ATELIER 2 : LES PRODUITS FINANCIERS INNOVANTS EN FAVEUR DU DEVELOPPEMENT Coordination : Luc Rigouzzo, Directeur général de PROPARCO Rapporteur : Virginie Bleitrach, Chargée d'affaires, Service Entreprises, PROPARCO Cet atelier a permis de mettre en exergue deux aspects majeurs de la question de l'offre de services financiers novateurs pour le développement : les freins et les leviers clés au déploiement de cette offre. Toute une palette de financements a été examinée, de l offre de prêts, garanties et prises de participation pour les PME du Sud, à l offre de micro-finance pour les particuliers (populations pauvres), en passant par l investissement responsable et l épargne solidaire à destination des pays du Sud. Le contexte : l'inadéquation offre/demande Luc Riggouzo, Directeur général de PROPARCO 1, a dressé en introduction de l atelier ce constat préoccupant : la persistance d une inadéquation forte entre l'offre et la demande de services financiers dans les pays du Sud, alors même que ces services sont indispensables pour la croissance durable de ces pays. Ils sont en effet les moteurs stratégiques du développement du secteur privé, de la création de valeur et d emplois au sein des territoires. Luc Riggouzo a souligné l'ampleur de cette inadéquation qui s étend «du niveau le plus macro au plus micro». En effet, à un niveau global, les pays du Nord peinent à allouer l'épargne mondiale -qui vient en grande partie du Sud- à des investissements dans les pays du Sud et la concentrent pour l'essentiel au Nord. De même, au niveau micro, les secteurs financiers des pays en développement ne représentent qu'un faible pourcentage du PIB -20% par exemple en Afrique-, alors que ce taux est de 150% dans la plupart des marchés émergents. Dans les pays en développement, les entreprises -notamment les PME- sont très souvent confrontées à des difficultés d accès aux financements et seule 20% de la population est bancarisée (1 milliard de comptes en banque contre 3,3 milliards de téléphones mobiles!). Ainsi, de l'individu à l'etat, le Sud est structurellement en déficit d'offre de financement. Dans ce contexte, se posent deux questions majeures : Pourquoi une telle inadéquation : quels sont les freins au déploiement de services financiers pour le développement des pays du Sud? Face à ces difficultés, quelles sont les solutions à envisager? 1 Filiale de l AFD dédiée au secteur privé
I. Les freins Les "goulots d'étranglement" sont nombreux, à la fois du côté des 'prêteurs' et du côté des acteurs de la levée de fonds. Côté prêteurs André du Plessis, membre fondateur de la banque Capitec (Afrique du Sud), a souligné qu'un des problèmes principaux rencontrés par la banque dans les pays du Sud a trait à la difficulté pour les clients potentiels d appréhender les produits financiers proposés. En Afrique du Sud par exemple, seuls 24% de la population ont terminé leur scolarité. «Il est très difficile d'expliquer à ces personnes ce que les produits financiers peuvent leur apporter», a observé André du Plessis. Il manque donc un encadrement à l utilisation de ces produits. Ce dernier a également évoqué la problématique du transport dans ces pays : les déplacements jusqu'aux bureaux de banque sont difficiles (isolement, manque d infrastructure) et coûteux pour les populations locales. Par ailleurs, selon lui, les clients au Sud, même les plus aisés, peinent à utiliser les cartes bancaires (prédominance du liquide), ce qui rend la gestion des comptes plus compliquée. Patrice Hoppenot, Président d Investisseur et Partenaire pour le Développement 2, se positionnant en tant qu observateur du secteur bancaire dans les pays du Sud, a mis en avant deux types de freins forts concernant le financement des PME : - en amont : le manque de confiance et la gestion du risque difficile dont pâtissent les PME africaines. Celles-ci sont considérées comme des «objets dangereux» par les banques en général. Les PME supposent en effet des frais à hauts risques, avec un management ne reposant souvent que sur une ou deux personnes et une méconnaissance des principes de comptabilité ; - en aval : l'inadaptation des services financiers proposés aux PME du Sud, avec un