L'innovation: enjeux, contraintes et opportunités pour les ruraux pauvres



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Transcription:

L'innovation: enjeux, contraintes et opportunités pour les ruraux pauvres Nigel Poole Avec Chris Penrose Buckley Janvier 2006

AVANT-PROPOS L innovation est le thème qui a été choisi pour le Conseil des gouverneurs de 2006 en raison de l'importance qu'elle revêt pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement et parvenir à éliminer la pauvreté. Financé par le Ministère du développement international du Royaume-Uni (DFID), la mise en œuvre de l'initiative du FIDA pour intégrer l'innovation a démarré en février 2005. Le FIDA a un rôle crucial à jouer pour appuyer les efforts mis en œuvre par les pays en développement pour réduire la pauvreté et sécuriser les moyens de subsistance. Pour atteindre ces objectifs, il faut non seulement intensifier l'action et améliorer les programmes existants mais également s y prendre différemment. C'est là que l'innovation joue un rôle primordial. Le FIDA a chargé deux spécialistes du développement rural de rédiger des documents de travail qui étudient les difficultés et les possibilités nouvelles et recensent les méthodes, interventions, institutions, partenariats et processus de développement rural innovants permettant de relever ces nouveaux défis. Le document rédigé par Nigel Poole étudie et évalue les méthodes innovantes les plus récentes. Il tire également parti des exposés présentés lors de l'atelier sur l'innovation organisé du 15 au 17 novembre 2005 à Rome, auquel ont pris part des chercheurs et des membres du personnel des projets, ainsi que des représentants d ONG, d'organisations agricoles, d'organismes régionaux de développement et d'institutions des Nations Unies. Nous sommes certains que cette étude, tout comme celle de Julio Berdegué et les documents de synthèse qui l'accompagnent, seront le point de départ d'un débat sérieux et fructueux sur les enjeux de l'innovation pour le développement rural et sur certains des défis que doit relever le FIDA à cet égard. Gunilla Olsson Directrice, Division des politiques FIDA L'AUTEUR Nigel Poole est maître de conférences au Imperial College, Université de Londres, au Royaume-Uni. Ses recherches tournent autour de la gestion et de la commercialisation des ressources naturelles, de l'étude des systèmes des marchés agroalimentaires et de l'analyse institutionnelle, ainsi que de la pollution de l'environnement et des normes publiques et privées relatives à la sécurité sanitaire des aliments. Son expérience porte sur le développement socioéconomique des communautés autochtones de l'amérique latine, mais il a aussi travaillé dans plusieurs autres régions du monde. Ses travaux ont porté sur les priorités des politiques et de la recherche de services publics tels que le Ministère du développement international du Royaume-Uni (DFID). Il détient un Masters et un Doctorat en économie agricole de l'université de Londres, un Masters en vulgarisation agricole de l'université de Reading, Royaume-Uni, et une licence en sciences agronomiques (BSc) de l'université de Nottingham, au Royaume-Uni. Les opinions exprimées dans ce document sont celles de l'auteur et, sauf mention expresse, ne correspondent pas nécessairement aux vues et aux orientations du Fonds international de développement agricole.

SIGLES ET ACRONYMES DSRP EEI GCRAI IFPRI MISTOWA NEPAD OCDE OMD OMPI ONG ONU PMA PPP RESIMAO SIBTA SIG TIC USAID Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté Évaluation externe indépendante Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale Institut international de recherche sur les politiques alimentaires Réseau régional de systèmes d'information de marché et de commerce agricole en Afrique de l'ouest Nouveau partenariat économique pour le développement de l'afrique Organisation de coopération et de développement économiques Objectifs du Millénaire pour le développement Organisation mondiale de la propriété intellectuelle Organisation non gouvernementale Organisation des Nations Unies Pays les moins avancés Partenariat public-privé Réseau des systèmes d'information des marchés en Afrique de l'ouest Système de recherche agronomique bolivien Systèmes d'information géographique Technologies de l'information et de la communication Agence des États-Unis pour le développement international iii

TABLE DES MATIÈRES SIGLES ET ACRONYMES iii RÉSUMÉ 1 INTRODUCTION 7 1. COMPRENDRE L'INNOVATION 9 2. LES DÉFIS QUE DOIVENT RELEVER LES RURAUX PAUVRES 22 3. LES POSSIBILITÉS 37 4. DÉVELOPPEMENT ET INNOVATION 53 RÉFÉRENCES 60 APPENDICE 72 iv

Résumé Contexte et portée de l étude Le présent document a été rédigé pour le FIDA vers la fin de la période couverte par le Cadre stratégique (2002-2006) dans le but de permettre au FIDA de contribuer efficacement au respect des engagements contractés au niveau international en ce qui concerne les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Cette étude servira de document de travail informel à la réunion du Conseil des gouverneurs du FIDA (15 et 16 février 2006). Elle s'inscrit dans la continuité de l'initiative pour intégrer l'innovation, dont le cadre général a été arrêté en décembre 2004, ainsi que de l'évaluation externe indépendante (EEI) d'avril 2005, dont l'une des conclusions est particulièrement pertinente en l'espèce, à savoir celle qui affirme que «le FIDA devrait... promouvoir plus systématiquement les innovations susceptibles d être amplifiées et reproduites par d autres acteurs» 1. Le FIDA a pour mission d œuvrer pour que les ruraux pauvres se libèrent de la pauvreté par les moyens suivants: en renforçant les capacités des ruraux pauvres et de leurs organisations; en améliorant l'accès équitable aux ressources naturelles productives et à la technologie; et en développant l'accès aux services financiers et aux marchés. «Focalisation» et «hiérarchisation des priorités» sont désormais des impératifs majeurs pour répondre directement aux besoins de la clientèle du FIDA. Il est également possible de renforcer le rôle indirect que joue le FIDA pour encourager l'innovation (élaboration des grandes orientations et action de sensibilisation) par l'intermédiaire de ses partenaires internationaux. La portée des termes de référence (voir appendice) est très large et, pour les sujets abordés dans le rapport, compte tenu des limites de temps et d'espace, les difficultés et les possibilités d'innovation en faveur des ruraux pauvres n'ont pas toutes été examinées en détail. Le rapport comprend quatre sections principales:1) comprendre l'innovation dans le contexte de la pauvreté rurale; 2) les défis que doivent relever les ruraux pauvres; 3) les possibilités d'innovation en faveur des ruraux pauvres et avec eux; et 4) des conclusions qu'il est suggéré au FIDA d examiner pour élaborer une politique de l'innovation et une approche de la fourniture de ses services fondée sur l esprit d entreprise. Comprendre l innovation Dans son acception la plus simple, innovation signifie nouveauté, faire des choses nouvelles ou faire d'une façon nouvelle ce que l'on a toujours fait. Une définition plus précise en est l'application de ressources et de découvertes technologiques, institutionnelles et humaines à des procédés de production débouchant sur de nouvelles pratiques, de nouveaux produits et marchés, de nouvelles institutions et organisations à l'efficacité renforcée. Un modèle simple de ce processus fait intervenir la reconnaissance des besoins, l'articulation de la demande, la conception de solutions innovantes, leur mise en œuvre, leur transposition et leur reproduction à plus grande échelle, ces dernières étapes en particulier ayant des caractéristiques fondées sur l esprit d entreprise. L innovation dans l'agriculture et l'entreprise rurale existe depuis des millénaires, qu elle soit due au hasard ou à l'action informelle mais bien ciblée des populations rurales qui recherchent des modes nouveaux et plus adaptés de production et d'organisation. Les populations rurales elles-mêmes ont donc été une source importante de connaissances et de méthodes nouvelles grâce à leurs savoirs et modes d'organisation autochtones. Les solutions créatives apportées par les petits exploitants euxmêmes demeurent une source importante d'amélioration de la productivité agricole dans bien des régions des pays en développement. 1 http://www.ifad.org/gbdocs/eb/84/f/eb-2005-84-r-2-rev-1.pdf 1

