LE MOYEN AGE ( ) CONFLITS ET ÉCHANGES EN MÉDITERRANÉE : LES CROISADES, LA DÉCOUVERTE D UNE AUTRE CIVILISATION, L ISLAM.

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1 LE MOYEN AGE (476 1492) CONFLITS ET ÉCHANGES EN MÉDITERRANÉE : LES CROISADES, LA DÉCOUVERTE D UNE AUTRE CIVILISATION, L ISLAM. Programme du concours : Conflits et échanges en Méditerranée : les Croisades, la découverte d une autre civilisation, l Islam. Problématique : Comment naît l Islam et comment s inscrit-il dans l économie du Moyen-Âge? Il s'agit d'étudier un concept, celui de civilisation, avec ses attributs invariants (organisation sociale, structure politique, conception religieuse, expression artistique), mais également la confrontation de deux civilisations voisines, l'une -la musulmane - à son apogée, l'autre - l'occident chrétien - en plein essor qui va exercer une prédominance durant l'époque médiévale. Une des caractéristiques remarquables du monde musulman est son unité de civilisation, malgré sa forte extension : homogénéité des genres de vie, des structures sociales, des dynamiques économiques, et des croyances, malgré le schisme sunno-chiite. Cette homogénéité est liée à la forme politique de l Etat, deuxième caractéristique remarquable, qui rassemble sous le califat une autorité à la fois politique et religieuse. Cette construction de l Etat contraste avec celle de l Occident médiéval, où l Etat, temporel et féodal, fonde les prémisses de l'etat-nation contemporain. Cette conception globale de l Etat musulman n est cependant pas isolée dans le monde méditerranéen : l empire byzantin (Empire Romain d Orient depuis le partage de l Empire romain en 395) est aussi un Etat théocratique dans lequel aucune séparation entre le civil et le religieux n est concevable, l Empereur étant magistrat, chef militaire et chef religieux. Dans l Antiquité tardive puis au Moyen-Age, l espace méditerranéen est donc le carrefour de trois civilisations, l Occident chrétien, le monde byzantin et le monde musulman. C est un lieu d affrontements autant que de contacts et d échanges commerciaux et intellectuels. Le Moyen-Age occidental ne peut se comprendre sans s attacher à ces contacts puissants centrés sur la Méditerranée. Les programmes du primaire, en s attachant uniquement aux rapports entre monde musulman et l Occident chrétien, systématisent implicitement une opposition entre occident et orient, axée sur l opposition religieuse. Il n est pas de notre ressort d en discuter la validité, mais l on prendra soin de garder à l esprit que la civilisation byzantine est un grand acteur de ce monde médiéval qui ne peut se saisir sans elle : partie prenante de tous les affrontements, des échanges commerciaux et de la vitalité culturelle de l espace méditerranéen, la civilisation byzantine est chrétienne et orientale, et fait en cela exploser le dualisme forcé des programmes. 1 -LA NAISSANCE DE L'ISLAM L'Arabie préislamique est une péninsule désertique peuplée de tribus bédouines, sans unité politique. Ces nomades de religion animiste sont des éleveurs, installés depuis des millénaires, au carrefour de plusieurs grandes entités sédentaires au nord et à l'ouest. Au VIe siècle de notre ère, l'empire byzantin chrétien domine la façade méditerranéenne et l'empire sassanide iranien au nord. Dans ce contexte, les tribus arabes sémitiques exercent également une fonction commerciale entre le Yémen et le monde méditerranéen : La Mecque ou Médine sont des oasis où se croisent des influences diverses. C'est là que naît en 570 Muhammad ou Mahomet, marchand et caravanier de la tribu des Quraysh ; au tournant du VIIe siècle, Muhammad va entreprendre de prêcher la révélation du message de Dieu (Allah en arabe) et de la soumission nécessaire des nouveaux croyants à sa volonté (le nom de musulman signifie «les soumis»). Si cette religion monothéiste était identifiable pour les chrétiens et les juifs, dont certains vivaient dans les oasis, elle fut rejetée par les familles bédouines, polythéistes et attachées à leurs croyances dans les divinités traditionnelles des forces de la nature. En 622 Muhammad fuit La Mecque pour Yathrib - future Médine- et cette date marque le début de l'ère musulmane, l'hégire. L'influence du message révélé s'affermit rapidement et La Mecque était conquise lorsque Muhammad meurt en 632, reconnu comme le prophète de Dieu.

