Histoire(s) des arts et de la guerre



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Histoire(s) des arts et de la guerre Par Lila Gleizes et Claire Magnaval-Surtukian Introduction La guerre a toujours occupé une place de choix dans l'art. Objet de peur et de fantasme, instrument d'honneur et de destruction, elle a nourri les représentations artistiques depuis les temps antiques. Elle a été glorifiée à travers l'histoire de combattants illustres, comme les héros de la guerre de Troie, ou encore dans la célèbre Chanson de Roland, qui narrait la mort du neveu de Charlemagne. Au temps des guerres napoléoniennes, si la plume engagée de certains auteurs s'acharnait contre l'empereur, des tableaux tels que celui de David faisaient encore l'éloge du chef de guerre. Il a ainsi fallu attendre le XXIème siècle pour que le visage de la guerre, changé a jamais, suscite enfin une horreur unanime. Plusieurs éléments ont participé de cette évolution dans la perception des conflits armés. D'abord, les armes, plus meurtrières, plus impersonnelles aussi : il est devenu plus facile de tuer. La médiatisation de ces atrocités, aussi, de plus en plus incontrôlable avec le développement de nouveaux moyens de communication. La stabilisation des frontières et des politiques, qui remplace la conquête territoriale par la conquête idéologique, participe de ce mouvement et rend les enjeux plus difficile à cerner. Plus simplement, un changement d'état d'esprit se fait jour : avec l'avancée de la médecine, l'allongement de l'espérance de vie, l'accroissement de l'individualisme, la mort n'est plus un fait banal et tolérable. On pourrait poursuivre encore cette trop longue et douloureuse énumération. Cependant, une évidence déplaisante est à prendre en considération : la guerre, telle qu'on l'a connue au XXIème siècle, a revêtu un visage bien plus violent que par le passé, et bien plus intime aussi, car pour la première fois, celle-ci empiète sur le monde civil autrefois plus épargné. Ce n'est certes pas la première fois qu'elle s'étend au-delà du front, mais la connaissance des exactions et la conscience politique portent à notre regard une réalité nouvelle et crue. Les génocides, le terrorisme, la déchéance des empires coloniaux et la guerre civile, voilà autant de conflits nouveaux au cours desquels la distinction entre civil et militaire ne se fait plus. Comment, dans ces conditions, continuer à faire l'éloge d'une guerre où l'honneur ne peut plus être qu'une notion subalterne et où la proximité de la mort rend l'angoisse perpétuelle? Où plus personne n'est protégé, et où le soldat n'est plus un héros mais un père ou un frère? La guerre cesse d'être un objet extérieur que l'on peut contempler. Elle s'immisce alors dans la vie de chacun et invite naturellement à sa dénonciation. L'art devient engagé. Il n'est plus question, pour les artistes, de s'en tenir à une image idéalisée de batailles auxquelles ils ne prennent pas part. La guerre n'est plus un fait, mais un mode de vie qu'ils ne peuvent ignorer. A cela s'ajoute la gravité nouvelle donnée à la mort. Les deuils sont nationaux, le devoir de mémoire trouve dès lors un immense

écho. C'est toute la représentation de la guerre qui s'en trouve bouleversée, et nous nous retrouvons, au XXIème siècle, à un tournant capital. Il ne s'agit plus de représenter les combats héroïques, mais de témoigner des stigmates. L'art visuel évolue : il offre quelquefois des scènes d'horreur, mais plus souvent il se fait abstrait avec l'émergence du cubisme ou de l'expressionnisme. En littérature, la fiction, peutêtre par pudeur, laisse la part belle aux autobiographies, aux récits de vie plus ou moins romancés. Le cinéma, enfin, émerge, et va engendrer une toute nouvelle forme de représentation, qui en alliant plusieurs supports va bénéficier d'une force de frappe sans pareille. A l'image de la guerre, l'art, plus médiatisé, touchera plus d'individus, et avec plus de violence. C'est un nouveau combat qui se joue alors, celui de la dénonciation et de la mémoire : il est, par ailleurs, en grande partie idéologique.

