Numéro du rôle : Arrêt n 96/2009 du 4 juin 2009 A R R E T

Documents pareils
Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Numéros du rôle : 4381, 4425 et Arrêt n 137/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 151/2012 du 13 décembre 2012 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 48/2009 du 11 mars 2009 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 108/2011 du 16 juin 2011 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 181/2005 du 7 décembre 2005 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 127/2008 du 1er septembre 2008 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 21/2011 du 3 février 2011 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 36/2006 du 1er mars 2006 A R R E T

A R R E T. En cause : la question préjudicielle relative à l article 1907bis du Code civil, posée par la Cour d appel de Bruxelles.

Numéro du rôle : Arrêt n 167/2014 du 13 novembre 2014 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 118/2005 du 30 juin 2005 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 62/2015 du 21 mai 2015 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 131/2011 du 14 juillet 2011 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 54/99 du 26 mai 1999 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 3/2014 du 16 janvier 2014 A R R E T

copie non corrigée A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 147/2001 du 20 novembre 2001 A R R E T

Numéro du rôle : Arrêt n 34/2015 du 12 mars 2015 A R R E T

Siréas asbl Service International de Recherche, d Education et d Action Sociale

Numéros du rôle : 4527, 4528 et Arrêt n 57/2009 du 19 mars 2009 A R R E T

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

Président : M. Blin, conseiller le plus ancien faisant fonction., président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Numéros du rôle : 5465 et Arrêt n 95/2014 du 30 juin 2014 A R R E T

Tribunal d appel des Nations Unies

à l accès aux fonctions publiques selon le mérite ; à l accès à l eau et à un environnement sain ; au développement durable.»

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel;

Demande de pension. à la suite du décès d un fonctionnaire de l État, d un magistrat ou d un militaire retraité

Fonds d entraide familiale conditions et procédures pour bénéficier des prestations

Cour de cassation de Belgique

RAPPORT DE STAGE ET RÉSUMÉ

AVIS N 68 DU BUREAU DU CONSEIL DE L EGALITE DES CHANCES ENTRE HOMMES ET FEMMES DU 14 FEVRIER 2003, RELATIF AU TRAVAIL AUTORISÉ POUR LES PENSIONNÉS :

Vous êtes marié avec un conjoint de

Règle 63 DIVORCE ET DROIT DE LA FAMILLE

PROCEDURES DE DIVORCE

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Français. Prestations de. survivant. Caisse commune des pensions du personnel des Nations Unies. New York et Genève Juin

Convention sur la réduction des cas d apatridie

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l arrêt suivant :

CONVENTION CONCERNANT L ASSISTANCE ADMINISTRATIVE MUTUELLE EN MATIÈRE FISCALE

Concurrence - Règles communautaires - Entreprise - Notion - Organismes chargés de la gestion du service public de la sécurité sociale - Exclusion

La situation du fonctionnaire ou agent en poste en Belgique au regard du droit belge

Français. Cessation. service. Caisse commune des pensions du personnel des Nations Unies. New York et Genève Juillet 2003

CONVENTION ENTRE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ET LE ROYAUME DU MAROC RELATIVE AU STATUT DES PERSONNES ET DE LA FAMILLE ET A LA COOPERATION JUDICIAIRE

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

Les cohabitants et l immobilier

Grands principes du droit du divorce

CONTRAT D OUVERTURE D UN COMPTE AUQUEL EST LIE UN COMPTE DE TITRES INDIVISION

Clinique Juridique de Bacongo

TITRE PREMIER FORMATION ET BUTS DE LA SOCIETE COMPOSITION CONDITIONS D ADMISSION CHAPITRE PREMIER : FORMATION ET BUTS DE LA SOCIETE

COUR DU TRAVAIL DE LIEGE Section de Liège. ARRÊT Audience publique du 17 décembre 2008 AH/SC

SENTENCE ARBITRALE DU COLLEGE ARBITRAL DE LA COMMISSION DE LITIGES VOYAGES

Convention de Vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales

CAPELO - Compléments au dossier de carrière

Ce texte est une version provisoire. Seule la version qui sera publiée dans la Feuille officielle

Comité sectoriel de la sécurité sociale et de la santé Section sécurité sociale

Cour de cassation de Belgique

REGIMES MATRIMONIAUX

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

Vous divorcez, vous vous séparez?

