Rencontre avec Pierre Roche «L implication des jeunes dans le trafic : Quelle prévention?»



Documents pareils
Guide d intervention sur. l intimidation. destiné aux intervenants - 1 -

QU EST-CE QUI VOUS MÈNE: LA TÊTE OU LE COEUR?

Chaque Jour, les enfants sont victimes d intimidation.

Une école adaptée à tous ses élèves

Se libérer de la drogue

TABAC : PREMIER BILAN SUR L APPLICATION DE LA LOI EVIN EN MILIEU SCOLAIRE. Dossier de Presse

C est quoi l intimidation?

(septembre 2009) 30 %

Les aspects psychologiques de la paralysie cérébrale : répercussions et enjeux dans le parcours de vie.

SAINT JULIEN EN GENEVOIS

2008 Presses de l Université du Québec. Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 Tél.: (418)

LA JEUNESSE. l es sen LA VILLE QUI NOUS RESSEMBLE, LA VILLE QUI NOUS RASSEMBLE

POUVOIR D ACHAT : la condition de vie des travailleurs

Rapport : Sur mandat de Promotion Santé Suisse Avenue de la Gare 52, 1003 Lausanne

VIVRE OU SURVIVRE, TELLE EST LA QUESTION

AVIS DE LA FÉDÉRATION QUÉBÉCOISE DE L AUTISME DANS LE CADRE DE LA CONSULTATION PUBLIQUE SUR LA LUTTE CONTRE L INTIMIDATION

J ai droit, tu as droit, il/elle a droit

Bilan de mission. Au collège : «Les clés de la culture»

Il y a trois types principaux d analyse des résultats : l analyse descriptive, l analyse explicative et l analyse compréhensive.

Les approches de réduction des méfaits trouvent un certain appui dans la population québécoise*

L utilisation de l approche systémique dans la prévention et le traitement du jeu compulsif

«La prison est la seule solution pour préserver la société.»

Fiche métier : Le Community Manager

QUELQUES CONSEILS AU PROFESSEUR STAGIAIRE POUR ASSEOIR SON AUTORITE

Service de presse novembre 2014

Les stratégies de prévention du tabagisme développées par les structures qui encadrent les jeunes

Formation à la systémique pour consultants et personnels RH

«Evaluation de l activité physique chez les enfants et adolescents à l aide d une méthode objective» SOPHYA

POLITIQUE FAMILIALE DU CANTON DE WESTBURY

Formation Repreneurs MODULE COMMERCIAL

Le monitoring cannabis et les recommandations pour la prévention

La relation client constitue un axe progrès stratégique pour toutes les entreprises.

Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être

INTERROGATION ÉCRITE N 6

PROGRAMME VI-SA-VI VIvre SAns VIolence. Justice alternative Lac-Saint-Jean

L ENTREPRISE FACE A SA RESPONSABILITE FORMATIVE APRES LA REFORME DE LA FORMATION :

POSTURE PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE EN QUESTION?

PROVOQUEZ DES ÉTINCELLES AIDEZ LES FILLES À ÊTRE AUDACIEUSES, FORTES, BRILLANTES ET LIBRES.

5 postures pour mobiliser le don

Que chaque instant de cette journée contribue à faire régner la joie dans ton coeur

La Justice et vous. Les acteurs de la Justice. Les institutions. S informer. Justice pratique. Le juge de paix : le juge le plus proche du citoyen

en parle débats en magasin bien vieillir chez soi : cela se prépare! PARIS-BEAUBOURG 07 septembre 2006

Ne vas pas en enfer!