temps d'attente relativement long pour la décision -même négative- d'octroi de crédit, qui représente un handicap important pour les PME, et par ailleurs l'absence bien souvent de délai de grâce pour rembourser le crédit, alors même qu'il y a un fort besoin de fonds de roulement compte tenu des conditions de paiement dans ces pays. Concernant le marché particulier de la micro-finance (ensemble de produits financiers destinés à tous ceux qui sont exclus du système financier classique ou formel, notamment les plus pauvres : micro-crédit, micro-assurance, transferts de fonds ), Xavier Reille, spécialiste du CGAP 3, a mis en exergue les difficultés à opérer sur ce marché pour une banque : «la micro-finance est un métier particulier avec une culture, un modèle économique et un coût d'opération radicalement différents : c'est la banque à l'envers. Dans la finance classique, c'est le client qui vient à la banque, mais dans la micro-finance, c'est l'inverse. Il est très difficile au sein d'une même banque d'allier ces deux cultures, sans 2 Investisseur et Partenaire pour le Développement (I&P) est une société de financement privée. Sa vocation est d'accompagner sur le plan financier et managérial des Institutions de microfinance et des entreprises de taille moyenne en Afrique. Les interventions d'i&p se font sous forme de participation au capital et éventuellement de prêts. 3 Centre d'expertise hébergé à la Banque Mondiale, soutenu par 35 bailleurs de fonds publics et privés, qui a un rôle d'observatoire et de soutien aux gouvernements du Nord et du Sud dans leur politique publique d'aide à la microfinance.
compter le risque de réputation lié à la confusion de ce métier avec l activité des usuriers (les taux d'intérêt pratiqués vont de 25 à 30%)». Emmanuel de Lutzel, Responsable microfinance chez BNP Paribas, a également rappelé les limites de l offre de micro-finance liées au cadre légal et réglementaire : «en tant que banque, nous sommes garants de la lutte contre le blanchiment et de la prévention contre le terrorisme. Par conséquent, nous ne pouvons pas ouvrir un compte à des personnes qui n'ont pas de papier d'identité, d'immatriculation au registre du commerce ou de titres de propriété, et qui néanmoins possèdent quelque chose et ont une petite activité économique» 4. Côté 'levée de fonds' Nathalie Monnoyeur, Directeur de la promotion et du développement de produits responsables chez IDEAM 5, filiale du Crédit Agricole, a souligné le caractère encore marginal de la finance solidaire : celle-ci représente en France 1,7 milliard d'euros, quand le total des actifs sous gestion en France est de 2500 milliard d'euros. Selon Nathalie Monnoyeur, il y a trois raisons majeures à cela : - des freins mentaux : dans l esprit de nombreuses personnes, finance et solidarité s'opposent. Beaucoup ont du mal à imaginer comment réconcilier un produit financier rentable et des projets de solidarité ; - un manque important de formation dans les réseaux des grands établissements pour distribuer des produits responsables, qui ne font pas encore partie de leurs priorités ; - des règlementations favorables à des investissements directs dans les associations et non à l investissement dans des fonds. Xavier Reille et Emmanuel de Lutzel ont pour leur part rappelé un frein majeur au développement des fonds destinés à la micro-finance 6 : dans la plupart des pays européens, il existe des restrictions à la distribution commerciale de ces fonds. Ainsi, en France, une banque ne peut pas activement proposer les fonds de microfinance aux particuliers, même aux clientèles privées. En tant qu'instrument, la microfinance est donc réservée... aux très riches 7, alors même qu'il y a un intérêt fort des particuliers pour ce marché (ce que montre l'énorme demande en Suisse où ces restrictions n'existent pas : environ 20 millions de francs suisses sont drainés chaque mois par ces fonds, même en temps de crise). Emmanuel de Lutzel a noté qu'au fond, les barrières ne sont pas tant réglementaires que mentales : la micro-finance est associée à un modèle à gros risques, générant donc des pertes importantes. Par ailleurs, elle est encore perçue comme de la charité plutôt que comme un modèle économique qui marche. Emmanuel Marchand, Directeur général du fonds danone.communities, a exposé les obstacles de sa propre expérience, très spécifique puisqu'il s'agit aujourd'hui du seul fonds de ce type destiné à financer un nouveau modèle d'entreprise : le social business (business au service des plus pauvres), à l image de Grameen Danone Foods (usine de yoghourts au 4 Voir à ce sujet le livre de Hernando de Soto : Le Mystère du Capital (Flammarion, 2006). 