Peut-on envisager un effet direct?

données à caractère personnel (ci-après "la LVP"), en particulier les articles 31bis et 36bis ;

Circulaire du 28 mai 2015 relative au chèque-vacances au bénéfice des agents de l État NOR : RDFF C

C O N V E N T I O N G É N É R A L E sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et la République algérienne démocratique et populaire

1. Visas, asile, immigration Politique d'immigration Droit au regroupement familial Directive 2003/86

AVIS SUR UNE CLAUSE PORTANT MODIFICATION UNILATÉRALE D UNE PRIME DE POLICE D ASSURANCE PROTECTION JURIDIQUE

DÉCISION Nº217 du 15 mai 2003

Comité sectoriel de la sécurité sociale et de la santé Section sécurité sociale

REPUBL QUE FRANCA SE

B. SERVICE ETAT CIVIL

TRANSFERT DU DOMICILE FISCAL DE FRANCE AU MAROC

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

particuliers professionnels ENTREPRISES Face à face argumenté de vente

Un nouvel avantage fiscal : la déduction pour habitation unique

SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Procédure pénale. Thèmes abordés : Procédure par contumace/ Nouvelle procédure par défaut

Me ANGELE KOUASSI, Notaire, Past-Présidente AFJCI 2013 FORMATION SUR LES SUCCESSIONS

Décision du Défenseur des droits MDE-MSP

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR DE CASSATION R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E. Audience publique du 21 septembre 2011 Rejet M. LACABARATS, président. Arrêt n o 1054 FS-P+B

Les droits de succession et les droits de donation lorsqu il y a un élément d extranéité

Décrets, arrêtés, circulaires

Nous avons réuni les recommandations

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL D INSTANCE D AMIENS. Les dispositions à prendre lors de la prise de fonction du tuteur

Numéros du rôle : 394 à 403. Arrêt n 59/93. du 15 juillet 1993 A R R E T

Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Odent et Poulet, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

Famille et couple: questions pratiques en droit international privé. Renouveau et démocratie Conseil européen 27 septembre 2012

Service public d éducation et d information juridiques du Nouveau-Brunswick

Service Public Fédéral FINANCES Expertise et support stratégique. Bruxelles, le 11 décembre 2012

Comité sectoriel de la sécurité sociale et de la santé Section sécurité sociale

Cour d'appel de Bruxelles - Arrêt du 8 novembre

MARIAGE. Adresse du futur foyer: En l église paroissiale: Date du mariage, A (numéro postal, localité, commune) Diocèse de: ENTRE

Georgette Josserand, lassée du comportement de son mari, qui refuse désormais de lui adresser la parole, décide de demander le divorce.

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Transcription:

Numéro du rôle : 4510 Arrêt n 96/2009 du 4 juin 2009 A R R E T En cause : les questions préjudicielles relatives à l article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 et approuvée par la loi du 20 juillet 1970, posées par la Cour du travail d Anvers. La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l arrêt suivant : * * *

