COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS



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DÉCISION Nº217 du 15 mai 2003

Transcription:

CONSEIL DE L EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS PREMIÈRE SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n o 41290/98 présentée par Daniel TAVEIRNE et Rosanne VANCAUWENBERGHE contre la Belgique La Cour européenne des Droits de l Homme (première section), siégeant le 29 avril 2003 en une chambre composée de M. C.L. ROZAKIS, président, M me F. TULKENS, MM. G. BONELLO, E. LEVITS, M me S. BOTOUCHAROVA, M. A. KOVLER, M mes E. STEINER, juges, et de M. S. NIELSEN, greffier adjoint de section, Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l Homme le 7 mai 1998, Vu l article 5 2 du Protocole n o 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

2 DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE EN FAIT Les requérants, Daniel Taveirne et Rosanne Vancauwenberghe, sont des ressortissants belges, nés respectivement en 1955 et 1956 et résidant à Wingene (Belgique). Ils sont représentés devant la Cour par M e Denys, avocat à Bruxelles. Le gouvernement défendeur est représenté par M. C. Debrulle, Directeur général. Les circonstances de l espèce Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Les requérants exploitaient une porcherie à Wingene. A cet effet, ils disposaient d une autorisation d exploitation valable jusqu au 17 avril 1995 inclus, pour deux étables de 600 animaux chacune. Le 5 juin 1986, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Wingene délivra un permis de bâtir pour la construction de deux étables supplémentaires. Le 30 octobre 1986, la Députation permanente du Conseil provincial de la Flandre occidentale refusa l autorisation d exploitation pour l élevage de 900 porcs dans chacune de ces étables. Il semble cependant que les requérants passèrent outre et augmentèrent quand même leur élevage au niveau souhaité. Par arrêté du 21 août 1989, le Ministre communautaire flamand de l Environnement, de la Conservation de la nature et de la Rénovation rurale rejeta le recours administratif introduit par les requérants contre l arrêté de la Députation permanente et confirma celui-ci. Il estima notamment, conformément à l avis rendu par l Administration de la Santé, que la gêne olfactive occasionnée pour le voisinage par l extension demandée serait disproportionnée, dès lors que les premières habitations étaient situées à moins de 100 mètres de l exploitation en question. Le 10 novembre 1989, les requérants introduisirent une requête en annulation de l arrêté du Ministre devant le Conseil d Etat. Le 17 juin 1992, le Ministre en question déposa le dossier administratif. Les requérants en furent informés par lettre du greffe du 23 juin 1992, mais le dossier n a été retrouvé au greffe que le 30 juillet 1992, si bien que le délai imparti aux requérants pour déposer un mémoire fut prolongé jusqu au 29 août 1992. Le 11 août 1992, les requérants déposèrent leur mémoire. Le 7 mars 1994, le premier requérant fut condamné par le tribunal correctionnel de Bruges pour l exploitation illicite de deux étables de neuf cents bêtes chacune.

DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE 3 Le 7 décembre 1994, l Inspection de l Environnement ordonna la mise sous scellés des silos d approvisionnement des deux étables exploitées sans permis. Par arrêté du 24 août 1995, le Ministre compétent confirma cette mesure. Le premier requérant attaqua cet arrêté par des recours en suspension et en annulation devant le Conseil d Etat. Le 28 novembre 1996, le recours en suspension fut rejeté, les scellés ayant depuis lors été levés. Entre-temps, le 2 février 1995, la cour d appel de Gand avait confirmé le jugement du 7 mars 1994. Dans l intervalle, la porcherie n était plus exploitée que par la seconde requérante. A cet effet, la Députation permanente lui octroya, le 29 juin 1995, une prolongation du permis d exploitation d origine (du 17 avril 1980) pour les deux premières étables, mais le permis pour les deux étables supplémentaires fut à nouveau refusé. Le 31 octobre 1995, le pourvoi en cassation du requérant contre l arrêt du 2 février 1995 fut rejeté. Par arrêté du 30 novembre 1995, le Ministre communautaire flamand de l Environnement et de l Emploi rejeta le recours administratif de la seconde requérante contre la décision de refus du 29 juin 1995. La seconde requérante attaqua cet arrêté devant le Conseil d Etat, par des requêtes en suspension et en annulation. La première fut rejetée le 5 décembre 1996, la seconde le 7 mars 2002. Entre-temps, le 7 août 1996, l auditeur au Conseil d Etat avait rendu son avis sur la requête du 10 novembre 1989 ainsi que sur les recours introduits contre les arrêtés des 24 août et 30 novembre 1995. Il fut notifié aux requérants le 7 octobre 1996. Le 8 novembre 1996, le premier requérant se vit condamner une nouvelle fois par la cour d appel de Gand pour exploitation illicite des deux étables en question. Son pourvoi contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 2 juin 1998. Le 5 novembre 1996, les requérants déposèrent leur dernier mémoire. Le 20 décembre 1996, le Ministre déposa son dernier mémoire en réplique. Par ordonnances du Conseil d Etat des 15 et 17 septembre 1997, l affaire fut renvoyée à l assemblée générale de la section d administration du Conseil d Etat et fixée au 7 octobre 1997. Le 5 novembre 1997, le Conseil d Etat, réuni en assemblée générale, déclara irrecevable pour manque d intérêt la requête en annulation du 10 novembre 1989. Il estima notamment : «Considérant, en ce qui concerne le premier argument des parties requérantes, qu il résulte nécessairement du fait que l autorisation de base sur laquelle porte l extension demandée, est venue à expiration le 18 avril 1995, qu après une annulation éventuelle par le Conseil d Etat, la partie défenderesse ne pourrait que rejeter la demande, faute d objet ; que ce principe est formulé, en ce qui concerne les autorisations écologiques, à l article 30, 5, de l arrêté du gouvernement flamand du 6 février 1991 fixant le

4 DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE Règlement flamand relatif à l autorisation écologique (Vlarem I) qui dispose que l autorisation pour la transformation d un établissement est délivrée pour une durée déterminée dont la date finale ne peut excéder celle de l autorisation en cours ; Considérant, en ce qui concerne le second argument des parties requérantes, qu il résulte de la nature de l autorisation d exploitation et de l autorisation écologique que pareilles autorisations doivent être obtenues préalablement au démarrage de l exploitation des établissements incommodes concernés ; que l article 4 du décret du 28 juin 1985 relatif à l autorisation écologique dispose dès lors explicitement qu il s agit d une autorisation "préalable" ; qu il est contraire à l essence de pareille autorisation de l accorder pour une période qui se situe exclusivement dans le passé ; que la référence à l arrêt du Conseil d Etat n o 37.677, du 20 septembre 1991, en cause DEGREVE et DUMONT, ne peut être retenue ; qu il s agit en effet dans cet arrêt d un permis de bâtir qui n a pas été uniquement accordé pour le passé mais qui sortit principalement ses effets pour l avenir ; que si cet arrêt énonce qu en ce qui concerne le passé, le second permis de bâtir délivré après l annulation du premier permis doit être censé se substituer au permis annulé, cette constatation n a toutefois été formulée que pour répondre à la question de savoir si le nouveau permis de bâtir concerne ou non un permis de régularisation d une construction érigée sans permis de bâtir préalable ; qu il s agit en outre, dans l arrêt n o 37.677 précité, de la substitution d un permis annulé par un nouveau permis, alors qu en l espèce, selon les parties requérantes, un arrêté d autorisation devrait se substituer avec effet rétroactif à une décision de refus ; qu il ne peut donc nullement se déduire de l arrêt susvisé qu une "décision de l autorité", prise après l annulation d une décision antérieure de l autorité, se substituerait avec effet rétroactif à la décision attaquée ; Considérant que l on n aperçoit pas comment le fait que le décret relatif à l autorisation écologique impose des délais de rigueur pour statuer sur des recours administratifs, impliquerait que le nouvel arrêté, à prendre après une annulation éventuelle, se substituerait, "sur le plan temporel", au premier arrêté de refus annulé ; qu à cet égard, les parties requérantes soutiennent en outre à tort que, si l on n admet pas que l arrêté intervenant après annulation a un effet rétroactif, il est en tout cas pris en dehors du délai fixé et est donc tardif ; qu en effet - ce principe étant par ailleurs également consacré dans l arrêt DEGREVE et DUMONT évoqué par les parties requérantes - après la notification de l arrêt d annulation, la partie défenderesse dispose encore de la totalité du délai pour statuer sur le recours ; que l autorité, après la notification de l arrêt d annulation, reprend en effet l affaire dans la phase où elle se trouvait après l introduction du recours ayant donné lieu à la décision annulée ; Considérant que la simple énonciation "quelles que soient les conséquences que peut avoir l arrêt pour la responsabilité éventuelle de l autorité en raison du refus dans le passé, qui a été jugé illicite", figurant dans l argumentation avancée en vue d établir que les parties requérantes peuvent obtenir une autorisation pour l avenir sur la base d un arrêt d annulation, ne peut nullement être tenue pour étayer un intérêt, et ce d autant moins que les parties requérantes ont explicitement déclaré à l audience ne pas poursuivre une indemnisation mais exclusivement une réparation en nature ; Considérant qu il résulte de ce qui précède que l argumentation déployée par les parties requérantes à l appui de leur intérêt actuel à l annulation demandée ne résiste pas à l analyse ; que la demande est par conséquent irrecevable ;»

DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE 5 GRIEFS 1. Invoquant l article 6 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la longueur de la procédure devant le Conseil d Etat. 2. Sur le terrain de l article 1 du Protocole n o 1, ils dénoncent une violation de leurs «droits fondamentaux de propriétaires». 3. Les requérants allèguent enfin une violation de l article 13, en ce qu ils n auraient pas disposé d un recours effectif devant une instance nationale pour dénoncer la violation des articles 6 1 de la Convention et 1 du Protocole n o 1. EN DROIT 1. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure devant le Conseil d Etat. Ils y voient une violation de l article 6 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)» Pour le Gouvernement, la durée de cette procédure se justifie notamment à la lumière de la complexité de l affaire, qui a donné lieu à plusieurs procédures devant plusieurs juridictions. Ainsi, outre les requêtes en suspension et annulation introduites le 10 novembre 1989, le Conseil d Etat a eu à connaître des recours contre les arrêtés du Ministre des 24 août et 30 novembre 1995. De surcroît, l exploitation par les requérants d une partie de leurs étables sans permis d exploitation aurait donné lieu à des poursuites pénales devant le tribunal correctionnel et la cour d appel de Gand, puis la Cour de cassation. Le Conseil d Etat aurait logiquement voulu tenir compte de la totalité de ces procédures, afin de trancher ces dossiers connexes en connaissance de cause, dans un souci d efficacité et d économie du procès. Cela résulterait clairement du fait que l auditeur au Conseil d Etat a rendu le même jour, à savoir le 7 août 1996, ses avis dans les trois dossiers relatifs à cette affaire. Rien ne se serait opposé à une telle approche, dès lors que les requérants n auraient jamais invité le Conseil d Etat à faire diligence dans le traitement de leur affaire. Enfin, il faudrait tenir compte aussi de ce que l affaire a été renvoyée devant l assemblée générale du Conseil d Etat, en raison précisément de sa complexité. Pour les requérants, au contraire, ce n est pas la complexité de l affaire qui a fait que la procédure a duré si longtemps, mais bien un problème structurel d engorgement. Ils relèvent à cet égard que, par exemple, le Ministre a déposé son premier mémoire deux mois après l échéance, soit le 6 juin 1990 ; que ce n est que deux ans plus tard, soit le 17 juin 1992, que le

