LA POLITIQUE D ALVARO URIBE : ENJEUX ET IMPACTS REGIONAUX



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Transcription:

LA POLITIQUE D ALVARO URIBE : ENJEUX ET IMPACTS REGIONAUX Mémoire de Recherche présenté par : Anne-Charlotte LABIS Sous la direction de Michel BERTRAND Année : 2011-2012

REMERCIEMENTS Je tiens à adresser tous mes remerciements à mon Directeur de Mémoire, Monsieur Michel Bertand, pour avoir accepté de diriger ce mémoire et pour ses précieux conseils. Je remercie également ma tante pour sa disponibilité, ses recommandations et ses encouragements ainsi que mes parents et ma sœur de m avoir épaulée tout au long de la rédaction de ce mémoire. Je remercie enfin tous les colombiens qui m ont aidée à mieux connaître leur pays. ii

AVERTISSEMENT L IEP de Toulouse n entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteur(e). iii

ABREVIATIONS PAR ORDRE ALPHABETIQUE AELE: ALBA: ALENA: ATPDEA: AUC: CAN: CEPALC: ELN: FARC: Association Européenne de Libre Echange Alliance Bolivarienne pour les Amériques Accord de Libre Echange Nord-Américain Andean Trade Promotion and Drug Eradication Act Autodéfenses Unies de Colombie Communauté Andine des Nations Commission Economique Pour l'amérique Latine et les Caraïbes Armée de Libération Nationale Forces Armées Révolutionnaires de Colombie G3: Groupe des Trois IPA: IRA: MILA: Initiative Pour les Amériques Initiative Régionale Andine Marché Intégré Latino Américain MERCOSUR: Marché Commun du Sud OMC: PEC: PDSD: SPG: TIAR: TLC: UNASUR: UNHCR: ZLEA: Organisation Mondiale du Commerce Politique Extérieure Commune Politique de Défense et de Sécurité Démocratique Système de Préférences Généralisées Traité Interaméricain d Assistance Réciproque Traité de Libre Commerce Union des Nations Sud Américaines Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies Zone de Libre Echange des Amériques (ou ALCA : Area de Libre Comercio de las Américas) iv

SOMMAIRE TABLE DES ANNEXES... viii INTRODUCTION... 1 PARTIE 1 : LA SPECIFICITE DE L INTEGRATION REGIONALE COLOMBIENNE : UN SOUTIEN INCONDITIONNEL AU REGIONALISME OUVERT... 7 A- LA POSITION DIVERGENTE DE LA COLOMBIE FACE AU MODELE BOLIVARIEN D INTEGRATION... 8 1. Deux approches différentes de l intégration régionale dans la zone andine... 8 a) La divergence des modèles de développement économique dans la région andine 8 b) Des partenaires communs mais des ambitions différentes... 11 2. Le fossé politique entre la Colombie et les pays andins... 13 a) L isolement politique de la Colombie dans la région andine... 13 b) Le projet bolivarien : un projet alternatif au modèle d intégration de la Colombie 15 B- LA VOLONTE DE LA COLOMBIE DE S AFFIRMER COMME PUISSANCE REGIONALE... 17 1. La Colombie : un partenaire économique et commercial essentiel... 18 a) Le dynamisme économique colombien... 18 b) Les enjeux des relations économiques entre la Colombie et le Venezuela... 21 c) La multiplication des accords commerciaux... 23 2. La Colombie, moteur de l intégration régionale andine... 25 a) Une politique extérieure fondée sur un principe de coopération... 25 b) Le rôle de la Colombie dans les avancées de l intégration de la CAN... 26 c) La CAN : une plateforme d insertion internationale... 29 PARTIE 2 : LES RELATIONS PRIVILEGIEES ENTRE LA COLOMBIE ET LES ETATS UNIS, SOURCE DE TENSIONS DANS LA REGION ANDINE... 32 A- LES ETATS-UNIS : UN ALLIE PRIVILEGIE DANS LA POLITIQUE COLOMBIENNE... 33 v

