L'ABSENCE D'EXPRESSION VERBALE CHEZ L'ENFANT



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Merci de lire ce merveilleux magazine. Romane M. directrice du magazine.

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L'ABSENCE D'EXPRESSION VERBALE CHEZ L'ENFANT Notes de rééducation Vers une méthode générale par Suzanne Borel-Maisonny AVANT-PROPOS 2 Première partie OBSERVATIONS COMMENTÉES 8 I - Introduction générale 9 Il - Les Dysphasies sévères et leur rééducation 18 III - La rééducation dans les surdités sévères et profondes 56 Deuxième partie APPROCHES MÉTHODOLOGIQUES DE CE TYPE DE RÉÉDUCATION 118 I - Phonétique 119 1- Documents commentés pour l'enseignant 2- Quelques étapes de l'enseignement de la phonétique aux enfants : - les phonèmes - introduction des sons dans la parole Il - Accès aux éléments mélodico-rythmiques de la parole : sons et mouvements 147 III - Le langage oral : les sketches 156 le vocabulaire dans la phrase récit chronologique d'événements vécus l'organisation du temps dans la phrase complexe exemples d'analyse immédiate accès à des textes originaux utilisation de la caricature sketches à portée psychologique CONCLUSION D'ENSEMBLE 212 1

Avant-propos Jacques Roustit Orthophoniste Rédacteur en Chef de Rééducation Orthophonique Courriel : jacques.roustit@wanadoo.fr La publication de ce numéro de Rééducation Orthophonique a la volonté de marquer un de ces instants exceptionnels où l on voudrait figer le temps pendant quelques heures pour rassembler les fruits des semailles passées et pour tracer les sillons de futurs labours prospères. L empreinte du temps Rééducation Orthophonique fête ses 45 ans. Suzanne Borel-Maisonny, sa fondatrice, avait compris très tôt la place et la fonction d une revue scientifique professionnelle ; elle qui, bien avant R.O., avait publié ses articles dans le Bulletin Binet-Simon, au long desquels elle jetait les bases de l orthophonie, de ses tests, de ses méthodes dans tous les types de troubles et de rééducations. Dans l éditorial du N 1 de «Rééducation orthophonique», elle expliquait «le pourquoi?» de cette nouvelle revue. Elle désirait en faire «le point de rencontre des orthophonistes avec tous ceux qui sont appelés à être concernés par la rééducation orthophonique : médecins, psychologues, enseignants, acteurs sociaux ou parents», répondant ainsi à la dimension pluridisciplinaire qui fait la richesse de l orthophonie. En visionnaire, elle assignait à cette première revue orthophonique française, une mission d information pour renforcer la prévention des troubles de la voix, de la parole, du langage oral et écrit. Elle faisait également remarquer le rôle fondamental d un tel média comme vecteur d identification, de référence et donc de développement de cette discipline en devenir, l orthophonie, en train de naître «de l état inorganique dans lequel elle risquait de se perdre», suivant ses propres termes. Elle en a fait le support des échanges interprofessionnels : une conception résolument moderne et d actualité pour toutes nos disciplines de santé. En quelques mots, tout était dit : informer, prévenir, rassembler, promouvoir, former. Aussi est-ce, pour nous, une nouvelle occasion de rendre hommage à une grande dame que beaucoup, aujourd hui sont en train de (re)découvrir. Cette vitalité singulière a soigneusement été nourrie au cours de l histoire par la participation de personnalités prestigieuses comme les Vallancien, Lau- 2 Rééducation Orthophonique - N 232 - décembre 2007

