REMARQUES SUR LE PETIT FRAGMENT DE TABLETTE CHYPRO MINOENNE TROUVÉ A ENKOMI EN 952 par EMILIA MAS SON. C'est pendant sa campagne de 952 à Enkomi que M. Porphyrios Dikaios a trouvé un petit fragment de tablette inscrit en écriture chyprominoenne (Pl. I). Il s'agit, dans l'ordre chronologique des découvertes, du premier fragment de cette série, mais aussi du plus petit et du plus mal conservé. Les dimensions sont les suivantes: hauteur 5 cm., largeur 9,5 cm., épaisseur à 3 cm. On a ici une partie, malheureusement très déformée, d'une grande tablette du type qui est maintenant mieux connu grâce aux pièces plus considérables apparues à Enkomi en 953, lors des fouilles de P. Dikaios (voir l'article ci-dessus) et aussi durant les fouilles de C.F.A. Schaeffer (fragment inédit, aù Louvre). Le recto représente un fragment de la colonne de gauche; si l'on essaie une reconstitution partielle de la tablette, on obtient le dessin ci-contre (fig. ), en admettant pour l'objet une largeur primitive d'environ 8 cm. Peu de temps après la découverte, M. Dikaios a publié une brève note sur ce fragment 2, accompagnée de deux reproductions et de remarques de J. L. Myres, qui a été le premier à reconnaître le caractère chypro-minoen de l'écriture. Ultérieurement, l'archéologue est revenu en détail sur les circonstances de la trouvaille pour en fixer la date entre 230 et 200 3 Entre temps, M. Meriggi a publié un dessin sommaire du recto et a proposé certaines lectures, à l'occasion de son étude du grand fragment de 953 4 Voir plus haut, p. 74, n. 0. 2 Antiquity 27 (953), p. 03-05 et pl. IV. Cf. O. Masson, Minos 5 (957), p. 23- et fig. 23 (à retourner). 3 «The Context of the Enkomi Tablets», Kadmos 2 (963), p. 40-52, notamment p. 48-49, et fig. 5.. 4 Athenaeum 34 (956), p. 3-38, ave<: dessin p. 8 (sans doute effectué d'après photographie).
Pl.. Petit fra'gment de tablette d'enkomi, face A (Copyright Publica tions d'art et d'archéologie, Paris)
Le petit fragment de tablette chypro-minoenne 97 Pour notre part, après une étude de l'objet lui-même au Musée de Nicosie en septembre 968, nous avons abouti aux remarques qui sont présentées ici, à l'aide de ce que nous apprend le texte mieux conservé du grand fragment. Dans notre 'dessin (fig. 2), pour plus de clarté, nous avons placé un numéro sous chaque signe reconnaissable. l II r Fig.. Essai de reconstitution de la tablette, avec le fragment conservé à gauche (environ moitié de la ~andeur réelle) 2. Analyse du texte. Nous examinerons seulement le recto ou face AS. où l'on réussit à distinguer, avec plus ou moins de certitude, 7 ou 72 signes. Ils sont répartis en huit lignes, dont les restes ont une longueur très inégale. Il est probable que chaque ligne comprenait primitivement de 3 à 7 signes, c'est-à-dire cinq séquences, comme c'est le cas pour le grand fragment... De cette ligne, la première dont des traces soient visibles, il subsiste une très petite partie à droite. On reconnaît trois signes et une barre de séparation, qui devaient faire partie de l'avant-dernière séquence. Le signe 3 est le no. 5 de notre répertoire, la finale la plus importante.. 2. Ici, on peut reconstituer au moins cinq signes. Le premier, incomplet, est certainement le signe no. 5; c'est la fin d'une séquence. Vient ensuite un mot de trois signes, terminé par le no. 44, qui est également une finale importante. Pour le signe 5, on ne peut dire s'il s'agit d'une simple flèche, ou bien de signes comme 3 ou 4. Enfin, les trois petits traits qui suivent doivent représenter des fragments du signe 6. 5 Le verso ou face B est pratiquement illisible; on peut seulement reconnaître ici et là quelques signes, qui indiquent la présence d'un texte de même structure. 7