1. Colombie/Etats-Unis : un partenariat asymétrique... 33 a) La dépendance économique et militaire de la Colombie vis-à-vis des Etats-Unis 33 b) Les intérêts stratégiques des Etats-Unis en Colombie... 37 2. La sécurité : thème central commun à la Colombie et aux Etats-Unis... 39 a) L harmonisation des politiques de sécurité de la Colombie et des Etats-Unis... 39 b) La Politique de Défense et de Sécurité Démocratique d Alvaro Uribe, appuyée par les Etats-Unis... 42 B- LA COLOMBIE, INTERFACE AMERICAINE : LES CONSEQUENCES DANS LA REGION ANDINE... 46 1. Le soft power des Etats-Unis : Une stratégie de contrôle régional permise par la Colombie... 46 a) L ingérence économique des Etats-Unis dans la région andine... 46 b) La tentative d ingérence politique des Etats-Unis dans la région andine... 48 c) La tentative d ingérence militaire des Etats-Unis dans la région andine... 50 2. Les accords entre la Colombie et les Etats-Unis : analyse des conséquences sur la Colombie et sur la région andine... 53 a) La signature du Traité de Libre Commerce colombo-américain... 53 b) Les impacts du Plan Colombie... 56 PARTIE 3 : L INTERNATIONALISATION DU CONFLIT COLOMBIEN, ENTRE MYTHE POLITIQUE ET FACTEUR D INSTABILITE DANS LA REGION ANDINE... 60 A- LES DYNAMIQUES D INTERNATIONALISATION DU CONFLIT COLOMBIEN... 61 1. Les courroies de transmission du conflit colombien à l international... 61 a) Le conflit colombien : un danger pour la sécurité internationale... 61 b) Les déplacements liés au débordement du conflit colombien... 64 2. L internationalisation du conflit colombien : un mythe politique... 66 a) L impact limité du conflit colombien... 67 b) Des zones frontalières poreuses : Un facteur d extension du conflit?... 69 c) Un amalgame entre la drogue et le conflit armé colombien... 70 vi

B- LES STRATEGIES ET LES TENSIONS LIEES A L EXTENSION DU CONFLIT... 73 1. Les stratégies d internationalisation du conflit colombien... 74 a) La stratégie d Alvaro Uribe : la construction d un «pays-menace»... 74 b) La stratégie états-unienne : entre guerre totale et volonté d implication des voisins andins dans le conflit... 77 c) La stratégie des pays andins : une instrumentalisation du conflit colombien comme diversion des défaillances internes... 78 2. L expansion du conflit : entre tensions diplomatiques et enjeux politiques... 80 a) Les relations entre la Colombie et les pays andins : «paix impossible, guerre improbable»... 81 b) La position des pays andins face au conflit et les enjeux de leur implication... 84 CONCLUSION... 87 BIBLIOGRAPHIE... 92 vii

TABLE DES ANNEXES ANNEXE 1 : Carte politique de l Amérique Latine (Mars 2009) ANNEXE 2 : Aide américaine et budget de la défense colombien (2002-2008) ANNEXE 3 : Moyennes annuelles d ide (investissements directs à l étranger) interceptés par les pays de la CAN (2002-2006) ANNEXE 4 : Croissance économique en Colombie (2001-2010), taux de croissance annuel moyen du PIB par habitant en Amérique Latine (2000-2010) ANNEXE 5 : Distribution géographique des exportations colombiennes (premier semestre 2009) ANNEXE 6 : Commerce bilatéral Colombie-Venezuela (2000-2010) ANNEXE 7 : Relations commerciales entre la Colombie et le Venezuela (2011) ANNEXE 8 : Exportations au sein de la communauté andine ANNEXE 9 : Nombre de transactions par partenaire commercial (2000-2008) ANNEXE 10 : Assistance militaire et policière des Etats-Unis (2005-2012) ANNEXE 11 : Distribution des ressources du plan Colombie (1999-2005) ANNEXE 12 : Lettre du Président de la République de Colombie, 16 juin 2003 ANNEXE 13 : Préambule du traité de libre commerce ANNEXE 14 : CAN décision 598 : relations commerciales avec des pays tiers ANNEXE 15 : Production et trafic de drogues en Amérique Latine ANNEXE 16 : Facteurs générateurs de déplacements (2004) ANNEXE 17 : Principales destinations des migrations colombiennes ANNEXE 18 : Départements occupés partiellement par les FARC ANNEXE 19 : Un nouveau bloc commercial de 2.000 milliards de US$ viii