nay, Dugas, Bergé, Inizan, Diatkine, Lafon, Portmann, Brauner, et tous les orthophonistes qui sont venus, en pionniers, apporter leur pierre à l édifice dont les Dinville et Girolami-Boulinier qui nous ont quittés depuis et, aujourd hui, de tous les auteurs talentueux de nos plus jeunes générations. Depuis le 3 décembre 1994, date à laquelle la F.N.O. a pris le relais de l ARPLOEV pour la gestion de la revue, nous avons fidèlement suivi les perspectives fondatrices. La nouvelle formule rédactionnelle de Rééducation Orthophonique a 10 ans. Depuis décembre 1997, en effet, R.O. propose chaque trimestre, sous la direction experte de praticiens dans le domaine, un approfondissement plus exhaustif des connaissances au travers d un concept thématique. Quarante numéros ont ainsi vu le jour. Ils accompagnent les nombreuses formations continues des orthophonistes et font référence dans les travaux et articles de nombreuses autres disciplines. Le passé se conjugue au présent Lorsque nous cherchions le meilleur moyen de marquer la nouvelle étape de cette histoire, une évidence surgit : rééditer un ouvrage singulier que Suzanne Borel avait elle-même publié dans un numéro spécial de la revue, fin 1979, «L absence d expression verbale chez l enfant notes de rééducation vers une méthode générale». Loin d être démodés, ces écrits portent en eux une extrême vigueur et une fraîcheur vivace. Au travers d un trouble spécifique (dysphasie) et d un handicap sensoriel (surdités sévères et profondes), l auteur nous conduit, au travers d un modèle de parcours clinique, d observations commentées et d évaluations cliniques et instrumentales vers des approches méthodologiques alliant inventivité et rigueur. S il fallait énumérer les multiples autres arguments qui ont piloté ce choix éditorial quelque peu audacieux, nous ne citerions que les très nombreuses demandes réitérées au fil des ans, pour tenter d obtenir cette édition épuisée 1. Bien sûr, des raisons plus profondes nous ont guidés. A une époque où l orthophonie prend un essor particulier, il était utile de rappeler que l exemplarité de la démarche pionnière de nos aînés en a été la formidable rampe de lan- 1. Un merci particulier à Lucie Matteodo-Peyracchia qui fut, par sa récente demande, le déclic déterminant en faveur de cette initiative. 3

cement. Le présent numéro témoigne de cette rigueur scientifique particulière dans laquelle la recherche de pointe accompagne en permanence la finesse de l analyse clinique. Dans les écrits qui suivent, par exemple, il n est pas un article, pas un chapitre qui ne confronte les recueils de l observation avec les données et les mesures de la recherche instrumentale. Nous admirons encore les trésors d ingéniosité déployés par Madame Borel pour mettre en œuvre la mesure de ses observations. La mise en corrélation des résultats de ces analyses qualitatives et quantitatives composait déjà de solides diagnostics orthophoniques sur lesquels s appuyaient d éminents chirurgiens, spécialistes divers et chercheurs de sciences connexes. «L absence d expression verbale chez l enfant» est aussi une grande source de réflexions, de discussions et de questionnements auxquels nous avons tous, un jour, été confrontés. Suzanne Borel y apporte sa contribution. Certes, l évolution sociale, la modernité des moyens ont contribué à quelques changements dans les points de vue, mais la pertinence de sa réflexion reste plus que jamais d actualité. Ce questionnement contribue à alimenter les pistes actuelles de tous les travaux portant sur le développement langagier et ses troubles. Sous cet aspect, les deux précédents numéros de la revue, traitant de l évaluation des troubles spécifiques du langage oral, sont dans la lignée des travaux relatés dans le présent ouvrage. A l époque du «zéro papier» et du «tout informatique», nous ne pouvons, par ailleurs, qu être admiratifs devant les talents artistiques de Madame Borel. Ajoutons-y l humour qui ne fut pas sa moindre qualité. Cette fibre créative, imaginative, douée pour les arts graphiques, musicaux et du conte, témoigne des richesses que déploie la communication humaine. Nous y retrouvons, quelquefois sous une autre terminologie, tous les domaines que la littérature moderne paraît avoir découvert ces dernières décennies : de la pragmatique au développement sémiotique le plus évolué. Dans les échanges intergénérationnels, nous entendons souvent parler de la «géniale intuition clinique» de Suzanne Borel-Maisonny. D aucuns teinteraient cette formule d une conception quelque peu péjorative à l instar de certains chercheurs vis-à-vis de leurs partenaires cliniciens. Remarquons cependant que dans cette expression, il y a surtout le qualificatif «géniale»! C est ce que nous en retenons à la lecture des pages qui vont suivre. Nous comprenons rapidement que la praticienne que fut Suzanne Borel, était avant tout une géniale clinicienne-chercheuse d avant-garde. Nous percevons à l évidence que sa démarche originelle et originale n a rien à envier aux pratiques actuelles. 4