2 I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 11 septembre 2008 en cause de l Office national des pensions contre Ahlalia El Haddouchi, dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 septembre 2008, la Cour du travail d Anvers a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. «L article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 et approuvée par la loi du 20 juillet 1970, viole-t-il le principe constitutionnel d égalité et de non-discrimination, consacré par les articles 11 et 11bis de la Constitution coordonnée (1994), ainsi que l article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales et les articles 2, 1er, et 26 du Pacte ONU relatif aux droits civils et politiques, l article 147 du Code civil et [l ordre] public belge et/ou international, en ce qu il est applicable à une veuve ayant la nationalité belge?»; 2. «L article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 et approuvée par la loi du 20 juillet 1970, est-il conforme au principe constitutionnel d égalité et de nondiscrimination, consacré par les articles 11 et 11bis de la Constitution coordonnée (1994), ainsi qu à l article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales et aux articles 2, 1er, et 26 du Pacte ONU relatif aux droits civils et politiques, en ce qu il établit une différence de traitement entre la veuve belge mariée à un conjoint marocain bigame ou polygame décédé et un conjoint belge qui n est pas marié à un conjoint marocain bigame ou polygame décédé?». Des mémoires et des mémoires en réponse ont été introduits par : - Ahlalia El Haddouchi, demeurant à 3600 Genk, Spoorwegstraat 117; - le Conseil des ministres et l Office national des pensions, dont le siège est établi à 1060 Bruxelles, Tour du Midi. A l audience publique du 28 avril 2009 : - ont comparu :. Me M. Fransen loco Me J. Geukens, avocats au barreau de Tongres, pour Ahlalia El Haddouchi;. Me M. Sahin, avocat au barreau de Hasselt, loco Me P. Vanagt et Me E. Pools, avocats au barreau de Tongres, pour le Conseil des ministres et l Office national des pensions; - les juges-rapporteurs T. Merckx-Van Goey et P. Martens ont fait rapport;

3 - les avocats précités ont été entendus; - l affaire a été mise en délibéré. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l emploi des langues ont été appliquées. II. Les faits et la procédure antérieure La juridiction a quo est saisie de l appel formé par l Office national des pensions contre un jugement du Tribunal du travail de Tongres. Par ce jugement, l Office national a été condamné à verser à Ahlalia El Haddouchi l intégralité de la pension légale de survie à partir du mois suivant le décès, survenu le 7 janvier 2005, de son époux, qui bénéficiait à ce moment d une pension de ménage en tant qu ancien travailleur. L Office national des pensions n avait alloué à l intimée que la moitié de cette pension, étant donné que son conjoint marocain défunt avait, après son mariage au Maroc en 1957 avec l intimée laquelle avait à l époque elle aussi la nationalité marocaine mais a, depuis 2004, la nationalité belge et la nationalité marocaine, conclu un second mariage au Maroc avec une femme marocaine, en 1975. Selon l Office national des pensions, la pension de survie doit dans ce cas être partagée en parts égales entre les deux veuves, conformément à l article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 et approuvée par la loi du 20 juillet 1970. Le Tribunal du travail de Tongres a estimé que la deuxième épouse n avait pas de lien suffisamment établi avec la Belgique et qu elle ne pouvait dès lors prétendre à des droits à la pension belge, parce que la reconnaissance des effets d un mariage polygame s écarte dans ce cas trop fortement de ce qui est admissible selon les normes belges. Selon le premier juge, l article 24, 2, de la Convention précitée relative à la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc n était pas pertinent en l espèce. Dans l arrêt de renvoi, la Cour du travail d Anvers suit en revanche la position de l Office national des pensions selon laquelle il existait, pour les deux mariages polygames, un lien de rattachement significatif avec la Belgique, ce qui implique qu il doit dès lors être tenu compte de la disposition conventionnelle précitée. La juridiction a quo estime par ailleurs que l intimée observe à juste titre qu elle a, dans l intervalle, également obtenu la nationalité belge. Selon l intimée, sa situation est sur ce point fondamentalement différente de celle qui faisait l objet de l affaire au sujet de laquelle la Cour s est prononcée dans l arrêt n 84/2005 du 4 mai 2005 et dans laquelle elle a notamment considéré que les questions préjudicielles relatives à la conformité de la disposition conventionnelle approuvée par la loi au principe constitutionnel d égalité et de non-discrimination n appelaient pas de réponse parce que les différences de traitement alléguées découlaient exclusivement du droit marocain. Sur ce, la Cour du travail d Anvers décide de poser les questions préjudicielles suggérées par l intimée. III. En droit - A - A.1.1. Ahlalia El Haddouchi estime que l article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 et approuvée par la loi du 20 juillet 1970, contient une discrimination dans la mesure où il est appliqué à une veuve de nationalité belge.