INTRODUCTION La Colombie est souvent perçue de l extérieur comme un Etat dévasté par une les guérillas et par le narcotrafic. Bien que ces fléaux soient réels, ces stéréotypes empêchent de saisir la complexité de la réalité du pays. En effet, au-delà des guérillas et de la production de cocaïne, thèmes essentiellement traités dans la littérature ou dans les médias, la géopolitique colombienne apparaît également intéressante à analyser, à travers l étude des différentes mesures et stratégies mises en œuvre par le président Alvaro Uribe Vélez, à la tête du pays de 2002 à 2010 -deux mandats consécutifs-. Le contexte tumultueux dans lequel se déploie la politique de ce dernier nous invite également à observer les dynamiques du conflit armé colombien, les divers acteurs dans leurs interactions et les rapports de force entre la Colombie et les pays andins frontaliers. A.Uribe se fait le relais d une population épuisée par les précédents échecs politiques, à l origine d un renforcement du conflit et d une hausse de l insécurité. Il jouit ainsi d un large soutien populaire auprès des colombiens, notamment grâce à sa «Politique de Sécurité Démocratique» qui leur redonne confiance. Toutefois, si les médias tendent à montrer que sa présidence coïncide avec une baisse du nombre d assassinats, de kidnappings et de la violence en général, A. Uribe est souvent pointé du doigt par la communauté internationale pour ses mesures, qu il légitime par la lutte tenace qu il mène contre «le terrorisme». Ces diverses visions de la politique colombienne, intérieure et étrangère, sont liées à de nombreux enjeux stratégiques sur lesquels il convient de se pencher. Par ailleurs, l originalité de la politique uribiste réside dans le changement des méthodes qu elle opère par rapport aux gouvernements précédents. En effet, si la position tenue face à l intégration régionale, le rapprochement opéré avec les Etats-Unis et le processus d internationalisation du conflit -thèmes abordés dans ce mémoire- ne constituent pas des faits nouveaux, ils sont largement renforcés sous la présidence d A. Uribe. Cette politique tend à placer la Colombie comme acteur à part entière dans la région andine. De ce constat surgissent un ensemble de questions : Quels sont les enjeux économiques, stratégiques et diplomatiques de la politique menée par A. Uribe durant ses deux mandats? Quels sont les impacts de cette politique sur la Colombie et sur les pays frontaliers? En quoi la politique uribiste constitue t-elle un facteur d isolement du pays dans la région 1

andine. Dans quelle mesure peut-on dire que les divers plans et mesures, développés par le président colombien, sont orientés par la volonté d affirmer la place de la Colombie sur la scène régionale et internationale? Dans ce contexte, il est intéressant d analyser la politique intérieure et la politique étrangère, étroitement liées, mises en œuvre par A. Uribe et les répercussions de celles-ci sur les pays voisins pour comprendre en quoi la Colombie apparaît comme un acteur isolé au sein de la région andine. Au-delà de l orientation politique et économique du pays qui s aligne sur celle des Etats-Unis, le distinguant des autres pays andins fortement ancrés à gauche, le programme «Mano dura, corazón grande» d A. Uribe tend également à isoler la Colombie du reste de la région, par les critiques et les conséquences qu il implique. Toutefois, cet isolement, limité à la zone andine, apparaît davantage diplomatique et constitue l un des aboutissements de la stratégie du président colombien de peser politiquement et économiquement sur la scène tant régionale qu internationale. A cet égard, le rôle de la Colombie dans le modelage de l intégration andine est intéressant à analyser. L ouverture du régionalisme par une consolidation des rapports avec les Etats-Unis et la lutte pour le leadership régional révèlent la position paradoxale du pays dans la zone andine. En effet, détracteur de l intégration de la région, la Colombie constitue également l un de ses principaux moteurs. Le terme «pays andins» fait ici davantage référence aux pays frontaliers de la Colombie et membres de la Communauté Andine des Nations (CAN) 1, brièvement analysée dans ce mémoire. Celle-ci cristallise l opposition entre deux modèles de développement et d intégration. L approche retenue repose ainsi sur la comparaison entre le modèle néolibéral et le modèle bolivarien, incarné respectivement par la Colombie et le Venezuela. De plus, si le premier constitue le meilleur allié des Etats-Unis dans la région, le deuxième voit dans les Etats-Unis son pire ennemi. Bien que tout semble opposer ces pays, ils partagent toutefois les mêmes ambitions et revendiquent tous deux le leadership au sein de la zone andine. Ils sont également conscients de l importance réciproque des relations qu ils entretiennent. Ainsi, 1 CAN : Communauté Andine des Nations. Issue du Pacte Andin de 1969, fondée en 1997, cette organisation économique sous-régionale est composée de la Colombie, de la Bolivie, de l Equateur, du Pérou et, jusqu en 2006, du Venezuela. Les objectifs de la CAN consistent à promouvoir le développement des pays membres par l intégration et la coopération. 2

