Qu'est-ce que c'est qu'être une femme? 1 Réflexions sur la notion de sujet au féminin en psychanalyse Louise Grenier

Documents pareils
Annie Claude Sortant-Delanoë. L angoisse, nécessité logique entre jouissance et désir

Lucile Cognard. S identifier à son symptôme

Richard Abibon. «Le sujet reçoit de l Autre son propre message sous une forme inversée»

Bernadette Diricq 1 De Dora à Nora, une «lettre» qui fait toute la différence?

«La capacité à être seul», WINNICOTT

LES BASES DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE

INTRODUCTION. Moi aussi, j'aurais voulu être quelqu'un d'autre, j'aurais voulu être moimême

La satisfaction de fin d analyse : une rencontre particulière avec le réel*

INFORMATION GÉNÉTIQUE et REPRODUCTION SEXUÉE

Les aspects psychologiques de la paralysie cérébrale : répercussions et enjeux dans le parcours de vie.

Le réel. Marguerite Angrand. Le réel selon Lacan. Philopsis : Revue numérique

Le CONTRAT TRIANGULAIRE en coaching Le contrat tripartite Fanita English, et la Négociation des Contrats Prescrits'

1) Il n'y a pas d'apprentissage sans projet

Deux destins pour le sujet : identifications dans la névrose et pétrification dans la psychose

COMMENT CITER OU PARAPHRASER UN EXTRAIT DE DOCUMENT SELON INFOSPHÈRE

Avant-propos. Marc Strauss. Respect versus amour. Forum envers de l'ecole - 10 juin 1999

2010/2011 MASTER 2 SPECIALITE 8 MEF (IUFM/UPV/INSHEA)

Un Divan dans la Tête

CONSEIL DE L'EUROPE COMITÉ DES MINISTRES RECOMMANDATION N R (87) 15 DU COMITÉ DES MINISTRES AUX ÉTATS MEMBRES

Il n'y a rien de plus beau qu'une clef

A.-M. Cubat PMB - Import de notices à partir d un tableur Page 1 Source :

Suite dossier d appel

Navigation dans Windows

Conclusions. Charles Melman

Jouer, c'est vivre! Repères sur le jeu en Action Catholique des Enfants

L ANIMATEUR D ATELIER D ÉCRITURE DOIT S ASSUMER CRÉATEUR Par Michel DUCOM Conférence de Barcelone, 2008.

npie apprenez à écouter vos désirs pour faire durer vos amours jamais compte de mes demandes Clarisse, 37 ans : Maman de 3 enfants,

Escalier pour le transfert

Jean-Jacques Gorog. La dritte Person*

Ne vas pas en enfer!

Attirez-vous les Manipulateurs? 5 Indices

Comment un. accident. peut-il engager la. responsabilité pénale. des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux?

La pédagogie selon Henri Marion

Professeur Thierry BOUGEROL

Rien sur la mère. Romain-Pierre Renou (Section clinique de Paris-Ile de France)

France métropolitaine, juin 2008 SUJET 7. Série ES, France métropolitaine, juin 2008

«la mouche» : 1958 / 1987, l'adaptation au travers des affiches.

Document adopté à la 351e séance de la Commission, tenue le, 30 novembre 1990, par sa résolution COM

Esthétique du symptôme : quand la trace se fait désir

Problèmes de rejet, de confiance, d intimité et de loyauté

QU EST-CE QUI VOUS MÈNE: LA TÊTE OU LE COEUR?

LA REBELLION. a) il faut que l'agent ait agi dans l'exercice de ses fonctions.

Un moyen simple d'être plus favorable aux familles Les points les plus importants du Family Score en un coup d'œil

FICHES DE REVISIONS LITTERATURE

D'UN THÉORÈME NOUVEAU

DEBAT PHILO : L HOMOSEXUALITE

COACH ME if you can! par Christine Thioux Administrateur-Directeur d A-Th & Associates

PRÉSENTATION DES QUESTIONS DE LA FEUILLE DE LOGEMENT

LES CARTES À POINTS : POUR UNE MEILLEURE PERCEPTION

La douleur est une mauvaise habitude.