La Première Guerre Mondiale dans les arts picturaux, le choix des avant-gardes Lors de la Grande Guerre, nombreux sont les peintres ayant pris part au conflit, enrôlés de force ou engagés volontaires. Les codes artistiques sont remis en cause et de nouveaux mouvements comme l expressionnisme Allemand ou le cubisme apparaissent en marge d'un académisme toujours d'actualité. Ce sont notamment ces avants gardes européennes que nous avons choisi de mettre en avant pour illustrer les atrocités de la Première Guerre Mondiale. Toutes ces œuvres s'engagent dans une démarche pacifiste et dénoncent, avec symbolisme, le quotidien de la guerre. Otto Dix Otto Dix, La guerre, 1929-1932, 204 x 204 et 204 x 102 Otto Dix, Allemand inspiré par le mouvement expressionniste, reste le peintre le plus connu de la Première Guerre Mondiale. Engagé dans une compagnie de mitrailleurs, il ressort de cette expérience traumatisé et peindra plus de 600 œuvres sur le thème des tranchées et de la mort. Dans les années 1960, il déclarera au cours d'un entretien : «La guerre est quelque chose de bestial : la faim, les poux, la boue, tous ces bruits déments. C'est que c'est tout autre chose. Tenez, avant mes premiers tableaux, j'ai eu l'impression que tout un aspect de la réalité n'avait pas encore été peint : l'aspect hideux. La guerre, c'était une chose horrible, et pourtant sublime. Il me fallait y être à tout prix. Il faut avoir vu l'homme dans cet état déchaîné pour le connaître un peu».

Otto Dix, Assaut sous les gazs, 1924 Guillaume Apollinaire Guillaume Apollinaire, Le brigadier marqué, Le pas de l'embusqué et Sans titre (Triptyque), Centre Mondial de la Paix, Verdun. Poète de l'avant garde, Guillaume Apollinaire est un artiste complet qui évoquera la Première Guerre Mondiale dans Calligrammes poèmes de la paix et de la guerre. Publié en 1918, juste avant sa mort, ce recueil relate le quotidien des tranchées comme le montre son plus célèbre poème La colombe poignardée et le jet d'eau. Ici, Apollinaire modernise l'acte poétique sur le fond (dénonciation et engagement) comme sur la forme (calligramme). La colombe poignardée et le jet d'eau propose le dessin d une colombe, animal incarnant par sa symbolique la paix universelle, mais elle est associée au mot «poignardée», qui l'érige ainsi au rang de victime d'un meurtre, conséquence directe de la guerre.

Guillaume Apollinaire, La colombe poignardée et le jet d'eau Calligrammes poèmes de la paix et de la guerre, 1918

Picasso Pablo Picasso, Guillaume de Kostrowitzky, artilleur, 1914, encre et aquarelle sur papier, 23 x 12,5 cm. Bien avant son célèbre Guernica, Picasso réalisa des croquis inspirés du quotidien de la guerre. En 1917, il peint une aquarelle de son ami Guillaume de Kostrowitzky, plus connu sous le pseudonyme de Guillaume Apollinaire. Engagé volontaire au côté des français, le polonais aux multiples origines est représenté dans ce dessin non sans une certaine forme d ironie. En effet, Picasso ne partageait pas forcément les valeurs patriotiques d'apollinaire et l'expression artistique s'en ressent. L'aquarelle s'inspire d'images d'epinal, sa fonction est clairement caricaturale.

Egon Schiele Heinrich Wagner, Leutnant i.d. Reserve (Portrait du lieutenant de réserve Heinrich Wagner), 1917, craie noire et couleur opaque sur papier, Heeresgeschichtliches Museum, Vienne. Inspiré par les mouvements surréalistes et expressionnistes de l'époque, l'art de d'egon Schiele se caractérise par une provocation subtile et une mélancolie émotive. Affliction et visage fermé qui se traduisent très bien dans ce portrait d'un lieutenant de réserve. Bien que survivant et décoré de deux médailles à sa vareuse, Heinrich Wagner incarne, dans son art, une froideur inspirée des expériences de la guerre (sentiment nourri après trois années passées sur le front).