4 Si un travailleur marocain décédé était marié simultanément avec plusieurs femmes, chacune des veuves peut, conformément au droit marocain qui régissait son statut, prétendre à une part de la pension de survie. L application de la disposition en cause à une veuve belge contient une discrimination sur la base de son sexe, étant donné que cette situation ne saurait concerner un veuf belge. Il existe également une différence de traitement entre une veuve belge d un travailleur marocain qui était marié simultanément avec plusieurs femmes et une veuve belge d un travailleur marocain qui n était pas marié simultanément avec plusieurs femmes. La veuve belge d un travailleur marocain qui était marié simultanément avec plusieurs femmes est également traitée autrement qu une veuve belge, qu elle ait ou non épousé un travailleur marocain qui était marié avec plusieurs femmes. A.1.2. Ahlalia El Haddouchi observe que l article 147 du Code civil interdit la bigamie et que l application du droit marocain à un justiciable belge est contraire au droit belge. Sans doute la bigamie peut-elle être admise en tant que fait qui découle d un système juridique étranger, mais non lorsqu une des parties concernées a la nationalité belge. Selon l intimée devant la juridiction a quo, la disposition en cause est en outre contraire à l ordre public belge et international en tant qu elle s applique à une veuve ayant la nationalité belge. A.1.3. Ahlalia El Haddouchi considère ensuite que la disposition en cause établit une discrimination entre la veuve belge d un conjoint marocain bigame ou polygame et un conjoint belge qui n était pas marié avec un conjoint marocain bigame ou polygame décédé et que, par conséquent, la deuxième question préjudicielle appelle également une réponse affirmative. En effet, la situation dans laquelle la pension de survie doit être partagée en deux ou être répartie entre davantage d épouses encore ne peut advenir qu à la veuve belge d un conjoint marocain bigame ou polygame. Cela ne pourra jamais arriver à un veuf belge parce que, d une part, la bigamie est interdite en droit belge et que, d autre part, selon le droit marocain, seul l homme peut contracter plus d un mariage. Un veuf marocain ne se retrouvera jamais dans cette situation, étant donné que, selon le droit marocain, l homme peut contracter plus d un mariage, mais non la femme. Il n est pas exclu qu un Marocain qui a épousé plus d une femme ayant constitué des droits à la pension touche les pensions de survie de toutes ses épouses. Une épouse belge qui n était pas mariée à un conjoint marocain bigame ou polygame décédé conservera la totalité de ses droits à la pension, et en particulier la veuve d un conjoint marocain qui n avait pas de seconde épouse. L épouse belge d un conjoint bigame ou polygame décédé ayant une autre nationalité que la nationalité marocaine n entre pas dans le champ d application de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc. Cette situation n est pas pertinente en l espèce. Enfin, la veuve belge d un conjoint marocain bigame ou polygame est également discriminée par rapport à la veuve belge qui était mariée à un conjoint de nationalité belge, les deux étant soumis à la réglementation nationale et internationale applicable en Belgique. A.2.1. Le Conseil des ministres et l Office national des pensions, qui ont introduit ensemble un mémoire, estiment que les différences invoquées dans les questions préjudicielles découlent du droit marocain, sur lequel la Cour ne peut se prononcer. Les questions n appellent par conséquent aucune réponse. Ils se réfèrent à cet égard à l arrêt n 84/2005 du 4 mai 2005, dans lequel la Cour a tranché une affaire analogue. Ils observent qu Ahlalia El Haddouchi n a acquis la nationalité belge qu en 2004 et qu elle a conservé la nationalité marocaine.