2 2 - UNE SOCIETE FONDEE SUR LE RESPECT DE LA LOI CORANIQUE L Islam est une religion révélée, livrée par fragments au prophète Muhammad par l intermédiaire de l ange Gabriel. Cette parole représente pour les croyants un absolu dont le sens dépasse les contingences de l histoire. Il est le dernier message révélé aux hommes par Dieu, qui a auparavant envoyé d innombrables messagers, parmi lesquels Noé, Abraham, Moïse et Jésus. Le texte coranique, rédigé après la mort du Prophète par ses compagnons, est avant toute chose un rappel aux hommes pour qu ils reviennent à la foi originelle et qu ils aient de fait le comportement moral qui convient. La spécificité du Coran tient au fait qu il traite de tous les aspects de la vie humaine : de l ordre économique, du projet social et de la représentativité politique. Les versets révélés, au nombre de 6238, sont le plus souvent des réponses à des situations spécifiques auxquelles devaient faire face le Prophète et ses disciples. Ce sont des réponses relatives à l événement historique daté, l absolu étant dans le principe général qui se dégage des réponses. Dès les premiers temps, les sciences du Coran se développent et les juristes s efforcent de dégager ces principes directeurs pour apporter des réponses en prise avec l environnement sans trahir la Révélation. Ils font de même avec la Sunna, seconde source du droit islamique. La Sunna, ensemble des traditions rapportées sur le Prophète, est ce qu a dit fait ou décidé Muhammad durant sa vie. Ces traditions confirment, précisent et plus rarement complètent les obligations, interdictions et recommandations coraniques qui sont la source première. Leur recension et la vérification de leur contenu devient rapidement l objet d une science (science des traditions), aujourd hui très affinée. Dès l origine, l Islam impose à ses fidèles de penser concrètement, rationnellement le rapport au monde et à la société. L une de ses spécificités est la priorité donnée à la réflexion juridique plutôt qu aux considérations théologiques. Le dogme de l Islam est l existence de Dieu, Unique et Créateur. La nature entière y est l œuvre de la volonté divine. Ces éléments sont sacrés dès lors qu est convoquée la mémoire de la foi, ils deviennent profanes par l oubli et la négligence. C est dire combien est grande la responsabilité de l Homme qui doit rendre compte de sa gestion du monde. Les interdictions sont peu nombreuses, les possibilités immenses : les hommes jouissent d une permission originelle (l univers est offert) et l homme doit agir dans l intime conviction de sa responsabilité devant Dieu et non dans celle de la primauté de sa culpabilité (la notion de péché originel est absente des références islamiques). En outre, la différence des peuples et des nations, les spécificités de coutumes et de cultures sont voulus par Dieu, elles sont une richesse et un défi à relever. Dès l origine, l Islam n invoque donc pas l idée de tolérance : dans un ordre du monde sacré, il n y a pas à tolérer puisque tout est l œuvre de Dieu, mais il est du devoir de l homme de témoigner en permanence devant tous d une exigence de vérité, de bonté et de justice. Dans la sphère sociale, le respect de ces principes exige une vigilance tous les instants, sur le plan cultuel (c est le sens des 5 piliers) et sur celui, plus large, de la vie quotidienne. Comme pour les autres sociétés médiévales, la religion constitue le socle de la morale commune, la règle de vie quotidienne avec ses cinq obligations (profession de foi, la prière, l aumône, le jeun du Ramadan, le Hadj ou pèlerinage à la Mecque). Elle va unifier sociologiquement et politiquement, durablement, les sociétés bédouines et au-delà un immense espace méditerranéen et oriental. Cette empreinte se matérialise par le sanctuaire - la mosquée - réplique de celle de La Mecque, bâtie autour de la Kaaba, l'édifice rappelant un culte préislamique. Les mosquées, avec le mihrab indiquant la direction de La Mecque, seront, en tous lieux le centre des villes, entourées d'écoles coraniques (médersas) et porteuses d'une organisation religieuse, juridique, commerciale régie par la religion.