Le processus et le rythme de la recherche et de l'innovation dans le système agricole formel se sont accélérés aux XVIII e et au XIX e siècle grâce à l'application des méthodes scientifiques dans les économies relativement avancées. Les priorités de la recherche-développement dans l agriculture ont été arrêtées au cours du siècle dernier par les pouvoirs publics, avec l'aide de fondations privées à buts philanthropiques, ce qui a abouti à la création de systèmes nationaux formels de recherche dans les pays avancés et dans les pays en développement, et à la création d organismes internationaux de recherche tels que ceux regroupés sous l égide du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI). Mais la convergence entre l innovation informelle par les agriculteurs et la recherche menée dans le cadre des systèmes formels est lente et limitée, et a des résultats mitigés. La révolution verte est généralement considérée comme une résultante de la recherche publique, mais a aussi été interprétée comme étant un exemple classique d'une méthodologie participative mettant l'agriculteur au premier plan. Le fait qu'elle soit également née d'une conjonction fortuite entre disponibilité des ressources, moment opportun, croissance de la demande et appui politique actif appelle l'attention sur le contexte économique et politique plus large dans le cadre duquel les difficultés sont perçues et les possibilités exploitées. Bien que des sommes colossales aient été dépensées dans les systèmes formels de recherchedéveloppement agricole, nombreux sont les pauvres des régions reculées les moins favorisées qui n'ont pas profité des technologies mises au point pour les régions riches en ressources, en particulier dans les cas où les politiques publiques n'étaient pas porteuses. De plus, les systèmes de recherche formels étaient dominés par le modèle descendant conçu au sommet caractéristique du secteur public, et ne prenait pas en compte la contribution potentielle des savoirs autochtones. Il a été difficile de mettre effectivement en place la participation des bénéficiaires à la définition et à la mise en œuvre des priorités de la recherche. À l'heure actuelle, on considère que l'innovation provient de sources de recherche multiples et peut être diffusée en utilisant de multiples méthodes de vulgarisation, en fonction des contextes historiques, politiques, économiques, agroclimatiques et institutionnels particuliers. L'accélération du progrès de la technologie a entraîné vers la fin du siècle dernier l'apparition de plates-formes technologiques telles que les technologies de l'information et de la communication (TIC) et la biotechnologie. Ces faits nouveaux soulignent les possibilités qui existent en matière d'innovation et d'entreprise en milieu rural pour l'activité créatrice des entreprises privées dans des secteurs non ruraux. La prise en charge par les bénéficiaires, ou pour le moins leur participation étroite, est essentielle à certains ou à tous les stades du processus d'innovation. L'approche systémique permet de saisir les éléments cruciaux: les sources multiples de l'innovation; la nécessité d associer les ruraux pauvres en tant qu'acteurs ainsi qu'à la définition des objectifs de la recherche en fonction des conditions locales; et les réseaux de partenariats avec des organisations gouvernementales et non gouvernementales, ainsi qu'avec les acteurs du secteur commercial. Du fait de la nature complexe et interactive des problèmes posés par les défis que doivent actuellement relever les sociétés rurales, qui sont précisés ci-dessous, les ressources extérieures seront de plus en plus nécessaires pour aider à résoudre les problèmes en milieu rural, en partenariat avec les autres parties prenantes, à chaque étape du processus d'innovation. Ce n est qu'en allant au-delà des cycles répétitifs de l'évaluation économique au sens étroit et en adoptant une approche systémique de l'apprentissage que l'on aidera les systèmes d'innovation agricole et rurale à trouver de meilleurs moyens d atteindre leurs buts économiques et sociaux plus larges, et par là, à contribuer à la réalisation des OMD. Les défis que doivent relever les ruraux pauvres Pour les ruraux pauvres, les principaux enjeux peuvent se classer sous quatre rubriques: facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Les causes en sont complexes, les effets n'en sont pas toujours négatifs et les difficultés donnent naissance à de nouvelles possibilités. Quatre 2