LE HARCELEMENT A L ECOLE

La Participation, un cadre de référence(s) Support de formation Pays et Quartiers d Aquitaine Mars 2011

FAISABILITÉ D UN ORGANISME EUROPÉEN Supporters Direct RÉSUMÉ LONDRES, AOÛT 2008 RÉSUMÉ

C R É D I T A G R I C O L E A S S U R A N C E S. Des attitudes des Européens face aux risques

Les bonnes pratiques pour les travaux scolaires à la maison

Un autre regard sur. Michel R. WALTHER. Directeur général de la Clinique de La Source 52 INSIDE

1. Décret exécutif n du 20 Janvier 2009, modifié et complété, fixant la réglementation relative à l'exercice de la profession d'agent

LES DANGERS QUE L ON PEUT

TÉMOIGNAGES de participantes et de participants dans des groupes d alphabétisation populaire

Résultats des 3 focus groups réalisés en 2007 avec 38 personnes âgées de 65 ans et + vivant à domicile dans la région de Charleroi Educa - Santé

Préparer la formation

Le Pavé Mosaïque. Temple?» C est la question que je me posais la première fois que je vis le Pavé Mosaïque à

INFORMATIONS UTILES À DESTINATION DES ÉTUDIANTS VENANT À MALTE ET GOZO POUR APPRENDRE L ANGLAIS

Intervention de M. de Lamotte, président de la section sur l école et son interdépendance avec le marché

Conseils sur la conduite à tenir en cas de suicide d un salarié sur le lieu de travail

COUPLE ET PROBLÈMES SEXUELS

Dossier pratique n 6

DIVORCE l intérêt du consentement amiable

Comment les pauvres gèrent-ils le risque?

Attirez-vous les Manipulateurs? 5 Indices

LA RECONNAISSANCE AU TRAVAIL: DES PRATIQUES À VISAGE HUMAIN

Au fait, la drogue, comment ça commence?

Comment remplir une demande d AVS Remplir les dossiers administratifs quand on a un enfant autiste et TED (3) : demander une AVS

A propos de l enseignant Introduction aux réseaux sociaux

HiDA Fiche 1. Je crois que ça va pas être possible ZEBDA. Leçon EC1 - Les valeurs, principes et symboles de la république

Guide pratique. Pour une recherche efficace de sponsors

Guide pratique pour lutter contre le cyber-harcèlement entre élèves

: un risque a chassé l autre

PACTE POUR LA RÉUSSITE ÉDUCATIVE

Orientations. gouvernementales. en matière. d agression. sexuelle. Plan d action

4. L assurance maladie

Bâtissez-vous un avenir certain

Guide à l intention des familles AU COEUR. du trouble de personnalité limite

Travail en groupe Apprendre la coopération

PROTOCOLE POUR L ACCUEIL DES STAGIAIRES D ÉCOLES DE TRAVAIL SOCIAL

RISQUE SPORTIF ET ASSURANCE

Code de conduite sur les paris sportifs pour les athlètes

Comport-action. 4 Court retrait en classe Aucune conséquence

L école maternelle et le socle commun de connaissances et de compétences

Apprenez à votre enfant la Règle «On ne touche pas ici».

PROJET EDUCATIF 1/ INTRODUCTION AU PROJET EDUCATIF : BUT, PUBLIC VISE ET DUREE DU PROJET

En 2014, comment mener à bien une enquête aléatoire en population générale par téléphone?

Assises de l Enseignement Catholique Intervention de Paul MALARTRE Paris Cité des Sciences de La Villette 8 juin 2007

OBJETS D ETUDE EN ECONOMIE-DROIT

Mémento. A l usage des parents et de leurs enfants

Tiken Jah Fakoly : Je dis non!

Janvier La notion de blanchiment

Migration: un plus pour la Suisse Relations entre État social et migration: la position de Caritas

SIMPLIFIE ET PACIFIE LA PROCÉDURE. À TOUTES LES ÉTAPES DE LA PROCÉDURE ET SUR TOUTES LES QUESTIONS LIÉES À LA LIQUIDATION DU RÉGIME

La gestion des seniors dans l entreprise : Quels enjeux? Quelles actions?