5 La différence de traitement découle donc du statut personnel de l intéressée, qui relève du droit marocain, sur lequel la Cour ne peut se prononcer. A.2.2. En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres et l Office national des pensions estiment que les questions préjudicielles appellent une réponse négative. Dans le système belge régissant les ressortissants belges, il n est également versé qu une seule pension de survie qui doit, le cas échéant, aussi être répartie entre plusieurs personnes. Dans le secteur public, s il y a deux ayants droit, par exemple une épouse divorcée et une veuve, la pension de survie est répartie proportionnellement à la durée du mariage avec l épouse divorcée, la veuve recevant le reste. Selon le Conseil des ministres et l Office national des pensions, l article 147 du Code civil, auquel les questions préjudicielles font référence, n est pas pertinent lorsque les deux mariages ont été valablement conclus au Maroc et ont été reconnus en Belgique sur la base du statut personnel de tous les intéressés de nationalité marocaine. La disposition en cause n est pas discriminatoire, dès lors qu elle a pour effet que le régime qui s applique aux Belges, en matière de pensions de survie, peut également être appliqué aux ayants droit de travailleurs qui ont la nationalité marocaine. Le montant de la pension qui sera versée est le même. La disposition en cause est une application de la règle figurant à l article 21 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé, selon laquelle les conséquences de mariages contractés à l étranger peuvent être reconnues en Belgique conformément au statut personnel de l épouse et sous réserve que ces conséquences ne soient pas contraires à l ordre public international belge. Il appartient au juge a quo de déterminer si tel est le cas dans la présente affaire. Le Conseil des ministres et l Office national des pensions concluent que les questions préjudicielles appellent une réponse négative, puisque la prise en compte du statut personnel du travailleur marocain pour l application de l article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc constitue un critère objectif qui peut justifier une éventuelle différence de traitement. Il en est d autant plus ainsi que, du fait de cette allocation, le régime des pensions de survie applicable aux Belges peut également être appliqué aux ayants droit de travailleurs qui ont la nationalité marocaine. A.3.1. Dans son mémoire en réponse, Ahlalia El Haddouchi reprend en grande partie l argumentation de son premier mémoire. Elle répond en particulier que le Conseil des ministres et l Office national des pensions ne tiennent pas compte de la circonstance particulière qui est mentionnée dans les questions actuellement posées à la Cour, à savoir qu un ressortissant belge est concerné en l espèce. La différence fondamentale par rapport à l affaire qui a été tranchée par la Cour dans son arrêt n 84/2005 est que, dans la présente affaire, il doit être tenu compte non seulement du droit marocain, mais également du droit belge. En outre, des effets juridiques sont donnés à la bigamie, alors que l ayant droit à la pension avait la nationalité belge au moment de la décision de l Office national. Un veuf belge ne peut jamais se trouver dans la situation dénoncée, étant donné que la loi marocaine interdit aux femmes d avoir plus d un conjoint. A.3.2. Ahlalia El Haddouchi répond ensuite que la situation dont parlent le Conseil des ministres et l Office national des pensions en ce qui concerne la répartition de la pension de survie du secteur public entre l ex-épouse d un fonctionnaire et sa veuve n est pas comparable. En effet, cette situation peut concerner une veuve belge comme un veuf belge. En l espèce, la situation est fondamentalement différente. Il ne peut en aucun cas être procédé à une répartition pour le même motif que celui qui fait l objet de la question préjudicielle, à savoir que le défunt avait épousé plus d un partenaire.

6 La discrimination d une veuve belge dans la situation actuelle qui découle de la bigamie ou de la polygamie est spécifique à la présente affaire. A.4.1. Le Conseil des ministres et l Office national des pensions répliquent qu Ahlalia El Haddouchi néglige le fait que les deux mariages du défunt sont réguliers et peuvent être reconnus en Belgique. Elle passe également sur le fait que, même au moment de la décision de l Office national des pensions, elle avait toujours la nationalité marocaine, en plus de la nationalité belge. Les épouses du défunt résidaient à tour de rôle au Maroc et en Belgique, de sorte qu on ne peut affirmer que le deuxième mariage polygame n ait pas de lien de rattachement suffisant avec la Belgique. L argument selon lequel le deuxième mariage serait illégal parce qu Ahlalia El Haddouchi a également obtenu la nationalité belge est inexact. A.4.2. Le Conseil des ministres et l Office national des pensions observent encore que le montant total de la pension de survie reste en tout état de cause le même, que ce soit pour une seule veuve ou pour plusieurs veuves, selon que c est la loi belge ou la Convention qui s applique. Enfin, le Conseil des ministres et l Office national des pensions contestent qu un veuf marocain qui était marié avec plusieurs femmes ayant chacune ouvert des droits à la pension touche des pensions de survie de toutes ses épouses : il peut uniquement recevoir la pension de survie la plus avantageuse. - B - B.1.1. La Cour du travail d Anvers pose deux questions préjudicielles concernant la compatibilité, avec le principe d égalité et de non-discrimination, de l article 24, 2, de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 et approuvée par la loi du 20 juillet 1970. B.1.2. L article unique de la loi du 20 juillet 1970 portant approbation de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 dispose que la Convention précitée «sortira son plein et entier effet». B.1.3. La Convention générale précitée a pour objet de garantir le bénéfice des législations en matière de sécurité sociale en vigueur au Maroc et en Belgique aux personnes auxquelles s appliquent ces législations. Il ressort de cette Convention qu on applique en Belgique la législation belge relative à la pension de survie des travailleurs salariés aux travailleurs de nationalité marocaine qui ont été affiliés au régime belge de l assurance décès.