domaines principaux ont été abordés: la mondialisation et les obstacles à la pénétration des marchés internationaux compétitifs; les marchés du travail; les grandes orientations du développement international; et le changement climatique. Les grandes questions touchant à la santé, aux problèmes sociaux et à l'infrastructure physique n'ont été abordées qu en passant. La mondialisation est associée à toute une série d'évolutions technologiques touchant les systèmes d'information et la production, la transformation et la distribution des biens et des services. Elle favorise souvent l homogénéisation mais les effets n en sont pour autant pas généralisés ou uniformes: les avantages de la mondialisation, par exemple les systèmes d'information efficaces et bon marché, ne profitent pas de la même façon aux ruraux les plus pauvres; les améliorations de l'infrastructure de transport et de communication homogénéisent la demande mondiale et intensifient la concurrence sur les marchés des produits; mais les ruraux les plus pauvres sont ceux qui bénéficient le moins des services d'infrastructure physique et des services sociaux essentiels pour pouvoir tirer parti des possibilités offertes; la concentration industrielle accrue de la fourniture des intrants et des services agricoles, de l'achat, de la fabrication et de la transformation des produits bruts des zones rurales, ainsi que des circuits de distribution des produits jusqu'au consommateur final en particulier, la progression du phénomène des supermarchés, sont des facteurs importants dont pâtissent les producteurs ruraux; le développement de la concurrence, la large diffusion et la mondialisation des préoccupations concernant la santé et la sécurité ainsi que la responsabilité sociale contribuent à l application de normes plus rigoureuses en matière d'entreprise, d'éthique et d'environnement, multiplient les obstacles à l'accès aux marchés et contribuent à la détérioration des termes de l'échange entre les zones rurales pauvres et les principaux marchés. Paradoxalement, du fait de l'évolution des facteurs socioéconomiques dans de nombreux pays consommateurs et de l'homogénéisation de la demande, on voit également apparaître en contrepartie des tendances à la différenciation et à la spécialisation, qui offrent donc de nouveaux débouchés commerciaux pour les zones rurales des pays en développement qui pourraient jouir d avantages compétitifs ou uniques dans ces créneaux. Une meilleure organisation de la chaîne de l'offre pour parvenir à l'échelle nécessaire et acquérir les compétences requises peut permettre de surmonter les obstacles érigés par la mondialisation. Il existera probablement des possibilités à saisir pour de nombreux produits sur les marchés locaux et régionaux, et sur certains marchés internationaux. La croissance des marchés du travail aux niveaux régional, national et international offre des possibilités économiques très importantes aux ruraux les plus pauvres, en particulier grâce à la création de revenus et aux envois de fonds. Toutefois, les effets des migrations sur les ruraux pauvres sont complexes: par exemple, réduire la pression démographique dans les régions marginales peut aider à préserver les ressources environnementales mais peut également entraîner une dislocation du tissu intergénérationnel et la disparition du capital humain et des systèmes traditionnels de solidarité sociale. La dimension hommes-femmes est particulièrement complexe. Les difficultés sont comparables de par leur nature à celles que posent les conséquences sanitaires et sociales du VIH/sida que n'aborde pas spécifiquement le présent document. Le point principal qu'il convient de souligner est la complexité des interactions sociales, économiques, environnementales et techniques qui doivent faire l'objet d'une analyse approfondie spécifique. Le consensus sur l'harmonisation, la coordination et la normalisation des grandes orientations et des pratiques du développement reste très contesté. Une analyse en toute sérénité est nécessaire pour comprendre la clientèle du FIDA, à savoir les ruraux les plus pauvres, vont être représentés dans le «consensus» en ce qui concerne la formulation des politiques et des méthodes de développement, et s'ils vont en bénéficier. Les difficultés qui apparaissent donnent à penser que, pour appuyer les ruraux les plus pauvres, il faut adapter l'action aux conditions et aux populations locales. En dépit des 3

intentions d'embrasser une dynamique participative, l'harmonisation de «l'architecture internationale de l'aide» présente toutes les caractéristiques du modèle imposé. Le changement climatique représente peut-être la plus grande menace pour la vie sur terre, et aura des conséquences significatives sur le développement de tous les pays et de toutes les économies. Les effets en seront probablement plus marqués dans les régions pauvres des pays en développement. Des réponses à la fois institutionnelles et technologiques devront être apportées pour relever les défis posés par le changement climatique, mais la volonté de la communauté internationale de s'y attaquer est loin d'être évidente. L'adaptation sera une stratégie importante dans les pays en développement qui n'ont cependant guère conscience des difficultés locales. L'adaptation sera fonction du contexte et appellera donc la participation de toutes les parties prenantes, y compris les chercheurs, pour mettre au point des indicateurs du changement, des projections des effets probables et des stratégies nouvelles pour réorienter les systèmes agricoles en général. Les possibilités offertes par l innovation Le Projet du Millénaire des Nations Unies a recensé des stratégies concrètes pour éliminer la pauvreté en intensifiant les investissements dans l'infrastructure et le capital humain tout en encourageant l'égalité entre les sexes et en assurant la viabilité de l'environnement à terme. Il préconise de privilégier les «plates-formes» ou technologies génériques ayant de vastes applications ou effets au sein de l'économie, à savoir les technologies de l'information et de la communication (TIC), la biotechnologie, la nanotechnologie et les nouveaux matériaux. Une bonne partie de ce rapport est conforme à la teneur du présent document, notamment l'accent mis sur l'approche des systèmes d'innovation. Il est nécessaire de surveiller de près les faits nouveaux dans ces trois domaines et d'adopter une approche délibérée pour identifier les axes importants des innovations qui peuvent être adaptées et adoptées par les ruraux pauvres et en leur faveur. Les cinq domaines offrant des possibilités d innovation qui sont mentionnés dans le document sont: la technologie de l information à des fins spécifiques; la poursuite de l appui à la recherche sur les systèmes agricoles et le développement des entreprises; l énergie; et le cadre réglementaire. Les nouvelles technologies de l'information offrent des applications importantes, par exemple les systèmes d'information géographique (SIG), pour cartographier les ressources et pour le suivi, la gestion et les prévisions, qui peuvent améliorer le ciblage, accroître la productivité agricole et améliorer la conservation de la biodiversité et la gestion des ressources naturelles. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont déjà un effet significatif en permettant de faire accéder les populations des pays en développement aux marchés et aux systèmes d'information mais les plus pauvres risquent d être ceux qui en profiteront le moins. Les résultats les plus viables et les plus durables résultent d initiatives du secteur privé et de l esprit d entreprise des populations pauvres elles-mêmes. Dans les cas où des «projets» sont envisagés pour surmonter les défaillances des marchés, il faudra faire extrêmement attention à ne pas répéter les erreurs traditionnellement faites par les systèmes d'information commerciale du secteur public. Il sera plus efficace d'élargir le marché en mettant en avant «l'enveloppe» de la viabilité commerciale que de s'en remettre à des initiatives coûteuses conduites par le secteur public ou des ONG et auxquelles n'adhère pas le secteur privé. Comme on l'a vu plus haut, les ruraux les plus pauvres n'ont pas tiré parti des nombreuses innovations dans la production agricole qui ont stimulé l'agriculture dans les pays les moins avancés (PMA) au cours des 40 dernières années. Il reste donc possible d'investir pour améliorer la production et la productivité agricoles dans de nombreuses zones marginales, mais en veillant à axer la recherche sur les aspects de la croissance de la productivité qui n'entraînent pas uniquement des excédents qui font chuter les prix et les rentes des agriculteurs. Une approche radicale consiste à stimuler la recherche axée sur la pauvreté par des sociétés privées moyennant des contrats publics faisant appel à la concurrence pour atteindre des résultats spécifiques. Respecter les savoirs autochtones, et en tirer parti, est crucial pour les partenariats et la durabilité, entre autres, et sera probablement utile pour les populations rurales des zones où la biodiversité a gardé sa richesse. Les progrès des techniques 4