Prévention des conduites addictives : des sciences sociales aux pratiques locales

"La santé des étudiants en 2013"

Les revenus de l activité professionnelle

Les défauts et «fautes impardonnables» des candidats à l élection présidentielle

DOSSIER de présentation

Ma vie Mon plan. Cette brochure appartient à :

Alcool au volant : tous responsables? La question de la co-responsabilité sera enfin posée au Tribunal de Saint Nazaire

Transcription:

Observatoire des Quartiers Sud de Marseille (OQSM) Collectif d'acteurs associatifs, d'universitaires, de travailleurs sociaux, d'enseignants et d'habitants Association «Loi 1901» Siège social : Centre Socio-culturel des Hauts de Mazargues 28 Avenue de la Martheline 13009 MARSEILLE Courriel : oqs.marseille@gmail.com Site : http://observatoiredesquartierssud.blogspot.com Compte rendu du séminaire du 8 juin 2012. Association La Passerelle, Le Bengale Rencontre avec Pierre Roche «L implication des jeunes dans le trafic : Quelle prévention?» Compte rendu rédigé par Claire Britten et Jean-Jacques Dupin, à partir des notes prises lors de la conférence. Publié après correction et validation par l orateur. Qu il soit ici chaleureusement remercié. Chargé d études au Département Travail Emploi et Professionnalisation (DTEP) du Centre d Études et de Recherche sur les Qualifications (CEREQ), Pierre ROCHE inscrit sa démarche dans le cadre de la sociologie clinique. Ses travaux ont notamment porté ses dernières années sur les questions de la coéducation et de «l économie de la débrouille». Ce séminaire prolonge le débat du 19 avril 2012 avec Laurent MUCCHIELLI. 1. La sociologie clinique Le sociologue clinicien étudie la subjectivité des individus au sein des environnements sociaux. Le but est de comprendre les relations entre le social et le psychisme. Il étudie ainsi des processus socio-psychiques, en particulier à travers des récits de vie singuliers. La sociologie clinique est une pratique. Chercheurs et acteurs co-construisent des savoirs. Les acteurs sont donc considérés comme des sujets sachants, et l objectif est de faire émerger ces savoirs. L outil privilégié est l entretien collectif répété avec retour (ECRR). Il est donc essentiel de créer pour les acteurs les conditions de la prise de parole puis de les aider à transformer cette parole en savoir. Ces entretiens font souvent l objet de rapports coécrits entre les acteurs et l intervenant chercheur. Ce passage au co-écrit est une étape indispensable pour passer du vécu au savoir. Comme sociologue, Pierre Roche a bien sûr une visée, celle de contribuer à la transformation sociale, de combattre le sentiment d impuissance qui peut devenir particulièrement envahissant chez de nombreux acteurs confrontés aux problèmes qu il étudie. 2. L implication des jeunes dans les trafics Pierre Roche a travaillé avec la «mission Sida toxicomanie» de la Ville de Marseille. Il vient aussi de terminer une recherche-intervention avec des équipes sur Paris et sur la Seine-Saint-Denis. C est un travail conduit avec des professionnels qui sont en contact avec des jeunes impliqués dans le trafic de drogues. Pour ces acteurs, les questions du sens de leur travail, de la légitimité de leur intervention sont centrales : comment agir avec ces jeunes sans déni des réalités (rôle de l argent, omerta lié au trafic, prégnance du modèle d identification offert par les dealers), en parvenant à occuper une place qui ne soit, à leurs yeux, ni celle du complice, ni celle de la «balance». Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 1/7