constituant les principaux acteurs clés dans la région, il apparaissait pertinent de limiter la comparaison à ces deux Etats. Par ailleurs, les «voisins andins» avec lesquels la Colombie entretient des rapports houleux se résument essentiellement à l Equateur et au Venezuela. Le charisme des présidents respectifs, leur relative indulgence envers les guérillas et les nombreux incidents frontaliers constituent en effet des sources de tensions fréquentes avec la Colombie. L analyse des rapports colombo-américains apparaît également judicieuse pour justifier la position isolée de la Colombie dans la région et les tensions diplomatiques entre celle-ci et les pays andins. Tant le conflit armé colombien que la politique étrangère menée par A. Uribe favorise le rapprochement avec les Etats-Unis et permet à ces derniers d intervenir politiquement, économiquement et militairement dans la région andine. Cette alliance suscite une vive contestation des Etats voisins, qui voient dans la Colombie le fer de lance de l ingérence américaine. En outre, on ne peut parler de la politique uribiste sans se référer aux étroites relations entre la Colombie et les Etats-Unis dans la mesure où ce sont principalement ces derniers qui guident les mesures mises en œuvre par le président colombien, notamment en matière sécuritaire et de lutte contre le narcotrafic. Ainsi, à travers sa «Politique de Sécurité Démocratique», A. Uribe s associe aux Etats-Unis dans leur guerre contre le terrorisme. Malgré la bonne entente générale entre les deux pays, l alignement de la politique colombienne sur la politique américaine se justifie essentiellement par la dépendance financière et militaire de la Colombie vis-à-vis des Etats-Unis. L aide américaine, considérée comme un outil essentiel à la résolution du conflit, n est en effet accordée que sous certaines conditions, que le président colombien se voit obligé d accepter. Le «Plan Colombie» et le Traité de Libre Echange, principaux accords qui seront abordés dans ce mémoire, révèlent, au-delà de l asymétrie des relations colombo-américaines, le «manquement» de la Colombie à son engagement régional, tendant à isoler, une fois encore, le pays dans la région andine. Enfin, s il ne s agit pas d étudier le conflit armé colombien en tant que tel, le sujet étant déjà amplement traité, l analyse de la stratégie et du processus d internationalisation de ce conflit présente un certain intérêt. Outre l orientation politique et économique suivie par A. Uribe et le choix qu il fait d une alliance étroite avec les Etats-Unis pour renforcer le rôle de la 3

Colombie au sein de la communauté internationale, il instrumentalise la crise colombienne afin d obtenir le soutien tant politique que financier de cette dernière. Ainsi, malgré les impacts du conflit dans les pays voisins, il convient de nuancer l extension de celui-ci. Si les courroies de transmission du conflit à l international sont multiples, l internationalisation relève en effet davantage d un mythe politique qui, parallèlement aux intérêts d A. Uribe, servent également les intérêts américains et ceux de la région. Cette stratégie tend toutefois à faire déborder le conflit colombien et l ensemble des fléaux qui l accompagnent hors des frontières, causant de fortes tensions politiques dans la région, et notamment dans les zones frontalières. Les pays andins refusent en effet toute implication dans la résolution du conflit. Il est cependant important de souligner que l isolement politique apparent de la Colombie ne remet pas en cause le poids et l influence du pays dans la zone andine, avec lesquels doivent compter les Etats voisins. Ce mémoire propose donc, d une manière générale, une approche géopolitique de la Colombie. Il démontre en effet l impact des facteurs géographiques, économiques et culturels sur la politique uribiste. A cet égard, tant la position géographique stratégique du pays dans la région, que le modèle économique et la tradition pro-américaine qu il présente, conditionnent la politique en œuvre par le président colombien. L aspect géopolitique est également appréciable à travers l analyse des objectifs poursuivis par les divers acteurs et des moyens utilisés pour les atteindre ainsi qu à travers l analyse des rivalités de pouvoir dans la région. L ensemble des raisonnements proposés témoigne de l ambiguïté et du paradoxe qui caractérisent la politique d A. Uribe. Celle-ci vise à affirmer le rôle de la Colombie sur la scène régionale et internationale. Toutefois, elle tend à isoler le pays dans la région andine. Ainsi, si le modèle d intégration colombien, les relations colombo-américaines et l internationalisation du conflit apparaissent, au premier abord, comme des thématiques indépendantes, elles sont davantage compréhensibles les unes par rapport aux autres. L approche pluridisciplinaire de la problématique permet en effet de résoudre l ambivalence de la politique uribiste. L intérêt pour ce thème de recherche s est affirmé au cours de mon année de mobilité où j ai été amenée à étudier, de manière autonome, les processus d intégration régionale et la politique colombienne. Mon souhait était, au départ, d analyser le rôle de la Colombie dans le processus d intégration de la CAN, afin de montrer la double position adoptée par A. Uribe, 4