agricoles peuvent également nettement atténuer les effets du changement climatique et résoudre aussi certains des problèmes démographiques posés par les migrations et le VIH/sida. L'innovation participative et axée sur les marchés inclut des activités de diagnostic qui font appel à toutes les parties prenantes, l'identification des débouchés éventuels, la mise au point d'innovations commerciales, par exemple de nouveaux produits, de nouvelles technologies et de nouvelles institutions. Un processus conscient doit permettre de relier les systèmes d'innovation aux débouchés commerciaux pour divers produits, de base ou autres, sur les marchés locaux, régionaux et internationaux. Des possibilités nouvelles verront sans doute le jour dans l'économie rurale hors de l'agriculture, d où la nécessité de développer les activités après récolte et d innover dans le domaine des organisations et institutions rurales. Satisfaire les besoins d'énergie rurale, compte tenu des difficultés économiques et environnementales, est à la fois un défi à relever et une possibilité à saisir. La fourniture de l'énergie est un moyen d'améliorer la qualité de vie des populations rurales. De plus, les avantages économiques, sociaux et environnementaux des énergies nouvelles autres que le pétrole sont évidents. Des «technologies appropriées» à l'échelle locale ainsi que la mise au point de techniques plus pointues telles que l'énergie solaire et les piles à combustible seront utiles. Enfin, des réglementations peu judicieuses et trop nombreuses sont responsables de «l informalisation» des marchés et de la faible productivité, du développement de la corruption et du chômage et de la diminution des ressources budgétaires. Mais la solution à un mauvais règlement n'est pas «l'absence de règlement» mais «le règlement adapté», et peut-être même de préférence «l'auto-réglementation». Les entreprises et les économies locales pourraient avoir besoin de la protection que ménagent des politiques industrielles sélectives au niveau local. Au fur et à mesure de la croissance des marchés, les échanges commerciaux sans restrictions risquent de ne pas être équitables. Une politique de la concurrence ciblée, même décentralisée, peut être une forme de «filet anti-requins», en limitant l'exercice du pouvoir de monopole ou d'autres forces de coercition antipauvres. La politique du FIDA en matière d innovation et de prestation de services Le rapport se termine sur des réflexions portant sur la nécessité de trouver des idées neuves en ce qui concerne les grandes orientations du développement et l'engagement des donateurs. Pour atteindre les ruraux pauvres, les critères essentiels dont le FIDA doit tenir compte sont les suivants: inclure six et non cinq composantes dans les avoirs nécessaires à la subsistance: englober la «culture» au sens large au nombre des avoirs vitaux pour la subsistance; apprentissage: l'apprentissage institutionnel devrait être amélioré moyennant l'analyse des succès exemplaires; identification: cartographie de la pauvreté rurale et bonne compréhension de l'hétérogénéité de la pauvreté; focalisation: les stratégies de développement rural devraient être ciblées en fonction des conditions particulières et locales; flexibilité: les instruments de financement devraient être souples et axés sur les difficultés locales; évaluation: les résultats ne devraient pas être uniquement ou essentiellement mesurés à l'aide de critères économiques; ciblage: le ciblage des plus pauvres entraîne des coûts de transaction plus élevés pour définir qui sont les plus pauvres, et pour assurer le suivi et l'évaluation du portefeuille d'activités qui doit comprendre des projets spécialisés de taille plus restreinte; délais plus longs: des délais plus longs sont nécessaires pour favoriser le développement; risque: compte tenu des risques inhérents aux politiques d'appui à l'innovation, le taux d'échec augmentera probablement, tout comme les chances de réussir l'innovation; 5

transposition et reproduction à plus grande échelle: la spécificité signifie que la reproduction à plus grande échelle entraînera des économies limitées, et du fait de la focalisation plus précise, la reproductibilité des interventions couronnées de succès sera problématique, et la question de la transposition et de la reproduction à plus grande échelle devra donc être étudiée de très près; présence sur le terrain: du personnel et des compétences sur le terrain sont nécessaires; manque de cohérence des grandes orientations: tendances conflictuelles entre une «architecture du développement international» harmonisatrice et le besoin d'interventions très ciblées et souples, adaptées au contexte que sont les difficultés et les possibilités locales telles que définies par les ruraux les plus pauvres. Ces critères ont des conséquences en matière d'organisation, de gestion et de ressources humaines et quelques idées ont également été formulées pour contribuer à un nouveau modèle opérationnel. Il est très important de fournir des services aux entreprises et des services de développement humain en complément de l'appui financier. Il existe un rôle de sensibilisation important à jouer indirectement pour servir de catalyseur aux contributions du secteur privé, et assurer la cohérence de la fourniture par le secteur public et les ONG nationales et internationales de services qui ne relèvent pas du mandat du FIDA. Le FIDA peut être un défenseur des plus pauvres auprès des organisations internationales, un catalyseur pour le secteur privé et une instance de dialogue avec les organisations non gouvernementales. Pour fournir des services sur le terrain en adoptant une approche davantage fondée sur l esprit d'entreprise, il faut disposer de capacités accrues dans les pays et de connaissances sur le terrain. L'appel à la concurrence pour mobiliser les ressources financières est une modalité qui doit être davantage et plus largement mise à l'essai. Dans les cas où des systèmes de financement faisant appel à la concurrence sont appropriés, il sera également nécessaire d'envisager comment aider ceux qui ne sont pas retenus au cours du processus d'appel d'offres. Il faudra sans doute étudier plus avant l'équilibre approprié entre prêts et dons, en particulier si l'on envisage d'adopter une autre idée nouvelle, le financement des fonds propres. Ce moyen permet à une institution financière de fournir des capitaux en échange d une participation aux bénéfices, et d'un certain degré de contrôle, d une nouvelle entreprise. L'investissement dans les fonds propres pourrait être une mesure d'incitation et de suivi novatrice et adaptée pour aider le personnel du FIDA à recenser les besoins et les solutions éventuelles. Le financement des fonds propres pourrait intensifier les contacts directs entre le FIDA et ses clients en renforçant la participation, l'engagement et l'appui technique et commercial de l'organisation. 6