L objectif est ici la construction d une éthique de l accompagnement. 2.1. Pourquoi des jeunes s impliquent-ils dans le trafic? Les jeunes fournissent les bataillons des «petites mains» des trafics de drogues. Les garçons sont les plus nombreux mais aussi les plus visibles car ils sont utilisés pour la vente. Mais des filles sont aussi concernées. Elles interviennent dans la vente de la «marchandise tombée du camion», des appareils électroménagers, des écrans plasmas, etc. Si elles participent au trafic de stupéfiants, c est plus pour le transport (mule) ou pour le stockage et l entrepôt (nourrice). Leur action est donc plus discrète. Les études auprès des jeunes montrent que les causes les amenant au trafic sont multiples, chaque individu pouvant relever d une ou plusieurs de ces raisons, avec des poids variables. 2.1.1. La fonction économique du trafic Elle existe indéniablement comme moyen de résister à la paupérisation individuelle et familiale. Le trafic permet d obtenir un argent immédiatement disponible, en liquidités. Il permet l accès à des biens de consommation inaccessibles ordinairement, ou le remboursement de dettes. Comme toute économie libérale, la concurrence «régule» ce marché. Les produits les plus répandus sont les moins rémunérés (cannabis), les plus rares rapportent bien plus (crack). Les fournisseurs doivent faire montre d une grande réactivité en fonction des demandes des consommateurs, des arrivages de nouveaux produits, des effets de mode, des variations saisonnières. Contrairement à ce qui se dit en général, ce n est pas un «argent facile». D abord, en dépit des idées reçues, pour beaucoup d entre eux, les rémunérations ne sont pas extraordinaires : cinquante euros pour 10 heures de guet ne fait jamais que cinq euros par heure, loin du SMIC! Et surtout, les risques sont gros : interventions de la police, condamnations judiciaires, violences entre bandes concurrentes. La fonction économique ne peut justifier pleinement toute seule l entrée dans le trafic. 2.1.2. Une place sociale valorisée Entrer dans le trafic, c est une forme de reconnaissance par les pairs et les clients. On a désormais un nom auquel est attachée une réputation. Si on était un «petit», on entre dans le club des «grands» et on peut alors exercer son ascendant sur les «plus petits». C est aussi un moyen de développer un mode de socialisation alternatif, avec ses normes, ses valeurs. C est aussi une revanche sociale «contre une société qui n a pas voulu d eux, qui les a rejetés», contre une école où ils n ont connu que l échec, contre une vie morne et sans attrait. C est aussi une façon de combler le vide de l existence, de tromper son ennui, de conquérir une façon d être cool. 2.1.3. Le plaisir qu on y trouve C est une forme de jouissance que d être reconnu par ses pairs, de sortir d un anonymat pesant. On peut aussi aider les parents par l argent dont on dispose : on n est plus une charge familiale mais un soutien. Et puis, on devient un homme, on prend des risques, on n a pas peur La peur cependant reste présente et peut participer au plaisir. Comme dans les activités de fun et de sports extrêmes, la montée d adrénaline est une puissante motivation. 2.2. Pourquoi y restent-ils malgré les difficultés? Les avantages procurés par cette situation ne sont pas suffisants pour y demeurer longtemps. Aussi des modes de défense divers sont construits pour justifier son attachement au trafic. Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 2/7

