Ferdinand de Saussure, Écrits de linguistique générale ; Pierre-André Huglo, Approche nominaliste de Saussure

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Transcription:

Mots. Les langages du politique 76 2004 Guerres et paix. Débats, combats, polémiques Ferdinand de Saussure, Écrits de linguistique générale ; Pierre-André Huglo, Approche nominaliste de Saussure Jacques Guilhaumou Éditeur ENS Éditions Édition électronique URL : http://mots.revues.org/2693 ISSN : 1960-6001 Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2004 Pagination : 139-142 ISBN : 2-84788-064-X ISSN : 0243-6450 Référence électronique Jacques Guilhaumou, «Ferdinand de Saussure, Écrits de linguistique générale ; Pierre-André Huglo, Approche nominaliste de Saussure», Mots. Les langages du politique [En ligne], 76 2004, mis en ligne le 23 avril 2008, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://mots.revues.org/2693 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. ENS Éditions

Ferdinand de Saussure, Écrits de linguistique générale, texte établi et édité par Simon Bouquet et Rudolf Engler, 2003, Paris, Gallimard, 353 p. Pierre-André Huglo, Approche nominaliste de Saussure, 2002, Paris, L Harmattan, 338 p. Le «retour à Saussure» mêle de façon inextricable le retour aux idées de Saussure connues depuis la première édition du Cours de linguistique générale (CLG) en 1915 par Charles Bally et Albert Sechehaye, et le retour à des textes manuscrits longtemps inédits, mais désormais disponibles grâce aux travaux de Simon Bouquet et Rudolf Engler dans le volume intitulé Écrits de linguistique générale (ELG). Il convient d abord d écarter l idée que la publication des manuscrits relève d un simple exercice philologique à valeur de complément, voire de correction, du CLG, qui continuerait à rendre compte de la pensée «achevée» de Saussure. Selon l heureuse expression de François Rastier dans son importante contribution au récent Cahier de l Herne sur de Saussure («Le silence de Saussure ou l ontologie refusée»), la lecture des écrits saussuriens posthumes suppose «une herméneutique de l esquisse manuscrite» qui nous ouvre à la connaissance d un corpus d énoncés ayant valeur d états possibles d une pensée d un égal intérêt et non réductibles à une théorie finale. Il n en reste pas moins qu une lecture de l ensemble du CLG, soit dans sa cohérence propre (Claudine Normand, 2000, Saussure, Paris, Éditions Les belles lettres), soit en matière d ontologie du signe, et présentement dans une perspective nominaliste avec Pierre-André Huglo, s avère tout aussi indispensable. Dans cet ensemble de textes saussuriens, particulièrement enchevêtré, il n est pas sans intérêt de distinguer, ainsi que le fait Bouquet dans la suite de son ouvrage sur l Introduction à la lecture de Saussure (1997, Paris, Payot), trois champs de savoir : en premier lieu une réflexion sur les principes, les conditions de possibilité d une science de la langue, sous la modalité d une épistémologie de la grammaire comparée; en deuxième lieu une réflexion prospective sur une discipline à venir, sous la forme d un pari épistémologique relatif à l importance de la linguistique ; en troisième lieu, une réflexion sur le fait même de la signification linguistique dans la perspective d une métaphysique du langage. L apport le plus original de cette réflexion d ensemble sur la pensée de Saussure nous semble provenir essentiellement de la mise à jour d une relation nouvelle entre l épistémologie de la linguistique et sa métaphysique propre. À condition bien sûr d en finir avec toute approche substantialiste du sujet parlant, avec toute 139

