Carnassiers Rencontre avec un «carnassio-dépendant» : B. Chermanne Jean-Marc Brison Des pêcheurs, j en ai vus un paquet, vous vous en doutez. Parmi eux, j ai rencontré de nombreux acharnés qui vivent la pêche jusqu au plus profond de leurs tripes. Je pensais avoir tout vu en la matière. Et bien j avais tort! Par l intermédiaire de Serge Soupart, j ai fais la connaissance, voici peu, avec un véritable «halieutico-dépendant» et, plus précisément, un «carnassio-dépendant». Jean-Marc Brison, puisque c est de lui dont il s agit, outre sa profession et sa compagne, vit entièrement pour la pêche des carnassiers. Il est incollable et intarissable en la matière. Et puis, le moins que l on puisse dire est qu il sait y faire. J ai eu la chance de passer une journée en sa compagnie aux Pays-Bas, sur le Hollands Diep. L objectif du jour : la traque du sandre à la verticale, une technique dans laquelle Jean-Marc excelle. Qu allait donc nous réserver les sandres de ce plan d eau aux allures de bras de mer? Réponse ci-après 52
tement parfois inattendu de ce fabuleux percidé qu est le sandre. Et lorsque Jean-Marc est chez lui, il se consacre en grande partie au site Internet du club dont il est l un des membres fondateur et au forum dont il est le créateur. Aujourd hui, le site du Zander Fishing Team (www.zanderfishingteam.be) est sans aucun doute l un des plus visités du genre sur la toile. Vous vous en doutez, cela représente un fameux du boulot. Mais la passion n a pas de limite. Depuis quelques années, Jean-Marc a élargi ses horizons et traque en outre le brochet et le black-bass. Mise à l eau à Willemstad. En route pour le premier poste! L homme A seulement 42 ans, Jean-Marc Brison, membre de la Police Judiciaire de Charleroi, a des milliers de sandres à son actif. Oui, vous avez bien lu : des milliers! Vous vous en doutez, ce n est pas en Belgique et, encore moins, en Wallonie, que Jean-Marc a pu atteindre un tel score. Son terrain de jeu, ce sont les Pays-Bas et leur fabuleux potentiel en la matière. Mais cela ne suffit pas pour expliquer un tel succès. Il y a aussi la manière. En se consacrant presqu exclusivement au sandre durant des années, Jean- Marc est devenu un expert dans la manière de traquer cette espèce. Entre lui et ce poisson, c est presque une histoire d amour Jean-Marc se rend quasiment chaque semaine sur les eaux hollandaises. Il y a connu toutes les conditions de pêche, toutes les situations, tous les cas de figure : les journées «sans», les journées où les sandres sautent sur tout ce qui bouge et les journées «moyennes», sans surprise les plus nombreuses. Mais attention, tout est relatif : il s agit des Pays-Bas. Chez nous, une journée «sans» porte bien son nom : c est une journée sans capture. Impossible chez nos voisins hollandais! Et si je vous dis qu une journée moyenne se solde par une vingtaine de poissons, je vous laisse imaginer ce que donne les épisodes de frénésie du sandre aux Pays-Bas Mais, quel que soit le résultat de la journée, Jean-Marc tire un enseignement de chacune de ses sorties. La pêche est pour lui une recherche perpétuelle, un effort permanent pour mieux comprendre le compor- Un GPS et une carte des lieux : parfois bien utile, notamment lorsqu une purée de pois s abat sur le plan d eau. N est-ce-pas Jean-Marc? Aujourd hui, il vise la perche. Entendonsnous bien : ce poissons ne lui est pas étranger, loin de là Voici peu, Jean-Marc a intégré le pro-team de Fox Rage, la marque «carnassiers» de Fox dirigée par Dietmar Isaiasch, référence de la pêche ces carnassiers en Europe s il en est. Est-il plus beau gage de reconnaissance au sein du monde de la pêche des carnassiers? Embouchure du Dordtsche Kil. 53
