Commande publique. 1. Une question délicate : la détermination du champ d application de l article 2.I. de la loi «MURCEF»



Documents pareils
Société PACIFICA / SociétéNationale des Chemins de fer Français. Conclusions du Commissaire du Gouvernement.

Aff 3958 Mutuelle Eovi Usmar services et soins c/ Centre hospitalier de Roanne (Renvoi du TA de Lyon)

Commentaire. Décision n /178 QPC du 29 septembre 2011 M. Michael C. et autre

Tribunal des Conflits n 3776 Conflit sur renvoi du tribunal administratif de Montpellier

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Siréas asbl Service International de Recherche, d Education et d Action Sociale

CHAMP D APPLICATION DES DISPOSITIONS DU CODE DE LA CONSOMMATION

Commentaire. Décision n QPC du 3 février M. Franck S. (Désignation du représentant syndical au comité d entreprise)

Conclusions de Madame l'avocat général Béatrice De Beaupuis

Décision du Défenseur des droits MDE-MSP

Décrets, arrêtés, circulaires

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

La légalité du mécanisme du «découvert utile» et du «découvert maximum autorisé» dans le cadre des crédits renouvelables

Conclusions de Madame l avocat général Gervaise TAFFALEAU

Guide de la pratique sur les réserves aux traités 2011

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Protocole n 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales (STCE n 213) Rapport explicatif

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

TD 1 Marque vs Nom de Domaine

La participation financière des collectivités territoriales à la protection sociale complémentaire de leurs agents

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

Georgette Josserand, lassée du comportement de son mari, qui refuse désormais de lui adresser la parole, décide de demander le divorce.

Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Odent et Poulet, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

NOTE SUR LES SUBVENTIONS. - Récapitulatif des obligations des associations subventionnées

Position de la CSF sur le projet de loi relatif à la consommation

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l arrêt suivant :

CONDITIONS GÉNÉRALES

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Numéro du rôle : Arrêt n 151/2012 du 13 décembre 2012 A R R E T

ACTUALITÉS ASSURANCES & RISQUES FINANCIERS

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Président : M. Blin, conseiller le plus ancien faisant fonction., président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la sécurité des chemins de fer communautaires modifiée ;

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA CHAMBRE REGIONALE DES COMPTES D AUVERGNE, STATUANT EN SECTION

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

FICHE N 8 - LES ACTIONS EN RECOUVREMENT DES CHARGES DE COPROPRIETE

CONTENTIEUX JUDICIAIRE DU PERMIS DE CONSTRUIRE

QUID DES ACTES CONCLUS PENDANT LA PERIODE DE FORMATION DE LA SOCIETE?

LA RECONNAISSANCE DES PROCÉDURES COLLECTIVES OUVERTES DANS LES ÉTATS MEMBRES DANS LE RÈGLEMENT 1346/2000

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

Etat des lieux de la nullité pour fausse déclaration intentionnelle de risques S. Abravanel-Jolly

Contrat de partenariat et domaine public

Renonciation réciproque à recours au bail et assurances

Les motifs de saisine de la commission de réforme

LA DEONTOLOGIE FRANCAISE DU CONFLIT D INTERET

FOCUS: CONFLITS ENTRE MEDECINS : CONCILIATION OU ARBITRAGE?

La Faculté de Droit Virtuelle est la plate-forme pédagogique de la Faculté de Droit de Lyon

Concours d assurances (RC-TRC)

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

Commentaire. Décision n QPC du 11 avril Confédération générale du travail Force ouvrière et autre. (Portage salarial)

Vers une Cour suprême? Par Hubert Haenel Membre du Conseil constitutionnel. (Université de Nancy 21 octobre 2010)

Délibération n du 27 septembre 2010

La souscription d un contrat d assurance-vie par une personne vulnérable après les lois des 5 mars et 7 décembre 2007

Décision n QPC 6 octobre M. Mathieu P.