Introduction Origines et but du rapport Le présent document a été établi vers la fin de l'élaboration du Cadre stratégique actuel (2002-2006) compte tenu des défis importants et des contraintes auxquels doivent faire face les ruraux pauvres et le FIDA, ainsi que des possibilités qui leur sont offertes pour atteindre les objectifs stratégiques de l Organisation et permettre effectivement au FIDA de contribuer au respect de ses engagements internationaux contractés dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Selon le Président du FIDA, M. Båge (2005), la communauté du développement n'a pas réussi à atteindre les objectifs qu'elle s'était fixés car, ces dernières années, le développement rural a attiré de moins en moins d attention et les ressources ne cessent de diminuer. Ce document est une contribution au processus par lequel le Fonds s efforcera de maximiser l impact direct de ses programmes en s attaquant aux principaux obstacles à la réduction de la pauvreté et en élargissant la portée des effets catalytiques de ses activités. D'après le rapport du Directeur du Bureau de l évaluation, en qualité de superviseur de l'évaluation externe indépendante (EEI) (avril 2005), trois des principales conclusions ont des répercussions sur les performances futures du FIDA 2. Dans le cadre du présent document, l une des conclusions est particulièrement intéressante, à savoir que "le FIDA devra promouvoir plus systématiquement les innovations susceptibles d'être amplifiées et reproduites par d'autres acteurs". Les autres conclusions ont trait à la nécessité de mettre en place un nouveau modèle opérationnel et de renforcer la bonne gouvernance en vue de superviser l efficacité de l'aide au développement. La recherche d une approche plus novatrice de la nouvelle stratégie du FIDA est exposée de manière plus détaillée à l annexe 4 du rapport final, ainsi que dans les observations des experts principaux indépendants de l EEI. Il a été reconnu dans l EEI que l'initiative visant à intégrer l innovation, dont le cadre a été adopté en décembre 2004, «aidera à contribuer au développement des capacités. Dans cette approche, il faudrait prendre davantage de risques en veillant à tirer des enseignements des résultats obtenus et à diffuser ces derniers. Il faudrait pour cela pratiquer une gestion plus avisée des partenariats conclus avec des organisations gouvernementales et non gouvernementales et utiliser les dons de façon stratégique lorsque les risques sont importants». Apparemment, cette démarche s appliquerait tout aussi bien aux opérations sur le terrain qu à la gestion centralisée des ressources, notamment des ressources humaines. Les donateurs s emploient à renforcer cette initiative en s'inspirant des innovations antérieures, en les améliorant, les reproduisant et les mettant en commun. Portée Les questions, en rapport avec le titre du présent document, ont une portée considérable. Le mandat a été limité dès le début. Pour pouvoir tirer des conclusions, la couverture géographique doit être large. L accent est essentiellement mis sur la culture des terres arables, les questions relatives à l élevage, à la pêche, aux communautés côtières, à la sylviculture, à l eau et à la santé suscitant moins d'intérêt. Le capital humain et le renforcement des capacités organisationnelles sont essentiels pour la plupart des innovations. Il n a pas été envisagé de mettre en place des initiatives, notamment sur l éducation et la formation, même si une approche large des systèmes d innovation englobe un apprentissage individuel et organisationnel. L importance des marchés financiers est seulement évoquée. Les questions relatives à l égalité des sexes et à l âge sont omniprésentes dans tout ce qui a trait au développement rural et à l innovation, mais ne sont pas traitées à part. La population et les mutations sociales sont des facteurs examinés dans le cadre de l incidence des migrations, mais dont l'importance est beaucoup plus grande; de même, les changements climatiques sont signalés, mais, une fois encore, leur importance est nettement supérieure. En outre, les problèmes que soulève le VIH/sida n ont pas été abordés de manière spécifique, ce qui aura une incidence sur une grande partie du débat. 2 http://www.ifad.org/gbdocs/eb/84/f/eb-2005-84-r-2-rev-1.pdf 7

La corrélation entre les défis à relever et les possibilités à exploiter est complexe. Il reste encore beaucoup à découvrir et à comprendre. Il faut un mandat de supervision pour les domaines qui sortent du cadre de celui du FIDA. Les défis, de même que les possibilités, sont dynamiques, à savoir témoigner de la croissance des Technologies de l'information et de la communication (TIC) et des nanotechnologies et examiner des possibilités inconnues jusqu`à présent. La clientèle du FIDA: chercher à atteindre les ruraux pauvres Le FIDA a pour objectif d «aider les populations les plus pauvres dans le monde» (Fonds international de développement agricole, 2005). Sa mission consiste à œuvrer pour que les ruraux pauvres se libèrent de la pauvreté, telle que celle-ci est vécue par les pauvres eux-mêmes, en favorisant le développement social, l égalité des sexes, la création de revenus, l amélioration de la situation nutritionnelle, la gestion durable de l environnement et la bonne gouvernance. Le FIDA a pour but de concentrer ses investissements, ses efforts dans les domaines de la recherche et de la gestion des connaissances, la concertation sur les politiques générales et les activités de sensibilisation pour atteindre trois objectifs stratégiques: renforcer les capacités des ruraux pauvres et de leurs organisations; améliorer l état des ressources naturelles productives et la technologie; améliorer l accès aux services financiers et aux marchés. On attache une importance primordiale aux différentes possibilités qui s offrent aux femmes et aux hommes et aux contraintes auxquelles ils doivent faire face, ainsi qu aux sources de vulnérabilité et aux moyens qui leur permettent d accroître leur capacité de résistance. Les prêts sont destinés tout particulièrement à aider les plus pauvres parmi la population rurale, à savoir les petits exploitants agricoles, les pêcheurs artisanaux, les femmes rurales pauvres, les paysans sans terre, les artisans ruraux, les gardiens de troupeaux nomades et les populations autochtones pour leur permettre d accroître leur production alimentaire, augmenter leurs revenus, améliorer leurs conditions sanitaire, nutritionnelle et éducative et leur bien-être général de façon durable. Un soutien est apporté aux neuf principaux secteurs suivants: développement agricole services financiers infrastructure rurale élevage pêche renforcement des capacités et des institutions entreposage/transformation des aliments et commercialisation des produits alimentaires recherche/vulgarisation/formation développement des petites et moyennes entreprises Il faut déployer des efforts considérables pour cibler les ruraux pauvres et se rendre compte qu il existe des différences entre eux en raison de leur très grande hétérogénéité (Poole, Gauthier et Mizrahi, 2005; Wakwabubi, 2005). Les plus pauvres d entre eux sont les plus difficiles à identifier et cette démarche est très coûteuse (Greeley et Rabeya, 2005). Ils sont souvent les plus difficiles à atteindre car ils ne peuvent pas participer aux réunions communautaires, du fait de leur âge ou de leur sexe ou d autres caractéristiques sociales, ou qu ils doivent assumer d autres responsabilités incompatibles (tenue du foyer, activité professionnelle ou autre tâche productive essentielle. Il faut au moins établir une distinction entre les éléments ci-après: les cas où une aide sociale est nécessaire, c est-à-dire les personnes qu'il n est pas possible d'aider dans le cadre du développement agricole et qui peuvent avoir besoin de filets de sécurité à long terme, d être insérées sur le marché du travail, de quitter les zones rurales ou de trouver d autres moyens de sortir de l agriculture; 8