2.2.1. défenses contre la mauvaise conscience Le risque d amener à la mort un de ses clients doit être banalisé pour être supportable. Plusieurs modes de justification sont à l œuvre. D abord, le déni : le dealer n est qu un commerçant qui vend du plaisir à un acheteur, qui fait sa démarche en toute liberté et responsabilité. Ensuite, un renvoi au consommateur : si ce dernier tombe dans l addiction et le risque vital, c est de sa faute, c est un faible. D ailleurs, le cracker est déjà un mort, alors un peu plus, un peu moins On peut réagir aussi par une suspension de la conscience morale : «peut-être que ce n est pas bien, mais si je ne le fais pas, de toute façon, un autre le fera à ma place» 2.2.2. défenses contre la peur La peur est toujours présente : peur de la police, du concurrent, du plus fort que soi. Pour la réduire, une banalisation de l action est efficace : en trafiquant, on n est pas dans la transgression, mais dans une activité normale et répandue. Puis le sentiment d avoir une dette est souvent plus fort que cette peur. Dettes financières qu il faut bien rembourser ou dettes morales, subjectives à l égard d une personne qui vous a fait du bien, qui vous a aidé dans une mauvaise passe. En plus, la chute des autres ne génère pas que de la peur mais aussi de l autosatisfaction : «s ils tombent, c est qu ils sont nuls! Ce n est pas à moi que cela arrive. Je suis un bon» La chute d un groupe de revendeurs peut dans certaines conditions valoriser ceux qui restent dans le trafic. 3. Aider les jeunes à en sortir : comment adapter les pratiques? Les travailleurs sociaux qui interviennent auprès de ces jeunes sont dans des conditions très difficiles. Arriver à établir le contact, le garder, ne pas le perdre en commettant des erreurs et des impairs, ne pas se laisser submerger par le sentiment d impuissance, tout cela a été évoqué à travers des entretiens et a permis de retenir un certain nombre de points clés dans les pratiques professionnelles des acteurs sociaux qui doivent avoir une connaissance toujours actualisée du trafic pour décoder les évolutions, être plus perceptifs, plus voyants. 3.1. Déconstruire les illusions Il s agit de conduire avec le jeune un travail de déconstruction des illusions propres au trafic. L information sur les risques encourus est nécessaire car ils sont en général sous-estimés, voire méconnus : risque d être arrêté par la police ou de subir la violence du «patron» ou des bandes concurrentes. Le jeu en vaut-il la chandelle, en regard de ce qu il peut en coûter (prison, agression, violence)? Eclairer aussi sur la nature réelle du travail : réalité de sa rétribution, protection sociale inexistante, dans le présent comme dans l avenir du jeune. La question est de savoir trouver le bon moment pour prononcer ce type de discours «raisonnable». 3.2. Arriver à identifier des moments sensibles dans les parcours des jeunes Les interventions citées ci-dessus ont peu de chance d être entendues par le jeune dans l ordinaire de sa vie de tous les jours. Des moments spécifiques peuvent faciliter la prise de contact et l écoute. Il est important d arriver à les repérer. L attention portée aux petits est des plus importantes. Les interventions doivent avoir lieu dès leurs premiers contacts avec le milieu du trafic. Les petits sont souvent approchés par les grands sur le mode du «rends-moi service, fais ça pour moi». Ils peuvent être aussi soumis à des menaces et enrôlés par la peur. Reconnaître ces ruptures permet d intervenir assez tôt pour que ne puissent pas s installer les routines du trafic. Les jeunes en situation de décrochage scolaire sont particulièrement exposés ; il en va de même des Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 3/7