ALGERIE Loi de finances complémentaire pour 2009 Mesures fiscales

La prévention des risques hors du cadre professionnel habituel

CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux N RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE SANTÉ A DOMICILE et autre

L'APPLICATION DANS LE TEMPS DES ASSURANCES DE RESPONSABILITE CIVILE

Projet de règlement grand-ducal concernant les contributions aux frais de personnel et de fonctionnement du Commissariat aux Assurances (4357PMR).

Le dispositif de la maladie imputable au service

RAPPORT DE STAGE ET RÉSUMÉ

Quelles sont les conséquences d une mention erronée des délais de recours dans l affichage du permis de construire?

Etat des lieux sur la fausse déclaration des risques en assurances

B.O.I. N 71 DU 6 OCTOBRE 2011 [BOI 7I-1-11]

Le champ d application de l article 1415 du code civil

PARTIE 2. LES SERVICES PUBLICS

Circulaire de la DACG n CRIM 08-01/G1 du 3 janvier 2008 relative au secret de la défense nationale NOR : JUSD C

Premier arrêt de la Cour de Cassation sur la preuve électronique Cour de Cassation, Civ. 2, 4 décembre 2008 (pourvoi n )

CONVENTIONS D HONORAIRES EN MATIERE DE DIVORCE MODÈLES

Cour de cassation de Belgique

MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L EMPLOI ET DE LA SANTÉ MINISTÈRE DES SOLIDARITÉS ET DE LA COHÉSION SOCIALE PROTECTION SOCIALE

Concurrence - Règles communautaires - Entreprise - Notion - Organismes chargés de la gestion du service public de la sécurité sociale - Exclusion

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre) 11 juillet 2006 (*)

LETTRE CIRCULAIRE n

10 conseils sur la gestion et la mutualisation des agents par les groupements intercommunaux

Décision du Défenseur des droits n MLD

Loi modifiant la Loi sur l assurance automobile

Décrets, arrêtés, circulaires

Commentaire. Décision n QPC du 29 janvier Association pour la recherche sur le diabète

ALCOOL AU TRAVAIL. Sources :

Numéro du rôle : Arrêt n 36/2006 du 1er mars 2006 A R R E T

ATELIER DROIT DES CONTRATS, DE LA CONSOMMATION ET DU COMMERCE ELECTRONIQUE

Numéro du rôle : Arrêt n 167/2014 du 13 novembre 2014 A R R E T

N 3038 ASSEMBLÉE NATIONALE PROJET DE LOI

Le stationnement irrégulier de véhicules appartenant à la communauté des gens du voyage.

Avis n sur la méthodologie relative aux comptes combinés METHODOLOGIE RELATIVE AUX COMPTES COMBINES

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

ASSURANCES, RISQUES INDUSTRIELS & TRANSPORTS FRANCE FEVRIER 2014

Commentaire. Décision n QPC du 5 avril Mme Annick D. épouse L.


Règlement relatif aux sanctions et à la procédure de sanction

Décrets, arrêtés, circulaires

Commentaire. Décision n QPC du 20 juin Commune de Salbris

Votre droit au français

LETTRE CIRCULAIRE N

Commentaire. nationales de l ordonnance n du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l expansion des entreprises.

Transcription:

Compétence juridictionnelle à l égard des contrats d assurance souscrits par les personnes publiques : retour vers une interprétation raisonnable de la loi «MURCEF» Par Florence Caille La première chambre civile de la Cour de cassation revient sur la position qu elle avait adoptée dans l arrêt Commune d Argenton sur Creuse du 23 janvier 2007 : un contrat d assurance passé par une personne publique, avant que les contrats d assurance des personnes publiques ne soient soumis au code des marchés publics, n est pas nécessairement un contrat administratif. Civ. 1ère, 23 février 2011, Syndicat intercommunal SITOM Vallées du Mont-Blanc c/ Société AXA France L article 2.1 de la loi «Murcef» a été diversement interprété Adoptées dans un souci de simplification et d unification du régime juridique des marchés publics, les dispositions de l article 2 de la loi n 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (dite loi «MURCEF»), aux termes duquel «les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs», n en ont pas moins été à l origine d importantes difficultés lorsqu il a fallu déterminer leur champ d application. En particulier, les contrats d assurance souscrits par les personnes publiques 1 n ont été soumis au code des marchés publics qu avec l entrée en vigueur du décret n 98-111 du 27 février 1998. Pouvait-on, dès lors, leur appliquer l article 2 de la loi «MURCEF», y compris pour ceux qui, conclus antérieurement à l entrée en vigueur du décret de 1998, n avaient pas été passés en application du code des marchés publics? 1 Plus précisément, seuls les contrats d assurance des personnes publiques relevant du code des marchés publics, c est-à-dire l État et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, qui ont été soumis au code des marchés publics par le décret n 98-111 du 27 février 1998. Toutefois, par commodité de langage, on utilisera ici l expression plus simple de «contrats d assurances des personnes publiques». En l espèce, le syndicat intercommunal SITOM des Vallées du Mont-Blanc (ciaprès, SITOM) avait souscrit, auprès de la société Axa, un contrat d assurance en 1993. Au cours de l année 2000, un sinistre était survenu dans une usine de traitement des déchets, donnant naissance à un litige porté devant les juridictions judiciaires par une assignation délivrée en 2006. La cour d appel de Chambéry, dans un arrêt rendu le 31 mars 2009, s est estimée incompétente pour en connaître, au motif que l action avait été engagée devant les juridictions judiciaires après l entrée en vigueur de la loi «MURCEF». Toutefois, le contrat liant le SITOM et la société Axa, conclu en 1993, était antérieur à la loi «MURCEF». De surcroît, il n avait pas été passé en conformément à l état du droit à cette date. Un pourvoi ayant été formé contre cet arrêt, le Parquet général de la Cour de cassation a interrogé la direction des affaires juridiques du ministère de l économie sur le problème de compétence juridictionnelle. La direction des affaires juridiques a conclu à la compétence du juge judiciaire, au terme d un raisonnement fondé sur les règles régissant les conflits de loi dans le temps. C est une telle solution que vient de consacrer la première chambre civile dans l arrêt commenté. En effet, en tranchant la délicate question d interprétation qui se posait à elle, s agissant de la détermination du champ d application des dispositions de l article 2 de la loi «MURCEF» (1.), la solution de la première chambre civile de la Cour de cassation permet également de préserver une situation juridique définitivement accomplie (2.). 1. Une question délicate : la détermination du champ d application de l article 2.I. de la loi «MURCEF» À cette question, les juridictions ont apporté des réponses divergentes. En effet, l article 2.I. de la loi «MURCEF» dispose en deux alinéas successifs : «Les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs. / Toutefois, le juge judiciaire Le Courrier Juridique des Finances et de l'industrie n 65 - troisième trimestre 2011 39