5 Société de gestion dédiée à l Investissement Socialement Responsable de Crédit Agricole Asset Management Group. 6 Il existe plus de 100 fonds d'investissements entièrement dédiés à la micro-finance, pour la plupart enregistrés en Europe. Ils représentaient fin 2007 une épargne en gestion de 4,5 milliards de dollars. 7 En revanche, les particuliers peuvent investir indirectement dans la micro-finance via des formules «peer to peer» type babyloan (site internet : www.babyloan.org) qui ont un énorme succès.
Bangladesh fondée par Danone et Grameen pour contribuer au développement local) 8. Selon lui, il y a dans ce cas précis «moins un problème de financement que de projets à financer et à faire grandir». Il existe en effet peu de projets de type "business social" dans le monde. D'après Emmanuel Marchand, l'épargnant français est facilement attiré par ce type de fonds à partir du moment où l histoire du projet lui est racontée de façon très concrète. Il a souligné là toute la difficulté à trouver une communication qui parle de l'impact sociétal autant que de l'impact financier, même à des étapes de balbutiements des projets. Par ailleurs, Emmanuel Marchand a souligné la complexité de la gouvernance d un projet partenarial tel que danone.communities, dont Muhammad Yunus est le vice-président, et qui rassemble plusieurs personnes autour de la table (issues de GAIN, AFD, Adie ). II. Les leviers Plusieurs pistes de solutions sont ressorties des débats pour une meilleure adéquation entre l offre et la demande de services financiers dans les pays du Sud : Accepter des modèles capitalistiques plus "patients" Luc Riggouzo a insisté sur l'importance du "capital patient" comme levier de déploiement des services financiers en faveur du Développement, qui ont nécessairement des taux de rentabilité différents et dont il faut donc exiger un retour "raisonnable". Selon lui, ce qui manque au Sud, ce n'est pas forcément plus de produits et services financiers mais surtout plus de temps pour ces outils (prêts à long-terme, prêts avec période de grâce par exemple). Améliorer la couverture du risque Les débats de l'atelier ont montré que les outils de garantie tels qu'ariz (outil développé par l'afd pour garantir aux banques locales 50% du risque sur les prêts octroyés aux entreprises et 75% sur les prêts accordés aux institutions de micro-finance) sont précieux pour répondre notamment au problème de la lenteur des décisions des banques locales pour l'octroi de crédits. Il a été souligné que la couverture du risque de change est un domaine crucial qui reste à approfondir, sachant que de nombreuses institutions de micro-finance empruntent en monnaie étrangère et peuvent être fragilisées par les dévaluations de monnaies locales (une d'entre elles a ainsi perdu 70% de ses fonds propres suite à une dévaluation en Afrique). Dans ce contexte, la nécessité pour les institutions de micro-finance de diversifier leurs sources de financement et de développer les emprunts et services d'épargne en monnaie locale a été mise en avant pour rompre avec la dépendance vis-à-vis des capitaux extérieurs. Développer des approches pédagogiques 8 Dans le détail, ce fonds est une SICAV qui s appuie sur un investissement minimum de 90% dans des instruments de taux monétaires et/ou obligataires ISR (Investissement Socialement Responsable) et détient, à hauteur maximum de 10% de son actif, des parts du FCPR danone.communities qui a vocation à prendre des participations dans des structures locales telles que Grameen Danone Foods. Le fonds été lancé grâce à la participation à hauteur de 20 millions d euros de Danone et au soutien d investisseurs institutionnels à hauteur de 30 millions d euros.