Le Hollands Diep Chaque fois que je me rends aux Pays- Bas, je me dis que les richesses sont décidément bien inégalement distribuées! Que d eau et quel potentiel halieutique chez nos voisins du nord! Pour s en rendre compte, il suffit de jeter un coup d œil sur une carte de ce pays, via Google Earth par exemple. Le bleu y est omniprésent, particulièrement dans la zone située entre Anvers et Rotterdam, soit l extrême sud-ouest du pays. Et ce n est guère étonnant puisque cette partie du territoire hollandais correspond à l estuaire commun du Rhin et de la Meuse, l Escaut complétant le tableau un peu plus au sud. Cet estuaire commun est constitué d un ensemble de plans d eau dont les dimensions ont de quoi donner le tournis le Volkerak, le Hollands Diep, le Haringvliet, le Krammer ainsi que de cours d eau et leurs multiples bras l Oude Maas (Vieille Meuse), l Oude Rijn (Vieux Rhin), le Lek, le Noord, le Waal, la Spui, le Dordtsche Kill, le Nieuwe Merwede, le Bergse Maas sans compter de nombreux canaux (canal Escaut-Rhin ). Le Hollands Diep (voir carte) est un plan d eau de 19 km de long, alimenté principalement par le Nieuwe Merwede réunion du Waal, bras méridional du Rhin et de la Meuse ainsi que par la Bergse Maas. Il reçoit également les eaux du Dordtsche Kill au niveau de sa rive nord, à hauteur du village de Bruggehof. A l ouest, il est en connexion directe Un premier poisson, capturé dans la brume. Mer du nord Grevelingen Oosterschelde Haringvliet Krammer avec le Haringvliet. A son extrémité sudouest, il communique avec le Volkerak par un ensemble d écluses. Suite aux travaux titanesques menés dans le cadre du plan Delta, l entrée d eau de mer dans le Hollands Diep ainsi que dans les autres plans d eau a été limitée, si bien que sa salinité a progressivement diminué pour aboutir aujourd hui à de l eau saumâtre, permettant ainsi le développement des espèces de poissons d eau douce. Ces espèces ont r e n - Spui Volke rak A29 Roosendaal Bergen op Zoom Oude Maas Rotterdam Dordtsche Kil Hollands Diep Willemstad Noord A16 (E19) Lek Dordrecht Nieuwe Beneden Merwede Merwede Biesbos Bergse Maas Breda BELGIQUE contré dans ces eaux saumâtres des conditions idéales de croissance grâce, notamment, à une abondante nourriture (crustacés marins entre autres.). La sandre s y est confortablement installé avec, comme dans les plans d eau voisins, des densités parmi les plus élevées d Europe occidentale. La profondeur maximale du Hollands Diep avoisine 15 à 16 m, voir 17 m par endroits. Il est traversé de part en part par un chenal de navigation qui relie le complexe fluvial Rhin-Meuse dont le port de Rotterdam au port d Anvers, via le Volkerak et le canal Escaut-Rhin. Le pont de la E19 : quel tablier! 54
C est un plus beau poisson cette fois! La pêche Pour un Wallon, une journée de pêche aux Pays-Bas relève de l expédition. En ce qui me concerne, lever à 3 h 30 pour être chez Jean-Marc à 4 h 45 Glup! Dès l arrivée d un deuxième comparse du Zander Fishing Team (ZFT), nous mettons le cap sur le Hollands Diep après un détour par le garage où Jean-Marc entrepose son bateau et sa remorque. En route, nous rejoignons un troisième membre du ZFT et son bateau. Lors du trajet, Jean-Marc me met au parfum : ce n est pas la gloire pour le moment au niveau de l activité des poissons et ce quels que soient les plans d eau Tant pis : on fera avec! Après 2 h 30 d une route sans encombre que Jean-Marc emprunte quasi les yeux fermés vu l habitude, nous arrivons à la mise à l eau (gratuite) de Willemstad, sur la rive sud du Hollands Diep. Face à nous, de l autre côté du plan d eau, c est le village de Numansdorp. A gauche, j aperçois le pont autoroutier de la A29 qui marque la ligne de séparation avec le Haringvliet. A droite s étend l immensité du Hollands Diep où naviguent de nombreux bateaux en transit. Le temps est calme et, en l absence de vent, une légère brume s est formée au-dessus du plan d eau. Après les opérations de préparation du bateau et du matériel, c est la mise à l eau, vers 9 h 00. Le deuxième poisson du jour, capturé à l embouchure