La culture L épreuve du Bac

Questionnaire Enfants Projet Accueil dans les BM

Société française d'économie rurale

TABLE RONDE SUR LE «TRAIT DU CAS»

FONCTIONNEMENT DE GROUPE ET D'EQUIPE AU TRAVAIL

ASSOCIATION SUISSE POUR LA PROTECTION DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (AIPPI SUISSE) S T A T U T S. A. Nom, siège et but de l'association

François Balmès. L aliénation et le désir de l analyste 1

CPLN 20/08/2009 MBO Service ICT et Pédagogie

Programme Académique de Recherche et d Innovation (PARI) Fiche informative sur l'action n 19

CONVENTION DE STAGE EN ENTREPRISE EN FRANCE MÉTROPOLITAINE ANNÉE SCOLAIRE... /...

Introduction. I Étude rapide du réseau - Apprentissage. II Application à la reconnaissance des notes.

3 thèses : Problématique :

Réseaux sociaux virtuels

ETRE VRAIMENT DISCIPLE

L'EPS à l'école primaire aucune modification des programmes

EVALUATION DU DISPOSITIF DEPARTEMENTAL EDUCATIF DE FORMATION ET D INSERTION (D 2 EFI)

Sujet : Pouvons-nous affirmer que le temps nous appartient?

Là où vont nos pères1

NOTRE PERE JESUS ME PARLE DE SON PERE. idees-cate

Le développement cognitif selon Jean Piaget. Les stades du développement cognitif selon Piaget

Association Suisse des Managers du Sport Statuts

Commentaire par Gabriela LEGORRETA * du film

Les Cahiers de la Franc-maçonnerie

choisir H 1 quand H 0 est vraie - fausse alarme

LE CORPS ET SES ENTOURS : LA FONCTION SCRIBE

FICHE TECHNIQUE : SANTE ET SECURTE AU TRAVAIL

Est-ce que les parents ont toujours raison? Épisode 49

MÉDECINE PSYCHANALYSE DROIT JURISPRUDENCE QUESTIONS À FRANÇOIS-RÉGIS DUPOND MUZART. première partie

COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L ON N A PAS LUS?

«La famille, c est la première des sociétés humaines.»

Série TD 3. Exercice 4.1. Exercice 4.2 Cet algorithme est destiné à prédire l'avenir, et il doit être infaillible! Exercice 4.3. Exercice 4.

Avec la collaboration des Instituts du C.S.N LA REVISION DU LOYER COMMERCIAL. Textes. Articles L à du code de commerce

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL LE CORPS PRIS AUX MOTS DANS LE RÉCIT DE FEMMES À RISQUE D'ACCOUCHER PRÉMATU RÉM ENT

LE VIDE EN PSYCHANALYSE

STATUTS. DE L UNION SUISSE DES PROFESSIONNELS DE L IMMOBILIER (USPI Suisse)

ASSOCIATION LOI DU 1er JUILLET 1901 COMITE DE COOPERATION AVEC LE LAOS ( C.C.L. )

Bulletin concurrence et antitrust

PROTECTION DES SIGNES DISTINCTIFS D'UNE ENTREPRISE

Traitement de texte : Quelques rappels de quelques notions de base

Quelles sont les principales difficultés sociales que rencontrent les enfants et les adolescents?

LE DECRET STATUTAIRE RELATIF AUX ENSEIGNANTS-CHERCHEURS (par le bureau du Collectif pour la Défense de l Université)

Les mesures à l'inclinomètre

L Illusion comique. De Corneille. L œuvre à l examen oral. Par Alain Migé. Petits Classiques Larousse -1- L Illusion comique de Corneille

STATUTS DE L'AGENCE DEPARTEMENTALE DE L ORNE

AVANT-PROPOS CREATIVITE, FEMMES ET DEVELOPPEMENT L'EXEMPLE QUI VIENT DES AUTRES...

