22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N S.08.0153.F D. P. D I. N., demanderesse en cassation, admise au bénéfice de l assistance judiciaire par décision du bureau d assistance judiciaire du 27 novembre 2008 (n G.07.0194.F), représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de domicile, contre PARTENA, ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS, association sans but lucratif dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard Anspach, 1, défenderesse en cassation.
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/2 I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 10 mai 2002 par la cour du travail de Bruxelles. Le conseiller Alain Simon a fait rapport. Le procureur général Jean-François Leclercq a conclu. II. Le moyen de cassation La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées - articles 1341, 1349 et 1353 du Code civil ; - article 16, 2, alinéa 2, 2, de l'arrêté royal n 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants. Décisions et motifs critiqués L'arrêt décide que «la prescription [pour le recouvrement] des cotisations et majorations dues par [la demanderesse] pour les années 1980 à 1982 et les deux premiers trimestres de 1983 a été valablement interrompue le 25 novembre 1985» et qu'en conséquence l'action de la défenderesse n'est pas prescrite, et ce, par tous ses motifs et spécialement les motifs suivants : «Principes a) L'article 16, 2, de l'arrêté royal n 38 du 27 juillet 1967 énonce : Le recouvrement des cotisations prévues par le présent arrêté se prescrit par cinq ans à compter du premier janvier qui suit l'année pour laquelle elles sont dues.
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/3 La prescription est interrompue : [ ] 2 par une lettre recommandée de l'organisme chargé du recouvrement, réclamant les cotisations dont l'intéressé est redevable. La prescription suppose le défaut d'exercice d'un droit pendant un temps prolongé ; que le droit vienne à être exercé - ou reconnu -, la prescription s'arrête. La prescription est donc interrompue notamment par la manifestation de volonté de reprendre l'exercice de son droit, contenue dans l'acte signifié à celui contre lequel on prescrit. C'est donc bien l'envoi de la lettre recommandée et non sa réception qui indique clairement la volonté de la caisse d'interrompre la prescription. b) La lettre recommandée de mise en demeure visée par l'article 16, 2, alinéa 2, 2, interrompt la prescription si elle est envoyée à l'adresse renseignée par l'affilié à la caisse. En vertu de l'article 7 de 1'arrêté royal du 19 décembre 1967, c'est en effet à l'affilié d'informer la caisse d'un changement qui serait intervenu [...]. c) La preuve de l'envoi de la lettre recommandée visée par l'article 16, 2, alinéa 2, 2, doit être faite par la caisse selon le droit commun de la preuve. Les présomptions précises et concordantes peuvent être admises. Application A. Les cotisations réclamées à [la demanderesse] sont relatives aux années 1980 à 1982 et aux deux premiers trimestres 1983 du fait de l'exercice par [la demanderesse] d'un mandat de gérante d'une s.p.r.l. qui lui a été confié le 21 novembre 1979. Ces cotisations se prescrivent par cinq ans : la prescription des cotisations dues pour l'année 1980, par exemple, aurait donc été acquise le 31 décembre 1985 à minuit. B. a) La [cour du travail] considère que la liste des envois recommandés déposée par [la défenderesse] à la poste et sur laquelle figurent les nom, prénom de [la demanderesse], la commune et le canton postal du lieu de domiciliation de [la demanderesse] à l'époque, ainsi que le cachet de la
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/4 poste de Bruxelles A portant la date du 25 novembre 1985, établit l'envoi par [la défenderesse] d'un courrier recommandé à [la demanderesse] à cette date. [La demanderesse] - qui ne soutient pas ne pas avoir reçu d'envoi recommandé du 25 novembre 1985 - se borne à affirmer que ce document ne constitue pas la preuve de cet envoi mais ne précise pas quel autre moyen de preuve l'expéditeur devrait produire. Un particulier ne dispose également, pour établir un envoi recommandé, que d'un avis de récépissé d'un envoi recommandé portant le cachet postal et la date du dépôt à la poste. Cet avis de récépissé est en l'espèce remplacé par une liste des envois à effectuer compte tenu du nombre d'envois déposés le même jour. b) Le texte légal ne prévoit pas que la prescription est interrompue par une lettre recommandée avec accusé de réception. Ainsi que cela a été relevé ci-dessus, la prescription est interrompue par l'envoi et non par la réception d'une lettre recommandée adressée à l'adresse renseignée. [La demanderesse] ne soutient pas que son adresse ne se situait pas à l'époque à Pr. Il y a lieu de confirmer le jugement dont appel sur ce point : le premier juge a en effet décidé que le listing d'envois recommandés établit l'envoi d'un pli recommandé à [la demanderesse]. c) La référence faite par [la demanderesse] à un arrêt du 29 juin 2001 prononcé par la cour du travail de Bruxelles (RG 39.110) n'est pas de nature à modifier le point de vue de la cour [du travail] dans le présent litige, compte tenu notamment que le listing produit renseigne avec précision le nom de l'expéditeur, soit la caisse La Famille (ancien nom de [la défenderesse]) et que le cachet de la poste est clair et précis. Le fait que le nom et l'adresse de [la défenderesse] sont libellés en néerlandais sur ce listing est sans influence sur sa valeur probante. C. La cour [du travail] considère que [la défenderesse] établit en l'espèce que cet envoi recommandé contenait une mise en demeure de payer les cotisations actuellement réclamées.