demeure compétent pour connaître des litiges qui relevaient de sa compétence et qui ont été portés devant lui avant la date d entrée en vigueur de la présente loi». Fallait-il considérer que les deux alinéas formaient un ensemble indivisible ou au contraire qu ils constituaient deux alinéas indépendants? L option en faveur de l une ou l autre de ces interprétations revenait à faire reposer la détermination de l ordre juridictionnel compétent sur la date d introduction du litige ou sur la soumission du contrat au code des marchés publics lors de sa conclusion. 1.1. La détermination de la compétence juridictionnelle par la date d introduction du litige L interprétation «liée» des deux alinéas de l article 2.I. de la loi «MURCEF» considère que les contrats passés en application du code des marchés publics constituent rétroactivement des marchés publics et, par suite, relèvent de la juridiction administrative et que le juge judiciaire n est compétent, que s il a été saisi avant l entrée en vigueur de la loi «MURCEF». Dans cette perspective, seule est déterminante la date d introduction du litige. C est cette interprétation qu avait retenue la Cour de cassation jusqu à l arrêt commenté. En effet, dans un arrêt du 23 janvier 2007, Commune d Argenton-sur-Creuse contre Société Assurances Mutuelles de l Indre (n 04-18630), la Cour de cassation avait conclu, à propos d un contrat d assurance souscrit par une commune en 1988, à la compétence de la juridiction administrative en relevant «que, d une part, le litige qui oppose la commune à la compagnie avait été porté devant le tribunal de grande instance de Châteauroux le 27 novembre 2002, soit postérieurement à l entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 2001 et, d autre part, que les litiges relatifs à l exécution des contrats d assurances relevaient de la compétence de la juridiction administrative». La Cour de cassation déterminait donc clairement le champ d application de la loi «MURCEF» en fonction de la date de saisine du juge. La cour d appel de Chambéry, dans l arrêt commenté, n avait fait qu appliquer la solution dégagée par la Haute juridiction judiciaire, en retenant que «le décret du 27 février 1998 a soumis les contrats d assurance conclus par des personnes publiques au code des marchés publics, sans distinguer selon la date de passation des marchés [ ] les contrats d assurance, conclus par une personne publique, soumis au code des marchés publics, sont donc des marchés publics ayant le caractère de contrats administratifs par détermination de la loi, que l action a été engagée après l entrée en vigueur de la loi susvisée». Ce faisant, la Cour de cassation ne faisait elle-même que se situer dans le droit fil de la jurisprudence du Tribunal des conflits. Dans une décision du 22 mai 2006 (n C-3503), rendue à propos d un litige opposant l office public d HLM de la ville de Montrouge à la société mutuelle d assurance des collectivités locales, le Tribunal des conflits avait, en effet, conclu à la compétence de la juridiction administrative au motif que «le litige [ ] a été porté devant le tribunal de grande instance de Nanterre le 27 février 2004, soit postérieurement à l entrée en vigueur de la loi précitée du 11 décembre 2001», sans s intéresser à la date de conclusion du contrat. Une décision du 17 décembre 2007 du même Tribunal avait toutefois affirmé que l article 2 de la loi «MURCEF» détermine la compétence des juridictions administratives «à compter de la date de son entrée en vigueur, y compris pour les contrats en cours, à l exception de ceux portés devant le juge judiciaire avant cette date» avant de relever qu en l espèce, à la date d entrée en vigueur de la loi «MURCEF», «aucune des parties n avait saisi le juge judiciaire d un litige» relatif à l exécution ou au règlement du contrat litigieux (TC, Lixxbail, n 3651). Mais si cette décision ne semble pas faire de la date d introduction du litige le critère déterminant de la compétence juridictionnelle, il faut noter qu elle avait été rendue à propos d un bail, et non d un contrat d assurance, dont le Tribunal avait pris le soin de relever qu il avait été «passé le 22 novembre 1999, en application du code des marchés publics». La soumission du contrat au code des marchés publics ne posait donc pas de difficulté dans cette affaire. 40 Le Courrier Juridique des Finances et de l'industrie n 65 - troisième trimestre 2011