Transcription:

Qu'est-ce que c'est qu'être une femme? 1 Réflexions sur la notion de sujet au féminin en psychanalyse Louise Grenier N.B. : résumé du texte publié dans François Peraldi : le Sujet, Séminaire 1981-82, Montréal, Liber 2006. Ma réflexion est centrée sur la question du sujet au féminin. A partir de la notion de sujet telle qu'introduite par F. Peraldi au cours de son séminaire et de la théorie freudienne du désir, je reprendrai la question de l'hystérie : qu'est-ce que c'est qu'être une femme? Y a-t-il un destin féminin analogue à celui d'oedipe? Et, si oui, quel Sphinx interroger? Un sujet sexué féminin est-il possible, supportable même? Comment alors s'articulent chez la femme la subjectivité (Je) et la position sexuelle, le sujet dans ses rapports au désir? La femme serait-elle plutôt sujet désiré que sujet désirant? Toutes ces énigmes orienteront ma démarche sans prétendre les résoudre, mon objectif étant d'appréhender symboliquement une expérience ineffable, être une femme, sujet féminin, et la problématique particulière qu'elle impose au sujet. Cette problématique du que suis-je à quoi Freud répond par une que veut une femme? préside aux processus d'élaboration symbolique, rêves, symptômes, événements dont il faut retrouver le sens. Bien sûr, la question du sujet au féminin ne se pose pas que pour la femme. L'homme est dans un rapport très étroit au féminin : soit dans l'angoisse, soit dans l'exclusion, plus rarement dans l'acceptation du féminin en lui. Comme si, pour se constituer sujet, l'homme avait besoin de réprimer cette part de lui-même, archaïque, qu'il condamne. Autour d'une série de questions, je tenterai de montrer comment chez une femme se pose la question de son être dans le monde et la manière dont elle réalise, ou ne réalise pas, l'avènement d'elle-même au féminin, son désir, son sexe. 1 Texte issu d'une conférence prononcée en avril 1982 dans le cadre des séminaires de François Peraldi de 1981-82

Louise Grenier Page 2 2009-07-26 Un impossible féminin La femme a été abondamment étudiée dans ses rapports avec le masculin mais cette analyse de la féminité a abouti d'une part à faire coïncider le féminin avec la castration, la mort, la jouissance, d'autre part à avouer notre ignorance quant à ce qui la spécifie comme sujet désirant. La femme, écrit Luce Irigaray, a été vouée à la représentation de la face inversée du Même, figure négative du sexe mâle, incarnation des fantasmes et projections du sujet masculin. Est-cela être une femme? Se prêter au jeu du miroir pour séduire le sujet masculin et renforcer le narcissisme de ce dernier. Lui confirmer la valeur de son sexe, au détriment de la valeur du sien. Si l'un est, l'autre ne peut avoir lieu dans le tout ou rien du Miroir; dans l'horreur du différent, l'autre (la femme), prendra place comme envers de l'un, dès lors divinisé en Je suis. D'où, elle n'existe pas. Et la femme ne sachant ce qu'elle y perd renonce, pour un peu d'amour et beaucoup de mépris, à la spécificité de son sexe. Mais cette spécificité est au fond une puissance non actualisée, non symbolisée, privée d'un signifiant fondamental de sa différence, privation qui la déporte vers les territoires phalliques et masculins. Une parole est à inventer, un nouveau langage qui tiendrait compte du féminin. L'ordre symbolique peut-il inclure le féminin? Le discours masculin met au compte de la femme ce qu'il refuse en lui : la violence de la sexuation, la jouissance insupportable (d'être associée à la castration), un corps trop présent. Elle est ce qu'il faut bannir pour entrer dans la civilisation, se constituer en sujet et parler. D'où la hiérarchie bien connue : Elle, irrationnelle, passionnée, inconsciente; Lui, rationnel, régulateur du désir, conscient. Le discours collectif tenu par ou au nom des hommes se veut Vérité du féminin, faisant ainsi de la femme le support de tout ce qu'il rejette ou redoute en lui et qu'il appelle le féminin. Ce discours, moi, une femme, je l'ai intériorisé, comme toutes les femmes, partageant avec l'homme la même exclusion du féminin dans l'horreur de la castration. Ce qui explique l'affirmation de Freud à l'effet que la vie a horreur du féminin. Imaginons la femme ainsi : un sujet bisexuel dont le féminin est forclos avec un reste de masculinité et un renversement de sa masculinité initiale en féminité; il faut

