«Renoir et Aline, un mariage à conquérir» Les auteurs et destinataires de ces lettres ont été inspirés par les personnages représentés sur le Déjeuner des Canotiers De Renoir à Madame Charigot A Paris, le 28 février 1888 Chère Madame Charigot, Je suis Pierre Auguste Renoir, le compagnon de votre fille. Vous vous demandez sans doute la raison de l'envoi de cette missive. J'aurais une faveur à vous demander. Cela fait maintenant six ans qu'aline et moi nous nous sommes rencontrés. Depuis ce jour nous n'avons jamais cessé de nous aimer. De cet amour est né Pierre, un magnifique petit garçon, votre petit-fils. Ce serait mieux pour lui qu'il grandisse dans le bonheur d'un mariage réussi. Il me semble donc nécessaire d'officialiser maintenant notre amour aux yeux de tous. J'aime vraiment votre fille et je suis prêt à tout pour elle. C'est pourquoi j'en viens à vous demander la main de votre fille. J'ai déjà en tête mon témoin, Gustave Caillebotte, un homme respectable et riche, un ami de longue date. Il a déjà rencontré Aline. Celle-ci l'apprécie tout autant que moi. J'ai l'espoir d'une réponse positive de votre part. Mes salutations les plus chaleureuses. Pierre-Auguste Renoir De Renoir à Monsieur Charigot Paris, le 28 février 1888 Cher Monsieur Charigot, Vous ne me connaissez pas, je ne vous connais pas non plus, mais je vous informe de la
naissance de votre petit fils, Pierre il y a environ trois ans, dont je suis le père. J'ai eu un mal fou à trouver votre adresse étant donné que vous êtes parti en Amérique en laissant derrière vous femme et enfant. Peut-être était-ce un besoin d'aventure, peut-être aussi une envie de nouveauté. Quoi qu'il en soit, vous êtes le père d'aline. Conscient de votre situation familiale, je vous écris tout de même cette lettre, pour vous demander sa main. Je ne vous écris pas par obligation, mais par respect pour vous. Je connais votre fille depuis déjà six ans et elle n'a jamais vraiment fait allusion à vous. Il me semble cependant important que vous soyez informé du bonheur de votre fille. Pierre-Auguste Renoir De Madame Charigot à Renoir A Paris, le 9 mars 1888 Cher Pierre-Auguste Renoir, Je suis toute chamboulée et je ne sais comment exprimer l'émotion qui me submerge. Je me doutais bien que vous alliez me demander cette faveur et je l'attendais, mais hélas je ne puis point accepter cette demande de suite. Comme toutes les mères, je souhaite que ma fille fasse un mariage digne de l'amour que j'éprouve pour elle. Mais la situation financière dans laquelle vous vous trouvez m inquiète. Aujourd'hui je ne peux donc pas accepter. Je serai ravie de changer d'avis, mais seulement si vous accédez à une situation financière plus stable. Au regret de reporter votre projet et votre joie, je reste néanmoins dans l'impatience d'un mariage prochain. Thérèse Emilie Charigot De Renoir à Paul Lhôte Paris, le 28 mars 1888 Cher Paul,
Mon ami, comme tu le sais, je souhaite épouser Aline, mais sa mère, inquiète de son avenir, craint que l'argent nous manque. Je me trouve dans une impasse. C'est pourquoi j'ai besoin de ton aide. Une exposition aura lieu le 15 avril dans la demeure de Raoul Barbier, un ami. Quelques uns de mes tableaux seront présentés, y compris le tableau des Canotiers dans lequel tu as été l'un des modèles. J'aimerais que tu m'aides à me faire connaître. C'est pourquoi je souhaiterais que tu écrives un article sur l'exposition dans ton journal. Je te remercie d'avance pour ton aide. Tu sais, tout comme moi, que je manque d'argent, je te serais donc très reconnaissant si tu m'offrais ce service. Mes sincères salutations, Pierre-Auguste Renoir De Paul Lhôte à Renoir Paris, le 3 avril 1888 Cher Renoir, Je t'envoie l'article que je ferai paraître demain dans ma gazette «La France nouvelle». Connaissez vous le mouvement impressionniste? C'est un nouveau style dans lequel les artistes peignent des scènes de tous les jours, des paysages tout en exprimant leurs sensations et leurs impressions. Ils privilégient les couleurs vives et les jeux de lumières. Si vous en êtes amateur, vous pourrez vous rendre à l'exposition de jeunes peintres talentueux et prometteurs : Claude Monet, Frédéric Bazille, Marie Bracquemond, et surtout Renoir, dont vous connaissez sans doute certains tableaux. Exposition présentée au 25 rue Lourcine, à Paris, du 15 avril jusqu'au 29 avril. J'espère que tu en es satisfait. Amicalement. Paul Lhote De Charles Ephrussi à Renoir A Saint Germain, le 19 avril 1888