considération dualiste sur le lien entre la pensée et le langage et avec tout lien représentationnel entre la langue comme système de signes et «les rapports véritables entre les choses». Nous pouvons alors suivre, avec un grand bonheur de lecture, la façon dont Saussure montre que «la langue s avance et se meut à l aide de la formidable marche de ses catégories négatives, véritablement dégagées de tout fait concret» (ELG, p. 76). Précisons plus avant ce qu il en est, pour Saussure, du fait qu un signe n est limité que négativement, par la présence même d autres signes. Après avoir écrit que «la langue est formée par un certain nombre d objets extérieurs que l esprit utilise comme signes» (ELG, p. 213), ce linguiste rend compte de ce qu il en est de la double existence du signe, présent à la fois dans l esprit et dans la vie matérielle : D une part, le signe existe, hors de l historicité des formes, par association faite par l esprit avec une idée, sans pour autant correspondre à une unité mentale, à un terme déterminé a priori dans son contenu. Du point de vue de l existence mécanique des signes, Saussure peut ainsi affirmer qu «il n y a rien de commun, dans l esprit, entre un signe et ce qu il signifie» (ELG, p. 20). Cette première existence du signe renvoie à «la faculté de notre esprit de s attacher à un terme en soi nul» (ELG, p. 109). D autre part, le signe, appréhendé dans son déploiement historique, est tout autant dénué de signification a priori parce qu il n est pas délimité en soi. Si «toute chose matérielle est pour nous un signe» (ELG, p. 115), donc si «le langage existe hors de nous et de l esprit» (ELG, p. 64), l objet matériel n existe pas, pour le linguiste, comme une chose en soi. Le signe est partie d une somme de signes, il n est, dans cette seconde existence matérielle, que la résultante de différences, et d oppositions. Dans les deux cas, la présentation des signes est purement négative : il n y a pas d «êtres linguistiques donnés en soi», donc de termes positifs, mais que des différences entre les signes issues de la combinaison de la forme et du sens perçu. Saussure en conclut que «la langue ne s alimente dans son essence que d oppositions, d un ensemble de valeurs parfaitement négatives» (ELG, p. 71). D autres formules, en particulier «la langue est sociale, ou bien n existe pas» (ELG, p. 298), «la langue court entre les hommes, elle est sociale» (ELG, p. 94), et une note courte, mais fort suggestive sur le discours (ELG, p. 275) nous interpelle de façon concomitante sur le langage comme institution humaine, mais d un genre particulier : il s agit en effet d «une institution pure sans analogue» (ELG, p. 211), par son absence de fondation sur un principe final inscrit dans l ordre naturel des choses et son lien à un principe primitif et unique condensé dans l expression «la langue est un système de signes», par «le pur fait négatif de l opposition des valeurs» (ELG, p. 77). 140

Ainsi, Saussure situe le surgissement individuel dans le circuit de la parole, du fait que «toute la langue entre d abord dans notre esprit par le discursif». Il parle alors de «langue discursive», donc de ce qui la caractérise, le discursif (ELG, p. 117-118). Il aborde ainsi la sphère du langage où règne «le tourbillon des signes» dans l histoire, donc singularise ce qui la constitue, le lien social. Dans la langue, le discursif et le social ne sont pas des réalités distinctes : ils sont deux manières de caractériser la même chose, le système de signes constitutif de la langue. Le signe existe à la fois dans notre esprit et par le lien social du fait même de la constitution de la langue. Le fait social de la langue existe, un donné linguistique est attesté dans la combinaison sociale de la diversité mécanique des idées et de la diversité organique des signes (ELG, p. 51). Ce qui importe donc, en matière d identité linguistique, c est l appréhension conjointe de la diversité et de l unité de la langue, dans son déploiement historique, c est-à-dire l association d éléments hétérogènes, par l union d une diversité de faits de langue dans un fait linguistique complexe (ELG, p. 18). Certes les signes sont abandonnés à leur vie matérielle, sociale, faute de connexité naturelle entre un terme et une idée. Mais du chaos de la diversité des signes et des idées, de l accidentalité des faits linguistiques sort, par le seul fait du rapport, l identité sociale de la langue. La langue fait lien social : l ordre de la langue et l ordre social sont les deux faces d une même réalité. De l approche de la langue en tant qu institution sociale ressort en fin de compte l existence d évènements linguistiques, selon la propre expression de Saussure, qu il définit de la façon suivante : «Toute langue a en elle-même une histoire qui se déroule perpétuellement, qui est faite d une succession d évènements linguistiques, lesquels n ont point eu de retentissement au-dehors et n ont jamais été inscrits par le célèbre burin de l histoire» (ELG, p. 150). À vrai dire, la spécificité de l espace/temps de l intercommunication humaine, marqué par le caractère empirique de la langue, est la présence en son sein de singularités évènementielles sous la double conjonction de l existence de quelque chose, la langue, et du dit de quelqu un, le sujet parlant. Cette évènementialisation originaire de la langue relève d un ensemble vide de significations, mais qui désigne ce qui peut être dit dans le discours, donc pose ses conditions de possibilité. Ainsi il convient de particulariser les évènements de langue, qui n ont d autre effet que de modifier un état de langue nous disons plutôt un état d hyperlangue en référence à l espace/temps de communication et non les systèmes de la langue élaborés par le linguiste. Ces évènements ont la particularité de constituer les éléments de la langue empirique dans un espace/temps de communication, mais pour autant, ils ne réalisent que des éléments isolés de la langue, des singularités distinctes des actes de discours qu elles engendrent. Ainsi Saussure précise, dans sa note sur le discours, que «la langue ne fait 141