Son approche est, d une part, enrichie par la remarquable variété et diversité des troubles et pathologies de toutes origines qu elle prenait en charge. «L absence d expression verbale chez l enfant» en témoigne en partie. Elle se complète, d autre part, par une large ouverture au travers de divers regards explorant concomitamment l ensemble des aspects thérapeutiques, pédagogiques et psychologiques des sujets étudiés. Par ailleurs, le brio avec lequel sont rédigées les études de cas, sous-tend l acuité, la clairvoyance et la perspicacité d une observation qui devient la clé de voûte de l évaluation et du diagnostic. Du simple au complexe, du trouble articulatoire «simple» à la dysphasie réceptive la plus difficile, Suzanne Borel se joue des difficultés pour les transfigurer en évidences. Dans cette voie, il était alors aisé, pour elle, de poursuivre une logique de recherche de méthode. La mise en œuvre rédactionnelle de «L absence d expression verbale chez l enfant» se veut aussi une recherche «vers une méthode générale». Nous ferons remarquer ici que le terme de «méthode», dans son esprit, ne s est jamais superposé à une notion de panacée ou de «recette miracle». La «méthode Borel», c est avant tout un état d esprit, une démarche interrogative permanente. C est une quête de curiosité et d émerveillement concourant à la découverte. C est une garantie de rigueur dans l approche clinique adaptée au cas par cas mais reposant sur des savoirs étayés par les conclusions de sa recherche et par l accréditation des résultats de sa pratique. Comme chaque être porte en lui sa singularité, Suzanne Borel adaptait l essence de sa méthode à cette singularité. Nous devrions, alors, davantage parler «des méthodes de Madame Borel». Les études de cas contenues plus loin éclaireront ce propos. Beaucoup d autres raisons conforteraient notre choix en faveur de la réédition de ce numéro spécial. Nous laissons au lecteur le plaisir de la lecture, de la découverte pour ceux qui connaissent moins bien, de la réflexion sur la portée, l intérêt et l excellence de la pratique de notre discipline. et au futur Les travaux de Suzanne Borel-Maisonny n ont pris, à ce jour, que très peu de rides. Nombreux sont encore de ses chantiers inachevés qui restent à explorer. Au nom des jeunes générations qui ont pris en main une profession déjà bien structurée, nous tenons, pour conclure, à saluer l immense travail visionnaire de nos aînés et à remercier tous les orthophonistes pour ce remarquable et 5

singulier esprit de métier dont ils ont toujours témoigné. Merci aussi à tous ceux qui, venus d horizons divers, ont partagé leurs savoirs pour venir enrichir l orthophonie avec une grande générosité. Nous allons, encore mieux ensemble, continuer sur cette route, belle et passionnante, des sciences du langage et de la communication. Et enfin, nous tenons à dédier ce numéro à Emilia Benhamza, secrétaire de Rééducation Orthophonique pendant ces 23 dernières années. Elle a toujours porté, avec force et fidélité, la discrète, trop obscure mais indispensable responsabilité de la gestion administrative de la revue. Après également deux décennies passées au service de Suzanne Borel-Maisonny, Emilia va prendre, en ce mois de décembre, une retraite bien méritée. Le hasard veut que le premier document dont elle eut la charge auprès de Madame Borel, fut «L absence d expression verbale chez l enfant» C est une belle boucle qui se referme pour marquer l exceptionnelle carrière de notre chère collaboratrice. Au nom des centaines d auteurs, de tous les lecteurs de la revue et de l équipe rédactionnelle, nous tenons à lui adresser nos plus affectueux remerciements et lui témoigner toute notre reconnaissance. Longue vie à l orthophonie! Albi, le 28 novembre 2007. 6

L'absence d'expression verbale chez l'enfant Notes de rééducation Vers une méthode générale par Suzanne Borel-Maisonny Officier de la Légion d'honneur à titre hospitalier Fondateur et Chef du Service d'orthophonie de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul de Paris Prix Montyon pour l'ouvrage sur «La Phonétique des Divisions Palatines» (1931) Décoration du Mérite Social International, première classe, décernée par la Fédération Mondiale des Sourds (Verna, Juin 1979) «La pensée est une fonction ; elle est action. L'intelligence n'intervient dans le déroulement de la pensée que de façon secondaire à travers la qualité de la réalisation». A. Brauner 7

