Tumeurs cutanées épithéliales et mélaniques



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Examen National Classant Module transdisciplinaire 10 : Cancérologie, onco-hématologie Tumeurs cutanées épithéliales et mélaniques Mélanomes NOUVEAU P. SAIAG (Ambroise Paré, Boulogne Billancourt), J.-J. GROB (Marseille), E. GROSSHANS (Strasbourg) Objectifs Diagnostiquer une tumeur cutanée, mélanique. Argumenter l attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient. L es mélanomes sont des tumeurs malignes développées aux dépends des mélanocytes, les cellules qui fabriquent le pigment de la peau. Le terme nævus désigne toute hyperplasie des mélanocytes, circonscrite et bénigne dans la peau. Ces tumeurs mélanocytaires sont à distinguer des mélanoses circonscrites qui sont de simples pigmentations liées à un hyperfonctionnement des mélanocytes, comme les taches café au lait, et les éphélides du sujet roux. Et des tumeurs épithéliales non mélanocytaires pigmentées bénignes (kératoses séborrhéïques) ou malignes (carcinomes basocellulaires). EPIDÉMIOLOGIE Incidence et mortalité L incidence double environ tous les 10 ans dans les pays à population essentiellement blanche. En France, et dans la plupart des pays d Europe, on estime l incidence à 5 à 10nouveaux cas/100 000 habitants et par an. De grandes différences s observent en fonction de la latitude (soleil) et des caractéristiques ethniques des populations. Cette incidence atteint des sommets (40 nouveaux cas/100 000 habitants et par an) chez les blancs en Australie, alors qu elle est très faible dans les pays ou les sujets sont noirs ou jaunes. C est une tumeur qui touche tous les âges, en dehors de l enfant chez qui le mélanome est exceptionnel. La mortalité (1,2 à 1,5/100 000 en France, autour de 5 en Australie) tend à augmenter moins que l incidence, ce qui peut être attribué au diagnostic plus précoce. Le rôle de l environnement : l exposition solaire Le soleil est le seul facteur d environnement impliqué dans l épidémiologie du mélanome. De nombreuses études épidémiologiques descriptives et cas-témoins attribuent le rôle majeur aux expositions intermittentes et à celles reçues dans l enfance (tableau I). Il y a cependant des exceptions qui montrent que tous les mélanomes ne répondent pas aux mêmes règles épidémiologiques. Les mélanomes du sujet âgé, survenant en fin de vie sur les zones exposées en permanence (mélanome de Dubreuilh), sont à l évidence liés aux expositions chroniques cumulatives, les mélanomes des paumes et des plantes ne sont pas directement liés aux expositions solaires. L information des populations quant au risque de l exposition solaire est indispensable dans un but de prévention primaire du mélanome. Cependant il paraît long et difficile de changer les comportements sociologiques. La prédisposition familiale, les facteurs génétiques Ils sont au moins aussi importants que le soleil. Environ 10 p. 100 des mélanomes surviennent dans un contexte de mélanome familial, défini comme au moins 2 mélanomes sur 3 générations. Sont génétiquement transmises : la sensibilité au soleil qui s exprime par le phototype. Les sujets à peau claire à cheveux blonds et surtout roux, et les sujets qui ont des éphélides sont les plus sensibles au soleil ; la capacité à générer des nævus qui se traduit par le phénotype naevique, c est à dire le nombre, la taille et l aspect des nævus. L expression maximum est le «syndrome du nævus atypique» défini par la présence en grand nombre de nævus ressemblant cliniquement à des mélanomes. Les marqueurs de risque de mélanome Ils découlent des facteurs épidémiologiques et sont : les antécédents familiaux de mélanome ; 2S143