préalablement que réaliser des concepts isolés, qui attendent d être mis en rapport entre eux pour qu il y ait signification de pensée» (ELG, p. 275) : le discours est alors ce lieu où l individu humain peut et doit donner une signification, dans son rapport à un autre individu, à ce quelque chose qui existe au sein des unités primitives de la langue. La lecture nominaliste du CLG, proposée par Huglo, précise ce qu il en est d un tel renouvellement saussurien de la perspective ontologique sur la signification linguistique. Soucieux de montrer la relation, au sein de la théorie saussurienne, entre une conception essentiellement négative de la valeur linguistique et une théorie de la référence, Huglo fait un long détour par la théorie ockhamiste du signe. Certes Saussure ne conserve pas le nominalisme naturaliste d Ockham, mais il n en rejette pas pour autant une approche nominaliste du signe et de ce qu il signifie, dans son souci très philosophique d articuler l épistémologie de la linguistique et la métaphysique du langage, par une sorte de requalification de la métaphysique au contact de la connaissance scientifique de la langue. Le point de vue nominaliste considère en effet l existence des seules entités individuelles : il évite ainsi la confusion entre les êtres du discours et les êtres-objets et introduit de même un principe d économie des signes, base d une réflexion critique sur la multiplication d entités sans nécessité, soit de manière substantialiste, soit de manière dualiste. Saussure en retient l existence des seules entités concrètes de la langue, signes à double face (signifiant/signifié) construits et reconstruits en permanence par les sujets parlants. D une part «ce qu on nomme signifié d un signe n est qu une façon de parler, une manière particulière et arbitraire de signifier, et de pouvoir supposer personnellement pour quelque chose de non linguistique» (p. 297), d autre part «le signifiant n est pas une entité réellement distincte de la phonie, mais d une certaine façon de l entendre, en se focalisant sur certains traits déterminés de celle-ci, en fonction d une tradition arbitraire» (p. 317). Ainsi le rapport signifiant/signifié est (re)construit en permanence par les manières de parler des sujets de la langue tant dans la production des signes que dans leur interprétation. Saussure insiste bien sur le principe nominaliste de distinction entre les unités discernables de la langue : «Les signes n ont d autre mission, essence, que d être distincts» (ELG, p. 263). Il considère donc que tout terme de la langue tient lieu de quelque chose qui n est pas de l ordre du discours, mais sans préjuger de quelle sorte de chose il s agit, seul le discours pouvant donner une signification à cette chose. D une certaine manière, la dé-ontologisation de la linguistique, marquée par l insistance saussurienne sur la valeur différentielle des signes, s accompagne d une ré-ontologisation, de nature foncièrement nominaliste, qui requalifie ainsi la métaphysique du langage au plus près de l épistémologie de la linguistique. Jacques Guilhaumou 142