La littérature : entre mémoire de guerre et roman Du côté de la littérature, la plupart des auteurs nés à la fin du XIXème siècle, sont encore inspirés par la tradition du roman dixneuviemiste, qui oscille entre un souci de réalisme et un naturalisme profond. D'autres, au contraire, se tournent vers la modernité de l'écriture et inaugure ainsi un nouvel art poétique (ex : Guillaume Appolinaire). Henri Barbusse Henri Barbusse, Le Feu, 1916 Henri Barbusse, engagé volontaire dans l'infanterie, rejoindra les combattants dès la fin de l'année 1914. On retient de Barbusse son œuvre principale Le Feu (1916), récit autobiographique qui relate son quotidien dans les tranchées où il resta 22 mois. Inspiré par le naturalisme de Zola, l'auteur retranscrit au mieux la vie des poilus dans sa brutalité (la peur, la mort) mais aussi la vie des femmes restées à l'arrière du front. Ce réalisme est mis au service d'un fort engagement politique et pacifiste, conséquence directe des outrages subies dans la guerre. Ce roman est dédié à tous ses compagnons tombés au combat.

Roland Dorgelès Roland Dorgelès, Les croix de bois, 1919 Dans le même genre romanesque, Roland Dorgelès et Les croix de bois (1919) font partie des classiques majeurs du récit de la Grande Guerre. Son titre fait référence aux nombreuses croix placées autour des cadavres sur les champs de bataille, cimetières précaires dédiés aux morts. Jean Giono Jean Giono, Le grand troupeau, 1931 Le grand troupeau met en scène la Provence natale Jean Giono. Profondément pacifiste, Giono a conscience qu'il écrit son roman tardivement (1931) par rapport à

la fin de la première guerre mondiale et qu'il n est pas le premier à traiter ce sujet. Il déclarera en 1934 : «Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe parfois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l entends, je la subis encore. Et j ai peur». Mais sa plus grande peur reste que «l'horreur ne s'efface» petit à petit dans les consciences. C'est paradoxalement à cette même période que les tensions nationalistes réapparaissent et qu'un nouveau conflit européen se dessine à l'horizon. Louis-Ferdinand Céline Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932 En 1932, Louis-Ferdinand Céline publie le controversé Voyage au bout de la nuit, œuvre majeure du XXème siècle qui suscita de nombreuses polémiques tant par son ambiguïté idéologique que par sa modernité littéraire (ex : utilisation d un vocabulaire argotique, remise en cause de l'académisme...). Ce récit unique rompt avec la tradition classique du grand roman de guerre, c'est une œuvre inclassable. Voyage au bout de la nuit est un roman marqué par un pessimisme total, c'est une ode à la misanthropie. Céline y narre sa perte de foi en l'humanité. La violence ayant, à son sens, tout emporté.

Georges Duhamel Georges Duhamel, Vie des martyrs, 1917 Georges Duhamel, poète et écrivain, écrit un triptyque sur la Première Guerre Mondiale (Vie de martyrs en 1917, Civilisation en 1918 et Les sept dernières plaies en 1928). Tout d'abord réformé en raison d'une mauvaise vue, Duhamel est finalement intégré à l'armée française. Il travaille pendant toute la guerre comme médecin dans une unité de chirurgie et devient le témoin des souffrances physiques et psychologiques des soldats. Le rôle du personnel soignant devient un thème central dans l'approche littéraire de Duhamel, son expérience est indissociable de sa vision de l'art. Son œuvre a été critiquée pour sa proximité avec Derrière la bataille de Léopold Chauveau, un autre médecin ayant combattu sur le front.