6 DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE Ministre a déposé le dossier administratif ; qu il a alors fallu quatre ans à l auditeur, soit jusqu au 7 août 1996, pour rendre son avis ; que l assemblée générale du Conseil d Etat s est réunie seulement le 7 octobre 1997, soit plus de dix mois après le dépôt du dernier mémoire, à savoir le mémoire en réplique du Ministre, présenté le 20 décembre 1996. Si le Conseil d Etat a décidé de statuer en assemblée générale dans cette affaire, ce ne serait pas en raison de la complexité de celle-ci, mais en vue de trancher un problème de jurisprudence qui divisait la Haute juridiction, en l occurrence la question de savoir si un requérant conservait son intérêt à obtenir l annulation d un acte administratif appelé à se greffer sur un acte administratif de base dont le délai de validité avait expiré. Enfin, si les requérants n ont pas fait pression sur le Conseil d Etat pour qu il accélérât la procédure, ce serait par respect pour les magistrats et les règles de procédure. D après les requérants, les conditions auxquelles l article 17 2 des lois coordonnées sur le Conseil d Etat soumet l introduction d un référé administratif n étaient pas non plus réunies en l espèce. La Cour rappelle que l article 6 1 de la Convention joue dès lors que l action a un objet «patrimonial» et se fonde sur une atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux, nonobstant l origine du différend et la compétence des juridictions administratives (Procola c. Luxembourg, arrêt du 28 septembre 1995, série A n o 326, p. 14, 38). Le litige dont il s agit en l espèce portant sur l autorisation d exploitation d étables à des fins professionnelles, il ne fait pas de doute que l article 6 1 s applique aux faits de la cause. A la lumière de l ensemble des arguments des parties, le grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s ensuit que le grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l article 35 3 de la Convention. Aucun autre motif d irrecevabilité n a été relevé. 2. La Cour rappelle également qu une fois régulièrement saisie, elle peut connaître de chacun des problèmes de droit qui surgissent en cours d instance à propos des faits déférés à son contrôle par un Etat contractant ou un requérant : maîtresse de la qualification juridique à donner à ces faits, elle a compétence pour les examiner, si elle le juge nécessaire et au besoin d office, à la lumière de la Convention tout entière (voir, mutatis mutandis, Philis c. Grèce, arrêt du 27 août 1991, série A n o 209, p. 19, 56 ; Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 223, 44). En l espèce, le Conseil d Etat a déclaré irrecevable la requête en annulation des requérants, au motif qu ils n avaient plus d intérêt actuel à obtenir ladite annulation, l autorisation de base sur laquelle portait l extension demandée ayant expiré le 18 avril 1995. De l avis de la Cour, ces faits appellent également un examen d office sous l angle du droit

DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE 7 d accès à un tribunal (voir notamment les arrêts Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n o 18, pp. 13-18, 28-36 et Fogarti c. Royaume- Uni [GC], n o 37112/97, 32, CEDH 2001-...). En vue de sa décision sur la recevabilité de la requête, la Cour a invité les parties à présenter des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de ce grief, mais elles n y ont pas donné suite. Dès lors, la Cour estime que le grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s ensuit que le grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l article 35 3 de la Convention. Aucun autre motif d irrecevabilité n a été relevé. 3. Les requérants dénoncent en outre une violation de l article 1 du Protocole n o 1, qui dispose : «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu ils jugent nécessaires pour réglementer l usage des biens conformément à l intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d autres contributions ou des amendes.» Pour le Gouvernement, il ressort très clairement du dossier qu eu égard aux lois et règlements applicables en l espèce, le requérants ne pouvaient en aucun cas faire valoir des droits sur un permis d exploitation portant sur un élevage additionnel de 1.800 animaux. La décision attaquée par les requérants trouverait son fondement dans une politique de protection de l environnement et de l aménagement du territoire qui poursuit un but d intérêt général et dont la proportionnalité ne saurait être contestée. De l avis des requérants, leur demande d exploitation n a pas été refusée pour des motifs liés à la protection de l environnement, mais en vue d éviter des troubles de voisinage liés aux nuisances olfactives. La réglementation de l usage de leurs biens «conformément à l intérêt général» équivaudrait à une privation pure et simple de leur propriété. La Cour rappelle que d après la jurisprudence constante des organes de la Convention, la notion de «biens» contenue à l article 1 du Protocole n o 1 peut recouvrir tant des «biens actuels» que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une «espérance légitime» d obtenir la jouissance effective d un droit de propriété (voir, parmi d autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], n o 33071/96, CEDH 2000-XII). En l espèce, la procédure litigieuse ne concernait manifestement pas un «bien actuel» des requérants. Il convient dès lors d examiner si ceux-ci pouvaient se prévaloir d une «espérance légitime» d obtenir le permis d exploitation demandé. A cet égard, la Cour n aperçoit aucun élément de