dont la politique contribue tant aux avancées de la CAN qu à son effondrement. Toutefois, la littérature portant sur les organisations régionales latino-américaines traite principalement du 2. Par ailleurs, si les analyses relatives à la CAN existent, elles n en abordent que les aspects institutionnels et économiques et évoquent peu le rôle et les stratégies spécifiques à la Colombie. Enfin, mes diverses recherches ont révélé que la CAN n occupait finalement qu une place assez modeste dans la politique d A. Uribe. Dès lors, mon choix d origine d étudier la politique colombienne, en se focalisant essentiellement sur le bloc économique andin, a été revisité pour s orienter vers une analyse, davantage géopolitique, sur les enjeux de la politique uribiste et ses impacts sur la Colombie et sur la région andine. Par ailleurs, la période au cours de laquelle j ai fait le choix de ce sujet correspond à la passation de pouvoir entre Alvaro Uribe et Juan Manuel Santos. Il m apparaissait ainsi intéressant de dresser un bilan de la politique, tant intérieure qu étrangère, du président sortant durant ses deux mandats. L intérêt de s interroger sur ce sujet réside également dans l approfondissement d une thématique encore relativement peu étudiée en France, du moins dans une perspective géopolitique et internationale. Meilleur allié des Etats-Unis et utilisé par ces derniers, dénoncé et stigmatisé par la communauté internationale, désapprouvé par les présidents des pays voisins, mais estimé par la grande majorité des colombiens, A. Uribe fait l objet d appréciations diverses. L analyse pluridisciplinaire apparaît donc comme la plus appropriée pour traiter le sujet sous un angle plus vaste que celui qui recouvre uniquement le problème du narcotrafic et des guérillas. Afin de réaliser ce mémoire, j ai effectué de nombreuses recherches, notamment lors de mes séjours en Colombie et suivi assidûment l actualité colombienne. Si celle-ci est polarisée autour du président nouvellement élu J.M Santos, A. Uribe fait toujours parler de lui. En effet, l heure est au bilan de ses deux mandats. Par ailleurs, dans la mesure où le président sortant s inscrit dans la continuité de la politique uribiste, celle-ci reste toujours d actualité. 2 Le MERCOSUR : Marché Commun du Sud (Mercado Común del Sur). Communauté économique fondée en 1991 et composée de l Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l Uruguay. 5

Ce travail de recherche a été conçu à partir de diverses techniques d investigation. La perception de la politique d A. Uribe diverge selon l angle sous lequel elle est analysée. Il convenait donc d utiliser des sources d information variées. Ce mémoire se base donc sur des ouvrages écrits tant par des économistes, que des sociologues, des politologues et des historiens. Toutefois, il m est apparu que la plupart de mes lectures manquaient souvent d une approche globale de la problématique. Ainsi, de nombreux articles, parus dans la presse colombienne et/ou internationale, ont été utilisés afin de disposer d un éclairage sur les enjeux et perspectives de la politique uribiste. Par ailleurs, tant l approche économique du mémoire que le thème du conflit armé et de ses impacts nécessitaient le recours à des données statistiques. Celles-ci rendent souvent les faits plus parlants. La différence entre les Etats dans la réalisation des statistiques remet cependant parfois en cause leur objectivité. Malgré la vision plus large que m offraient ces diverses sources, j ai rencontré certaines difficultés. Tout d abord, la politique d A. Uribe n est principalement étudiée qu à travers sa «Politique de Sécurité Démocratique» et peu à travers ses ambitions régionales et internationales. Par ailleurs, il existe peu d analyses véritablement objectives. En effet, cellesci tendent soit à condamner de manière disproportionnée la politique uribiste, soit à la défendre avec ardeur. Enfin, il a été relativement complexe de réduire mon champ de recherche dans la mesure où les problématiques sont fortement corrélées. Malgré la variété des thèmes abordés et l optique large que j ai adoptée, j ai tenté au mieux de replacer la problématique principale par rapport aux différentes questions qui en émanent. A partir de ces outils méthodologiques, nous analyserons dans ce mémoire les divers aspects de la politique d A. Uribe et les enjeux qu elle soulève, à l égard des pays andins comme des Etats-Unis. Dans un premier temps, nous analyserons la spécificité qui caractérise la politique d intégration régionale dans la région andine (1). Puis, nous aborderons la politique étrangère à l égard des Etats-Unis (2). Enfin, nous étudierons le processus et les enjeux de l internationalisation du conflit armé (3). Ainsi, à travers ces trois thématiques étudiées, nous tenterons de démontrer le caractère paradoxal de la politique uribiste : facteur d isolement dans la région andine, elle constitue également un outil de puissance régionale et internationale. 6