Blaise Cendrars Blaise Cendrars, La main coupée, 1946 Blaise Cendrars publie à la fin de la Seconde Guerre Mondiale La main coupée (1946), un récit autobiographique où il évoque son expérience de la Grande Guerre. Cette parution tardive s'explique par l'originalité du genre littéraire. Ce n'est pas un roman mais un des volets des mémoires de l'auteur, qui implique donc une prise de recul nécessaire sur le sujet. Une thérapie par l'écriture. Autre œuvre publiée tardivement, le recueil de Maurice Genevoix intitulé Ceux de 14 (1949) qui fait suite aux cinq témoignages que le poète avait écrit entre 1914 et 1918. Ceux de 14 a la particularité d être reconnu pour ses qualités littéraires et sa véracité historique.

Jacques Tardi Extrait d'une planche de C'était la guerre des tranchées, 1993 La Grande Guerre a touché toutes les sensibilités, tous les domaines artistiques. Jacques Tardi, auteur de bandes dessinées (genre souvent considéré par l'opinion générale comme étant un simple divertissement) a surpris les critiques en prenant pour thème les charniers dans son album C'était la guerre des tranchées (1993). Pendant 10 ans, le dessinateur s'est documenté en lisant les carnets de son propre père et en écoutant les témoignages de son grand-père. Il a su retranscrire au mieux l aspect morbide des tranchées mais aussi sa hantise de la violence. Rien n'est épargné au lecteur : les cadavres, les mutilations, l'angoisse, le sang...etc.

Du coté du cinéma : entre grandes adaptations et témoignages-fictions Bien souvent les réalisateurs adaptent les grandes œuvres littéraires et historiques facilement transposables à l'écran ( ex : Les croix de bois, de Roland Dorgelès) Affiche du film Les sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick, 1957 Adapté du roman de l'américain Humphrey Cobb, Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick est un classique du cinéma américain. Réalisé en noir et blanc en 1957, le film est un pamphlet anti-militariste qui revient sur le sort qui fut celui de certains mutins durant la Grande Guerre. Il sera longtemps interdit de projection et de diffusion en France. Le cinéma français a également mis à l'honneur la Grande Guerre, avec plus ou moins de réussite. En 2004, Jean Pierre Jeunet adapte le livre de Sébastien Japrisot Un long dimanche de fiançailles, récit retraçant l aventure de soldats condamnés à mort pour s'être auto-mutilés afin de rentrer dans leurs familles. Le Joyeux Noël de Christian Carion (2005) relate quant à lui un événement qui se serait déroulé fin décembre 1914 : une trêve de quelques jours entre les armées françaises, allemandes et anglaises qui aurait permis une fraternisation précaire et surprenante dans un environnement qui ne s'y prêtait guère (le livre Batailles de Flandres et d'artois 1914-1918, d'yves Buffetaut, fait référence à cet événement).

Un long dimanche de fiançailles, Jean-Pierre Jeunet, 2004

Les mémoires de la Shoah Le trait le plus marquant de la Seconde Guerre Mondiale, c'est sans nul doute l'horreur des camps d'extermination, l'abomination de la Shoah. L'Europe est, pour la première fois de son histoire, confrontée à une organisation méthodologique et industrielle de la mort. L'ampleur et la violence des faits vont connaître un écho sans précédent dans la mémoire collective, grâce, en partie, aux artistes. Face à l'inimaginable, les premières voix à s'exprimer sur les atrocités des camps sont celles qui peuvent en témoigner, celles qui l'ont vécu. Primo Levi Primo Levi, Si c'est un homme, 1947 Issu d'un rapport technique sur le camp d'extermination d'auschwitz, Si c'est un homme de Primo Levi est un récit sobre et dépassionné, un témoignage qui aujourd'hui encore reste une référence incontournable pour les historiens. Il y explique, à la façon d'un sociologue, le fonctionnement du camp, les relations entre les différents acteurs, et notamment la violence des «kapos» et l'absence de solidarité entre détenus. La neutralité du ton employé par Primo Levi permet de donner toute leur force aux angoisses qu'il exprime : la déshumanisation, l'humiliation, la faim, le froid, la maladie... C'est l'opportunité pour lui d'une réflexion sur la condition humaine, face à des individus si amoindris et arrachés à leur identité qu'ils sont à peine reconnaissables. C'est cette œuvre qui permettra de rendre compte de toute la violence du processus d'aliénation, où l'homme devient un simple numéro et se trouve réduit, par bien des aspects, à l'état animal.