jeunes sans affectation à la rentrée scolaire. La longue inactivité des journées dans la rue les rend repérables et abordables par les trafiquants. C est alors l école de la rue qui l emporte. Cependant le décrochage ne conduit pas inexorablement au trafic. Les 16-18 ans sont particulièrement exposés. Une liaison suivie avec les établissements scolaires est nécessaire pour les repérer. C est aussi le cas des plus de 26 ans qui ne sont plus pris en charge par les services sociaux et se retrouvent donc encore plus démunis. Les sortants de prison seraient au contraire en bonne position pour sortir définitivement du trafic. Mais le retour à la vie «libre» se fait sans que leur situation n ait vraiment changé ; elle peut même avoir empiré. Ils constituent donc des cibles privilégiées. Enfin, il y a tous les moments imprévisibles dans la vie qui peuvent permettre l intervention du travailleur social car le jeune est face à un bouleversement qui le questionne : un amour bien sûr! Mais aussi un deuil En résumé, un travail de guet est indispensable de la part du professionnel. Il nécessite du temps, de la disponibilité et une bonne connaissance des lieux et des personnes. 3.3. L approche groupale Dans la tradition française du travail social, on agit souvent avec et sur un jeune pris isolément. Par exemple, on aide un jeune à dé-fusionner d avec le groupe, à dire non Mais cela est souvent peu efficace. Il reste enserré dans tout le réseau des coutumes, des idées et du travail liés au trafic. L objectif est alors d utiliser le groupe lui-même en tant que levier de prévention. 3.4. L appui aux initiatives prises par les habitants et la coéducation L appel aux ressources des habitants facilite l action sociale. Les habitants supportent de moins en moins les pressions imposées par les trafics sur les lieux de vie. Des formes de résistance se mettent parfois en place. Il est alors important de venir en appui de ces actions permettant de développer des actions conjointes et coordonnées de coéducation avec les familles et de combattre leur propre sentiment d impuissance face à leurs enfants. 3.5. L approche par réduction des risques Cette stratégie d aide s inspire largement de ce qui a été mis au point dans l aide aux toxicomanes. Comme il est vain de penser que l on peut faire sortir du jour au lendemain un jeune du trafic, l idée est ici de procéder par paliers pour, peu à peu, le détacher de ces activités. Même si la sortie du milieu du trafic n est pas envisageable à court terme, on peut aider le jeune à limiter les risques liés à son activité : risques pénaux liés à l illégalité, risques physiques liés à la violence du milieu, risques de santé mentale dans un environnement fortement anxiogène, risque de marginalisation sociale, etc. Même si cela ne se fait par des actions spectaculairement visibles, on peut agir par touches limitées mais efficaces à terme. On peut, par exemple, faire en sorte qu il ne passe plus tout son temps dans le trafic en l amenant sur d autres rencontres, même par le biais du travail au noir si besoin est. On peut aider à repousser le deal hors des murs et des regards, inciter le jeune à vendre des produits moins nocifs ; on peut parfois s interposer pour réduire la violence propre au trafic... on peut enfin anticiper les risques liés à la sortie du trafic (décélération) en proposant des activités, des sorties. 3.6. Le transfert des compétences Comme toute activité sociale, le trafic permet au jeune de développer certaines compétences qui pourraient être réinvesties dans d autres domaines. On peut évoquer à titre d exemple la relation au public et à l acheteur, la gestion des finances et des stocks, la capacité à s organiser. Faire un tel Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 4/7

inventaire personnalisé valorisant l individu peut ouvrir des portes de sortie. Pierre Roche termine sa présentation en précisant que ce très rapide descriptif des résultats obtenus par cette démarche de co-construction avec les professionnels de proximité ne donne qu une faible idée de la richesse de leurs productions et de leurs évolutions. Place au débat Les questions évoquées amènent Pierre Roche à préciser que le propre de cette démarche est de créer les conditions d une parole authentique, de permettre aux acteurs de dire ce qu ils ne peuvent pas dire ailleurs. Cette démarche favorise le point de vue éthique plutôt que le point de vue moral. Pour beaucoup de jeunes, le trafic n est qu une étape de leur vie. Une rencontre ou une passion leur permettent de tourner la page et, parfois, de tirer un enseignement de cette expérience sur le plan professionnel. Une participante évoque la rencontre amoureuse comme porte de sortie réussie. Elle pense que les professionnels peuvent aussi mettre en avant la notion de liberté qui aide au jeune à décider lui-même. La question du travail est aussi évoquée. Le trafic est une forme de travail (pas d emploi) au sein de l économie informelle. Son organisation a des modes de régulation violents, mais aussi des règles de solidarité (quand on aide la famille de la personne emprisonnée). Il est nécessaire d éviter une lecture stigmatisante du décrocheur, en le confondant avec le délinquant, et de le traiter comme tel. La relation établie sur la longue durée permet de construire une forme de présence à l autre qui permet au bon moment de poser des actes qui vont aider le jeune à sortir du trafic. Une participante insiste sur la nécessité d ouvrir d autres champs de possible, de plaisir, de créativité. Les enseignants ne sont pas formés sur ces questions. Ces expériences peuvent-elles être transposées dans le monde de l éducation, dans lequel on n apprend rien sur la toxicologie, ni sur le travail de proximité? Des lieux d échanges entre professionnels sont une piste en la matière. Pierre ROCHE Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 5/7