Louise Grenier Page 3 2009-07-26 entendre par féminité les diverses transformations des pulsions de la fille au sortir de l'oedipe, les travestissements du corps et l'imitation des modèles féminins sociaux. Autrement dit, ne reste plus qu'une ombre, le sujet est bel et bien enseveli sous les décombres oedipiens. De plus, la maternité s'offrira comme la seule (ou presque) issue pour ne pas être rien. On peut aussi s'accrocher à la position phallique. Qu'est-ce qu'être une femme? Freud, dans la salle de conférence où Charcot exhibe ses hystériques, des femmes, interroge les scènes scabreuses que lui offre un théâtre imaginaire au féminin. Sa mémoire enregistre des poses équivoques, d'étranges impudeurs, des mouvements familiers, dans la convocation des esprits infernaux. Dans la douleur et la parodie surgit l'érotisme bridé de ces femmes pas-toutes assurément, traversées de silence et de peines perdues, qui les empêchent d'exister. Le sexe féminin, plus que jamais dompté, resurgit dans un corps devenu texte, monument, langage. En proie à des visions bouleversantes qui l'immobilisent au lieu d'une jouissance impossible, à perte d'elle-même, évanouie, l'hystérique, infirme d'elle, son sexe, disparaît au fil des mots qui la destituent. La Sphinx est là, devant Freud, déployant ses oracles, le défiant à dévoiler ses mystères de sexe, de folie, de mort. Que veut une femme? Qu'est-ce que le désir? Le Destin de Freud prend figure d'hystérique. Au commencement... Et puis, apparaissant Anna, Dora, Irma et les autres : la parole jusque là étouffée comme le désir circule entre Freud et l'hystérique. Le féminin, en ses premiers balbutiements sort de son ensevelissement. Et demande : qu'est-ce qu'une femme? qu'est-ce qu'un organe féminin? Paradoxalement, la femme formule la question même de Freud et de tout sujet masculin, reprenant à son compte l'énigme du féminin. A mon tour, je pose la question du sujet au féminin. Dans le miroir tendu par l'hystérique, je me regarde. En face d'un désir en mal de se symboliser, je subis le choc de son appel.

Louise Grenier Page 4 2009-07-26 C'est pour se conformer au fantasme de l'autre masculin (père), pour garder l'illusion d'exister, que Dora ou Anna vit hors d'elle. Hors-je, hors-jeu, hors de l'autre, insignifiante en la négativité de son sexe qui fait retour dans le réel en symptômes et inscriptions corporelles. Qu'est-ce que le sujet? Ce sujet qui parle est, selon Lacan, au-delà de l'ego. Au-delà, «une bouche ouverte au fond de laquelle Freud voit cette image terrifiante et composite que nous avons comparé à la révélation de la tête de Méduse. 2» La Tête de Méduse ou le sexe de la mère, rappel d'une chute par quoi le sujet prend naissance d'un désir qui le castre. Ce que Freud appréhende par la bouche béante de Irma c'est un réel non médiatisé, un réel dont l'autre nom est la mort. Le rapport du moi au féminin sera donc aussi rapport avec un autre absolu, la mort, le rien, l'au-delà du principe de plaisir. Ce qui est en puissance d'être. Le féminin serait, suivant cette optique, ce non-être préexistant au sujet et absent du discours commun dont le Moi est un fragment. Il est la part de réel exclu de la représentation, forclos. Émergeant du narcissisme primaire, du non-être, le futur sujet n'accède au Je (sujet qui parle) que par la médiation du désir de l'autre (la femme désirant le Phallus) en qui il trouve le Signifiant qui le fonde et le divise. La reconnaissance de la castration de la mère ouvre sur la découverte de la différence des sexes c'est-à-dire que la question être ou ne pas être... le phallus de la mère est remplacée par celle-ci : avoir ou ne pas avoir le phallus (du père). La fille, comme le garçon, désire être le phallus de la mère et s'y identifie; la tâche sera alors pour elle de reconnaître que ce phallus, non seulement elle ne l'est pas, mais elle ne l'a pas. Car, nous le verrons, la formation de son identité (?) sexuelle dépend de la fonction symbolique laquelle pose le phallus comme Signifiant-maître, pivot du devenir sexuel de tout sujet, cause et objet du désir. 2 Lacan, J. (1978). Le séminaire, livre 11, p. 207.

