Cour de cassation de Belgique



Documents pareils
Cour de cassation de Belgique

Cour de cassation de Belgique

dans la poursuite pénale dirigée contre en présence du Ministère Public l arrêt qui suit :

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf mai deux mille onze.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, premier décembre deux mille onze.

Cour de cassation de Belgique

Décrets, arrêtés, circulaires

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l arrêt suivant :

REPUBL QUE FRANCA SE

Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Odent et Poulet, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

Instantie. Onderwerp. Datum

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Cour de cassation. Chambre sociale

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E. Audience publique du 16 janvier 2014 Cassation Mme FLISE, président. Arrêt n o 47 F-P+B

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

M. Lacabarats (président), président SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

Rôle n A - Exercices d imposition 2001 et Intérêts sur un compte courant créditeur et requalification en dividendes

Siréas asbl Service International de Recherche, d Education et d Action Sociale

On vous doit de l argent en Europe... Deux procédures judiciaires simplifiées à portée de main!

Cour de cassation de Belgique

COUR DE CASSATION R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E. Audience publique du 21 septembre 2011 Rejet M. LACABARATS, président. Arrêt n o 1054 FS-P+B

Société PACIFICA / SociétéNationale des Chemins de fer Français. Conclusions du Commissaire du Gouvernement.

AUDIENCE PUBLIQUE DU 30 OCTOBRE 2014

Cour de cassation Chambre commerciale Cassation partielle 30 mars 2010 N

N 25/ 07. du Numéro 2394 du registre.

Grands principes du droit du divorce

Cour de cassation de Belgique

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois avril deux mille quatorze.

Quel cadre juridique pour les mesures d investigation informatique?

dans la poursuite pénale dirigée contre

FICHE N 8 - LES ACTIONS EN RECOUVREMENT DES CHARGES DE COPROPRIETE

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E. Audience publique du 10 avril 2013 Rejet M. TERRIER, président. Arrêt n o 406 FS-P+B

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

Instantie. Onderwerp. Datum

Numéro du rôle : Arrêt n 151/2012 du 13 décembre 2012 A R R E T

SENTENCE ARBITRALE DU COLLEGE ARBITRAL DE LA COMMISSION DE LITIGES VOYAGES

Conférence de l Arson club du 16 avril 2008 sur la répétibilité des honoraires de l avocat (loi du 21/4/2007).

Commande publique. 1. Une question délicate : la détermination du champ d application de l article 2.I. de la loi «MURCEF»

M. Petit (conseiller doyen faisant fonction de président), président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Instelling. Onderwerp. Datum

RAPPORT DE STAGE ET RÉSUMÉ

MEMOIRE DU GOUVERNEMENT SUR LA RECEVABILITE ET LE BIEN-FONDE

DÉCISION DEC022/2015-A001/2015 du 1 er juillet 2015

SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARIS

Règlement relatif aux sanctions et à la procédure de sanction

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l arrêt suivant :

PROCEDURES DE DIVORCE

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Docteur François KOMOIN, Président du Tribunal ;

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

PROTOCOLE. Entre le Barreau de Paris, le Tribunal de Commerce et le Greffe. Le Barreau de Paris, représenté par son Bâtonnier en exercice,

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Cour du travail de Bruxelles (6e ch.) - Arrêt du 29 mai Rôle n 2011-AB-923

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS

Conclusions de Madame l avocat général Gervaise TAFFALEAU

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

BENELUX ~ A 2004/4/11 COUR DE JUSTICE GERECHTSHOF. ARRET du 24 octobre En cause. Etat belge. contre. De La Fuente

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

Mme Renard-Payen, assistée de Mme Sainsily-Pineau, greffier en chef, conseiller apporteur REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

CONVENTION ENTRE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ET LE ROYAUME DU MAROC RELATIVE AU STATUT DES PERSONNES ET DE LA FAMILLE ET A LA COOPERATION JUDICIAIRE

REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

CC, Décision n QPC du 23 novembre 2012

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Numéro du rôle : Arrêt n 48/2009 du 11 mars 2009 A R R E T

NOTICE D INFORMATION

Loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention (MB )

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARÍS

La situation du fonctionnaire ou agent en poste en Belgique au regard du droit belge

Le champ d application de l article 1415 du code civil

dans la poursuite pénale dirigée contre comparant par Maître Daniel NOEL, avocat à la Cour, en l étude duquel domicile est élu,

la Banque Internationale pour l Afrique de l Ouest dite BIAO-CI, dont le siège social se trouve à Abidjan

Cour. des droits QUESTIONS FRA?

Numéros du rôle : 4381, 4425 et Arrêt n 137/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Code civil local art. 21 à 79

Numéro du rôle : Arrêt n 36/2006 du 1er mars 2006 A R R E T

Commentaire. Décision n /178 QPC du 29 septembre 2011 M. Michael C. et autre

Vous êtes marié avec un conjoint de

Service pénal Fiche contrevenant

Président : M. Blin, conseiller le plus ancien faisant fonction., président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

La Faculté de Droit Virtuelle est la plate-forme pédagogique de la Faculté de Droit de Lyon

Numéro du rôle : Arrêt n 167/2014 du 13 novembre 2014 A R R E T

Renonciation réciproque à recours au bail et assurances

Instelling. Onderwerp. Datum

EFFICACITE EN FRANCE D UNE PÉRIODE SUSPECTE ÉTRANGÈRE

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

Le tribunal de la famille et de la jeunesse

Cour d appel de Lyon 8ème chambre. Arrêt du 11 février Euriware/ Haulotte Group

BANQUE DE LUXEMBOURG Livraison des biens achetés sur internet - Déclaration de sinistre (Page 1 sur 5) Numéro de police L

CHAMP D APPLICATION DES DISPOSITIONS DU CODE DE LA CONSOMMATION

ASSURANCE-LITIGE EN MATIÈRE DE BREVETS

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARIS

Article 6. Absence de convention apparente de mini-trial

Transcription:

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N C.11.0608.F BARCHON METAL VANNERUM, société anonyme dont le siège social est établi à Flémalle, Grand Route, 1, demanderesse en cassation, représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36, où il est fait élection de domicile, contre SOFINTRA, société anonyme dont le siège social est établi à Liège, quai de Rome, 89, défenderesse en cassation,

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/2 représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l Empereur, 3, où il est fait élection de domicile. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 29 juin 2010 par la cour d appel de Liège. Le conseiller Michel Lemal a fait rapport. L avocat général Thierry Werquin a conclu. II. Le moyen de cassation La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées - articles 11, 962 et, pour autant que de besoin, 1676 à 1723 du Code judiciaire ; - articles 1134 et 1644 du Code civil ; - article 149 de la Constitution ; - principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. Décisions et motifs critiqués L arrêt attaqué décide que le supplément indûment payé par la demanderesse, par rapport au juste prix du terrain, s élève à 18.000 euros, que la défenderesse est condamnée à payer, et ce par tous ses motifs et spécialement par les motifs suivants :