Cher Monsieur Renoir, Je suis très honoré que vous m'ayez convié à votre exposition. Savez-vous que je suis un grand amateur du mouvement impressionniste? J'ai été émerveillé par vos œuvres, toutes plus belles les unes que les autres telles que : Les parapluies, Les deux sœurs et le Bal du Moulin de la Galette. J'aime beaucoup l'ambiance festive, chaleureuse que vous exprimez dans vos tableaux, le rapport avec la nature! D'ailleurs l'un d'eux m'a particulièrement touché, il s'agit du Déjeuner des Canotiers. Cette peinture m'a rappelé de bons souvenirs d'après-midi passés au bord de l'eau avec mes amis. J'aimerais vous l'acheter. Et je pourrais ainsi me remémorer ces précieux instants. J'espère de tout cœur que vous accepterez mon offre et je suis prêt à y mettre le prix qu'il faut. Charles Ephrussi De Madame Charigot à Renoir A Paris, le 26 avril 1888 Cher Renoir, Je vous remercie infiniment pour votre invitation à l'exposition. Cela m'a permis de me rendre compte de votre talent pour la peinture. J'y ai également remarqué une personne, vêtue de riches habits, s'intéresser de près au tableau des Canotiers que vous avez peint. Je ne serais d'ailleurs point surprise si celui-ci se révélait être un banquier. Il m'a semblé étonné de ne pas voir de prix. Il m'a d'ailleurs demandé des renseignements que je n'ai pas su lui donner. Si jamais mes intuitions se révélaient exactes, vous pourriez éventuellement lui demander de devenir votre mécène. De plus, comme vous le savez, j'y ai rencontré votre témoin éventuel, monsieur Gustave Caillebotte. Je l'ai trouvé aimable et courtois et j'ai appris qu'il était mécène. Je me suis donc interrogée sur la possibilité qu'il devienne aussi le vôtre. Il est riche, il est votre ami, et je trouverais donc normal qu'il vous aide financièrement. Deux précautions valent mieux qu'une... Dans ce cas-là, j'accepterais volontiers votre demande. Je serai ainsi soulagée de savoir ma fille bien nourrie, bien habillée et bien logée. Thérèse Emilie Charigot
De Gustave Caillebotte à Renoir A Paris, le 26 avril 1888 Cher Renoir Au vu de ta situation financière et amoureuse, je serais ravi de t'aider. J'ai d'ailleurs une idée qui pourrait fortement t'avantager et te satisfaire. Tu m'as récemment mis au courant de ta volonté d'épouser Aline, ainsi que celle de me choisir comme témoin. Cependant, tu m'as également fait part d'un problème financier évoqué par Madame Charigot. Comme tu le sais, je suis déjà le mécène de plusieurs peintres. Sachant que tu as été remarqué lors de l'exposition, et que j'aime voir ma demeure ornée de tableaux de toutes sortes, je te propose de devenir également ton mécène. Cette proposition pourrait autant t'avantager que moi. De plus, ce sera une raison supplémentaire pour devenir ton témoin. Ainsi, je serais aux premières loges pour le dîner du soir. Gustave Caillebotte De Renoir à Charles Ephrussi A Paris, le 3 mai 1888 Cher Monsieur Ephrussi, Je vous remercie de votre proposition et cela me touche que vous appréciiez mes peintures. Mais hélas j'ai le regret de vous annoncer que je ne peux accepter votre offre concernant le Déjeuner des Canotiers et j'en suis désolé. Sachez que ce tableau a une grande valeur sentimentale à mes yeux. Il représente des personnes à qui je tiens énormément et j'en suis particulièrement fier. Néanmoins, au vu du plaisir que vous avez eu en contemplant mes tableaux, et en sachant que vous appréciez l'impressionnisme, j'ai un marché qui pourrait nous arranger vous et moi. Souhaiteriez-vous recevoir régulièrement des tableaux de ma composition en échange d'une rémunération mensuelle? Vous pourriez également passer commande quand vous le souhaiteriez. J'ai l'espoir que cette proposition vous agrée, elle nous arrangerait tous deux. Pierre-Auguste Renoir