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/5 [La demanderesse] a en effet, le 23 décembre 1985, soit dans le mois de l'envoi litigieux, écrit à [la défenderesse] : comme suite aux divers avis d'échéance relatifs au statut social des indépendants ainsi qu'à la cotisation spéciale reçus de chez vous [...], je vous saurais [...] gré [...] de ne plus m'envoyer de relevé de compte sans objet. La proximité des deux dates - envoi recommandé du 25 novembre 1985 et lettre du 23 décembre 1985 - ainsi que le contenu de la lettre du 23 décembre 1985 constituent des présomptions suffisantes de ce que l'envoi recommandé du 25 novembre 1985 contenait une mise en demeure de payer les cotisations et majorations actuellement réclamées. [La demanderesse] n'invoque pas le moindre élément qui permettrait de renverser cette présomption : elle ne précise pas de quel autre avis d'échéance ou relevé de compte sans objet elle fait mention dans sa lettre du 23 décembre 1985 et ne soutient pas qu'à l'époque un autre litige ou d'autres raisons justifiaient l'envoi recommandé du 25 novembre 1985. D. La prescription des cotisations et majorations dues par [la demanderesse] pour les années 1980 à 1982 et les deux premiers trimestres de 1983 a été valablement interrompue le 25 novembre 1985. L'assignation du 29 mai 1990 est intervenue sans que le nouveau délai de prescription de cinq ans qui a pris cours le 26 novembre 1985 ait expiré. L'action de [la défenderesse] n'est pas prescrite». Griefs L'article 16, 2, alinéa 2, 2, de l'arrêté royal n 38 dispose que la prescription de l'action en recouvrement des cotisations sociales est interrompue par «une lettre recommandée de l'organisme chargé du recouvrement, réclamant les cotisations dont l'intéressé est redevable». Il résulte de la motivation de l'arrêt que la cour du travail a considéré, d'une part, que la preuve d'un envoi recommandé a été rapportée par la défenderesse et, d'autre part - ce qui est seul critiqué par la demanderesse -,
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/6 que la défenderesse a établi que cet envoi recommandé contenait une mise en demeure de payer les cotisations litigieuses. La mise en demeure est un acte juridique qui nécessite d'être prouvé par un écrit, conformément à l'article 1341 du Code civil. La réclamation de paiement visée dans l'article 16, 2, alinéa 2, 2, de l'arrêté royal n 38 est ainsi un acte dont la preuve est soumise aux dispositions de l'article 1341 du Code civil et, par suite, à la règle de la primauté de l'écrit en droit de la preuve qu'il contient. Cet article dispose qu'au-delà de 375 euros, la preuve écrite est nécessaire ; même en dessous de ce montant, aucune preuve par témoins n'est reçue contre ou outre un écrit. En l'espèce, après avoir considéré que «la lettre recommandée de mise en demeure visée par l'article 16, 2, alinéa 2, 2, interrompt la prescription, si elle est envoyée à l'adresse renseignée par l'affilié à la caisse», et que «la preuve de l'envoi de la lettre recommandée visée par l'article 16, 2, alinéa 2, 2, doit être faite par [la défenderesse] selon le droit commun de la preuve, les présomptions précises et concordantes pouvant être admises», la cour du travail a estimé que «[la défenderesse] établit en l'espèce que cet envoi recommandé contenait une mise en demeure de payer les cotisations actuellement réclamées». L'arrêt relève à cet égard que «[la demanderesse] a, en effet, le 23 décembre 1985, soit dans le mois de l'envoi litigieux, écrit à [la défenderesse] : comme suite aux divers avis d'échéance relatifs au statut social des indépendants ainsi qu'à la cotisation spéciale reçus de chez vous [...], je vous saurais [...] gré [...] de ne plus m'envoyer de relevé de compte sans objet». L'arrêt considère que «la proximité des deux dates - envoi recommandé du 25 novembre 1985 et lettre du 23 décembre 1985 - ainsi que le contenu de la lettre du 23 décembre 1985 constituent des présomptions suffisantes de ce que l'envoi recommandé du 25 novembre 1985 contenait une mise en demeure de payer les cotisations et majorations actuellement réclamées». En considérant que la preuve de la mise en demeure de payer exigée par l'article 16, 2, alinéa 2, 2, de l'arrêté royal n 38 pouvait être rapportée par voie de présomptions alors que la mise en demeure est un acte juridique qui, lorsqu'il porte sur un montant de plus de 375 euros, doit être prouvé par
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/7 un écrit conformément à l'article 1341 du Code civil, l'arrêt viole cette disposition et, pour autant que de besoin, les articles 1349 et 1353 du Code civil et l'article 16, 2, alinéa 2, 2, de l'arrêté royal n 38 visé au moyen. III. La décision de la Cour Il ne résulte ni des conclusions des parties ni des constatations de l arrêt que les parties auraient spécialement invoqué les faits qui, selon le moyen, commanderaient l application de l article 1341 du Code civil que la cour du travail aurait été tenue de relever d office. En tant qu il est pris de la violation dudit article 1341, que la demanderesse n a pas fait valoir devant la cour du travail et dont les dispositions ne sont ni impératives ni d ordre public, le moyen est nouveau. Pour le surplus, le moyen ne précise pas en quoi l arrêt violerait les autres dispositions légales qu il invoque. Le moyen est irrecevable. Par ces motifs, La Cour Rejette le pourvoi ; Condamne la demanderesse aux dépens. Les dépens taxés à la somme de cent trois euros quatre-vingt-neuf centimes en débet envers la partie demanderesse. Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Christine Matray, Sylviane Velu, Alain Simon et Gustave Steffens, et prononcé en audience publique du vingt-deux février deux mille dix par le président Christian Storck,
22 FEVRIER 2010 S.08.0153.F/8 en présence du procureur général Jean-François Leclercq, avec l assistance du greffier Patricia De Wadripont. P. De Wadripont G. Steffens A. Simon S. Velu Ch. Matray Chr. Storck