3 3 -LA SUCCESSION DU PROPHETE ET LES CALIFATS A sa mort, Muhammad a unifié une bonne partie de la péninsule arabique. Sa mort coïncide avec le début d une expansion très rapide de l Islam, les premières expéditions militaires étant organisées en direction de la Syrie. Les cavaliers arabes déferlent sur les terres des deux empires perse et byzantin, laissés exsangues par deux siècles de querelles. Cette conquête de l'orient fut réalisée en quelques dizaines d'années, sans grande résistance car les populations locales, souvent chrétiennes, supportaient mal la tutelle des empires de Byzance et des Iraniens. D'autre part les troupes de guerriers nomades, des chameliers, étaient difficilement contrées et, à la fin du VIIe siècle, l'empire sassanide avait succombé et Byzance était réduite à l'anatolie pour sa partie orientale. La conquête fut donc fulgurante, des pans entiers de l Empire Romain d orient se donnèrent aux conquérants dont la religion séduit les populations usées par les querelles sur la nature du Christ. L Empire perse disparaît en vingt ans. Après la Syrie et l Egypte, l Afrique du Nord est conquise à partir de Kairouan fondée en 670, et l Espagne est enlevée aux Wisigoths entre 711 et 716. Les raids dans le royaume franc, en Provence, Languedoc et dans la vallée du Rhône ne permettent pas d assurer une suprématie permanente mais Narbonne reste arabe jusqu en 759. En un siècle se constitue ainsi un Empire étendu de l Atlantique à l Indus. A sa mort, Muhammad n ayant pas laissé de descendant mâle ni de règles pour sa succession, ses proches compagnons choisissent parmi eux un successeur qui devient calife (de l arabe khalifa, «successeur»). Ces premiers califes, choisis au détriment des membres de la famille du Prophète, réussissent à maintenir l unité politique de la communauté des croyants. Les conquêtes ont fondé des villes qui articulent un commerce puissant et permettent la diffusion de la langue arabe, facteurs d unité. Mais une querelle successorale éclate en 658 entre les partisans des compagnons et ceux de la famille du Prophète, menés par Ali son gendre et cousin. Les affrontement violents (Ali est assassiné puis l un de ses fils, Hussein, meurt lors de la bataille de Karbala) mènent au schisme entre chiites, reconnaissant les califes issus de la lignée du prophète, et les sunnites, suivant la sunna et reconnaissant les califes légalement institués. Ainsi, si l'unité de la communauté a rapidement volé en éclat, la force de la communauté des croyants, fondamentale pour l'islam, perdura de longs siècles à travers les empires et monarchies médiévales soumises aux califes. Après le gouvernement des quatre premiers califes, Mu' awiya fonde la dynastie des Omeyyades, installée à Damas. C'est une transformation profonde, le passage de la communauté des croyants et la désignation d'un chef à une monarchie sur le modèle des empires orientaux, gouvernant désormais un empire allant du Maghreb à l'iran et de la mer Noire à l'egypte La nouvelle dynastie assimile les administrations locales et dirige les provinces par l intermédiaire de gouverneurs. Une monnaie arabe est créée : le dinar, pièce d or, et le dirham, pièce d argent. Contrairement aux Germains en Europe occidentale, cette dynastie ne se fond pas dans la culture ambiante. L arabe s impose comme langue administrative mais l usage du grec est parfaitement autorisé. Les chrétiens et les juifs peuvent continuer de pratiquer leur religion, cependant l architecture de la mosquée, un art non figuratif et le code juridique inspiré par la nouvelle religion sont très largement diffusés dans l Empire. En 750, les Omeyyades sont renversés par une coalition d'opposants, le dernier membre de la famille régnant s'enfuit en Espagne où il fonde une monarchie brillante et durable, le califat de Cordoue. Les nouveaux maîtres, les Abbassides, s installent à Bagdad, le cœur de la zone la plus prospère de l'empire. Créée par le fondateur de la dynastie, Al Mansour, Bagdad se couvre de mosquées, de palais et de jardins. Elle devient l une des plus prospères et des plus grandes villes du monde au IX siècle. Au fil des années, l'autorité du calife s'avère difficile