les personnes qui bénéficient (temporairement) de l aide sociale, mais qui peuvent exercer une activité commerciale rentable pour autant qu elles bénéficient d un soutien approprié; les entrepreneurs ruraux qui ont un potentiel de croissance, pour autant qu ils bénéficient d un soutien approprié, qui peuvent être différents de la catégorie ci-dessus. Le programme finance maintenant des travaux de recherche dans un grand nombre de secteurs et englobe un nombre beaucoup plus important de sujets et d instituts de recherche (FIDA, 2003). La "focalisation" et la "hiérarchisation des priorités" sont maintenant les principaux défis à relever pour répondre aux besoins de la clientèle du FIDA. L Évaluation reconnaît également qu il existe des possibilités pour renforcer le rôle que joue le FIDA dans la promotion de l innovation (élaboration de politiques générales, activités de sensibilisation par l intermédiaire de ses partenaires, et cofinancement de projets émanant de centres de recherche bénéficiant d un soutien du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI). Structure du rapport Outre l'introduction, le rapport s'articule autour de quatre sections principales: 1) comprendre l'innovation dans le cadre de la pauvreté rurale; 2) les défis que les ruraux pauvres doivent relever, et 3) les possibilités d'innovation qui s'offrent aux ruraux pauvres et qu'il convient d'examiner avec eux. Dans la dernière section (4) sont présentées des propositions en vue de leur examen par le FIDA lors de l'élaboration d'une politique d'innovation et de l'adoption d'une approche de la fourniture de services, fondée sur l'esprit d'entreprise. Le mandat figure dans l'appendice. 1 Comprendre l'innovation Les premières réflexions sur l'innovation en tant que moteur du développement économique sont essentiellement attribuées à Joseph Schumpeter et remontent à la première moitié du XX e siècle (voir, par exemple, Schumpeter (1947)). Il a adopté une conception étroite de l'innovation qui est aujourd'hui considérée comme trop restrictive (encadré 1). Ainsi on peut définir de manière plus large et plus appropriée l'innovation comme étant l'application de ressources et de découvertes technologiques, institutionnelles et humaines à des procédés de production débouchant sur de nouvelles pratiques, de nouveaux produits et marchés, de nouvelles institutions et organisations à l'efficacité renforcée. Néanmoins, les travaux réalisés par Schumpeter pour cerner l'innovation et l'esprit d'entreprise sont dignes d'intérêt. Encadré 1 Innovation et esprit d'entreprise Schumpeter définit l'entrepreneur comme "celui qui a la capacité de faire simplement des choses nouvelles ou de faire des choses qui ont déjà été faites d'une nouvelle façon (innovation)" (Schumpeter, 1947: 151). Il établit une distinction entre l'esprit d'entreprise et la gestion: il ne peut pas y avoir d'innovation dans le cadre de systèmes de gestion qui ne sont pas inspirés par l'esprit d'entreprise, ne possèdent pas de critères de nouveauté, ni la capacité de concevoir et d'appliquer une "idée nouvelle". Il établit également une distinction entre le rôle de l'inventeur, à savoir le créateur d'une idée nouvelle, et le rôle de l'entrepreneur, celui qui "fait ce qu'il y a à faire". Dans cette optique, il faut mettre en application des idées nouvelles et utiliser des mécanismes tels que "l'effet de levier financier", "le recours à l'effet catalytique" et la commercialisation. 9

Figure 1 Processus d'innovation Innovation Reconnaissance des besoins et des possibilités Balayage Invention Résolution des problèmes Produit Technique Procédé Innovation Organisationnelle Système Sociale Esprit d'entreprise Selon Enweze (2005), seules les innovations recensées par les pauvres eux-mêmes pourront changer le cours des choses dans le développement agricole. L'idée-force selon laquelle les pauvres doivent être des parties prenantes, est tenue pour acquise; en outre, le savoir-faire de la population rurale et sa culture sont des atouts, et il est important de ne pas sous-estimer leur capacité d'innovation. L'importance et la contribution de l'innovation paysanne est un thème auquel il est fait référence plus loin dans le présent rapport lors de l'examen de partenariats et systèmes d'innovation, et sous d'autres points. Néanmoins, il existe des domaines d'innovation qui résultent de systèmes formels et de technologies génériques et sont issus de secteurs autres que le secteur rural. Ces domaines peuvent servir à lutter contre la pauvreté rurale moyennant des processus d'adaptation. La section ci-dessous présente une analyse de ces questions et examine, à la fin, les hypothèses sur lesquelles se fonde l'approche du FIDA conformément au mandat. 1.1 Les sources de l'innovation dans l'agriculture Systèmes informels L'innovation dans l'agriculture existe depuis des millénaires dans le cadre des processus de sélection naturelle et de la sélection dirigée par l'homme (Lipton, 2005). Dans le domaine de la recherchedéveloppement, ces processus "informels" englobent notamment les activités non structurées des producteurs et le transfert de technologies non contrôlé et non systématique. Une autre source d'innovation a été le transfert de technologies résultant des migrations humaines et du commerce, dont l'importance remonte à la nuit des temps, mais dont le rythme s'est accéléré après les voyages maritimes entrepris par les européens et leurs découvertes. Dans le tiers monde, les activités informelles de recherche-développement ont toujours été la principale source d'innovation technique jusqu'après la seconde guerre mondiale, à l'exception d'un petit nombre d'activités de plantation (Biggs et Clay, 1981). Les initiatives créatives prises par les petits agriculteurs demeurent des sources importantes d'amélioration de la productivité agricole dans de nombreuses régions de pays en développement, mais la convergence entre ces activités et les efforts déployés en matière de recherche 10