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/3 «Que [la] décision d avant dire droit du 11 juin 2007 arrête, par des motifs soutenant le dispositif et ayant autorité de force jugée entre les parties encore litigantes, que l action de la [demanderesse] contre la [défenderesse], du fait d un vice caché entachant la chose vendue de manière telle qu elle ne l eût pas acquise pour le prix payé, est une action estimatoire ; que l acquéreur, qui ne choisit pas de «rendre la chose et de se faire restituer le prix», ne peut que «se faire rendre une partie du prix telle qu elle sera arbitrée par experts» (article 1645 [lire : 1644] du Code civil) ; que, conformément aux dispositions légales applicables, la cour d appel doit déférer à un expert la mission de déterminer : - le juste prix, à la date du 30 mars 2000, du terrain vendu entaché d une pollution du sous-sol faisant des terres des déchets dangereux soumis aux assainissements requis par les autorités sur pied de la législation applicable au jour de la vente : le décret wallon du 27 juin 1996 et l arrêté du gouvernement wallon du 10 juillet 1997 ; - la différence s il en est entre le prix de 9.000.000 francs ou 223.104,17 euros effectivement payé par la [demanderesse] et le juste prix à la date du 30 mars 2000 ; Que l expert estimateur a rendu un rapport arbitrant le juste prix et le supplément de 18.000 euros à ce juste prix indûment payé par [la demanderesse] et qu elle n aurait pas payé si elle eût connu le vice ; Que l estimation du juste prix et du supplément indûment payé - à restituer à l acquéreur - arbitré par l expert estimateur agissant dans le cadre exact de sa mission et dans le respect des droits de défense de chaque partie litigante sur pied de l article 1644 du Code civil s impose au juge ; Que les parties, qui n ont contesté ni la désignation ni la compétence de l expert estimateur, qui n ont pas demandé sa récusation et qui ne lui imputent aucune violation des droits de défense, sont liées par cet arbitrage de ce que l acquéreur, poursuivant une action estimatoire fondée, peut se faire rendre sur le prix effectivement payé ;

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/4 Qu il appartient au seul expert estimateur désigné sur pied de l article 1644 du Code civil d arbitrer définitivement par un arbitrage s imposant au juge et aux parties la partie du prix dont le vendeur doit restitution à l acquéreur du bien entaché d un vice réel que l acquéreur ne considère pas comme rédhibitoire ; Que [la défenderesse] doit à [la demanderesse] la restitution d une partie du prix égale à 18.000 euros, outre les intérêts portés par cette somme du jour du paiement du prix jusqu à complète restitution». Griefs Tel qu il est consacré aux articles 1676 et 1729 du Code judiciaire, l arbitrage est un mode de règlement des conflits qui trouve son origine dans une convention, qui aboutit à une décision revêtue de l autorité de chose jugée et qui peut, par l exequatur, recevoir une force exécutoire. L arbitrage a pour effet de soustraire un litige à la juridiction des tribunaux de l ordre judiciaire. L expertise, telle qu elle est consacrée aux articles 962 à 991bis du Code judiciaire, est quant à elle une mesure d instruction à caractère technique : l expert désigné, et non choisi librement et contractuellement par les parties, est appelé à donner un avis technique qui doit éclairer les parties et le juge mais qui ne les lie pas. En effet, son appréciation, soumise à la vérification du juge, peut être écartée. que : À cet égard, l article 962 du Code judiciaire dispose plus précisément «Le juge peut, en vue de la solution d un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d ordre technique.

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/5 Le juge peut désigner les experts sur lesquels les parties marquent leur accord. Il ne peut déroger au choix des parties que par une décision motivée. À défaut d accord entre les parties, les experts donnent uniquement un avis sur la mission prévue dans le jugement. Il n est point tenu de suivre l avis des experts si sa conviction s y oppose». L article 11 du même code, disposition d ordre public, dispose pour sa part que : «Les juges ne peuvent déléguer leur juridiction. Ils peuvent néanmoins adresser des commissions rogatoires à un autre tribunal ou à un autre juge, et même à des autorités judiciaires étrangères, pour faire procéder à des actes d instruction». Enfin, sur le fondement de l article 1134 du Code civil, et indépendamment de tout arbitrage ou expertise tels qu ils sont visés ci-avant, les parties peuvent décider conventionnellement de transférer à un tiers leur pouvoir de décision sur un fait ou un élément déterminé de leur rapport. Ces parties s engagent alors à être liées par la décision de ce tiers, qui peut être un spécialiste, quant à cet élément particulier de leur relation. L acheteur qui actionne la garantie des vices cachés contre son vendeur a, selon l article 1644 du Code civil, «le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix [il actionne en ce cas une action rédhibitoire], ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu elle sera arbitrée par experts [il actionne dans cette dernière hypothèse une action estimatoire]». L arbitrage de l expert visé par cette disposition n est pas à confondre avec l arbitrage défini par les articles 1676 et suivants du Code judiciaire. En l espèce, la demanderesse a introduit une action estimatoire devant la cour d appel, qui l a dite fondée en son principe par son arrêt du 11 décembre 2007. La cour d appel a ensuite désigné, avant dire droit, un expert judiciaire, M. D., aux fins notamment de déterminer, d une part, le juste prix, à la date du 30 mars 2000, du terrain vendu entaché d une pollution du sous-