du Dordtsche Kil. La cible du jour : le sandre, bien entendu. La tactique : se déplacer de poste en poste à la recherche de poissons actifs qui seront tentés à la verticale, au leurre. Plusieurs dérives successives seront effectuées à l aplomb de chaque poste. Ces dérives seront réalisées en s appuyant sur le courant et/ou le vent et en s aidant du moteur électrique pour éventuellement compenser une vitesse trop élevée. Jean-Marc connaît le plan d eau sur le bout des doigts. Je me suis même demandé à plusieurs reprises si son échosondeur lui était d une réelle utilité tant il est capable de donner la profondeur de l endroit pêché et ses variations sans même y jeter un œil La profondeur de pêche et ses variations : voilà bien un élément déterminant pour rechercher les poissons dans ce genre d immensité liquide. En effet, les poissons ont tendance à se positionner à la profondeur à laquelle la température de l eau est la plus proche de leur optimum thermique. Parvenir à dénicher cette profondeur du moment est le but premier des incessants déplacements de poste en poste des pêcheurs de carnassiers éclairés. Et puis, il y a les variations de profondeur, c est-à-dire le relief du fond. Tout élément qui brise la monotonie du fond est le bienvenu pour permettre au fretin de se protéger du courant. Les prédateurs choisissent ces endroits pour la même raison mais aussi pour trouver leur pitance. Jean-Marc sait que les touches ne se font pas attendre sur un poste lorsque les poissons sont actifs. Après trois ou quatre dérives sans touche, le verdict est sans appel : soit il n y a pas de poissons, soit ces derniers sont totalement inactifs. Dans un cas comme dans l autre, il faut bouger, sous peine de perdre un temps précieux. Le premier d une belle série entre le pont de la E19 et l embouchure du Dordtsche Kil. Ça y est presque Le premier poste visité est situé non loin de l une des pointes des chenaux qui mènent aux écluses du Volkerak. La profondeur dépasse les 10 m. Le courant n est pas trop puissant et nous permet de pêcher valablement avec des plombs sabots de 14 g. Par «valablement» il faut comprendre que nous pouvons sans peine maintenir notre leurre en contact avec le fond le long des dérives, condition indispensable pour une prospection correcte du sandre à la verticale. Plusieurs dérives infructueuses confirment les craintes de Jean-Marc : «Nous prendrons des poissons, c est sûr, car nous sommes aux Pays-Bas. Mais ce sera dur!» me dit-il. Cap est mis sur un second poste situé au-delà du chenal de navigation, soit en direction de la rive nord. La traversée de ce chenal très fréquenté ne s improvise pas : il faut y regarder à deux fois avant de s y engager. La chose faite, Jean-Marc se rend compte que la voie est libre. Il met alors les gaz et son Evinrude «E-Tec» de 90 CV nous propulse vers le poste convoité. 55
Entre Jean-Marc Brison et le sandre, c est presqu une histoire d amour y est avide de leurres! Et de fait : après quelques dérives sans touche et de nombreux accrochages, nous décidons de quitter les lieux. Mais nous n irons pas très loin. Nous dépassons l embouchure et remontons le Hollands Diep en direction du pont de la A16 (E19) qui franchit le plan d eau. Au-delà, un second pont routier et un pont ferroviaire font de même. Quel trafic! Un peu plus loin, c est l embouchure de la Bergse Maas et du Nieuwe Merwede. A l entrée du Hollands Diep, ces deux cours d eau enserrent le Biesbos, l un des plus grands parcs nationaux hollandais et qui s étend sur près de 40.000 ha dont 7.100 immergés Après quelques minutes de navigation, nous sommes à l œuvre à proximité d une espèce d énorme bite d amarrage située en pleine eau. Le poste est intéressant en raison d une cassure. L on passe progressivement de 3 m de fond au pied de l ouvrage à près de 15 m. Ce poste sera le théâtre d une première capture ouf! Le sandre n