dans le cadre de systèmes formels a été un processus lent, dont les résultats sont mitigés et n'a pas encore atteint un niveau optimal. Systèmes formels Le processus et le rythme de la recherche et de l'innovation dans le secteur agricole formel se sont accélérés grâce aux méthodes scientifiques qui ont été appliquées dans les économies relativement avancées et lors de la révolution industrielle aux XVIII e et XIX e siècles. L'institutionnalisation de la recherche-développement dans le secteur agricole des pays en développement a été stimulée par les investissements massifs réalisés par les Fondations Rockefeller et Ford qui ont débouché sur la révolution verte. Il s'en est suivi un transfert de matériel génétique du Japon au Mexique et une expérimentation par des paysans locaux, ce qui a permis de mettre au point et de diffuser des variétés naines de blé à rendement élevé. Aux Philippines, des processus similaires ont conduit à la mise au point de variétés de riz aux caractéristiques identiques et ont également permis d'améliorer des variétés de maïs. La révolution verte n'est pas le résultat d'une démarche délibérée et c'est en partie dû au hasard que les nouvelles variétés mises au point au Mexique ont pu être utilisées en Asie. Des études initiales ont été réalisées par des scientifiques en contact étroit et permanent avec des paysans mexicains (Bigs et al., 1981), mais la révolution verte est traditionnellement considérée comme le résultat de travaux de recherche menés par les pouvoirs publics: les principaux éléments qui ont permis d'améliorer la sécurité alimentaire en Asie entre 1970 et 1995 ont été des politiques gouvernementales fondées sur une conviction, à savoir que les investissements réalisés en vue d'améliorer la productivité agricole étaient une condition sine qua non au développement économique (Banque asiatique de développement, 2001: 2). Cependant, la révolution verte en Asie a également été interprétée comme étant un exemple classique de méthode participative faisant passer l'agriculteur en premier (Bigs et Smith, 1998). Elle résulte également d'une combinaison fortuite des éléments suivants: la disponibilité des ressources, le calendrier, la croissance de la demande et un appui actif aux politiques. La diffusion de nouvelles semences et de technologies associées et les autres changements ayant affecté les investissements publics et le soutien institutionnel se sont traduits par des augmentations de la productivité sans précédent, en particulier en Asie et en Amérique latine. Il n'existe pratiquement aucun autre exemple de réduction massive de la pauvreté depuis le XVIII e siècle, hormis les pratiques engendrées par ce processus de d'institutionnalisation de l'innovation paysanne et l'augmentation de la productivité des cultures qui en a résulté pour les petites exploitations agricoles (Lipton, 2005). On ne connaît pas avec certitude le niveau des investissements réalisés dans la recherche agronomique formelle par des organismes nationaux et la communauté internationale qui œuvrent au service des pays en développement, mais, au cours des 30 dernières années, le montant total de ces investissements a été probablement supérieur à 100 milliards de dollars: "il est légitime de se demander si des ressources d'une telle importance ont été affectées comme il fallait, c'est-à-dire si elles ont été utilisées de manière rationnelle et obtenu l'effet prévu?" (Matlon, 2003:123). Même si de nombreuses études sur la productivité de la recherche agronomique ont donné des résultats positifs, les systèmes formels d'innovation ont connu des échecs retentissants. Par exemple, les investissements considérables réalisés dans le système de vulgarisation agricole "Formation et visites de la Banque mondiale" n'ont pas véritablement modifié ou amélioré la situation (Moore, 1984). Depuis la fin des années 80, on observe une diminution des investissements dans la recherche-développement formelle, et la baisse des rendements ainsi que des facteurs contextuels ont freiné le rythme de la réduction de la pauvreté: "malgré les succès remportés par la révolution verte, la bataille engagée pour garantir la sécurité alimentaire de centaines de millions de miséreux est loin d'être gagnée. L'augmentation spectaculaire de la population, l'évolution démographique et les carences des programmes d'intervention destinés à lutter contre la pauvreté ont fait reculer bon nombre d'avancées obtenues par la révolution verte" (Borlaug, 2000: 487). Débats actuels Des questions demeurent donc en suspens au sujet de systèmes d'innovation agricole formels et coûteux: nombreux sont les pauvres qui n'ont pas profité du développement technologique, les 11

processus de recherche ont dû suivre un modèle imposé à partir du sommet de la hiérarchie, tel qu'il est appliqué dans le secteur public, les bénéficiaires ont eu des difficultés à participer de manière effective aux processus d'innovation, et les pressions politiques ainsi que celles exercées par les donateurs imposent des changements dans les structures institutionnelles tant aux niveaux national qu'international, dans la gestion des organismes de recherche et dans la dynamique des parties prenantes. Exclusion? La révolution verte s'est produite dans des régions recensées comme étant les régions favorisées et dotées de ressources de certains pays en développement (Commission mondiale de l'environnement et du développement, 1987); dans des régions pauvres dotées de ressources limitées (agriculture complexe, diversifiée et exposée aux risques (Chambers, 1989)), l'agriculture a été beaucoup moins touchée. Il existe un rapport étroit entre la révolution verte au Zimbabwe, qui a précédé la révolution verte en Inde et l'importance du secteur agricole commercial (Eicher, 1995), tandis qu'au Malawi, la longue période de stagnation dans le domaine technique a, ou avait, été causée par l'absence de demande effective (Smale, 1995). La plupart des régions africaines et d'autres régions pauvres et hétérogènes se sont trouvées exclues du processus, même si des systèmes de recherche-développement formels et publics ont été mis en place depuis la moitié du XX e siècle. Même si des succès ont été enregistrés, la recherche publique est à l'origine du développement, en Afrique de l'ouest, de technologies qui ont contribué de manière significative à l'amélioration de la productivité de la culture du riz, par exemple (Dalton et Guei, 2003), dont ont essentiellement bénéficié les écologies favorables. Les répercussions sur les petits agriculteurs et dans les régions défavorisées ont été plus faibles. Au Népal, par exemple, sur 49 variétés de riz officiellement mises sur le marché, moins de cinq ont été utilisées sur une grande échelle; la production formelle de semences ne représente que 10% des besoins dans ce domaine (Pratap, 2005). Malgré les augmentations spectaculaires de la productivité agricole, la révolution verte et les initiatives émanant principalement des pouvoirs publics qui sont à l'origine de cette révolution ont fait l'objet de critiques non seulement pour ne pas avoir réussi à améliorer la situation dans des régions pauvres dotées de ressources limitées, fait largement reconnu, mais aussi pour leurs effets négatifs secondaires sur l'ensemble du secteur (mécanisation, augmentation de l'inégalité et dépendance accrue à l'agriculture à forte intensité d'intrants, etc.). (Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), 2002). Politique des pouvoirs publics? L'exclusion des agriculteurs pauvres de l'agriculture complexe, diversifiée et à risque, et d'autres secteurs n'a pas été due seulement à l'absence de technologies ciblées et adaptées à la situation. Il est bien connu que la diffusion des technologies dans le cadre de la révolution verte a été facilitée par des politiques gouvernementales et des infrastructures de soutien à des moments cruciaux (Dorward, Kydd, Morrison, et Urey, 2004). Par conséquent, le développement limité de nouvelles technologies n'est pas seulement imputable à l'éloignement géographique et à des conditions écologiques défavorables. Goldman et Smith (1995) laissent entendre que la faiblesse des infrastructures et l'insuffisance de l'accès aux marchés, auxquelles il faut ajouter la faible densité de la population et l'éloignement des régions du nord du Nigéria, peuvent être des facteurs déterminants importants pour l'adoption de technologies, sans pour autant être les seuls. On observe des différences notables dans la diffusion de technologies et d'innovations agricoles entre deux régions dont les ressources sont comparables. Ces différences s'expliquaient par les caractéristiques des autorités locales et l'importance relative attachée au développement rural: dans des régions où les niveaux d'innovation agricole sont plus élevés, les autorités locales sont moins centralisées, davantage axées sur le développement et sensibilisées aux questions d'ordre politique. La révolution verte au niveau local a eu pour effet de créer ou d'aggraver les inégalités entre régions prospères et régions défavorisées, compte tenu en partie du cadre institutionnel local. Sources d'innovation: sources principales ou sources multiples? Dans l'agriculture, l'innovation peut donc être considérée comme provenant de deux sources génériques: les systèmes informels d'expérimentation et de sélection et les systèmes formels de 12