Bibliographie Quartiers populaires et jeunesse Quartiers populaires BORDET J. ; ROCHE P. 2011. Quartiers populaires. Dynamiques sociopolitiques et interventions, Nouvelle revue de psychosociologie, n 12. ROCHE P. 2011. Entretien avec Laurent MUCCHIELLI. «Quartiers populaires. Les enjeux d une stigmatisation». Quartiers populaires. Dynamiques sociopolitiques et interventions, Nouvelle revue de psychosociologie, n 12. ROCHE, P. Avec la participation d un collectif de délégués du préfet. Décembre 2010. La fonction de délégué du préfet. Co-analyse du travail. Rapport final, pour le compte du SGCIV, Céreq. Education et formation ROCHE P. 2010. Et si on poussait les murs. Une démarche de coéducation dans les quartiers populaires de Marseille. Dijon, Editions Raison et passions. CADET J.P. ; CAUSSE L. ; ROCHE P. 2007. Conseiller principal d éducation. Un métier au cœur des transformations sociales, Bref, CEREQ. Démarche d éducation populaire ROCHE P. 2002. Approche clinique et éducation populaire, in Pratiques de consultations, Histoire, enjeux, perspectives, Collection Changement social, L harmattan. ROCHE P. 1999. «Paroles, savoirs, œuvres et émancipations», Rencontres pour l avenir de l éducation populaire, Ministère de la Jeunesse et des Sport, éditions Ellébore, 1999. Travail et santé ECKERT H. ; ROCHE P. 2009. Des jeunes usés prématurément, Santé et travail, n 67. ROCHE, P. 2005. Santé malmenée, usure prématurée. Des jeunes salariés entre résignation et résistance, Subjectivité et travail, Revue Internationale de psychosociologie, Volume XI n 24, 2005. Trafic et usage de drogues ROCHE, P. 2012. Implication des jeunes dans le trafic : quelle prévention? Avec la participation d un collectif de professionnels de Paris 19. Mission de prévention des toxicomanies de la DASES, Mission de prévention des conduites à risques du CG93, FFSU. Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 6/7

JAMOULLE, P. ; ROCHE, P. 2012. Implication des jeunes dans le trafic : quelle prévention? Avec la participation d un collectif de professionnels de Paris et de la Seine Saint Denis. Mission de prévention des toxicomanies de la DASES, Mission de prévention des conduites à risques du CG93, FFSU. ROCHE P. 2011. «Dans la débrouille, les jeunes ne s économisent pas», Santé et travail, n 73. ROCHE P. 2007. Les défis de la proximité dans le champ professionnel. Nouvelle revue de psychosociologie, n 3, érès. ROCHE P. 2005. «La posture de proximité chez les travailleurs sociaux», Michel JOUBERT (sous la direction), Villes et toxicomanies, de la reconnaissance à la prévention, érès. ROCHE P. 2005. La proximité à l épreuve de l économie de la débrouille, Situation de travail et postures professionnelles des travailleurs sociaux, Association Départementale de développement des Actions de Prévention (addap 13), avec le soutien du service Prévention de la Délinquance et de la Mission Sida toxicomanies et prévention des conduites à risques de la ville de Marseille. CAUSSE L. ; ROCHE, P. Activité professionnelle des intervenants de proximité. Analyse d une pratique de réduction des risques auprès des usagers de drogue, Mission Sida Toxicomanie Marseille. Sociologie clinique GAULEJAC (de) V. ; HANIQUE F. ; ROCHE P. 2007. Sociologie clinique. Enjeux théoriques et méthodologiques, érès. Compte rendu séminaire Pierre Roche 08 06 2012- Page 7/7