est pas bien gros mais il est le bienvenu. Bravo Jean-Marc! Il sera malheureusement le seul. Après 30 minutes de prospection méticuleuse et une courte discussion avec l équipage du ZFT qui nous accompagne sur un autre bateau, nous décidons de mettre la cap sur l embouchure du Dordtsche Kil, à plusieurs kilomètres de notre position, plein est. Souvenez-vous : dans notre numéro de juillet/août, je vous emmenais au bord de cette rivière pour une séance de pêche du bord en compagnie de Peter De Kock. Cette zone a rarement déçu Jean-Marc et ses équipiers du ZFT. Mais Jean-Marc me prévient : là-bas, il y a beaucoup de courant, ce ne sera pas évident! C est parti pour plusieurs minutes de navigation, pied au plancher. C est dans ces moments-là que l on apprécie la stabilité et le confort d un bateau tel que celui de Jean- Marc En chemin, nous nous arrêtons au large du village de Strijensas pour effectuer quelques dérives sur un poste connu de mon «guide» du jour. L embouchure du Dordtsche Kil est visible, droit devant. Mais encore une fois, c est le calme plat. Après cette courte halte, nous poursuivons notre route vers notre objectif. Sur place, je suis impressionné par le nombre de bateaux qui sortent de cette rivière pour emprunter le Hollands Diep en direction du Volkerak. Notre embarcation fait figure de nain à côté de ces monstres d acier. Et puis, quel courant! Jean-Marc n avait pas menti : chaque fois qu il coupe le moteur, nous dérivons à la vitesse d un pas de course soutenu. Notre plombée de 14 g est insuffisante : il faut passer au 21 g. Et encore, ainsi lestés, nous pratiquerons une pêche en «oblique» plutôt qu une réelle pêche à la verticale : vu la puissance du courant, nous sommes obligés de donner du fil à intervalles réguliers pour demeurer en contact avec le fond. Dans un premier temps, nous prospecterons l amorti situé à la rencontre des courants du Dordtsche Kil et du Hollands Diep. Cette zone est constituée d un ensemble de contrecourants. En principe, c est plutôt favorable à la présence de poissons. Après 15 minutes de prospection, Jean-Marc enregistre une première touche mais, pas de chance, le poisson se décroche. La touche suivante sera la bonne : le second sandre de la journée est mis au sec. Malheureusement, la suite à cet endroit sera sans suite! Jean-Marc décide alors de remonter le cours de la rivière, non sans me mettre en garde : le fond Jean-Marc décide d effectuer une dérive non loin de la rive nord, entre le pont de la A16 et l embouchure du Dordtsche Kil. Au premier passage, c est la touche et un troisième poisson s ajoute à notre maigre tableau. Il n en fallait pas plus pour remettre le couvert : nous repartons vers l amont à toute allure au moteur thermique pour effectuer une second dérive. Nous redoublons de concentration alors que nous arrivons à hauteur de l endroit précis de la capture précédente et touche! D un geste ample, Jean-Marc ferre, la canne plie, le scion ploie à plusieurs reprises sous les coups de tête du poisson qui n a pas l air vilain du tout. La bête monte enfin : c est un beau «70 cm» qui a le leurre bien fiché dans la gueule. Et de 4! Nouvelle dérive, nouvelle touche, nouveau poisson : et de 5! Le compteur montera ainsi jusque 8. Tout s est joué en l espace de quelques minutes. Il n a fallu qu un seul poste pour que notre séance de pêche, de plutôt médiocre qu elle était, passe au stade de sortie honorable au vu de la faible activité des poissons. Ainsi va la pêche! Sur le chemin du retour vers la mise à l eau, nous essaierons à nouveau quelques postes visités plus tôt dans la journée, mais sans succès. Et le vent qui souffle maintenant à près de 4 Beaufort n arrange rien : la plan d eau calme du matin n est plus qu un lointain souvenir. Vite, il faut rentrer, la route vers la Wallonie est longue et la fatigue se fait maintenant bien ressentir Beau poisson en effet! 56