De Renoir à Paul Lhôte A Paris, le 4 mai 1888 Cher Paul, Je te remercie d'avoir écrit cet article qui a donné du succès à l'exposition. Il y avait beaucoup plus de visiteurs que je ne l'imaginais! J'ai reçu une lettre de Charles Ephrussi, le célèbre banquier, me demandant d'acheter Le Déjeuner des Canotiers. J'ai refusé son offre car ce tableau a une importance trop sentimentale à mes yeux. Je lui ai alors proposé de lui faire régulièrement des peintures pour un prix raisonnable. J attends toujours sa réponse. T'ai-je annoncé que Caillebotte est devenu mon mécène? Grâce à tout cet argent je pourrai enfin épouser Aline que tu as dû rencontrer déjà plusieurs fois. Ton ami qui t'est très reconnaissant, Renoir De Madame Charigot à Renoir A Paris, le 4 juin 1888 Cher Pierre-Auguste, Je suis ravi de ce que vous m'annoncez : que M. Caillebotte soit votre mécène et que M. Ephrussi vous achète des tableaux régulièrement. Grâce à cela, ma fille pourra être heureuse avec vous, elle sera bien nourrie et bien habillée et de-même pour mon petit fils. J accepte alors avec joie que vous l'épousiez! Pour m excuser de mes réticences et des contraintes que je vous ai imposées, je serai très heureuse de vous aider à organiser tout cela. Pour l'occasion, je vais confectionner la robe de votre future femme et, si vous le voulez bien, tailler aussi votre costume. J espère que ce sera à la hauteur de ce que vous espérez. Je serai émue de vous voir avec mes créations ce jour là. Il faudrait d'ailleurs que vous m'en donniez la date. J'aurais une dernière demande à vous faire : je souhaiterais annoncer moi-même à ma fille l heureuse nouvelle. Après cela, promis, je vous laisse tranquille! Je vous remercie chaleureusement de toutes les démarches que vous avez faites pour ma fille.
Thérese Emilie Charigot De Madame Charigot à sa fille A Paris, le 17 juin 1888 Ma chère fille, mon bonheur, Je souhaiterais t'informer d'une magnifique nouvelle. Tu risques d'être émue aux larmes. En accord avec ton futur époux, qui depuis plusieurs mois me harcèle de lettres et a fait doubler mon taux de timbres, nous te fixons un rendez-vous très spécial le 5 septembre prochain dans la mairie de la ville. Tu t'y rendras, habillée d'une création confectionnée avec tout l'amour d'une mère. J'espère que tu la trouveras à la hauteur de tes espérances pour ce jour si particulier. Tu iras là-bas pleine de joie, tu iras là-bas avec tous tes proches, tu iras à ton mariage! Ta mère De Renoir à Aline A Paris, le 5 septembre 1888 Ma chère et bien aimée Aline, Si tu savais les démarches rocambolesques que ta mère m'a fait subir pour notre mariage!tu sais à quel point mon amour pour toi n'a pas d'égal, et quand j'ai demandé ta main à ma future belle mère, elle m'a répondu, avec toute sa grâce et sa délicatesse, «non». Elle pensait à ton avenir et craignait que ma fortune soit insuffisante pour notre ménage. C'est pourquoi elle m'offrait ta main à une condition : assurer mes revenus et votre futur cadre de vie, à toi et à notre fils. Après de nombreuses péripéties, je l'ai fait changer d'avis. Te souviens-tu de ce jour pluvieux où je suis entré dans la boutique malgré la présence de ta mère? Je n'oublierai jamais la joie qui s'est peinte sur ton visage et j'espère la revoir aujourd'hui et qu'elle durera longtemps. Ton Pierre-Auguste
De Monsieur Charigot à Renoir A Saint-Jacques de l Achigan, Québec, le 28 février 1889 Cher Monsieur Je suis touché par l'effort que vous avez fourni pour me contacter. Seulement, ici, j'ai refait ma vie. J'ai une femme, des enfants, un travail, je suis heureux. Je ne puis donc point donner mon avis sur votre mariage avec ma fille, mais sachez que je suis de tout cœur avec vous. Claude Charigot