion et d expression Michel Forst Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme Christof Heyns 5