8 DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE nature à lui faire penser que le refus du permis demandé était arbitraire ou contraire aux dispositions du droit interne appliquées par les autorités nationales. Il s ensuit que les requérants n avaient aucune «espérance légitime» d obtenir le permis en question. Ils ne possédaient donc pas un «bien» au sens de l article 1 du Protocole n o 1. Partant, le grief formulé sur le terrain de l article 1 du Protocole n o 1 doit être rejeté, conformément à l article 35 3 de la Convention, pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention. 4. Les requérants allèguent enfin une violation de l article 13, qui se lit ainsi : «Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l octroi d un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l exercice de leurs fonctions officielles.» Ils n auraient pas disposé d un recours effectif devant une instance nationale pour dénoncer la violation des articles 6 1 de la Convention et 1 du Protocole n o 1, alors même que devant le Conseil d Etat, ils auraient souligné qu un arrêt concluant à l irrecevabilité pour manque d intérêt ferait d eux des victimes de la lenteur structurelle du Conseil d Etat à traiter des affaires qui lui sont soumises. Le Gouvernement souligne que l effectivité du recours voulu par l article 13 n implique aucunement qu il devrait garantir un résultat favorable. Les requérants auraient eu à leur disposition plusieurs recours internes, dont le recours administratif devant le Ministre communautaire compétent, et ensuite un recours devant le Conseil d Etat. De surcroît, ils auraient eu la possibilité d invoquer l article 159 de la Constitution, qui dispose que les cours et tribunaux n appliquent les décisions et arrêtés généraux, provinciaux ou locaux que dans la mesure où ils ne sont pas contraires aux lois. Or les requérants n auraient jamais sollicité l application de l article 159, par exemple devant les juridictions pénales saisies dans cette affaire, pour faire valoir que l arrêté du Ministre du 21 août 1989 contrevenait à la loi. La Cour rappelle que l article 13 de la Convention garantit l existence en droit interne d un recours permettant de s y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu ils peuvent s y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d un «grief défendable» fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d autres, l arrêt Kudła c. Pologne [GC], n o 30210/96, 157, CEDH 2000). Eu égard à ses conclusions ci-dessus quant à l article 1 du Protocole n o 1, la Cour estime que le grief tiré de cette disposition ne saurait passer pour défendable. Il s ensuit que le grief fondé sur l article 13 combiné avec l article 1 du Protocole n o 1 doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l article 35 3 et 4 de la Convention.

DÉCISION TAVEIRNE ET VANCAUWENBERGHE c. BELGIQUE 9 En tant que le grief est fondé sur l article 13 combiné avec l article 6 1 de la Convention, la Cour estime que s agissant de l accès à un tribunal, les exigences de l article 13 sont moins strictes que celles de l article 6 1 et dès lors absorbées par celles-ci en l espèce (voir mutatis mutandis, parmi d autres, Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A n o 296-A, p. 24, 65). Il s ensuit que cette partie du grief doit, elle aussi, être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l article 35 3 et 4 de la Convention. En revanche, en tant que le grief dénonce l absence de recours en droit belge pour faire respecter le délai raisonnable, la Cour estime, à la lumière de l ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l article 35 3 de la Convention. Aucun autre motif d irrecevabilité n a été relevé. Par ces motifs, la Cour, à l unanimité, Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs tirés des articles 6 1 et 13 de la Convention, ce dernier combiné avec le grief fondé sur le dépassement du délai raisonnable ; Déclare la requête irrecevable pour le surplus. Søren NIELSEN Greffier adjoint Christos ROZAKIS Président