PARTIE 1 : LA SPECIFICITE DE L INTEGRATION REGIONALE COLOMBIENNE : UN SOUTIEN INCONDITIONNEL AU REGIONALISME OUVERT Au début des années 1990, devant le nouveau contexte de l économie mondiale marqué par la globalisation croissante des marchés, les pays andins adoptent un modèle économique néolibéral. Enterrant le modèle endogène axé sur la substitution aux importations, l adhésion au «régionalisme ouvert» 3 modifie profondément les processus d intégration latinoaméricains. La solidarité régionale n est désormais plus incompatible avec les politiques d ouverture à l international. Intégration régionale et libéralisation économique sont désormais complémentaires. Ainsi, parallèlement à la multiplication des accords intégrationnistes dans le cadre de la CAN, la diffusion des principes néolibéraux et l interdépendance avec le reste du monde se renforcent progressivement. Animée par la volonté de peser davantage dans la région andine et sur la scène internationale, la Colombie entreprend une série de réformes reposant sur la libéralisation et la dérégulation des marchés. La Colombie multiplie et diversifie ainsi ses traités commerciaux avec un grand nombre de pays. Toutefois, elle privilégie sa relation avec les Etats-Unis, allié géostratégique historique et davantage conciliant vis-à-vis de ce régionalisme ouvert, qui permet progressivement à la puissance américaine de s imposer dans la région andine. Si l on peut constater, à partir des années 1990, une certaine continuité en matière de politique commerciale dans les gouvernements colombiens successifs, la politique menée par le président Uribe est davantage emprunte de libéralisme économique. Le soutien affiché aux valeurs néolibérales et au régionalisme ouvert révèle la spécificité de la Colombie au sein du continent latino-américain, marqué à partir des années 2000 par l ascension de la gauche au pouvoir. En effet, dans un contexte de crise du libéralisme, la majorité des pays d Amérique latine présentent des alternatives économiques, politiques et idéologiques relativement éloignées du modèle prôné par la Colombie. Ainsi se confrontent deux modèles de développement et d intégration, l un en faveur du libre échange et d un rapprochement avec les Etats-Unis (modèle prôné par la Colombie et, dans 3 Concept diffusé par la CEPALC au début des années 1990, qui prône simultanément une intégration régionale et une ouverture des économies aux échanges internationaux 7

une moindre mesure, par le Pérou), l autre davantage fondé sur des considérations sociales que commerciales, marqué par un certain anti-américanisme et privilégiant un développement endogène (prôné par le Venezuela, la Bolivie et l Equateur). Ce modèle alternatif au néolibéralisme, caractéristique du projet bolivarien, est donc suivi par la majorité des pays andins, semblant isoler la Colombie au sein de la Communauté Andine. Cependant, ce relatif isolement ne l empêche pas de s affirmer en tant que puissance régionale, et de peser sur la scène internationale. En effet, en développant des relations de coopération avec ses voisins andins, la Colombie apparaît à la fois comme un partenaire économique important mais également comme un des moteurs essentiels de l intégration régionale andine. A- LA POSITION DIVERGENTE DE LA COLOMBIE FACE AU MODELE BOLIVARIEN D INTEGRATION Face au projet bolivarien d intégration, orienté vers une rupture avec le système capitaliste et défendu par la majorité des pays andins (le Venezuela en tête), la Colombie défend un modèle d intégration essentiellement économique et largement ouvert sur l extérieur. Ces deux approches de l intégration révèlent des ambitions distinctes, malgré des partenaires communs. Au-delà de cet aspect économique, les divergences entre la Colombie et les autres pays de la région andine sont également visibles au niveau politique. 1. Deux approches différentes de l intégration régionale dans la zone andine a) La divergence des modèles de développement économique dans la région andine Au sein de la région andine, les divergences tant idéologiques que politiques et économiques sont manifestes. Deux visions s affrontent quant au modèle de développement économique, au projet d intégration régionale et à l insertion à l international. Si au début des années 1990, la Colombie, comme les autres pays de la région andine, ont adopté un modèle de développement basé sur l ouverture et la libéralisation, le basculement à gauche de la majorité des pays andins témoigne d un certain rejet des politiques néolibérales. Ainsi, la Colombie et le Pérou militent en faveur d un libre échange et prônent une intégration andine essentiellement économique. À l inverse, le Venezuela, la Bolivie et l Equateur partagent une 8