Première partie Observations commentées 8

I INTRODUCTION GÉNÉRALE 9

Introduction, généralités (Délimitation de l'étude) L'apparition et le développement du langage et de son aspect oral, la parole, semblent tellement aller de soi et être sans problèmes que les hésitations, les malversations ou les échecs en ce domaine provoquent l'étonnement et la recherche des causes. «Quand un enfant ne parle pas c'est qu'il est sourd ou qu'il est idiot». Cette affirmation sommaire proférée autrefois, si elle me parut de prime abord improbable et même révoltante n'en demeure pas moins, très grosso modo, chargée d'une incontestable réalité, elle est seulement lacunaire. L'idiot n'arrive pas au langage. Le sourd par lui-même n'y arrive pas davantage. Mais sitôt ces propos entendus l'esprit se hérisse d'objections. Entre le niveau mental le plus bas et le quotient intellectuel des super doués que de niveaux! Entre la cophose et une légère déficience auditive combien de degrés, combien d'aspects de la surdité? Mais surtout des pans entiers de l'édifice psycholinguistique ne sont pas explorés, ni même évoqués. Langage et intelligence Nous sommes obligés de mentionner quelques constatations banales. 1 - Le langage commence par être compris avant d'être parlé. 2 - II est important pour évaluer le niveau atteint de porter la plus grande attention aux faits permettant d'apprécier le mode de compréhension (en situation ou seulement verbal), il y a souvent disparité entre le niveau de compréhension et le niveau d'expression. 3 - Les premiers essais du petit enfant témoignent de ses hésitations, de son inhabileté. 4 - Les réalisations verbales vont du simple au complexe et les stades du développement sont, pour une langue donnée, approximativement les mêmes, en fonction de l'âge. Si bien qu'il est possible de parler de normes. 5 - Ces normes impliquent des zones de développement sans frontières et bien qu'il s'agisse d'acquisitions nouvelles les stades antérieurement atteints tombent en désuétude mais non dans l'oubli et restent toujours à notre disposition. 6 - Le langage se développe en fonction des acquisitions mentales, elles-mêmes résultant de l'ensemble de la croissance psychophysiologique. 7 - Des fluctuations peuvent se constater, il s'agit d'une progression en dents de scie plus que d'un développement linéaire. La rapidité dans les «bonnes périodes» en est impressionnante. 10

8 - Néanmoins il faut considérer que ces acquisitions, pour éblouissantes qu'elles soient, n'en sont pas moins fragiles. La détérioration profonde de la parole et l'effacement progressif du langage dans les cas de surdité acquise de l'enfant en sont une preuve certaine. Quelles sont les conditions sine qua non de la constitution du langage chez l'enfant? Elles peuvent se résumer en ces mots : entendre, comprendre et vouloir dire pour le jeune être humain. Qu'est-ce qu'entendre? C'est d'abord avoir une acuité auditive permettant d'écouter les bruits qui vont constituer son monde sonore. Inutile d'insister sur les différences majeures qui dès ce moment vont peu à peu entrer dans l'édification de son moi. C'est, aussi, retenir ces bruits suffisamment pour les reconnaître, les comparer, les associer, les attendre, les rejeter ou les incorporer dans la mémoire : le petit enfant entend déjà à sa venue au monde. C'est, par conséquent, être susceptible de réactions rapides à des perceptions fines et exactes dont nous verrons plus loin la très grande importance quant à l'édification du langage. Qu'est-ce que comprendre : quoi comprendre, quoi choisir, quoi retenir? Très loin est le temps où l'on n'hésitait pas à définir le nourrisson : «un animal qui tète et qui dort». Il est assurément cela mais beaucoup de choses encore. Un être susceptible de satisfaction, de patience et de paix, mais aussi de douleur, de crainte, d'irritation. Un être qui va aimer ou subir et rejeter le milieu dans lequel il plonge. Un réceptacle de sensations multiples qui vont permettre à cet enfant de saisir des suites d'images. Et celles-ci seront à la base de ses associations logiques et de sa connaissance du monde. La parole n'est qu'un de ces assemblages spécialement constitué de petits bruits coupés de silence : une manière de morse mais pourvu d'intonation. Celle-ci faite de variations mélodiques rythmées est abondamment illustrée par la situation qui va permettre de leur donner un sens. On conçoit donc que netteté et cohérence soient indispensables à la découverte de ce fait essentiel, la parole est un ensemble de bruits pourvus de signification certes mais faits pour permettre la relation avec un autre que soi-même et en obtenir quelque chose en revanche : soins, caresses, sourire, paroles ou... silence. Et dès le début l'enfant va réclamer, inconsciemment, bien sûr, l'adaptation à ce qu'il cherche, lui, d'une façon très personnelle et il va tendre à éliminer par la 11