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/6 sol qui en fait un déchet dangereux soumis aux assainissements requis par les autorités wallonnes, et, d autre part, la différence, s il en est, entre le prix de 9.000.000 francs ou 223.104,17 euros effectivement payé par la demanderesse et le juste prix à la date du 30 mars 2000. La désignation de l expert judiciaire a eu lieu implicitement mais certainement sur le fondement des articles 962 et suivants du Code judiciaire, et non sur la base des articles 1676 et suivants du même code. Le dispositif de l arrêt du 11 décembre 2007 précise en effet, conformément à l article 972 du Code judiciaire, une série d informations relatives à l expertise et à son déroulement. Dans ses conclusions, la demanderesse a émis plusieurs critiques relativement à l expertise qui a été menée par M. l expert D. Elle a d abord critiqué la détermination, par l expert, de la valeur vénale du terrain au jour de la vente, en fonction du prix du marché de l époque. Elle a estimé, concernant les points de comparaison retenus par l expert, qu elle ne «sait pas si les critères de référence utilisés permettent une comparaison effective des terrains pris comme référence et du terrain litigieux» et a indiqué que l expert «n a communiqué aucun document permettant de vérifier les chiffres avancés, rendant ainsi impossible la contradiction de son argumentaire». Elle a ensuite précisé que l échange de courriers avec l administration fiscale auquel se référait l expert permettait de conclure que le prix hors pollution du terrain ne pouvait raisonnablement se situer autour de montants atteignant les sommes de 400.000 euros ou 500.000 euros, montants pourtant retenus par l expert dans son analyse des points de comparaison. La demanderesse a également critiqué la détermination de la moinsvalue du terrain, en fonction de la pollution. Elle a précisé qu après avoir évalué le terrain à la somme de 294.889,52 euros, sans bâtiment, en fonction des points de comparaison qu il a retenus, l expert divise ce montant par trois, «pour, forfaitairement, essayer de tenir compte de la pollution» et arrive ainsi

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/7 à un montant de 100.000 euros arrondi. En ajoutant le prix des bâtiments, la demanderesse observe ensuite que l expert aboutit à un montant de 205.000 euros, à partir duquel il conclut qu il revient à la demanderesse une somme de 18.000 euros puisque celle-ci a payé le terrain 223.000 euros. Elle estime que l expert a, ce faisant, déterminé la moins-value de manière totalement abstraite et arbitraire, alors que celle-ci doit être déterminée sur une base objective. Or, elle constate que l expert refuse de prendre en considération le montant des travaux effectués par elle pour la dépollution d une partie du site, et insiste, à titre comparatif, sur les montants retenus par la Spaque et la SBS Environnement pour évaluer les coûts de la dépollution. L arrêt attaqué ne répond à aucune des critiques qui étaient articulées par la demanderesse à l encontre du rapport d expertise. Il se contente de décider que tant les parties que le juge qui l a désigné sont liés par l arbitrage de l expert estimateur et qu il revient à ce dernier seul «d arbitrer définitivement par un arbitrage [ ] la partie du prix dont le vendeur doit restitution à l acquéreur du bien entaché d un vice». Ce faisant, l arrêt attaqué attribue illégalement à l expert, nommé sur le fondement des articles 962 et suivants du Code judiciaire, des prérogatives dont il ne dispose pas, telle celle de lier le juge et les parties par ses conclusions. Par voie de conséquence, l arrêt attaqué dénie non seulement aux parties toutes possibilités de discuter le rapport d expertise de l expert mais plus fondamentalement lui délègue sa juridiction. L arrêt attaqué, qui ne constate pas que les parties seraient convenues d être liées par les conclusions de l expert quant à la partie du prix à restituer à la demanderesse, n a en effet pu donner à celles-ci une portée obligatoire sans méconnaître les articles 1134 et 1644 du Code civil, 11, 962 et, pour autant que de besoin, 1676 à 1723 du Code judiciaire. En effet, l article 962, alinéa 3, du Code judiciaire dispose qu à défaut d accord entre les parties, les experts donnent uniquement un avis, que le juge, selon la finale de cet article, «n est pas tenu de suivre l avis des experts si sa conviction s y oppose», disposition insérée par la loi du 15 mai 2007, applicable à l arrêt attaqué, prononcé le 29 juin 2010.