même réprobation du néolibéralisme et défendent davantage une conception sociale de l intégration régionale. Cette divergence de modèles creuse le fossé entre ces deux groupes de pays au sein de la région andine et symbolise deux façons de concevoir le régionalisme ouvert. La Colombie d Alvaro Uribe et le Pérou d Alain Garcia (2006-2011) sont tous deux partisans du libre échange et principalement soucieux du développement économique. L ouverture de leur marché aux autres pays d Amérique latine et à l ensemble des pays du monde est guidée par la volonté de ne pas se cantonner à un cadre régional trop exclusif. A cet égard, la CAN a prévu la possibilité pour les pays de la zone andine de signer des accords bilatéraux avec des pays tiers, facilitant ainsi le développement des relations commerciales extra-régionales. La Colombie et le Pérou cherchent à intensifier ces dernières, principalement avec les Etats-Unis, se détournant parfois des partenaires de la région andine que sont la Bolivie, l Equateur et le Venezuela. Ces pays, plus orientés à gauche, rejettent la politique de libre échange classique et veulent fonder l intégration andine davantage sur des considérations sociales, culturelles et environnementales que sur des valeurs purement économiques. Par ailleurs, face à l ouverture des politiques économiques de la Colombie et du Pérou, ils privilégient des politiques relativement fermées et nationalistes. Celles-ci reposent sur un développement endogène, qui permettrait de remédier à la dépendance vis-à-vis du marché international et notamment vis-àvis des Etats-Unis. La CAN cristallise pleinement l affrontement entre ces deux conceptions. Elle se situe entre le MERCOSUR au Sud et l ALENA 4 au Nord, qui a une conception davantage économique et commerciale de l intégration. Face à ces deux voies possibles, les membres de la Communauté Andine vont «flirter, tour à tour, avec ces deux blocs, mais sans jamais vraiment choisir leur camp, en raison des aléas de l économie de la région 5». La stratégie d insertion continentale présente un certain risque pour la cohésion et l identité de la communauté, tiraillée entre deux projets d intégration. Ainsi, la Colombie et le Pérou sont 4 ALENA : Accord de Libre-Échange Nord-Américain. Traité entré en vigueur le 1 er janvier 1994, créant une zone de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique 5 Sanchez (Gabriel), La Communauté andine entre le nord et le sud, Séminaire EMMA-RINOS, Analyse comparatiste des processus d intégration régionale Nord-Sud, mai 2003 9

en faveur d une multiplication des accords commerciaux bilatéraux avec les Etats-Unis et consentent à créer un marché commun andin dominé par la présence états-unienne. A l inverse, la Bolivie, l Equateur et le Venezuela recherchent essentiellement l approfondissement de l intégration régionale andine et se tournent davantage vers le MERCOSUR. Le rapprochement manifeste de la Colombie avec les Etats-Unis, depuis l arrivée d A. Uribe au pouvoir, et les négociations amorcées en 2004 entre ces deux pays quant à un éventuel accord de libre échange, détériorent la bonne coopération commerciale entretenue par la Colombie et le Venezuela. Ainsi, les préférences commerciales négociées dans le cadre de la CAN sont menacées d annulation par le président Hugo Chavez, dans la mesure où cet accord de libre échange entre la Colombie et les Etats-Unis remet en cause l essence même de l intégration andine. En effet, s ils ont tenté de rendre cet accord compatible avec la CAN, la Colombie et le Pérou ont dû s engager à ne pas accorder à ses voisins andins des avantages qu ils n octroyaient pas aux Etats-Unis 6. Cette approche de l intégration contraste avec celle incarnée par le président vénézuélien, affirmant à ce titre que «la CAN sert les élites, les multinationales, mais non les noirs, ni les blancs, ni les pauvres». 7 Ainsi, les divergences idéologiques quant à l orientation de la politique économique et au modèle d intégration régionale, peuvent expliquer la crise de la CAN. Les pays andins restent incapables d aboutir à une harmonisation de leur modèle de développement, partageant ainsi la région entre deux blocs à la tête desquels se démarquent deux pays : la Colombie et le Venezuela. Le modèle néolibéral lié aux Etats-Unis et le soutien inconditionnel au régionalisme ouvert font la spécificité de la Colombie face aux autres pays andins partisans du projet bolivarien, initié par le Venezuela. Les différences politiques et économiques entre ces deux pays, auxquelles s ajoute une lutte pour le leadership dans la région andine, témoignent d ambitions distinctes malgré des partenaires communs. 6 Daza (Enrique), La Communauté andine des nations et l intégration sud-américaine, Risal info, 2007 7 Amérique du Sud : La Communauté Andine des Nations est en crise, LatinReporters, 2006 10