mauvaise humeur et des cris tout ce qui le gêne ou lui déplaît. Tous les nourrissons ne réagissent pas de manière identique, les mères de plusieurs enfants le savent bien et discernent très tôt des traits de caractère propres à chacun. La parole n'est donc qu'une des possibilités d'échange dans une ambiance plus ou moins favorable. C'est ainsi que se constitue la compréhension du langage ; celle-ci fait illusion dans la mesure où la situation vécue au moment de ces échanges va plus ou moins inclure la vraisemblance d'une signification. C'est pourquoi l'intonation joue un rôle essentiel. Une maman dit à son enfant en s'amusant d'une attitude comique «oh petit monstre!» ; il va de soi que l'enfant ne saisit que l'intonation amicale. Mais que ces mêmes paroles soient dites quand le bébé, qui vient d'être dûment changé de tout, recommence à se salir et l'intéressé saura sûrement qu'il ne s'agit pas d'un compliment. Les premiers discours de l'enfant sont donc essentiellement intonation et rythme et dans les «discours mélodiques» percent peu à peu des formes reconnaissables par l'adulte, mais surtout par la personne qui élève l'enfant. Le «premier mot» est un peu une légende! Comprendre consiste donc pour l'enfant à saisir ce qui lui est dit et il est essentiel que ses premiers essais hésitants et timides soient saisis et appréciés. Il est possible que certains retards de parole aient pour cause une absence de réponse adaptée à ces premiers essais. Le vouloir dire Dans les manifestations orales de l'enfant il y a une intention évidente d'échange, informe certes mais appelant une réponse ; - oe fait M. - oe oe, répond son papa, et le dialogue continue, - papa (ou maman) prononce cette dernière, et le bébé la regarde intensément. Souvent il essaie mais pas toujours immédiatement. Il reproduit quand il peut la forme sonore qui aura réussi à se fixer en sa mémoire. - Kr dit intentionnellement F. et cette structure phonétique désigne le sucre que l'enfant souhaite. Kot Kot dit un jour X. dont le jasis était encore assez informe... c'était là le mot dont la grand'mère avait nommé un petit oiseau mécanique qui amusait l'enfant 12

et voulant le revoir il s'était souvenu du «mot». Z. toute seule s'écoute, se sent roucouler, son plaisir est évident ; on arrive, elle se tait, on s'éloigne et de nouveau le jeu recommence tel l'oiseau dont on voudrait enregistrer le chant. C'est ainsi que les enregistrements sonores sont parfois si pauvres ; on arrive rarement au «bon moment» qu'il serait si précieux de recueillir. Bref l'installation de la parole repose autant semble-t-il sur les essais «à vide» de l'enfant que sur les moments de communication intentionnelle. La réussite sur les deux plans conditionne durablement la suite. L'incapacité persistante ou les essais manqués sur ce plan constituent un facteur préoccupant si plus tard la mimique et le geste ne viennent pas combler ces insuffisances. Quelle qu'en soit la forme, toute communication appelle une réponse et un essai de compréhension ; l'âge normal de ce besoin et de sa satisfaction varie avec le développement psychophysiologique de l'enfant, mais ce développement n'est pas nécessairement parallèle : des dysharmonies d'évolution se constatent fréquemment. Causes possibles de ces dysharmonies On doit en noter l'aspect moteur : Nous ne pensons pas ici aux gros troubles neurologiques qui entraînent des déficiences motrices très graves et qui lorsqu'il s'agit de la parole sont avant tout les paralysies labio-glosso-vélo-pharyngées. Lorsque le déficit est congénital ou très tôt acquis, il a pour conséquence l'impossibilité de parler. Celui-ci théoriquement n'implique ni un déficit mental ni l'absence de langage bien que ces facteurs y soient le plus souvent associés. Nous pensons en revanche qu'il est à propos de rechercher les déficiences, retards ou anomalies de la motricité fine, celle qui précisément est liée à l'exécution de la parole. Les réalisations verbales exigent une précision et une coordination de mouvements accomplis dans un certain temps qui se trouve précisément être le mieux adapté à nos possibilités perceptives. Ces temps sont brefs ; la durée de la transition d'une attitude articulatoire à la suivante est de l'ordre du centième de seconde avec une certaine prévisibilité du mouvement suivant, on ne passe pas d'un saut de l'attitude ou à l'attitude i, de l'articulation t à celle de r laquelle se résoudra différemment suivant que cet r se fondra avec un ou (trou) ou avec un i (tri), et ainsi de suite. Il ne s'agit donc pas d'une succession de flashes typiques des phonèmes successifs mais d'une adaptation constante des cavités et des sphincters constituant en fait le 13