Louise Grenier Page 5 2009-07-26 Qu'est-ce que le désir? Avec Lacan, distinguons deux aspects dans le désir : le désir (inconscient) de Rien ou désir de reconnaissance ou reconnaissance du désir, et le désir sexuel dans lequel, chez Freud, s'incarne le premier. Au-delà de la bouche ouverte de Irma (la femme), comme représentation d'un désir sexuel de Freud, est évoqué cet inconnu du désir, ressort des formations symboliques du rêve (ou des symptômes). existe. 3 Le désir, écrit Lacan, est un rapport d'être à manque, manque d'être par quoi l'être Il est désir de rien de nommable en même temps qu'il est source de toute élaboration symbolique (dans le rêve par exemple), ne s'exprimant plus que comme désir de reconnaissance ou reconnaissance du désir. Car, le manque du sujet, ce manque à son être est de ne pas savoir ce qu'il est. C'est la question du que suis-je? qui le préoccupe ; il sait qu'il est mais ne sait pas ce qu'il est, affirme Lacan. Et cette question est adressée à l'autre. Car, c'est l'autre, le monde extérieur qui, par sa parole, par le symbolisme, nous introduit à la vie de désir. Aussi, le désir sexuel est-il imposé de l'extérieur. Selon Lacan, la reconnaissance de la position sexuelle du sujet, comme de son désir sexuel, est liée au système symbolique, préexistant au sujet. Cela signifie que pour se réaliser, la sexualité doit en passer par-là, par la Loi et donc, par l'oedipe. Qu'est-ce qu'un sujet sexué féminin? Sujet féminin? Ces deux mots peuvent-ils s'accoler? Comment le féminin forclos pourra-t-il s'articuler avec le Je sujet de la femme? Selon Freud, le masculin rassemble le sujet, l'activité et la possession du pénis; le féminin, de son côté, perpétue l'objet, la passivité et l'organe génital châtré. Conception qui peut s'entendre ainsi : une femme ne peut prétendre au statut de sujet qu'à la condition ou qu'à partir de son identification masculine. Or, l'identification relève du Moi (instance imaginaire) qui n'est pas le sujet et ne peut donc prétendre y correspondre. Supposons une autre explication à l'assertion freudienne : le masculin est dans 3 Lacan, J. (1978). Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse. Livre 11, p. 261.

Louise Grenier Page 6 2009-07-26 l'acception de Freud ce qui équivaut au phallique. En effet, il oppose la possession du pénis, l'activité, au châtrage, à la passivité, comme si le couple maculin-féminin était un concept destiné à rendre compte de ces phénomènes, donc apparaissant comme signifiants. Dans ce cas masculin et féminin deviennent des signifiants déterminant l'appartenance subjective au sexe. C'est ainsi que Lacan affirme qu'un sujet est un signifiant qui représente un sujet pour un autre signifiant. Autrement dit, féminin est un signifiant qui me représente pour un masculin. Le signifiant, comme tel, n'existe que dans une opposition et renvoie toujours à un autre signifiant. En conséquence, filles et garçons, reçoivent du monde extérieur (Langage) les signifiants qui désignent leur position sexuelle et nomment leur désir. Et en ce sens, il est vrai que le masculin évoque le sujet actif et phallique alors que le féminin rappelle l'objet passif castré. Mais je me demande s'il ne s'agit pas là d'une vision phallocentriste qui évacue jusque dans les procès d'élaboration symbolique un féminin qu'on ne saurait (a)voir. Enfin, rappelons que la fonction symbolique fait du Phallus une forme prévalente qui arrache du domaine de l'imaginaire pour situer dans le domaine du Symbolique la position sexuelle respective de l'homme et de la femme. Or, cette prévalence du phallus mérite d'être interrogée. Il reste que la symbolisation du sexe de la femme est problématique, la raison en étant que l'imaginaire ne fournit qu'une absence là où ailleurs se trouve un symbole prévalent, pense Lacan. Cette prévalence de la Gestalt phallique amène la fille à emprunter un détour par l'identification imaginaire au père et à suivre pendant un temps le chemin du garçon dans la réalisation du complexe oedipien; elle désire aussi la mère. La forme imaginaire du phallus est l'élément symbolique central de l'œdipe, et donne au complexe de castration une valeur-pivot dans l'accomplissement œdipien. En effet, le phallus est le signifiant unaire de la différence sexuelle, à la fois signifiant du sexe et de la différence des sexes. Or, il est sans correspondance ou équivalence chez la fille ce qui entraîne une dissymétrie signifiante à l'encontre de son propre sexe. Le symbolique, écrit Lacan, règle le tout du rapport entre les sexes. Et voilà, le tour