La compétence juridictionnelle repose soit sur la date d introduction du litige soit sur la soumission du contrat au code des marchés publics lors de sa conclusion Le décret du 27 février 1998 a introduit l assujetissement au code des marchés publics des contrats d assurance passés par les personnes relevant de ce code Simple à mettre en œuvre, le critère de la date d introduction du litige n emporte pas pour autant la conviction. En effet, il conduit à faire abstraction du point de savoir si le contrat a été «passé en application du code des marchés publics», élément pourtant majeur de la détermination de la compétence juridictionnelle d après l article 2.I. de la loi «MURCEF» et à faire entrer dans son champ d application des contrats qui n ont pas été passés en application du code des marchés publics car ils n avaient pas à l être à l époque. C est d ailleurs de manière assez acrobatique que la cour administrative d appel de Bordeaux 2, cour de renvoi dans l affaire Commune d Argenton-sur-Creuse, s était déclarée compétente pour connaître du litige en faisant référence «aux dates auxquelles se sont produits les sinistres» à l origine de l affaire. Ainsi pouvait-il paraître préférable d interpréter séparément les deux alinéas du I de l article 2 de la loi «MURCEF», ce qui conduit à se fonder sur le critère de la soumission du contrat au code des marchés publics lors de sa conclusion. 1.2. La détermination de la compétence juridictionnelle par la soumission du contrat au code des marchés publics lors de sa conclusion L interprétation autonome des deux alinéas du I de l article 2 de la loi «MURCEF» rend sa cohérence au texte. En effet, celui-ci a été adopté pour mettre un terme à l éclatement du contentieux qu avait engendré la jurisprudence Commune de Sauve 3 du Tribunal des conflits qui avait considéré que la soumission de contrats au code des marchés publics «ne saurait leur conférer à elle seule le caractère de contrats administratifs, alors qu ils ne faisaient pas participer la personne privée cocontractante à l exécution du service public et ne comportaient aucune clause exorbitante du droit commun» : c était admettre que puissent exister des marchés publics de droit privé. Le premier alinéa du I de l article 2 de la loi «MURCEF» fixe donc une règle de compétence tandis que le second n est qu une disposition accessoire, qui n a pas d autre 2 CAA Bordeaux, 19 juin 2007, Commune d Argenton sur Creuse, n 05BX02306. 3 TC, 5 juillet 1999, n 03142. vocation que de régler le sort des litiges en stock, litiges pendants devant le juge judiciaire et ressortissant de sa compétence à la date d entrée en vigueur de la loi «MURCEF». L intention du législateur ressort d ailleurs clairement des travaux préparatoires : «afin de faire bénéficier les affaires en instance d une relative sécurité juridique, le présent article prévoit, dans son second alinéa, que les dossiers pendants devant les juridictions judiciaires avant la date d entrée en vigueur de la loi continueront d être traités par elle jusqu à l épuisement des instances» (Assemblée nationale, XI ème législature, rapport n 3028 fait au nom de la commission des finances, de l économie générale et du plan, p. 18). C est donc seulement sur le premier alinéa, qui fixe une règle de compétence, qu il faut prendre appui pour déterminer l ordre juridictionnel compétent pour connaître d un litige. Or celui-ci dispose que «les marchés passés en application du code des marchés publics sont des contrats administratifs», ce qui implique donc qu a contrario, les marchés qui n ont pas été passés en ne sont pas des contrats administratifs. Pour déterminer l ordre juridictionnel compétent à l égard d un marché, il faut donc se demander si le contrat a bien été passé en application du code des marchés publics. C est le raisonnement qu avait tenu la cour administrative d appel de Marseille 4 dès 2007 en jugeant, à propos d un contrat d assurance conclu en 1992 et après avoir rappelé les dispositions de l article 2 de la loi «MURCEF», que «ce contrat qui n a pas été passé en application du code des marchés publics et qui ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun n a pas une nature administrative» et «que les litiges y afférents relèvent donc des juridictions de l ordre judiciaire». Ni cet arrêt, ni celui de la cour administrative d appel de Bordeaux précité n ayant fait l objet d un pourvoi en cassation, le Conseil d État n a jamais eu à se prononcer sur cette question. La Cour de cassation vient, quant à elle, d opérer un revirement de jurisprudence en jugeant «qu en statuant ainsi, alors qu à la date de sa conclusion le contrat n était 4 CAA Marseille, 5 novembre 2007, Département des Bouches du Rhône, n 04MA01320. Le Courrier Juridique des Finances et de l'industrie n 65 - troisième trimestre 2011 41