Comme l'a souligné André du plessis, il est important de fonder l'activité bancaire sur la simplicité, de proposer aux clients des services faciles à identifier et à comparer, tout en développant des accompagnements socio-éducatifs notamment sur la façon de planifier un budget et sur les conséquences des prêts pour ne pas sombrer dans le piège de la dette. Recourir à l'intermédiation Les échanges de l'atelier ont mis en évidence que le recours à des intermédiaires tels que les institutions de micro-finance ou banques locales bien implantées dans les pays du Sud est plus efficace qu'intervenir directement depuis son siège à Paris. Seule cette intermédiation permettra d'atteindre des volumes, car elle s appuie sur une infrastructure de distribution adéquate pour offrir des services au meilleur prix. Approfondir la coopération entre entreprises du Nord et du Sud L'intérêt des "mariages" entre entreprises du Nord et entreprises du Sud a été souligné, que ces derniers soient fondés sur la co-entreprise (type Grameen Danone Foods) ou sur l'appui à la sous-traitance locale (appui par les entreprises du Nord au financement de PME soustraitantes), modèle encore peu exploité et qui a pourtant un potentiel énorme en termes d'impact sur le Développement. Adapter la règlementation européenne Concernant les difficultés à drainer l'épargne solidaire et responsable en provenance du grand public, il a été souligné le besoin d'une nouvelle réglementation au niveau européen pour favoriser son essor (défiscalisation par exemple). Mutualiser Sur cette même question de l'épargne responsable, un levier futur de déploiement a été mis en exergue par Luc Riggouzo : la gestion mutualisée d'un fonds comme danone.communities entre plusieurs grandes entreprises, ce qui permettrait à la fois d'en finir avec des relations univoques entraînant la suspicion de conflit d'intérêt et d accroître l'attractivité du fonds auprès du grand public. Tirer profit des évolutions technologiques Comme l'a mentionné Xavier Reille, le développement de la bancarisation au Sud tient notamment à la réduction des coûts de transaction, et donc à celle des coûts de distribution. Sur ce point, l'utilisation des nouvelles technologies telles que la téléphonie mobile, comme infrastructure de distribution ou service de paiement, semble être une voie de progrès majeure. De nombreux partenariats se nouent aujourd'hui entre banques et opérateurs de téléphonie mobile, comme Vodafone au Kenya dont l'expérience de 'banque mobile' avec des institutions de microfinance est une vraie réussite (l'opérateur bénéficie de plus de 50 000 clients, pour la plupart pauvres). Xavier Reille a rappelé l'intérêt de ces partenariats avec les opérateurs de téléphonie, ces derniers disposant souvent de bases de données de clientèles beaucoup plus développées que les banques, avec des infrastructures de distribution adaptées et un avantage comparatif très intéressant pour diminuer le coût du service rendu. Cela étant, il a souligné les difficultés de mise en pratique liées aux contraintes
réglementaires d'une part (bien souvent, les opérateurs ne sont pas autorisés par les autorités locales à développer des services financiers) et au problème d'éducation d'autre part (les populations du Sud, y compris les plus riches, ne sont pas à l'aise avec l'utilisation d'un mobile comme interface de services financiers et sont très attachées au cash par opposition aux transactions électroniques). Aujourd'hui, les opérateurs s intéressent aux transferts d argent internationaux, pour permettre les envois de fonds via le téléphone portable. Les débats avec la salle ont souligné tout l intérêt de créer de tels outils financiers permettant de capter l épargne des migrants et les investissements à distance, qui représentent une manne financière pour les pays en développement et constituent un facteur de création d'entreprises dans ces pays.