Louise Grenier Page 7 2009-07-26 est joué et comme il le dit lui-même, les dés sont jetés avant que l'histoire ne commence. D'ailleurs, ainsi qu'il l'écrit, le sexe féminin et hors-jeu, hors-symbolique, innommé, n'existe pas? Vive le Signifiant! Un coup d'œil phallique, un jeu de passe-passe qui fait disparaître le féminin! Le langage divinisé nous possède, immuablement. Des questions s'imposent ici : dans quelle mesure les sujets peuvent-ils influencer les systèmes symboliques? Une interaction est-elle possible entre les deux? Comment expliquer la prédominance du Regard dans la désignation des choses : où le non à voir devient le non avoir de sexe? D'autre part, n'a-t-on pas tendance à oublier, dans la théorie de Lacan que le maternel est une puissance de vie qui appartient à la femme, et n'est pas seulement le mythe archaïque du sujet, de l'enfance? Faute d'être, de pouvoir se dire, sujet sexué féminin, l'hystérique, la femme mime l'homme, la mère, se définissant d'un rapport à l'autre (homme, enfant) qui la connote comme châtrée (Irigaray). Toujours à côté, hors d'elle-même, captive. Captive d'un miroir devant lequel à défaut de jubiler, elle se lamente sur cette aberration du réel, ce rien qui effraie, cette blessure dont je viens (Ferré). Inconnaissable, anonyme, un morceau d'infini peut-être. En sa jouissance, Dieu, autre face de la mort. Jouissance qu'il a fallu escamoter comme son sexe indésirable pour que dure le désir qu'elle menace. Mais encore, elle adhère à l'image phallique sous le voile qui dissimule ce qu'elle est, ne sera pas. Au mépris d'elle-même, une femme joue la femme imaginaire qui habite le désir de l'homme, nourrit les fantasmes du mâle, ou se déguise en petite fille toujours déjà prise dans le fantasme maternel de complétude. Narcissique par essence ou par défense? Pour éviter de ne pas être, elle se précipite en des voies identificatoires où elle devient Objet (abject)? Il semble que la subjectivité de la femme soit incertaine, instable, en devenir. Elle est parlée par de multiples voix qui parlent en elle, elle qui ne parle pas. Pleine de visages, de gestes, de règles. Le Moi, ce fragment du discours collectif (Lacan) submerge le Je : qui copiez-vous là? avait demandé Freud à Dora. Dora ne s'appartient pas. Elle en a assez d'être comme... mais ne sait pas être soi. Alors, elle fait comme si...

Louise Grenier Page 8 2009-07-26 Le désir œdipien au féminin Le désir : que d'indépendance, il manifeste, indifférent, méconnaissant la différence sexuelle tant de l'objet que du sujet! Aussi, la petite Dora désire-t-elle sa mère, une femme, comme son frère ou à peu près. Il n'y a qu'un Sexe nommé et c'est le père qui le possède; devient imaginairement (comme) son père, un homme porteur de pénis. Jamais tout à fait une fille, jamais tout à fait un garçon, prise entre le réel et le rêve, elle oscille dans le ravalement de son plaisir. Ce plaisir, pris aux rets du leurre, s'épuise en fantasmes et se résorbe en symptômes. Tentative d'élaboration symbolique du désir sur, par le corps, lieu d'inscriptions signifiantes. Mais la rencontre avec l'autre rate ou presque, je parle ici de l'autre femme, Mme K. Celle-ci est mise en position de fantasme, n'étant jamais suffisamment Autre pour n'être pas elle-même (Dora) ou sa mère, son double. Il y manque une médiation, un pénis (?), rendant possible la satisfaction réelle ou symbolique du désir. Dora, incertaine quant à sa position sexuelle, l'est tout autant, sinon plus quant à sa position subjective. Être ou ne pas être; qu'est-ce qu'être une femme? Que suis-je? sont ses questions. Prise dans la relation spéculaire, son désir de la mère risque de perturber l'articulation symbolique de son désir pour la femme. Celle-ci, image idéale de la féminité vient rendre compte de la nostalgie d'elle-même au féminin chez Dora. Nostalgie de ce qui aurait pu être n'était le détour obligé par l'image du père et l'aliénation qu'elle comporte. Dans ce constant, sinon fréquent, achoppement du devenir-femme, en particulier dans la relation au père, dans ce constat d'une défaillance supposée inévitable, le narcissisme féminin assume les pertes. Après s'être imaginée comme le père, son rival, elle est véritablement castrée de cette image fallacieuse d'elle-même. Mais ce rival possède le signifiant dont elle est privée ce qui la met dans une dépendance extrême aux signifiants d'autrui car elle en est dépossédée elle-même. Dora est rejetée du Symbolique où elle tentait de s'introduire. Le désir reconverti en symptômes s'adresse à l'autre; n'attendant pour toute réponse qu'une fin de non recevoir afin de préserver en elle ce qui reste d'elle comme sujet. Préférant se refuser la satisfaction du désir dans l'espoir d'une reconnaissance de