La directive services de 1993 n imposait que des obligations de publicité et de mise en concurrence pas soumis au code des marchés publics, la cour d appel a violé le texte susvisé [l article 2 de la loi «MURCEF»]». La Cour de cassation fait ainsi prévaloir le critère tiré de la soumission au code des marchés publics au moment de la passation du contrat. Ce raisonnement a le double mérite d être à la fois conforme à la volonté du législateur et de rendre sa cohérence au texte. Mais c est aussi refuser qu une règle nouvelle puisse remettre en cause une situation juridique définitivement constituée. 2. Un champ d application limité par l impossibilité de revenir sur une situation juridique définitivement accomplie Cet arrêt confirme le principe suivant lequel la règle nouvelle ne peut revenir sur les situations juridiques définitivement accomplies. Il fallait donc s interroger sur l état du droit lors de la passation du contrat, en 1993. 2.1. L intangibilité des situations juridiques définitivement accomplies La solution retenue par l arrêt commenté est conforme à la règle selon laquelle les situations juridiques définitivement accomplies échappent au principe de l application immédiate de la règle nouvelle et restent régies par le droit en vigueur au moment où elles se sont constituées 5. En l espèce, on ne voit effectivement pas comment la règle nouvelle (le décret n 98-111 du 27 février 1998) imposant la soumission des contrats d assurance au code des marchés publics aurait pu faire en sorte qu un contrat conclu à une date antérieure ait été passé conformément à ses prescriptions. La solution retenue par l arrêt commenté doit d autant plus être approuvée que l interprétation antérieure de la Cour de cassation aboutissait, en pratique, à conférer une portée rétroactive au décret du 27 février 1998. Or le principe général du droit de non-rétroactivité des actes réglementaires (CE, 25 juin 1948, Société du Journal l Aurore, Rec. p. 289) s opposait 5 Sur cette question, v. les conclusions de M. Bruno Genevois sur l arrêt Revillod et autres (CE Sect., 19 décembre 1980) et celles de M. Francis Lamy sur l arrêt Angéli (CE, Sect., 11 décembre 1998, Angéli, n 170717). à donner une telle portée au décret de 1998. C est pourtant à ce résultat-là que conduisait la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, en attrayant dans le champ d application de l article 2 de la loi «MURCEF» les contrats d assurances conclus avant l entrée en vigueur du décret de 1998, c est-à-dire des contrats qui n étaient pas soumis au code des marchés publics, dans le champ d application de l article 2 de la loi «MURCEF». Cette solution conduisait ainsi, non seulement à attribuer une portée rétroactive à l article 2 de la loi «MURCEF 6», mais également à reconnaître, «par ricochet», une telle portée au décret de 1998. Or, si la loi «MURCEF» a bien vocation à s appliquer immédiatement aux contrats en cours, elle ne saurait pour autant s appliquer à des contrats qui n avaient pas à être passés en conformément à l état du droit au moment de leur passation. 2.2. Conformément au droit en vigueur, le contrat n était pas soumis au code des marchés publics à la date de sa conclusion Il est certain que le contrat à l origine du litige n avait pas été passé en application du code des marchés publics. Mais auraitil dû l être? Il faut, pour répondre à cette question, déterminer quel était l état du droit applicable aux contrats d assurance souscrits par les personnes publiques à l époque de la signature du contrat conclu entre le SITOM et la société Axa, soit au 25 août 1993, afin de déterminer si ce contrat était susceptible, ou non, d entrer dans le champ d application de l article 2 de la loi «MURCEF». Or, à l époque, ni le droit interne, ni le droit communautaire, n imposait de soumettre la passation des contrats d assurances souscrits par les personnes publiques au code des marchés publics. 6 Dans son avis du 29 juillet 2002, Société MAJ Blanchisseries de Pantin, le Conseil d État a précisé qu entraient dans le champ d application de la loi «MURCEF», les contrats conclus en application du code des marchés publics dans sa rédaction issue du décret du 7 mars 2001, mais également ceux conclus en application de ce code dans sa rédaction antérieure. L avis reconnaît donc bien une portée rétroactive à l article 2 de la loi «MURCEF» mais uniquement pour les contrats qui étaient soumis au code des marchés publics au moment de leur conclusion. 42 Le Courrier Juridique des Finances et de l'industrie n 65 - troisième trimestre 2011