«mécanisme» de la parole. Les enfants les plus doués quant à la coordination motrice de la respiration, de l'émission vocale et de l'articulation, parlent néanmoins plus lentement que les adultes. Or l'imitation jouant un rôle important dans la parole il n'est pas bon que les modèles donnés à l'enfant soient exagérément rapides. Et ils doivent en tout cas avoir une netteté qui en favorise la perception. Celle-ci est auditive. Entendre juste a pour effet, normalement, une exécution correcte des mouvements associés les plus simples bien avant que les enfants puissent réaliser correctement les structures phonétiques les plus complexes. Pas tout est plus facile que pas trop, do plus facile que donne, pain s'aborde plus aisément que brioche, il pleut est plus aisé que la pluie tombe, etc. C'est à ce niveau que l'adulte peut intervenir efficacement en redonnant le modèle correct. Quand l'enfant se sentira en mesure de le reproduire il le fera de lui-même avec une réelle satisfaction. Med est grand maintenant, il dit «je suis beautoup sage...» il ne dit plus «sa..ma» (= sage, moi). Mais quelques jours après il perfectionne encore sa phrase «je suis beaucoup beaucoup sage, vite, maman» car il doit rester seul pendant que sa mère travaille et il voudrait qu'elle y mît aussi du sien! (2 ans 3/4). Quand peut-on dire qu'il y a déficience articulatoire? Les réalisations motrices du type de celles dont témoigne le petit discours cidessus ne peuvent être assimilées à un trouble d'articulation. Il ne s'agit que de la marge normale d'essais-erreurs que comporte, à de rares exceptions près, l'installation de la parole chez le jeune enfant. Mais des automatismes fautifs que le sujet ne peut modifier seul même s'il en a conscience constituent un trouble d'articulation qu'il vaut mieux rééduquer quand il est utile et facile de le faire, c'est-à-dire, en principe, avant l'apprentissage de la lecture et avant en tout cas que l'enfant ne subisse les inconvénients liés à sa maladresse verbale. Genèse des difficultés d'exécution verbale Nous venons de mentionner les erreurs motrices habituellement nommées : défauts de prononciation, la liste en comporte un bon nombre portant des noms variés dans le langage usuel. Zozotement, zézaiement, schlintement, chuintement, blésité, qu'il y aurait intérêt à présenter de façon systématique : sigmatisme interdental, addental, latéral, dorsal, guttural, suivant que les 14

consonnes constrictives dont l's est le «chef de file» sont articulées dans une des attitudes fautives indiquées par le vocabulaire lui-même. D'autres consonnes du type occlusif peuvent aussi être l'objet d'une fausse position articulatoire (t pour k, p pour b, etc.) et toutes les consonnes phonétiquement classées comme sourdes ou sonores peuvent être l'occasion d'une émission laryngée fautive (champon, jambon - tonner, donner - sisso, ciseaux). Certaines de ces fautes ne semblent avoir pour cause qu'une maladresse d'exécution motrice. Mais cette explication est notoirement insuffisante pour rendre compte d'altérations telles que fermaj (fromage) lama (l'armoire) toto katé (dodo cassé), etc., altérations qui vont sur le plan de la phrase se manifester jusqu'à rendre le discours inintelligible. Exemple (enfants de 4 à 5 ans) 1 : «potémésopetipou» : porter (je veux) à la maison les petites boules. «ma apé pépà doute àbalo» : moi après pieds plats (simplification pour lorsque j'aurai été chez le docteur pour mes pieds plats) je goûterai et je boirai de l'eau. Il y a dans ces insuffisances expressives d'autres facteurs en cause dont l'un est perceptif. L'ensemble à retenir est trop complexe ; le sujet n'en saisit que les éléments les plus audibles qui sont en général vocaliques. D'autre part l'ensemble à retenir est trop long, son évocation entière n'en est pas possible, c'est l'audi-mutité dans sa forme la plus courante. Si la perception a été trop lacunaire et au surplus gênée par la vitesse du débit, le sujet n'arrive même pas à en appréhender le sens, c'est la surdité verbale. Rarement totale, elle est extrêmement fréquente lorsqu'elle se manifeste par une compréhension lacunaire des propos les plus simples. Voilà sommairement expliquées les composantes habituelles des «retards de parole» auxquels on réserve la dénomination de dysphasie quand la sévérité des troubles l'impose. 1. On trouve un exposé didactique de ces cas ainsi que des indications rééducatives dans «Les troubles du langage, de la parole et de la voix chez l'enfant», Cl. LAUNAY, S. BOREL-MAISONNY, Masson 1972. 15