7 L article 24, 2, de cette Convention dispose : «La pension de veuve est éventuellement répartie, également et définitivement, entre les bénéficiaires, dans les conditions prévues par le statut personnel de l assuré». Si le travailleur était marocain et qu il avait contracté plusieurs mariages, conformément au droit marocain qui réglait son statut personnel, chacune de ses veuves peut dès lors prétendre à une partie de la pension de veuve, appelée aujourd hui pension de survie. B.2.1. L affaire dont est saisie la juridiction a quo porte sur l attribution d une pension de survie à la suite du décès, en 2005, d un homme de nationalité marocaine qui a constitué en Belgique des droits à la pension en tant que travailleur. Cet homme a épousé en 1957, au Maroc, l intimée devant la juridiction a quo, qui avait alors uniquement la nationalité marocaine mais qui a également acquis la nationalité belge en 2004. Cet homme a épousé en 1975, au Maroc, une autre femme de nationalité marocaine. B.2.2. L intimée devant la juridiction a quo conteste la décision de l Office national des pensions de répartir la pension de survie entre les deux veuves, en application de l article 24, 2, de la Convention générale précitée sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc. B.3. L article 11 de la Constitution garantit que la jouissance des droits et libertés est assurée sans discrimination. L article 11bis de la Constitution précise en particulier que cette garantie doit être assurée aux femmes et aux hommes. B.4.1. Par la première question préjudicielle, telle qu elle a été suggérée par l intimée devant la juridiction a quo, il est demandé s il est discriminatoire de répartir entre deux bénéficiaires la pension de survie, à la suite du décès d une personne de nationalité marocaine qui a travaillé en Belgique, sur la base de l article 24, 2, précité, «en ce qu il est applicable à une veuve ayant la nationalité belge».

8 B.4.2. La seconde question préjudicielle porte en particulier sur la différence de traitement entre «la veuve belge mariée à un conjoint marocain bigame ou polygame décédé et un conjoint belge qui n est pas marié à un conjoint marocain bigame ou polygame décédé». La veuve belge d un homme bigame ou polygame marocain qui a constitué des droits à la pension en Belgique devrait, le cas échéant, partager la pension de survie avec une, voire plusieurs autres veuves du même mari, alors qu un conjoint belge qui était marié avec un conjoint autre qu un Marocain polygame ne doit normalement pas partager l éventuelle pension de survie. Dans l arrêt de renvoi, la Cour du travail d Anvers précise : «il ne s agit pas de savoir s il y a violation par un traitement distinct de l intimée par rapport à d autres femmes marocaines, mais bien par rapport à d autres femmes belges». B.4.3. Les deux questions préjudicielles, qui sont posées sous des angles différents mais concernent une même différence de traitement, peuvent être examinées ensemble. B.5. Lorsque le contrôle de la Cour porte sur une loi d assentiment à une convention internationale comme en l espèce -, la Cour doit tenir compte de ce qu il ne s agit pas d un acte de souveraineté unilatéral mais d une norme conventionnelle par laquelle la Belgique a pris un engagement de droit international à l égard d un autre Etat. B.6. Il ressort des travaux préparatoires de la loi portant approbation de la Convention générale précitée que le but était en particulier de supprimer les obstacles à l occupation de travailleurs de nationalité marocaine en Belgique et de fixer des règles pour l octroi de prestations de sécurité sociale aux travailleurs marocains dont l occupation a donné lieu à la perception de cotisations de sécurité sociale en Belgique (Doc. parl., Chambre, 1968-1969, n 480-1, p. 1, et Doc. parl., Sénat, 1969-1970, n 364, p. 1).