recherche-développement qui relèvent essentiellement d'organismes publics aux niveaux national et international. Néanmoins, il existe une tension entre les approches de l'innovation qui mettent l'accent sur la "source centrale du modèle d'innovation" ou sur les "sources multiples du modèle d'innovation" (Biggs, 1990): l'ancien modèle sert souvent de point de départ aux théories et à la rhétorique élaborées par des organismes formels de vulgarisation et de recherche agronomique: "la plupart des grandes innovations sur les plans institutionnel et technique sont considérées comme résultant des travaux systématiques menés par des centres de recherche internationaux " (page 1481). Les sources multiples du modèle d'innovation placent la recherche agronomique et les processus de diffusion dans le cadre d'un contexte historique, politique, économique, agroclimatique et institutionnel caractérisé par une évolution des techniques. Ces sources sont notamment le hasard, la sélection naturelle et la sélection par les agriculteurs: "les innovations sont considérées comme provenant de sources diverses dont les centres internationaux sont un exemple parmi d'autres. Les agriculteurs, les vulgarisateurs, les organisations non gouvernementales et les systèmes nationaux de recherche sont également d'autres sources d'innovation" (Biggs, 1990). Ruttan et Hayami (1990) ont appelé l'attention sur un développement agricole qui résulte a) d'une innovation pour faire face aux changements apportés aux incitations dans des organismes publics dus à la variation des dotations en ressources et à l'évolution de la situation économique, ainsi que b) de l'adaptation des entreprises ou des agriculteurs à l'évolution des signaux du marché. L'innovation est le résultat de relations et demandes dynamiques, à savoir une "interaction dialectique" (page 103) entre les agriculteurs et leurs associations professionnelles, les instituts publics de recherche, les scientifiques possédant un bon sens de l'observation, et les administrateurs. Il existe donc une forte contextualisation de la recherche agronomique dans le cadre du modèle de sources multiples. Réorientation des responsabilités et des priorités: le rôle du secteur privé? Le débat sur les responsabilités respectives de la recherche-développement publique et privée repose sur le concept du dysfonctionnement du marché et la notion de biens publics, qui constitue le fondement du rôle important joué dans les pays en développement par des organismes publics, aux niveaux national et international, en matière de recherche-développement. Le secteur privé est au cœur même du modèle de sources multiples: "les grandes multinationales et les petites entreprises ont eu une influence prépondérante sur l'évolution des techniques" (Biggs, 1990). Ruttan et Hayami font également observer que la répartition des efforts déployés entre le secteur public et le secteur privé revêt une grande importance. Ils laissent entendre qu'il faut constamment répartir les fonctions entre organismes publics et privés en fonction de l'évolution du contexte: "avec la mise en place d'organismes capables d'internaliser une grande partie des avantages résultant de l'innovation, il sera peut-être possible de transférer des activités au secteur privé " (Ruttan et al., 1990:108). La possibilité qu'ont les entreprises privées d'imposer un droit d'exclusion dans le cadre de l'innovation institutionnelle et technologique a introduit un nouvel élément dans les débats sur l'innovation. Cela apparaît très clairement dans le développement et la diffusion des cultures transgéniques. L'incidence des nouvelles biotechnologies sur les pauvres est peut-être la question la plus controversée du débat (encadré 2). Mais, à quelques exceptions près, la littérature est jusqu'à présent assez discrète sur les liens existants entre l'innovation agricole en faveur des pauvres et l'entreprise privée (Lipton, 2005). 13

Encadré 2 Participation du secteur privé "Étant donné que la plupart des travaux de recherche dans le domaine du génie génétique sont réalisés par le secteur privé qui brevète ses inventions, les responsables de la politique agricole doivent faire face à un problème qui pourrait devenir grave. Comment, à l'échelle mondiale, ces agriculteurs pauvres dotés de ressources limitées seront-ils capables d'avoir accès aux produits issus de la recherche biotechnologique? Pour quelle durée et dans quelles conditions les brevets devraient-ils être accordés pour des produits issus du génie biologique? En outre, le coût élevé de la recherche biotechnologique conduit à un regroupement rapide de l'actionnariat de sociétés spécialisées dans les sciences du vivant applicables au secteur agricole. Ce regroupement est-il souhaitable?... Étant donné que les travaux de recherche dans le domaine de la biotechnologie sont réalisés pour l'essentiel par le secteur privé, il faut examiner la question des droits de propriété intellectuelle et faire en sorte que les gouvernements préservent ces droits de manière adéquate." (Borlaug, 2000:488) Technologies génériques ou technologies de base? Les TIC sont un autre exemple des activités d'innovation menées par le secteur privé, dont l'importance est capitale. Les questions relatives à l'information et à la communication ont été, durant des décennies, des thèmes fondamentaux dans les domaines de l'éducation et de la vulgarisation agricoles. Les "anciennes" technologies de l'information et de la communication, comme la radio et la télévision, ont été et demeurent des outils importants pour resserrer les liens entre les agriculteurs et le marché; toutefois, en ce qui concerne le développement rural, les systèmes d'information sur le marché laissent à désirer (Poole, Kydd, Loader, Lynch, Poulton, et Wilkin, 2000a). Le développement de "nouvelles" technologies d'information (comme la radio et la télévision par satellite, les moyens de communication par internet et la radiotéléphonie cellulaire) ont permis de créer des supports supplémentaires visant à combler le déficit d'information. Parmi ces TIC figurent diverses technologies qui n'ont pas été mises au point spécifiquement pour réduire la pauvreté ou à l'intention du secteur rural, mais qui ont été adoptées et, dans certains cas, adaptées pour et par des utilisateurs ruraux. La "biotechnologie" (ou les diverses biotechnologies) sont un exemple de l'interdépendance en matière d'innovation entre le secteur agricole et la recherche non agricole, qui ouvre un très grand nombre de perspectives pour les pauvres et soulève des questions importantes relatives à la gouvernance, aux droits de propriété, à l'éthique, l'environnement et les mesures défavorables aux pauvres. Sur la voie d'une recherche participative et axée sur les bénéficiaires? Le débat sur les sources multiples de l'innovation a mis en évidence la question relative à l'importance essentielle des bénéficiaires dans le processus d'innovation. La reconnaissance des agriculteurs comme parties prenantes, non seulement en tant que bénéficiaires, mais également en tant que sources de savoirs traditionnels et expérimentateurs, a débouché sur des approches visant à privilégier l'agriculteur. Grâce à la participation effective des agriculteurs, il a été possible de réaliser des études sur les systèmes de culture et de reconnaître la complexité et la spécificité des systèmes de culture tropicale utilisés par des petits exploitants agricoles, et il a été demandé aux agriculteurs de participer aux processus décisionnels. Les résultats et la transférabilité ont été souvent décevants en raison d'une mauvaise compréhension du contexte particulier et historique dans le cadre duquel ces activités avaient été développées (Biggs, 1995). 14