Jorge Semprum Jorge Semprun, L'écriture ou la vie, 1994 Bien sûr, au vu des atrocités subies dans les camps, il est rare que ceux qui en sortent soient en mesure d'en témoigner avec le style sobre d'un Primo Levi. L'écrivain espagnol Jorge Semprun témoigne ainsi dans L'écriture ou la vie de toute la difficulté de raconter et de porter aux yeux du monde ce qui demeure, pour ceux qui l'ont vécu, de l'ordre de l'indicible. Cet ouvrage constitue la cicatrice que l'histoire a laissé sur la vie d'un homme, celui-ci tentant à tout prix, par le biais de l'écriture, d'exorciser cette déchirure. Une démarche difficile, qu'il décrira comme une noyade perpétuelle. Sans cesse, il remaniera ces récits d'humiliation, sa confrontation avec la mort qui a pour lui sonné le glas de sa vie toute entière, pour ne finalement écrire l'ouvrage qu'en 1987, après être, selon ses propres termes, «revenu dans la vie, c'est-à-dire dans l'oubli». Il y a donc une nette scission entre la terrible expérience historique qu'il a traversé dans sa jeunesse, et sa vie d'homme «normal», les deux apparaissant absolument indissociables l'un de l'autre. D'un côté, la mémoire historique est vécue comme une mission : raconter pour ceux qui sont morts ou qui ne peuvent pas parler. De l'autre, Semprun s'attache à revenir à la vie véritable, il est condamné à n'être qu'un simple passager. C'est l Histoire de l'homme contre l'histoire d'un homme.

Le pianiste Roman Polanski, Le Pianiste, 2002 L'histoire d'un homme à travers l'histoire global a sa pertinence, comme le montre l'autobiographie du musicien polonais Wladyslaw Szpilman, qui sera plus tard adaptée au cinéma par Roman Polanski. L'intérêt de ce récit, c'est la description qu'il fait de l'avant et de l'après rafle : l'impact des lois de Nuremberg et la cavale d'un fugitif. L'auteur donne ainsi à voir une autre expérience de l'angoisse de la Shoah, et son adaptation cinématographique, en 2002, montrera une volonté de réactualiser cette mémoire historique. Cette volonté est d'autant plus forte que l'ouvrage n'a pas connu, à sa sortie, l'accueil que beaucoup lui souhaitaient, car il révélait quelques aspects de l'holocauste sur lesquels certains préféraient jeter un voile : notamment la coopération des polonais avec les forces allemandes. On voit donc ici que la mémoire historique doit elle-même se frayer un chemin à travers les cicatrices que laissent les événements tragiques, avec tous les tabous et les dénis que ceux-ci comportent. Le récit est lui-même long et douloureux. C'est seulement avec une distance suffisante, une disparition progressive des protagonistes et des souffrances, que le spectateur devient à même d'accepter les chapitres les plus violents de l'histoire des hommes.

La vie est belle Roberto Benigni, La vie est belle, 1997 Petit à petit, le souvenir de l'horreur se faisant moins vif, l'histoire se fait histoire. Les fictions commencent à se construire autour des récits de camps. C'est ainsi qu'en 1997 sort le très primé La vie est belle, du réalisateur italien Roberto Benigni. Il met en scène un père et son fils, raflés puis emmenés dans un camp d'extermination inspiré d'auschwitz, où le père tentera de masquer à son fils l'horreur de la réalité qu'ils subissent. L'originalité du film réside dans un mélange entre l'horreur de l'univers où évoluent les personnages et la poésie d'un père à l'humour infaillible. C'est une prise de possession du sujet qui n'est pas traité par un simple compte-rendu de l'atrocité par une comédie dramatique qui rend aux personnages l'humanité que la réalité aurait dû totalement effacer. Ils ont une histoire, des rêves, des espoirs, et une force de vivre qui leur permet de traverser, sans trop fléchir, les épreuves du camp de la mort. Nous sommes ainsi en opposition avec la tendance des témoignages purs, qui montrent au contraire la déconstruction de l'identité des détenus. L'Histoire n'est plus que le cadre dans lequel évolue l'imaginaire, et l'horreur, tout en restant vivace et en trouvant une nouvelle force par la vanité du comique, se trouve elle aussi romancée.

