GALERIE BERNARD CEYSSON PARIS
Jean-Marc Cerino Le réel, des rêves, un monde Anne Favier Dans l ensemble de son œuvre, Jean-Marc Cerino questionne la figure humaine et les conditions de sa mise en visibilité qu il transpose à la visibilité de l œuvre elle-même. Sa peinture est ainsi travaillée par une économie du retrait et le processus pictural engagé est celui de l effacement, comme pour témoigner du sentiment de perte propre à l Être. Les figures peintes cependant résistent à la dissolution, fragiles et vibrantes, elles semblent maintenues entre deux eaux, hésitantes entre disparition et apparition, de passage. Empreinte en filigrane, portée à son point limite, l image est alors à lire sur le mode de l évidement, comme un pli léger dans la matérialité picturale. Retenues dans la cire, les figures ainsi peintes ne se donnent pas immédiatement, elles laissent à désirer. Leur advenue est une promesse fragile. L inclinaison d un regard tâtonnant avec l orientation lumineuse pourra entrevoir la possibilité d un dépli, le franchissement d un seuil, l affleurement d une présence dans une ouverture passagère. Les trois toiles ici exposées font partie de l ensemble Les Rêveurs. Debout, les paupières abaissées, ces rêveurs en blanc sur blanc laissent le spectateur à la porte de leurs songes, au seuil de leur rêverie éveillée. Les modèles sollicités pour Les Rêveurs sont des penseurs ou philosophes, proches du travail de Jean-Marc Cerino. Jean-Christophe Bailly, Gérard Conio et Jean-Luc Nancy ont entre autre répondu par l écriture à l échange proposé par l artiste, celui de leur passage en peinture. «Il s agit moins d évoquer le rêve que la rêverie, le songe de celui qui imagine le monde qu il souhaiterait habiter». Le songe est à présent déposé sur le mur en face des peintures sous la forme d une page d écriture, engageant une conversation du pictural et du textuel, invitant le spectateur dans ce dialogue du visible et du lisible pour une nécessité de rêver ensemble. Les figures peintes doublement enveloppées dans le voile de cire et dans leurs pensées sont avec l artiste des éveilleurs plutôt que des rêveurs. Œuvrer c est ouvrir un monde. Aujourd hui une nouvelle série de peintures sur verre succèdent aux dessins blancs sur fonds blancs, aux peintures sédimentées dans des voiles de cire opalescents, aux sérigraphies blanches sur verre dépoli ou encore aux délicats dessins au brou de noix, il s'agit de peinture noire sur fond blanc, peinture blanche sur fond noir ou peinture noire sur fond noir, voir peinture noir sur fond coloré ; des formes, des figures, des images montent des fonds pour y sombrer parfois. Des surfaces peintes sont déposées sur des profondeurs peintes elles-aussi : peinture à l huile sur verre bombé en son envers. Dessus-dessous, le feuilletage pictural est réuni par l intermédiaire du plan verre. La face du revers et la surface s articulent via le lieu intervallaire, l épaisseur diaphane du support en verre. Le fond peint à la bombe sous le verre est éloigné de la surface d inscription, les représentations picturales semblent maintenues en suspension. L artiste fait remonter des images. Des archives photographiques, des documents premiers avec lesquels ça travaille, sont reconvoqués en peinture. La reconduction fait revenir ces images en les sortant du flux aveuglant des visibilités. Jean-Marc Cerino procède par
association en connectant une mémoire photographique historique ; le décollage vertical du lit volant (Flying Bedstead), le bombardement de Dresde par la Royal Air Force en 1945, un appareil de repérage des avions par le son de 1918 Sémantiques ou formels, les rapprochements sont multiples et ouverts, montage, remontage, la mémoire des formes travaille. Le dispositif de translation picturale est affaire de transfert, l artiste place le document photographique sous le support plaque de verre et fait remonter littéralement l image du dessous au-dessus en montant des épaisseurs de peinture. Le peintre, à tâtons, recouvre ce qu il reporte, se séparant par là même du modèle dont la reprise ne peut être que différée ne serait-ce qu en raison de l épaisseur du milieu verre. À l aveugle, Jean-Marc Cerino fouille les détails et se perd dans les réserves, les densités montées en couches ou les voiles pellucides de peinture qu il obtient par dilution. Le revers est peint dans un second temps. L image reportée est ainsi révélée. Le fond va conjointement provoquer l advenue et la dissolution de la représentation. Le dispositif de translation génère de la distance, l image première revient dans une lisibilité nullement assurée. Le dépaysement parfois aux franges de l informe nous amène à circuler des magmas de peinture épaisse, vers des efflorescences poudreuses en passant par des vapeurs instables, des dépôts sédimentés ou des poudroiements cosmographiques Deux ensembles, deux moments ici proposés qui travaillent conjointement ; le titre de l exposition Le réel, des songes, un monde peut nous aider à voir à quoi ça travaille si on perçoit ce qu il sous entend (en rejouant et déplaçant la pensée de Benjamin) : si le passé est autant ce qui a été que ce que des hommes ont rêvé et il en va de même pour le présent
Appareil de repérage des avions par le son, 1918, 2012 peinture à l huile sur verre et peinture à l huile et à la bombe sous verre 136,5 x 105,2 cm Yves Bresson Les Rêveurs, 2006-2008 encaustique sur toile, cales et textes vue d ensemble in Who s afraid of design?, Cité du design, Saint-Étienne, 2009 Crâne, 16-12, 2012 peinture à l huile sur verre et peinture à la bombe sous verre 35 x 35 cm Galerie Bernard Ceysson Paris 23, rue du Renard / 75004 PARIS Tél. Fixe 01 44 59 27 27 Mobile 06 08 07 02 79 Site : www.bernardceyssson.com