98 Emilia Masson L. 3. Il subsiste sept signes, avec une barre de séparation. Le signe est le no. 22. Le suivant est endommagé par une lacune, toutefois on devine la structure caractéristique du no. 33. Il est probable que ce signe était suivi d'une marque de séparation, car le signe 3 est justement le no. 48, qui est toujours en position initiale. En outre, cette reconstitution nous permet de retrouver une séquence de trois signes déjà attestée sur le grand fragment, face A, ligne 5, deuxième mot. Les signes 4 et 5 sont légèrement endommagés, mais leur lecture ne pose pas de problème. Les signes 6 et 7 représentent le début d'une autre séquence, avec de nouveau le no. 48, et le no. 3, en forme de croix, qui est très clair. L. 4. Beaucoup plus longue que les précédentes, cette ligne est presque complète: il doit manquer seulement deux à quatre signes pour la fin. Les treize signes reconnaissables sont répartis en quatre séquences (4 + 3 + 3 + 3 au minimum). Les deux premières sont intéressantes, car elles commencent toutes deux par un signe bien connu à l'initiale, no. 27, et représentent en fait deux formes du même «radical» constitué par les signes 27 et 38. En outre, on remarquera dans la première la répétition du no. 38, signes 2 et 3, et pour la seconde, une structure qui correspond au «radical» déjà indiqué, suivi du signe no. 5, qui est la 'désinence la plus fréquente dans ces textes. La troisième séquence comporte trois signes clairs, 8 à 0, et la quatrième avait au minimum trois signes, à 3. L. 5. C'est la ligne la plus longue de ce fragment, qui pourrait même être entière, car on y retrouve un nombre de signes et de séquences tout à fait comparable à ce qui est fourni par le grand fragment. Ainsi, les quinze signes sont répartis en cinq séquences (3 + 2 + 4 + 3 + 3 au minimum). La première est assez claire. La seconde est composée de la répétition du signe no. 4. La lecture de la troisième séquence est plus difficile, et on ne saurait affirmer si le signe 7 correspond effectivement à notre signe no. 0. Dans l'affirmative, on retrouverait ici une for.me élargie du «radical» formé par les signes 3 et 0, attesté sur le grand fragment, face A, ligne 20, deuxième mot. La quatrième séquence, signes 0 à 2, serait également une forme élargie du «radical» constitué par les signes 4 et 6, lequel figure au début de notre ligne 7. Pour la lecture du signe 2, on peut hésiter entre le no. 0 et le no. 38, mais la première interprétation nous paraît la plus probable (ainsi sur notre dessin). La dernière séquence est la moins bien conservée, notamment pour les signes 4 et 5, dont les traces permettent toutefois de les reconnaître comme les nos 33 et 22 du répertoire. L. 6. Cette ligne n'est pas complète, mais les signes conservés sont les plus lisibles de ce texte. Les treize signes sont répartis en quatre séquences (5 + 4 + 3 + début). Le premier mot commence par les signes 47 (et non pas 48) et 26. La deuxième séquence, signes 6 à 9, doit être une forme élargie du «radical» constitué avec les signes 48 et 24, qui a été étudié
Le petit fragment de tablette chypro-minoenne 99 2 2 3 4 5 6 3 u\ C' \.}t+ -.-------- -----_.-' 2345 67 4 M V' '-'~ ~I ~f\~ )t '\." 'T' Ci cîi S ~, 2 3 4 5 6 7 8 9 0 2 3 5 :.~!:' ~ ~\. / ) 0 2 3 2 3 4 5 6 8 ~ l\ 7 8 9 0 II 2 "3 8 ~ [' ~t th l'~ 2 3 4 5 Fig. 2. Petit fragment de tablette d'enkomi, dessin de la face A. ci-dessus 6, Il doit s'agir d'un mot courant, puisque nous le connaissons maintenant avec plusieurs désinences. L. 7. La lecture de cette ligne est plus difficile, surtout dans la deuxième partie. Cependant, elle conserve les traces des cinq séquences habituelles (2 + 4 + 3 + 4 + début). Pour la première, composée de deux signes, 6 Voir l'article précédent, étude des mots.