Les causes essentielles énumérées mettent en jeu les facteurs sensoriels (audition), intellectuels et affectifs et la possibilité d'agir ; ce morcellement nécessaire à l'analyse ne doit pas masquer l'unité de l'ensemble. Il ne saurait y avoir de déficience en un point sans qu'elle entraîne par voie de conséquence des désordres dans d'autres domaines. Et de même les performances insolites individuelles ornent et déséquilibrent à la fois : in medio stat virtus, penserait-on volontiers. Or, par des anomalies et des états pathologiques l'équilibre est toujours rompu, celui de la personne en cause et celui de son entourage. Y pouvoir mettre un certain ordre dans la mesure de nos possibilités est précisément l'objet que nous abordons dans cet exposé. Nous nous limiterons aux dysphasies graves et aux surdités importantes chez l'enfant. C'est à dessein que nous évitons la terminologie reçue actuellement : surdité moyenne, sévère, profonde, totale, ce dernier degré étant d'ailleurs par beaucoup jugé inexistant, car ce sont les personnes qu'il convient d'aborder dans leur état. De même, l'enfant enserré, englué en quelque sorte et vraiment empêché de s'épanouir par les mêmes moyens que les autres, c'est lui l'individu que nous avons sans cesse en l'esprit, lui, qu'il faudra aider à mieux exister. Faire le point ou Essai de diagnostic orthophonique Un enfant nous est envoyé, sa mère nous le présente. Parfois le père, parfois une grand-mère, parfois plus de famille encore l'accompagne. Il a attendu un peu dans le salon. De cette pièce au bureau où je le reçois avec ceux qui ont décidé d'être là, le «sujet» a déjà montré beaucoup de lui-même à travers ces quinze pas, entouré des siens. J'écoute soigneusement ce qui m'est dit en notant hâtivement un mot, une date, par crainte d'oubli ou de confusion. J'écoute de mon mieux, les gens en ont tellement besoin! et j'observe les réactions du «sujet» et des autres. Puis vient «l'histoire» de cet enfant, le plus souvent mêlée à l'exposé de son dossier car il nous arrive d'ordinaire par un médecin ou un service hospitalier parfois après des visites multiples faites au hasard de la réputation de X ou Y et cela n'a pas toujours simplifié les choses. Tout de suite pour occuper l'enfant il lui est donné une petite boîte de jouets qu'il tire de là à sa guise, ou qu'il refuse ; ce premier entretien est tellement révélateur qu'il faut tâcher de ne pas le «manquer». 16

Tester l'enfant? Peut-être l'a-t-il déjà été à plusieurs reprises et par des moyens divers, parfois même, par notre propre matériel, ce qui m'empêche de l'utiliser. Que faire d'autre sinon l'observer, le regarder jouer ; cela informe beaucoup. Il peut d'ailleurs être réticent, il faut rester à une certaine distance, disposer le matériel sur une chaise et non sur votre bureau, et peu à peu se glisser dans l'activité de l'enfant pour orienter les «épreuves» vers ce que vous avez besoin de connaître. Il y a donc au cours de l'examen une égale nécessité de situer les positifs dans un large éventail de domaines pour commencer à se former un pronostic d'éducation éventuelle et nécessité d'apprécier les réactions familiales tout aussi importantes afin de les orienter si besoin est. De toute façon, la présence familiale, le plus souvent maternelle, à cet examen est indispensable pour que, à mesure du développement de la situation, l'assistant ait les mêmes informations que nous en plus de celles qu'il possédait antérieurement. Nous sommes donc à même de lui dire : maintenant vous en savez autant que nous et même plus. De l'examen des faits découlent des arguments et la possibilité de présenter des hypothèses, de discuter, d'élaborer une conclusion, une mise au point d'attente et d'établir avec la famille un projet de rééducation s'il y a lieu, ou la décision de différer celle-ci, d'orienter les choses autrement que prévu. Parfois éclate une discorde familiale dont l'importance ne devra pas être absente de notre esprit, car elle va jouer peut-être un rôle décisif dans la vie de l'enfant. De toute façon la prudence est de règle, une erreur d'appréciation est toujours préjudiciable au sujet mais l'enfant n'est pas seul en cause. Des foyers peuvent se dissoudre... Le désarroi familial dans les cas graves d'absence de langage est toujours profond. Invariablement effleurent la question de l'hérédité... comme si elle avait un caractère fatal quant à la marche à suivre... et d'autres questions non moins redoutables mettant en cause la responsabilité de chacun, ou la fatalité des enchaînements de faits et de décisions qui appellent la réserve. 17