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/8 Par voie de conséquence également, l arrêt attaqué, qui refuse de répondre aux griefs qui étaient formulés à l encontre de l expertise par la demanderesse, aux motifs critiquables qu il est en tout état de cause lié par celle-ci, méconnaît encore l article 149 de la Constitution, de même que le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. III. La décision de la Cour Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d intérêt : Il ne se déduit pas de l arrêt attaqué qu en énonçant que les motifs de l arrêt du 11 décembre 2007, dont il reprend les termes, «[ont] autorité de force jugée entre les parties encore litigantes» et qu il statue «dans les limites de sa saisine restante», il décide que la cour d appel avait déjà épuisé sa saisine sur la force contraignante de l arbitrage de l expert désigné sur la base de l article 1644 du Code civil. La fin de non-recevoir ne peut être accueillie. Sur le fondement du moyen : En vertu de l article 11, alinéa 1 er, du Code judiciaire, les juges ne peuvent déléguer leur juridiction. Suivant l article 962 du même code, le juge peut, en vue de la solution d un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d ordre technique. II n est point tenu de suivre l avis des experts si sa conviction s y oppose.

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/9 L article 1644 du Code civil dispose que, dans le cas des articles 1641 et 1643, l acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu elle sera arbitrée par experts. Il suit de ces dispositions qu il appartient au juge, saisi d une action estimatoire sur la base des articles 1641, 1643 et 1644 du Code civil, de fixer la partie du prix qui doit être rendue à l acheteur et que le juge peut, à cet effet, charger un expert de la mission de lui donner un avis sur la valeur du bien compte tenu du vice dont celui-ci est affecté. Par l arrêt non attaqué du 11 décembre 2007, la cour d appel a considéré que le terrain vendu par la défenderesse à la demanderesse était affecté d un vice caché au sens de l article 1641 du Code civil et, après avoir déclaré fondée en son principe l action estimatoire de la demanderesse, a désigné un «expert estimateur» aux fins d examiner le terrain et de déterminer son juste prix à la date du 30 mars 2000 ainsi que la différence, s il en est, entre le prix effectivement payé par la demanderesse et ce juste prix. En considérant «qu il appartient au seul expert estimateur désigné sur pied de l article 1644 du Code civil d arbitrer définitivement, par un arbitrage s imposant au juge et aux parties, la partie du prix, dont le vendeur doit restitution à l acquéreur, du bien entaché d un vice réel que l acquéreur ne considère pas comme rédhibitoire», l arrêt viole les dispositions légales précitées. Le moyen est fondé. Par ces motifs, La Cour

20 AVRIL 2012 C.11.0608.F/10 Casse l arrêt attaqué ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l arrêt cassé ; fond ; Réserve les dépens pour qu il soit statué sur ceux-ci par le juge du Renvoie la cause devant la cour d appel de Mons. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Sylviane Velu, Alain Simon et Michel Lemal, et prononcé en audience publique du vingt avril deux mille douze par le président Christian Storck, en présence de l avocat général Thierry Werquin, avec l assistance du greffier Patricia De Wadripont. P. De Wadripont M. Lemal A. Simon S. Velu D. Batselé Chr. Storck