Louise Grenier Page 9 2009-07-26 ce désir lui-même. Ma dernière question sera celle-ci : le désir homosexuel de l'hystérique, de Dora et pourquoi pas, de la femme, ne recèle-t-il pas en son fond un vœu de retour à l'origine? Devenir Un, identique, est l'envers imaginaire de la mort. Au-delà du Phallus. Se fondre en elle, devenir Dieu, dans la fusion des contraires et l'harmonie du Même. Ce secret, Dora y fait allusion par la lettre qu'elle dissimule au regard de Freud; pensons aussi à la lettre annonçant son suicide à ses parents et à une lettre d'invitation ambiguë de Madame K. Peut-être est-ce là l'ombilic de la névrose et des rêves de Dora, ce secret désir de mort qu'elle ignore elle-même? Pour terminer, évoquons une parole antique, celle d'oedipe à Colone : «C'est donc quand je ne suis plus rien, que je deviens vraiment un homme. 4» Ce rien représente selon moi la dépossession de l'être qui suit la rupture d'avec la Mère archaïque. Condition indispensable au devenir humain. Il semble que toute la tragédie de l'être vivant humain soit là, dans ce balancement du Tout au Rien et son dépassement. Conclusion N'y aurait-il que du sujet au masculin? La femme ne serait-elle sujet que dans l'aliénation de son sexe, de son désir? Ce qui, dans ce cas, entrave gravement la constitution de son identité subjective; un sujet qui s'éprouve comme mort - voir Lol V. Stein - dans la déperdition du féminin originaire. Faute d'un signifiant premier qui viendrait nommer pour la petite fille le féminin de la mère et sa jouissance, la femme reste toujours plus ou moins liée à la relation spéculaire; sa castration symbolique achoppe à cause d'une absence d'une médiation paternelle signifiante, restant là, un pied dans l'imaginaire. Séparation ratée qui fait de son corps le pendant de l'autre corps dans la négation de la différence et du désir de la mère. Privée de ce signifiant fondateur, elle trouve dans le corps de son père le signifiant unaire, le Phallus, qui dès lors détermine son évolution sexuelle. Comme il fallait s'y attendre, la question posée en tête de notre parcours à savoir qu'est-ce qu'être une femme? reste en suspens. Il ne s'agissait d'ailleurs pas d'y répondre 4 Sophocle, Oedipe-Roi, p. 383.