II LES DYSPHASIES SÉVÈRES ET LEUR RÉÉDUCATION 18

Je ne pense pas qu'il soit possible de présenter ex cathedra une méthode à appliquer et des techniques ou un prototype de rééducation pour élever ces enfants. Nous pensons préférable d'exposer des cas, de montrer ce qui a été fait, de le discuter au besoin et de jeter un coup d'oeil sur un avenir probable. Nous nous efforcerons de rester sur le plan de la rééducation, d'en indiquer les étapes et comment il a fallu louvoyer au fur et à mesure que, du fait de l'éducation entreprise et du développement lié à l'âge chronologique, nous nous trouvions en face d'un tableau différent imposant d'autres techniques. Je dirais qu'il s'agit en fin de compte d'une éducation à l'écoute du sujet, sans perdre cependant de vue le fil conducteur pour sortir du labyrinthe de complexités que présente chaque cas. Une autre évidence s'impose : en constituant la liste des sujets qu'il me paraît utile de présenter, je m'aperçois que j'aurais pu en composer une autre et aussi qu'il n'y a pas un «cas pur». Dès que l'étiquette à apposer sous le nom correspond à une forme clinique exceptionnelle, le territoire psychophysiologique n'est superposable à aucun autre tant les variables individuelles imposent de retouches à l'esquisse première. Je vais donc grouper une observation en «familles» grâce à quoi il sera possible d'expliciter des facteurs constants en dépit des divergences. Nous rappelons que nous nous plaçons sur le plan de la rééducation pour laquelle ce qui importe n'est pas l'étiologie ni même «l'étiquette» qu'il convient de lui attribuer mais l'état psycholinguistique du moment où commence la rééducation ainsi que l'éventail des possibilités d'alors 2. A : Dysphasiques sans surdité. B : Dysphasiques avec déficience auditive partielle. C : Grave trouble d'évocation verbale chez un sujet dysharmonique à niveau mental élevé. B. Dm - Enfant de 8 ans au moment où elle vient me voir avec sa mère. Je ne verrai le père que bien après. L'enfant paraît inquiète et réticente, petite tête ronde sans attrait. La mère a un joli visage avec une grande expression de lassitude. Elle a déjà consulté et les avis donnés l'ont découragée ; un médecin me l'envoie sans conviction. 2. Les initiales désignant les sujets sont modifiées pour brouiller les pistes. Certains détails sans importance pour la compréhension des faits l'ont été aussi, mais quand je relate l'observation et les détails de la rééducation il me serait impossible de le faire si je n'avais présents à l'esprit le nom de l'enfant, son attitude, son visage, sa voix, sans quoi je ne pourrais l'évoquer. 19

B. est l'aînée de trois. Elle n'a pas eu de chance ; à la naissance il y a eu anoxie : deux heures sans connaissance. Ses sœurs sont normales, on me donne des détails du dossier ; brusquement la mère fond en larmes : «je n'en peux plus». - «Est-ce vrai qu'on ne peut rien, qu'elle ne parlera jamais, qu'elle est idiote en somme! Le Professeur X qui m'envoie croit pourtant qu'on peut quelque chose... l'essayer en tout cas! Je ne crois pas qu'elle soit si bas que cela. Elle ne parle pas mais elle comprend ce qu'on dit. Au Centre (que dirige le père) elle est au-dessus des autres, l'éducateur me dit qu'elle apprend des lettres...» B. paraît indifférente aux pleurs de sa mère. Elle garde une expression vaguement souriante. Je lui mets sous les yeux une boîte de petits personnages, des assiettes miniatures, j'ébauche un test, ce n'est guère encourageant. B. a vraiment un gros retard mental mais son attitude n'est pas opposante. Je masque un peu les échecs tellement la mère fait mal à voir et je conclus : «Bien sûr on peut quelque chose, nous lui apprendrons tout à la fois à lire et à parler. Cela n'ira pas très vite ; vous m'aiderez ; comme vous habitez loin, vous ne viendrez qu'une fois par semaine». Bref, j'ai entrepris cette «rééducation orthophonique» plus pour sa mère que pour B. RÉÉDUCATION La plus grosse difficulté vient de l'extrême lenteur de réaction. J'ai rencontré d'autres fois ce facteur dans des cas analogues. Il s'écoule entre l'incitation et la réponse un temps si anormalement long qu'on se demande si B a compris ou même entendu! mais la réponse vient prouver que tout était en ordre... sauf... le temps de réaction, qui sera extrêmement gênant pour parler. ACQUISITIONS «SCOLAIRES» B. comprend vite l'association des lettres en syllabes et la correspondance sonsignification. Ce qui va l'arrêter c'est l'impossibilité de se rappeler le contenu graphique quand il contient plus de deux éléments : p est +, ra aussi, mais pra sera un obstacle et par plus encore. Les gestes d'apprentissage par ma méthode de lecture vont lui permettre de retenir des ensembles de trois éléments puis plus complexes. Mais quand il s'agira de mots ou de courtes phrases l'évocation n'en sera possible que grâce à des schémas. 20