4 à maintenir sur un territoire aussi immense, composé de peuples très divers (Egyptiens, Grecs ou Phéniciens), au passé souvent prestigieux (les Perses) et récemment convertis. Les Abbassides règnent formellement, même s'ils prennent soin de se placer dans la lignée du prophète et de faire respecter la Sunna. Les chiites demeurent une force de résistance et un de leurs courants - ismaélien- devient le fondement de la dynastie Fatimide d'egypte qui se pose victorieusement en concurrent de Bagdad pendant le Moyen-Age (X-XIIème). Dès le IX siècle, les califes abbassides recrutent des mercenaires turcs venus d Asie centrale pour maintenir l ordre et le contrôle des territoires. Ces soldats deviennent bientôt des princes eux-mêmes (dynasties de soldats esclaves des Mamelouks au XIIIème siècle en Egypte et au Moyen-Orient, principautés Seldjoukides en Anatolie). A vrai dire, les soldats turcs convertis se retrouvaient dans les armées du calife de Bagdad et chez ses ennemis, les khans mongols, qui étendaient à cette époque leur immense empire de la Chine à l'europe orientale. C'est ainsi qu'ils mettent fin au califat de Bagdad au XIIIème siècle. Au XIV, ils soumettent les Balkans puis s emparent de Constantinople en 1453, scellant ainsi la fin de l Empire Byzantin. Le bassin méditerranéen passe ainsi sous la domination de l Empire Ottoman jusqu en 1918. 4 -UNE SOCIETE ORIENTALE FONDEE SUR LA VILLE ET LE CORAN De par ses origines arabiques, la culture musulmane est à la fois née des grands espaces nomades et des villes oasis. Contrairement à l'occident médiéval, où l'organisation féodale va s organiser autour de terroirs ruraux portant économiquement la seigneurie et son château, l'orient musulman va accorder une primauté à la ville. Tout d'abord parce que c'est là que la culture musulmane s'est exprimée en pays conquis (mosquée, élites musulmanes, écoles, administration des conquérants et expression artistique dans les cours princières), d'autre part le monde musulman est fondamentalement méditerranéen ou rattaché à lui : c'est un carrefour commercial entre pays riverains de cette mer centrale mais également entre l'europe et l'inde, l'asie et l'afrique. Les grands espaces désertiques ou steppiques des marges de l'empire sont peu peuplés et ne seront jamais véritablement contrôlés, hors des routes caravanières, par contre les zones rurales très peuplées et souvent irriguées (Mésopotamie, vallée du Nil, terroir à blé d'anatolie ou du Maghreb, Andalousie) seront étroitement annexées à l'administration des grandes familles locales alliées aux gouverneurs des villes, pour le compte du monarque. La ville est au centre du dispositif, avec son gouverneur royal, son administration, sa police et les chefs de quartiers ou de métiers. La hiérarchie nécessaire à l'ordre monarchique se retrouve sans sa géographie : la mosquée et son minaret sont au centre, avec les instances culturelles et le palais (la kasbah), puis viennent les quartiers commerciaux aux rues spécialisées (souk), le caravansérail accueillant les marchands étrangers et leurs caravanes, les ateliers d'artisans vers la périphérie ou au-delà des murailles. C'est en ville que se trouve la richesse, née du commerce international, l'accumulation de biens aux mains des puissants ou des instances religieuses. Bagdad atteint un million d'habitants alors que les villes occidentales ne dépassent pas quelques dizaines de milliers d'occupants en ce sens le monde musulman est bien l'héritier de la puissance de l'orient antique, des grandes civilisations sédentaires de la haute antiquité (Egypte, Babylone, Syrie du second millénaire avant notre ère, monde hellénistique deux siècles avant notre ère). La richesse de la ville est assurée également par l'impôt, celui des non musulmans, la taxe sur les produits échangés et le prélèvement en nature sur les récoltes, qui profitent à l'administration royale mais également à toute une série d'intermédiaires urbains. 5 -UNE SOCIETE SAVANTE. HERITIERE DE L'ANTIQUITE ET DE L 'HELLENISME L'écriture occupa d'emblée un rôle important dans le monde musulman, cette société nomade perdit très vite ses repères de tradition orale pour se sédentariser et s'urbaniser avec le développement de l'empire au VIIIe siècle: la nécessité administrative de produire des archives, le goût des familles monarchiques pour les historiographies se doubla du devoir d'islamiser les foules conquises. Il fallait divulguer le plus largement possible la parole du prophète, les commentaires des savants et l'arabe devint la seule langue de la culture, du Maghreb à l'arabie, à l'exception du persan. Grâce à l'utilisation du papier, importé de Chine, à partir du Xème siècle, les cours princières mais