00 Emilia Masson ~ Â\ 2 lx 3 4 33 4 3 + 2 ~ 8 4 ~ ï 38 lt ï ~ ~\ CI 5 T 2 7 39 4 * % 6 4 8 2 40 7 I~ 2 e,' 2 44 9 2 8 \\ 22 \. 2 47 ft\ 0 \ (~ ~ 3 24 '\' 48 ~ 3 \ 2 26 W 2 49 J.t 3 2 Il\. 2 27 -(\', 2 50 ~ 2 8 32 2 Fig. 3. Répertoire des signes.. '. )!:.
Le petit fragment de tablette chypro-minoenne 0 voir la ligne 5. La seconde, signes 3 à 6, est également claire, et commence avec le signe no. 50. La troisième commence avec le signe no. 49, qui est une initiale importante. Les signes suivants, 8 et 9, sont assez endommagés; pour le premier, il est difficile de préciser s'il s'agit du no. 5, du no. 4 ou du no. 4. Mais ensuite, on reconnaît la structure assez particulière du signe no. 40, en forme de marches d'escalier, connu par le grand fragment. Il devait être suivi d'une barre de séparation, car le signe 0, tout comme le signe 7, est de nouveau le no. 49. Ce serait donc le début d'une séquence assez claire de quatre signes, 0 à 3. Enfin, une barre de séparation, et une trace de signe. L. 8. Ici, il ne reste que le début, avec deux séquences. La première, avec trois signes, est assez claire; de la seconde, on peut seulement reconnaître les signes 5 et 6, qui correspondent aux nos 0 et 32. Comme on le voit, l'analyse de ce texte, malgré son mauvais état de conservation, suffit à montrer qu'il est de structure identique à celle du grand fragment: même longueur des lignes, même disposition des séquences, avec barres de séparation, et même longueur de ces séquences, variant de deux à cinq signes. 3. Répertoire des signes. Nous avons pu relever dans cette inscription 28 signes différents, ce qui représente plus de la moitié du répertoire du grand fragment (fig. 3). Il faut souligner que, par rapport à ce répertoire, il n'apparaît aucun signe nouveau. De même, malgré l'état défectueux du texte et l'aspect pour ainsi dire usé des signes, il est clair que le ductus de l'écriture, le caractère et la structure des signes correspondent absolument à ceux du grand fragment. On voit aussi que la position, la fréquence et la fonction des signes sont analogues dans les deux textes. Pour cette raison, nous n'avons pas jugé nécessaire de faire une étude de chaque signe en particulier, et celle qui a été donné pour le grand fragment est également valable ici. 4. Etude des mots. Dans cette inscription, on peut retenir quatorze et peut-être même quinze séquences, plus ou moins assurées (fig. 4). Cette petite liste de mots n'est pas sans intérêt, car, de même que le répertoire des signes, elle révèle de nombreux points communs avec le texte du grand fragment. Les mots sont de même longueur (2 à 5 signes), et comportent le plus souvent les mêmes initiales ou finales caractéristiques. On remarque les variations sur un même radical (fig. 4, C et D, G et H). En outre, ce qui est plus important, on note les séquences identiques entre les deux fragments: pour une correspondance complète, il y a un seul exemple, ligne 3 (fig. 4, 0); avec un même «radical», pourvu de désinences différentes, nous trouvons deux exemples, ligne 5, troisième mot (fig. 4, B), et ligne 6, deuxième mot (fig. 4, L). Cette petite liste de mots apporte donc une preuve supplémentaire du
02 EmiLia Masson fait que les deux textes sont rédigés dans la même langue. Elle nous permet également d'enrichir et de compléter l'étude des «radicaux» et de leurs élargissements. A :J~O H '\',,\- r \- l' ~ B M\!:lV \'T0 i~ c ~\ =' K ~ tu '\ \" '". D L ~':J~ ~ '",\- ter E ~~ M )!lu' F lu Q~' N )Jt l' a., - 0 ~~o Fig. 4. Liste de séquences tirées du texte du petit fragment. G '\' \ r ; 5. En conclusion, on peut dire que ce petit texte, malheureusement si endommagé, et peu éloquent par lui-même, prend une valeur nouvelle lorsqu'il est placé dans une étude d'ensemble des fragments de tablette d'enkomi. Il apporte un complément précieux, et c'est pourquoi un examen aussi détaillé que possible nous a semblé profitable.