Le conflit armé La seconde guerre mondiale a doublement traumatisé les consciences : 62 millions de morts, des combats armés d'une rare violence, une extermination barbare des populations juives...etc. De nombreux auteurs sont marqués par ce tragique événement et vont faire évoluer le roman-témoignage (qui a une valeur de mémoire) vers le roman d'aventure. On ne peut plus parler ici de roman de guerre comme genre littéraire tant les œuvres se diversifient. Antoine de Saint-Exupéry Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, 1942 Antoine de Saint-Exupéry fait office de figure centrale : auteur, poète, mais aussi aviateur célèbre, son expérience militaire constitue l essence même de son écriture. Dès l'année 1939, il est mobilisé dans l'armée de l'air et effectuera diverses missions. Pilote de guerre (1942) et Vol de nuit (1931) s'inspirent du quotidien des aviateurs tout en insérant une trame narrative digne du roman d'aventure (voire, pour des lectures plus poussées, Romain Gary et son livre Les racines du ciel).

Jacques Perret Jacques Perret, Le caporal épinglé, 1947 C'est avec une autodérision certaine que Jaques Perret raconte sa captivité dans Le caporal épinglé. Enlevé par des soldats nazis, il narre ses tentatives d'évasion, les travaux forcés, les tortures...etc. L'originalité de l œuvre réside dans un ton comique parfois employé même pour décrire des situations dramatiques causées par la guerre. Son livre sera adapté à l'écran par Jean Renoir dans les années 1960. Jean Giraudoux Jean Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935 Jean Giraudoux, ancien combattant qui s'est notamment battu lors de la bataille des Dardanelles, évoque les tensions nationalistes des années 1930 dans sa pièce La

guerre de Troie n'aura pas lieu. L'auteur remet à l'honneur la tragédie antique et ses personnages (Priam, Andromaque, Cassandre...etc) tout en les modernisant grâce à une transposition à la fois actuelle et intemporelle. Les craintes de voir se profiler une nouvelle guerre sont fondées. Les dictatures Européennes sont en place. La guerre de Troie n'aura pas lieu est une œuvre à la fois pessimiste et tragique, porteuse d une vision avant-gardiste d'un mal que personne n'aura pu éviter.

La Seconde Guerre Mondiale au cinéma :entre enseignement et divertissement Les combats armés, le rôle de la résistance, servent régulièrement de sources d'inspiration au cinéma. Si le devoir de mémoire est plus perceptible dans des films traitant de la Shoah, il n'en est pas moins présent dans d'autres œuvres cinématographiques. Les réalisateurs ont su diversifié leur style, ont pris plus ou moins de liberté par rapport à la véracité historique contrairement à certains films sur la Première Guerre Mondiale où le réalisme primait sur la liberté fictionnelle. Certains réalisateurs ont même eu l'audace de tourner en dérision un sujet resté encore douloureux. Le jour le plus long Le jour le plus long, Ken Annakin et Darryl Zanuck, 1962 En 1962, sort sur les écrans le film américain Le jour le plus long (The longest day), adapté d'un roman éponyme. Le réalisateur choisit de mettre en avant le sacrifice des jeunes américains lors du débarquement en Normandie, le 6 juin 1944. C'est le même thème qui illustrera quelques années plus tard le film de Steven Spielberg Il faut sauver le soldat Ryan (1998), avec une trame narrative plus apte à toucher le grand public. La fameuse scène du débarquement est criante de réalisme par son intensité et sa violence brute.