également tous les érudits gravitant autour des écoles coraniques produisirent énormément de recueils, bien sûr d'abord liés à la religion et à ses commentaires, mais également de la poésie très en vogue dans la culture bédouine, d'histoire des dynasties. La géographie de peuples si variés prit également de l'ampleur à travers les récits de voyageurs ; la philosophie fut un domaine important, développé par les écoles théologiques mais également par la curiosité envers les auteurs grecs. Cette société du Livre, lettrée, avait également intégré les élites des sociétés conquises, et celles-ci apportèrent tout naturellement leur héritage essentiellement grec à la culture des monarchies musulmanes. C'est ainsi qu'en matière d'astronomie, de médecine, de mathématiques, les ouvrages conservés dans les grandes bibliothèques des villes furent traduits et transmis, sous l'influence des élites urbaines, marchandes ou politiques, qui ne

5 partageaient pas la même optique que les docteurs de la loi en matière d'intérêt intellectuel. Ainsi le monde médiéval musulman fut le passeur de la culture antique vers les sociétés occidentales, leurs clercs, les monastères et les universités, privées de contact direct avec les grands centres culturels romains, à savoir Antioche, Alexandrie; Byzance demeurait chrétienne mais orthodoxe et souvent rivale. L'essor de diverses principautés et monarchies stables, riches, aux cours urbaines et lettrées assura un essor culturel prodigieux, qui domina tout le paysage intellectuel du IXe au XIVe siècle. L'art tenait une place éminente, bénéficiant de l'apport d'écoles locales de premier plan, liées aux anciens monarques: la mosaïque et l architecture byzantines furent mises à profit, de même les enluminures perses etc. L'interdiction religieuse de copier les formes nées de la création divine produisit une forme d'art géométrique, haut en couleur et unique au monde, souvent alliée aux versets du Coran répandus sur les murs et dans les livres. Les mosquées furent les lieux privilégiés de cette richesse artistique, assez unitaire d'un bout à l'autre du monde musulman, preuve d'une symbiose culturelle étonnante. Les palais, dont il demeure surtout l'alhambra de Grenade, étaient ornés du même type de décor géométrique, fondés sur une architecture à patios et fontaines, synthèse de la villa antique méditerranéenne. Alhambra de Grenade 6 - LA RENCONTRE DES CIVILISATIONS, APOGEE ET DECLIN DES ETATS MUSULMANS L'originalité de la civilisation musulmane tient d'abord à l'extraordinaire rapidité avec laquelle elle s'est constituée, en annexant à la fois un immense espace très peuplé et en faisant cohabiter des sociétés au passé imposant, souvent antagonistes. Les élites musulmanes surent imposer une loi unique, fondée sur le Coran et la conversion, tout en laissant suffisamment d'autonomie aux dirigeants locaux et aux peuples pour qu'ils ne se dressent pas contre le carcan, ce que Byzance avait répugné à faire. Dans ce contexte, l'apogée de cette civilisation dura cinq siècles, du VIIIe au XIII siècle, avant qu'elle ne soit prise en étau entre deux essors de cultures différentes, celle de l'occident médiéval et de l'immense cavalcade des cavaliers mongols, qui allaient étendre l'empire de Gengis Khan de la Chine soumise à la mer Noire. La destruction de Bagdad par les Mongols répondait au débarquement des Croisés à la fin du XIe siècle ; ces Croisades chrétiennes ont été vues du côté latin comme un phénomène religieuxla délivrance des lieux saints mais les arabes y sentirent les prémisses de l'expansion de la noblesse des «Francs», déjà perceptible dans l'andalousie musulmane ou dans les pays slaves païens. La situation de carrefour avait été au cœur de la création d'une culture musulmane, empruntant aux grands centres sédentaires tout ce qu'il fallait pour créer un empire durable (administration, métropoles, routes commerciales, élites savantes, zones de productions agricoles intensives) mais ce carrefour condamnait le cœur de l'empire à se défendre comme Rome contre les attaques de zones périphériques en devenir : l'europe et les marchands italiens de Pise et de Venise lorgnaient vers la Méditerranée et le monopole du commerce des épices avec l'inde, les Mongols voulaient contrôler toute la route de la soie, de la Chine à Byzance. Les Mongols ne restèrent pas à demeure sur les marges orientales d'un monde musulman trop lointain ; de même la prise de Jérusalem avec la première croisade resta un succès sans lendemain et les royaumes latins de Terre Sainte périclitèrent en un peu plus de cent ans. Cependant l'immense espace culturel et économique du