Louise Grenier Page 10 2009-07-26 mais de l'interpréter : pourquoi est-elle posée, à qui, comment se traduit-elle dans les processus symboliques individuels et dans certains romans? J'ai abordé la problématique du sujet au féminin, sa difficile articulation au domaine symbolique, la perte ou l'effacement de sa subjectivité aliénée à celle de l'homme comme l'est sa sexualité. Enfin, j'ai suggéré une explication qui doit beaucoup à Luce Irigaray et à Marguerite Duras, explication attribuant le drame spécifique des femmes à la forclusion du féminin amputant le sujet femme d'une part essentiel de son être et à la trame symbolique qui laisse au féminin la place de l'absence. Un Trou comblé (?) par des discours indiquant que pour être femme, il faut... C'était là l'anti-destin d'un être dans l'histoire d'une idée. Le sujet féminin au moment où il accède au Symbolique, au monde, à l'autre, ne peut repérer son sexe en aucun discours, en aucune parole, sauf dans sa réduction à la maternité. Commence alors une lente dépossession de son être propre la conduisant à la féminité dite normale. Le trajet est le suivant : à peine émergée de la relation spéculaire narcissique, le sujet se précipite dans une identification imaginaire au père, donc un sexe autre que le sien. Ce père devient le rival dans le désir de possession de la femme-mère. Phase dite virile ou du moins phallique de ce trajet : la petite fille - ou la femme qui en resté là - désire sur un mode masculin, activement, sadiquement, etc. Soulignons ce fait : elle a quitté le féminin-maternel, le réel d'un corps à corps immédiat, pour un déplacement radical par rapport à sa position antérieure. Troisième étape du trajet : tourner en femme. Il s'agit en effet non seulement d'un tournant mais d'un retournement-renversement-bouleversement de la sexualité de l'enfant. C'est la castration imaginaire. La fille se tourne vers l'homme-père pour n'y trouver que la séduction de son désir et la méconnaissance du féminin. Le désir pour la mère est remplacé par l'envie du pénis. Toutes les pulsions sont renversées - actives en passives (tendances à buts passifs), sadisme en masochisme - de même que les buts de ces pulsions. Ainsi naît la féminité. En ce trajet oedipien, je veux surtout souligner trois temps ou trois états du sujet :

Louise Grenier Page 11 2009-07-26 narcissisme, temps du désir masculin et l'établissement du désir d'enfant via l'envie du pénis. Il est possible de constater que la fille après avoir été pour un temps un garçon doit être châtrée et c'est ce châtrage qui donne lieu à ce qu'on appelle la féminité. Par ailleurs, l'apparition de l'envie du pénis constitue, à mon sens une régression vers un mode narcissique de relation, ce qui n'était pas le cas lors de la phase précédente. Même si l'envie du pénis donne lieu au désir érotique du pénis, elle ne disparaît pas pour autant, révélant l'ampleur de la blessure narcissique et le fantasme de complétude sous-jacent. Admirons ici l'efficacité du Langage qui après avoir obligé la fille à s'identifier à l'autre sexe, la transforme ensuite en femme. N'ayant d'autres désirs que ceux qu'on lui propose et s'identifiant aux objets du désir de l'homme : mère, phallus. Le sujet sexué féminin est un mythe mort qui dans le meilleur des cas fera retour dans le réel du symptôme hystérique et du rêve. La femme en viendra à demander avec l'homme : mais qu'est-ce qu'une femme? qu'est-ce que je veux, désir, etc.? Ne sachant plus, ne voyant pas, n'attendant plus. Alors, au creux de la bouche grande ouverte d'irma, Freud aura découvert Freud. Références Clément, C., Cixous, H. (1975). La jeune née. Paris : Union générale d'éditions. Duras, Marguerite (1964). Le ravissement de Lol V. Stein. Paris : Gallimard, Folio. Duras, Marguerite (1973). India Song. Paris : Gallimard. Freud, S. (1973). Cinq Psychanalyses. Paris : PUF, 1954. Freud, S. (1978). Névroses, Psychoses et Perversions. Les fantasmes hystériques et leurs relations à la bisexualité. Paris : PUF, 1908. Irigaray, Luce (1974). SPECULUM de l'autre femme. Paris : Les Editions de Minuit. Granoff,, W. (1976). La pensée et le féminin. Paris : Les Éditions de Minuit. Lacan, J. (1978). Le Séminaire livre 11. Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse. Paris : Seuil. Lacan, J. (1981). Le Séminaire livre 11. Les Psychoses. Paris : Seuil.

Louise Grenier Page 12 2009-07-26 Lacan, J. (1966). Ecrits 1. Paris : Seuil, Points. Lacan, J. (1971). Écrits 11. Paris : Seuil, Points. Leclaire, S. (1975). On tue un enfant. Paris : Seuil. Marini, Marcelle (1977). Territoires du Féminin avec Marguerite Duras. Paris : Les Éditions de Minuit. Montrelay, Michèle (1977). L'ombre et le nom. Paris : Les Éditions de Minuit. Sophocle (1962). Tragédies. Paris : Gallimard, folio.