Le Dictateur Le Dictateur, Charlie Chaplin, 1940 Charly Chaplin et sa caricature du totalitarisme restent une des plus célèbres œuvres comiques. Une des caractéristiques de l'art de Charlie Chaplin est de pouvoir tourner en dérision les sujets les plus délicats, les plus tragiques. Sa lucidité est au service d'un cinéma comique (notamment grâce au jeu de pantomime) non dénué d'engagement comme le montrent des chefs d œuvre comme Le Dictateur ou encore Charlot Soldat. La Chute La Chute, Olivier Hirshbiegel, 2004 En 2004, sort La Chute, un brillant et risqué docu-fiction qui relate les derniers jours d'hitler. Ce dernier, cloîtré dans son bunker berlinois et peu soutenu par ses proches,

est montré par le réalisateur allemand Olivier Hirshbiegel comme un homme fragilisé par ses incertitudes et torturé. Lors de sa sortie, le film a fait polémique car il peut induire, selon les interprétations, une dédiabolisation du dictateur, voire une empathie inconsciente. Inglorious Basterds Inglorious basterds, Quentin Tarantino, 2009 En 2009, Quentin Tarantino réinvente l'histoire dans son film Inglorious Basterds. En modernisant le genre, le réalisateur réussit à revisiter le cinéma de guerre, entre séquences tragiques et western spaghetti. Uchronie et vengeance étant les deux piliers d'un film où l'humour se mêle au drame. L'oeuvre s'inscrivant dans la continuité d'un cycle de la vengeance entamé en 2003 par le réalisateur avec Kill Bill.

Les guerres de décolonisation La gloire de l'empire Colonial La colonisation a longtemps inspiré les artistes français. A l'époque, la taille d'un empire colonial est encore synonyme de fierté. Il paraît naturel à beaucoup d'en tirer toutes les gloires. C'est seulement plus tard que tendront à être posées des questions essentielles d'ordre moral. On assiste, dans l'art, à la naissance du courant orientaliste qui s'abreuve de ces nouveaux horizons, de ces nouvelles coutumes, de ces scènes encore inconnues suscitant fantasmes et craintes. Ces scènes dans lesquelles on ne peut que sentir le regard du colonisateur, ce regard à mi-chemin entre celui de l'ethnologue et celui du juge. Eugène Fromentin Eugène Fromentin, Au pays de la soif, 1869 Le tableau d'eugène Fromentin, Au pays de la soif, dans lequel on voit mourir des bédouins sous la chaleur du désert, témoigne ainsi de ce regard empli de préjugés. Par le caractère exagérément dramatique de cette scène, il met en scène les colonisés dans une situation de grande détresse, vulnérables sur leur propre territoire. Les craintes renvoyées dans ce tableau sont bien celles des européens eux-mêmes, peu

accoutumés aux températures locales, et qui songent que ces «indigènes» dépériraient sans le secours de leur «civilisation». Peut-être une bien-pensance du moment consistant à penser que la France ne pouvait qu'apporter ses bienfaits civilisateurs à des territoires restés encore «primitifs» et non apprivoisés par l'homme. Pourtant, ce sont bien les colonisateurs qui craignent cette soif souvent inconnue aux confins du désert. Eugène Delacroix Delacroix, Femmes d'alger dans leur appartement, 1834 Le tableau d'eugène Delacroix, célèbre peintre de La Liberté guidant le peuple, n'en témoigne pas moins d'un regard emprunt d'une certaine condescendance animant le témoin européen à l'égard de peuples colonisés dont il ne comprend pas toutes les subtilités. En effet, dans Femmes d'alger dans leur appartement, la scène que dévoile Delacroix est un harem, grand objet de fantasme dans le courant orientaliste. C'est un regard d'ethnologue, qui s'autorise la curiosité et manque, peut-être de pudeur. Ainsi glissé dans ce cercle intime, le spectateur est invité au spectacle d'une scène mystérieuse. Ce tableau aura pour effet de donner à voir d'une civilisation étrangère, des éléments spécieux, voir anecdotiques. Cependant, Delacroix peint sans passion cette ambiance très particulière du Harem. Nous sommes loin du caractère spectaculaire d'au pays de la soif, le tableau reste simple, timide. Les femmes apparaissent distantes, et on sent cette distance infranchissable entre le peintre et son objet. Il y a là une altérité qui ne peut se résoudre dans le coup de pinceau.