b) Des partenaires communs mais des ambitions différentes La volonté de consolider leur position sur la scène tant régionale qu internationale a incité la Colombie et le Venezuela à multiplier leurs partenaires commerciaux. Le rapprochement avec certains pays ne répond toutefois pas aux mêmes stratégies 8. Dès le début des années 1990, la Colombie et le Venezuela tentent ensemble de se rapprocher de l ALENA. Ils instaurent alors une zone de libre échange avec le Mexique sous le nom de «Groupe des Trois» 9 afin d accéder au marché mexicain, désormais ouvert à la libre circulation des biens et services provenant des Etats-Unis. L ambition de la Colombie et du Venezuela de devenir membres à part entière de l ALENA se heurte à des obstacles (crise mexicaine, réticence du Congrès américain), les incitant ainsi à se tourner vers le MERCOSUR. Le rapprochement avec ce bloc est davantage visible pour le Venezuela (notamment depuis l arrivée d H. Chavez au pouvoir) qui cherche à renforcer l intégration latino-américaine dans le but de contrer le leadership nord-américain. Bien que les Etats-Unis constituent un partenaire commercial de taille pour le Venezuela, dans la mesure où celui-ci reste l un de ses principaux fournisseurs de pétrole, le Venezuela favorise ainsi un cadre d intégration alternatif à l ALENA et au projet plus général de la ZLEA 10. La Colombie adopte une attitude plus offensive quant à son rapprochement avec les Etats- Unis. Elle cherche avant tout à retrouver un accès préférentiel au marché nord-américain et à ne pas être désavantagée par rapport à ses concurrents d Amérique centrale qui ont déjà signé des accords avec les Etats-Unis. Elle soutient également le projet de la ZLEA. La proximité de la Colombie et du Venezuela avec les Etats-Unis répond donc à des projets divergents. C est également le cas concernant le rapprochement des deux pays andins avec le MERCOSUR. 8 Andrade Benitez (Amanda), L état de l intégration colombo-vénézuélienne : le «dessous» informel et illégal du processus, Territoires et Sociétés dans les Amériques, 2007 9 G3 : Zone de libre échange entre la Colombie, le Mexique et le Venezuela, instaurée en 1995 10 ZLEA : Zone de Libre Échange des Amériques. Projet de communauté économique, mis en avant par les Etats-Unis, qui engloberait 34 pays, soit toute l Amérique latine, excepté Cuba, la France (DOM-TOM), le Royaume-Uni et les Pays Bas. 11

En effet, la Colombie ne se montre pas indifférente à un rapprochement avec le MERCOSUR. Elle n a toutefois pas les mêmes ambitions que le Venezuela qui accorde son plein soutien au bloc économique. A cet égard, l accord de libre commerce signé en mars 2004 entre la Colombie, le Venezuela, l Equateur et le MERCOSUR 11 relève davantage, pour la Colombie, d un intérêt au développement des échanges commerciaux que d une réelle volonté d intégration latinoaméricaine pouvant servir de contrepoids au modèle d intégration nord-américain. Ainsi, la Colombie limite ses engagements en termes de libéralisation et préfère remettre les négociations à plus tard pour une majorité de produits. Cette limitation peut s expliquer également par la crainte de la Colombie de devoir faire face, dans le cadre de l élimination des préférences commerciales de la CAN, à la concurrence brésilienne (le Brésil exportant des produits industriels similaires) 12. Le Venezuela, au contraire, réduit la quasi-totalité de ses barrières tarifaires et coopère avec le MERCOSUR dans des domaines plus larges comme celui de l approvisionnement énergétique. Il cherche avant tout à renforcer la coopération entre les pays latino-américains par diverses initiatives parmi lesquelles on trouve le projet «Pétrosur» qui vise à rassembler les entreprises pétrolières publiques du Venezuela, de l Argentine, de la Bolivie, du Brésil, de l'uruguay et de l'equateur, afin de remédier au déficit énergétique des autres pays du continent. Cette coopération économique est recherchée et mise en œuvre dans le cadre de la lutte anti libérale menée par le président vénézuélien qui entend promouvoir davantage de complémentarité et de solidarité dans la région. Les pays andins se sont alors rapprochés alternativement, voire simultanément, de l ALENA (stratégie davantage soutenue par la Colombie) et du MERCOSUR (stratégie mise en avant par le Venezuela). La difficulté d élaborer une approche commune aux deux pays a mis en évidence les divergences internes à la communauté andine quant au modèle d intégration à suivre. 11 Lamonde (Marie-Claude), La Communauté andine : entre déconstruction et convergence, Centre d Etudes Interaméricaines, 2009 12 Calero (Jean-Paul), Les enjeux actuels dans les relations commerciales entre la Colombie et le Venezuela face à l intégration dans les Amériques : de la coopération à la rupture? La Chronique des Amériques, février 2006 12