6 monde musulman fut déstabilisé définitivement par les guerres qui coupèrent les routes commerciales terrestres (caravansérail) et maritimes, détruisirent bon nombre de villes du cœur de l'empire, comme Byzance l'avait été cinq cents ans plus tôt par les nomades arabes. Face à ce défi, la mosaïque des peuples islamisés -qui n'étaient pour la plupart pas des Arabes du MoyenOrient et d'arabie- fit face avec unité, mais il allait revenir aux Turcs de souder une fois encore cet Orient méditerranéen islamisé, face à l'europe surtout : l'empire ottoman unifia ainsi la communauté des croyants du XVe au XXe siècle. Il allait connaître une nouvelle apogée à ses débuts, mais face à un Occident beaucoup plus riche et développé qu'au Moyen-Age, n'empruntant plus rien à l'orient. A partir du XVIe siècle, les Grandes découvertes priveront la Méditerranée de son rôle de carrefour et le monde ottoman périclitera rapidement ; d'autre part l'orient arabe n'y jouait déjà plus guère de rôle dans la sphère ottomane, même si la culture musulmane avait totalement imprégné la monarchie du sultan d'istanbul. 7 - LA CROISADE, REFLET DU DYNAMISME DE L OCCIDENT MEDIEVAL A PARTIR DU XIIe SIECLE. Dans ce phénomène de contacts et d'échanges entre les deux civilisations musulmane et chrétienne d'occident, le conflit militaire, la conquête de territoires ont été toujours les éléments prédominants. Cependant, ils doivent être analysés à la lumière d'une «mémoire historique» reconstruite et pas seulement à travers la mémoire collective des témoins de l'époque des Croisés et des élites musulmanes qui ont résisté à cette invasion. En effet, la conquête territoriale a aussi bien touché le monde byzantin: les Croisés de 1204 quatrième croisade- ont pris Constantinople pour cible, à l'instigation de leurs transporteurs italiens et la Grèce chrétienne fut la proie d'un partage féodal. De même, dans l'espagne de la reconquête -la Reconquista du IXe au XVe siècle-, bien des chrétiens se louèrent à des princes musulmans. Sur la ligne de front, qui partageait la péninsule, les principautés s'allaient quelle que soit leur confession religieuse. Le dynamisme des seigneurs chrétiens, souvent des cadets de familles nobles privées de terres par le droit d'aînesse, demeure le moteur essentiel de la croisade. La paix en Occident, valorisée par l'eglise et le pape, est sans doute un aspect essentiel du phénomène d'exportation du dynamisme guerrier vers des terres lointaines. Au-delà de l'explication des Croisades dans leur contexte médiéval, celles-ci interpellent l'historien au sein d'une lecture plus vaste de l'histoire de l'europe occidentale et donc française. La motivation religieuse est incontestable et ne peut être réduite à un prétexte, mais celle-ci repose au-delà de la reconquête de la Terre Sainte sur le postulat de la christianisation et par cela sur l'idée de domination sur toute autre culture. Le phénomène avait débuté avec les annexions de terres saxonnes par Charlemagne, au début du IXe siècle ; trois siècles plus tard, l'occident médiéval ouvre ses routes marchandes vers l'orient, veut rivaliser avec la Méditerranée musulmane vers l'orient et ses richesses (soie troquée par Byzance, épices des routes musulmanes). Dès lors l'expansion territoriale est un aspect seulement de la domination économique et culturelle d'une civilisation en expansion du XII e au XV e siècles. Elle ne peut être dissocié de la croissance urbaine en Europe, de ses foires commerciales et des navigations de plus en plus lointaines. Le phénomène des Grandes Découvertes s'enchaîne tout naturellement avec cette expansion, la lutte continue en méditerranée mais les caravelles portugaises changent l échelle de cette concurrence pour la maîtrise du carrefour commercial planétaire, dés le début du XVéme siècle. Vasco de Gama pour le Portugal et Christophe Colomb pour l Espagne donnent une dimension mondiale à cette expansion à la fin du siècle: l'europe passe à la colonisation des Amériques, fait route sur les océans à travers le monde vers les Indes et leurs richesses. La Méditerranée décline d'autant et devient un foyer d'affrontement de plus en plus secondaire à partir du XVIe siècle, malgré 1'hégémonie turque qui menacera les Balkans et Vienne jusqu'au siècle suivant.