Un voile sur la décolonisation Une fois la gloire de l'empire éteinte, une fois les horizons conquis, que reste-t-il? Le silence. Si la colonisation a été largement mise en scène par les artistes, la décolonisation, elle, reste un sujet parfois tabou et évoqué avec discrétion. L'exemple de la Guerre d'algérie demeure le plus significatif. L'impact de l'histoire de cette guerre fratricide a été immense dans l'art. C'est une guerre sans nom : un voile semble avoir été jeté dessus. Un voile qui s'agite, parfois, mais un voile qui n'en masque pas moins un sujet qu'il tient au cœur de la France d'éviter d'évoquer. Ainsi, durant la guerre d'algérie, la censure était de mise. Les œuvres littéraires et cinématographiques se rapportant au conflit étaient surveillées de près. Le traitement médiatique des événements n'était pas libre, l'o.r.t.f veillait à surveiller ce qui se disait. Il est ainsi difficile de trouver, du côté français, des œuvres qui représentent le chapitre final de l'empire colonial et les cicatrices que la guerre a laissé, notamment dans le mouvement de l'orientalisme. Dans l'univers artistique, la gloire des colonies cesse simplement d'être représentée. Il y a un avant, un après, et entre les deux : rien. Seules subsistent des photographies qui ne sont souvent qu'un compte-rendu froid d'une réalité que l'on préférerait nier. L'attitude qui prévaut dans cette période sombre revêt les caractères du journalisme. Dans un conflit que les élans romantiques ignorent, ne restent que les partisans de la simple vérité qui prépare la mémoire collective. Une vérité à laquelle, toutefois, tous n'ont pas accès. Yves Courrière et Philippe Monnier, La guerre d'algérie

C'est ainsi que le journaliste Yves Courrière, spécialiste de la guerre d'algérie, collabore avec le réalisateur Philippe Monnier à la création d'un documentaire sobrement intitulé La guerre d'algérie. L'objectif est une exposition neutre des composantes du conflit, des deux côtés du front, basée sur des témoignages et des archives historiques. Ici, l'enjeu est bien celui de la transmission historique. Pourtant, dans cette volonté, réussie ou non, d'écarter toute subjectivité, il y a un rejet des passions et, par conséquent, d'un éventuel caractère artistique. Ce choix semble suggérer que l'extrême sensibilité du sujet ne permet pas de se l'approprier comme objet artistique sans prendre le risque de choquer l'opinion publique. En fin de compte, le conflit a révélé la moralité douteuse de la colonisation, et au vu des nouvelles valeurs que véhiculent l'europe, celle-ci apparaît désormais comme un objet de honte dont on entend aujourd'hui purger les passions nationales. Il n'est ainsi pas question d'en faire l'éloge ou la critique, et encore moins de la mettre en scène à travers les arts. Seul semble s'autoriser le compte-rendu, à condition qu'il évite toute culpabilisation excessive et qu'il ne conduise pas ouvertement à des interrogations morales. Il serait bien sûr faux d'affirmer que la guerre d'algérie est totalement absente de l'art en France, elle est par exemple un thème récurrent dans le cinéma, néanmoins il est rare que le choix de ce thème soit désintéressé. Dans la majorité des cas, ce sont des auteurs ou réalisateurs d'origine algérienne qui reviennent sur le conflit. La voix des colonies De l'autre côté de la ligne de front, au sein des pays ayant conquis leur indépendance, des voix se font entendre. La notion de «responsabilité» y est perçue comme capitale. Pour un pays ayant préalablement subit une invasion, les horreurs de la guerre peuvent, sans être justifiées, du moins s'amoindrir sous l'argument de la nécessité. Nul ne fait l'apologie des actes du Front de Libération National, mais ils ne font pas pour autant l'objet d'une honte silencieuse et partagée. Les artistes des anciennes colonies se remémorent un autre chapitre que l'europe ignore parfois volontairement : celui des guerres de «colonisation». L'histoire de la colonisation étant tout autant celle d'une fin que celle d'un commencement