Jusqu à l adoption du décret n 98-111 du 27 février 1998 qui a assujetti les contrats d assurance passés par les personnes relevant du code des marchés publics au code des marchés publics 7, la passation des contrats d assurance des personnes publiques ne répondait qu aux dispositions du code des assurances. Ces contrats étaient passés sans mise en concurrence préalable, n étant pas considérés, en droit français, comme des marchés publics. En effet, le Conseil d État jugeait que «le code des assurances soumet les contrats d assurances en raison de leur nature à un régime propre qui a pour effet de les exclure du champ d application du code des marchés publics» (CE, 12 octobre 1984, Chambre syndicale des agents d assurance des Hautes-Pyrénées, n 34671). En l absence de clauses exorbitantes du droit commun ou de participation à l exécution d un service public, ces contrats étaient considérés comme des contrats de droit privé. Cette nature juridique de contrat de droit privé n a pas été remise en cause, avant l entrée en vigueur de la loi «MURCEF», par l adoption du décret du 27 février 1998 qui a soumis les contrats d assurance au code des marchés publics : en l absence de clause exorbitante du droit commun ou de participation à l exécution d un service public, de tels contrats restaient des contrats de droit privé et constituaient des marchés publics de droit privé au sens de la jurisprudence Commune de Sauve. La circulaire du 30 juillet 1999 du ministre de l économie, des finances et de l industrie relative à la passation des marchés publics de services d assurances en avait d ailleurs pris acte en précisant que, «en l état actuel de la jurisprudence, le fait que le contrat soit souscrit selon les procédures de passation des marchés publics n a aucune incidence sur la qualification» (cf. point VII de la circulaire). Par ailleurs, la circonstance, qu à la date de la conclusion du contrat entre le SITOM et la société AXA, la directive 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992, dite «Marchés de services», qui a soumis les services d assurances aux obligations de mise en concurrence et de publicité qu elle prévoyait, aurait dû être transposée en droit français, n a pas non plus eu d incidence sur ce point. Sans doute la directive 92/50/ CEE, qui aurait dû être transposée avant le 1 er juillet 1993, n a été transposée que par la loi n 97-50 du 22 janvier 1997 et trois décrets d application du 27 février 1998, dont le décret n 98-111 susmentionné. Mais la directive n imposait la soumission des marchés de services d assurances qu à des obligations de publicité et de mise en concurrence. Elle n imposait en rien leur soumission au code des marchés publics et il aurait été possible de les soumettre à une règlementation ad hoc, autre que le code des marchés publics. Leur soumission au code des marchés publics constitue le choix de transposition du Gouvernement français. Ainsi, à la date de la conclusion du contrat entre le SITOM et la société Axa, si les marchés de services d assurances étaient bien soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence aux termes de la directive «Marchés de services», la directive n exigeait en aucune manière qu ils soient soumis au code des marchés publics. * * * Alors que ni le droit interne, ni le droit communautaire n imposait que le contrat d assurance conclu en 1993 entre le SITOM et la société Axa soit passé conformément aux règles édictées par le code des marchés publics, l arrêt commenté de la Cour de cassation respecte ainsi l intégrité d une situation juridiquement constituée. En s appuyant sur le critère de la soumission du contrat au code des marchés publics lors de sa passation, il fait prévaloir une solution conforme à la volonté du législateur et revient à une interprétation raisonnable de la loi «MURCEF». Florence Caille (Direction des affaires juridiques) 7 Le décret n 98-111 a soumis les marchés d assurance à la procédure négociée de l article 104.I. du code des marchés publics en ajoutant à cet article un huitième alinéa qui visait explicitement les services d assurances. Le code des marchés publics du 7 mars 2001 a mis fin à la possibilité de recourir systématiquement à la procédure négociée pour les services d assurances en soumettant ces services aux règles de droit commun des marchés de services. Les versions successives du code des marchés publics n ont pas modifié cet état du droit. Depuis 2001, les services d assurances sont ainsi soumis aux procédures de droit commun applicables aux marchés de services. Ils figurent actuellement sur la liste des «services prioritaires» de l article 29 du code des marchés publics. Le Courrier Juridique des Finances et de l'industrie n 65 - troisième trimestre 2011 43