9 Par la disposition en cause, le législateur a, d une part, tenu compte de l hypothèse dans laquelle, sur la base de la nationalité marocaine de l assuré et plus précisément du fait que le droit marocain autorise la polygamie -, plusieurs veuves peuvent être simultanément bénéficiaires d une pension de survie et a, d autre part, évité que cette hypothèse donne lieu au versement intégral de cette pension à plus d une personne. B.7.1. Eu égard à ce but, il n est pas injustifié que, d une part, le conjoint survivant qui est seul appelé à la pension de survie puisse prétendre à l intégralité du montant de la pension et que, d autre part, deux ou plusieurs conjoints survivants qui sont appelés à une pension de survie ne puissent prétendre qu à une part de cette pension. B.7.2. Le fait qu en l occurrence, une des veuves a également acquis la nationalité belge ne prive pas la mesure de sa justification. Dans le droit interne, il existe aussi des situations où il est tenu compte de plusieurs bénéficiaires d une pension de survie. Ainsi dans le régime de pension du secteur public, un survivant divorcé et le conjoint survivant peuvent, chacun pour une partie, prétendre à la pension de survie, proportionnellement aux périodes respectives de leur mariage avec la personne qui ouvre le droit à la pension. Dans le régime des travailleurs salariés, les personnes divorcées n ont pas droit à une pension de survie. Lorsqu elles ont droit à une pension de retraite, celle-ci est calculée au prorata de la durée du mariage. De même, il découle de l article 201 du Code civil qu un mariage déclaré nul en Belgique produit néanmoins des effets à l égard du ou des conjoints de bonne foi, de sorte que, dans ce contexte du mariage putatif aussi, il doit être tenu compte, le cas échéant, de plusieurs prétentions à une pension de survie. B.8. En vertu de la disposition en cause, par laquelle la Belgique a pris un engagement de droit international à l égard d un autre Etat, il est tenu compte, en ce qui concerne la pension de survie, des effets de la possibilité de la polygamie en droit marocain et il est prévu

10 que, dans ce cas, les différents conjoints survivants peuvent prétendre à une part égale de cette pension, au lieu qu une personne en soit exclue. En outre, compte tenu de ce que le régime de pension légale ne prévoit pas qu une pension puisse être versée intégralement à plusieurs bénéficiaires, il n est pas disproportionné que, même lorsqu il s agit de prendre en compte les effets d une situation de polygamie à l égard de la pension de survie, il ne soit pas prévu qu une pension de survie intégrale sera versée à chacun des conjoints survivants. B.9.1. Il découle de ce qui précède que la disposition en cause est compatible avec les articles 11 et 11bis de la Constitution. B.9.2. Le contrôle exercé au regard des dispositions constitutionnelles précitées, combinées avec l article 14 de la Convention européenne des droits de l homme et avec les articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel les questions préjudicielles invitent par ailleurs à procéder, ne conduit pas à une autre conclusion. B.9.3. Pour le surplus, la Cour, qui est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur la compatibilité de normes législatives avec les normes de référence contenues dans l article 142 de la Constitution et dans l article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, ne peut se prononcer sur la première question préjudicielle en ce que celle-ci invite à exercer un contrôle direct au regard de l ordre public international belge. Il en est de même en ce qui concerne le contrôle au regard de l article 147 du Code civil. B.10. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

11 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L article unique de la loi du 20 juillet 1970 portant approbation de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 24 juin 1968 ne viole pas les articles 11 et 11bis de la Constitution en ce qu il approuve l article 24, 2, de la Convention générale précitée. Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l audience publique du 4 juin 2009. Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux M. Bossuyt