P. SAIAG, J.-J. GROB, E. GROSSHANS Tableau I. Arguments en faveur du rôle joué par le soleil. Arguments : Soleil Expositions intermittentes plus que par expositions régulières ou cumulatives géographiques (irradiation ambiante) phénotypiques (origine ethnique, capacité à bronzer) l incidence augmente quandla latitude baisse risque plus élevé chez les sujets à peau blanche anatomiques risque plus élevé sur les régions du corps exposées au soleil que non exposées chronologiques (âge) sociologiques (mode de vie) risque lié aux expositions en cabine de bronzage risque plus élevé sur les zones exposées occasionnellement qu en permanence l incidence n augmente pas avec l âge risque non lié aux expositions solaires professionnelles lié aux expositions de loisirs liéàla fréquence des coups de soleil Particulièrement par expositions dans l enfance risque plus élevé chez les sujets ayant émigré tôt en pays très ensoleillé risque lié aux antécédents de coups de soleil pendant l enfance les antécédents personnels de mélanome (les mêmes causes produisent les mêmes effets) ; la couleur claire de la peau et des cheveux et en particulier le marqueur roux avec des éphélides, cheveux roux, blond vénitien ou auburn ; un nombre élevé de nævus : le risque augmente avec le nombre des nævus et le «Syndrome du nævus atypique» représente l extrême du phénotype naevique à risque ; des antécédents d expositions solaires intenses au cours des loisirs, avec coups de soleil. Les sujets à risque doivent être informés et les sujets à très haut risque à savoir les sujets qui ont déjà eu un mélanome, ou ceux qui ont un syndrome du nævus atypique et des antécédents de mélanome, doivent avoir un suivi médicalisé spécifique au mieux photographique et dermoscopique. Les précurseurs En l absence de méthode satisfaisante pour apprécier la fréquence des mélanomes sur nævus, on admet que la plupart des mélanomes naissent de novo, hors de tout précurseur identifiable et occasionnellement d un nævus. Le risque de transformation maligne des petits nævus «communs» est quasi nul. Les nævus communs apparaissent et croissent pendant les 30 premières années de la vie et représentent l immense majorité des «grains de beauté» de la surface cutanée. A l âge adulte un sujet à peau claire en possède habituellement jusqu à plusieurs dizaines, les plus petits étant désignés du terme de lentigos. Seuls les grands nævus congénitaux ou d apparition précoce dans la vie, ont un risque de transformation relativement élevé. Cependant ils sont exceptionnels et n expliquent donc la survenue que de très peu de mélanomes. Dans un but de prévention il n y a donc aucun intérêt à faire l exérèse systématique préventive des nævus communs. Seule l exérèse préventive précoce des grands nævus congénitaux ou d apparition précoce est souhaitable. DIAGNOSTIC Diagnostic positif Le diagnostic du mélanome est anatomo-clinique et l interprétation anatomopathologique est souveraine dans l affirmation du diagnostic, la prise de décision thérapeutique et l évaluation du pronostic. Diagnostic clinique Il repose sur l analyse morphologique d une lésion cutanée habituellement pigmentée et sur l histoire de cette lésion rapportée par le malade, selon les règles de l ABCDaire. Un mélanome se présente habituellement sous la forme d une lésion asymétrique (A), à bords (B) irréguliers. Les bords nettement délimités par rapport à la peau ambiante sont souvent encochés ou polycycliques ou se prolongent en coulées d encre accentuant l asymétrie de la lésion. La couleur (C) est inhomogène avec des nuances variables dans les teintes du brun au noir, mais aussi des zones décolorées blanches ou inflammatoires rouges, ou cicatricielles bleutées. L évolutivité, documentée par l interrogatoire, se traduit par un diamètre (D) de la lésion supérieur à6mmou l augmentation de ce diamètre et par la notion d évolution ou extension (E) permanente de la lésion, changeant non seulement de taille, mais aussi de forme de couleur et de relief. Ce critère E peut quelquefois être documenté par des photographies comparatives. La microscopie de surface par épiluminescence ou dermoscopie permet d augmenter la sensibilité et la spécificité de l examen à l œil nu mais son application au diagnostic 2S144

Tumeurs cutanées épithéliales et mélaniques positif et différentiel du mélanome nécessite une formation médicale spécifique. Toute lésion suspecte de mélanome doit être excisée en vue d un examen histopathologique. La biopsie-exérèse doit être complète, emportant la tumeur dans son entier et ses berges, et bien orientée. Une simple biopsie d une lésion pigmentée suspecte n est acceptable qu en cas de lésion de grande taille dont l exérèse totale serait délabrante. Diagnostic histologique L histogenèse des mélanomes suit la théorie biphasique, qui postule que les mélanomes évoluent dans une première phase «horizontalement» en nappe, au dessus de la membrane basale (phase intraépidermique) puis dans le derme superficiel (phase microinvasive), et dans une deuxième phase «verticalement» pénétrant profondément le derme (phase invasive). Le mélanome a donc en règle : une composante intraépidermique faite de mélanocytes qui constituent une nappe (mélanomes lentigineux) ou des thèques (amas plus ou moins globulaires de mélanocytes) irrégulières le long de la basale, avec souvent un envahissement des couches superficielles de l épiderme ; une composante dermique invasive associée à une inflammation. L examen histologique permet d affirmer la nature mélanocytaire de la tumeur : c est en règle évident, car les mélanocytes tumoraux produisent du pigment mélanique et la formation de thèques est évocatrice. La mise en évidence du pigment mélanique, l utilisation de marqueurs phénotypiques (protéine S100, anticorps monoclonal HMB45) peuvent être utiles dans les mélanomes peu différenciés. Il permet ensuite d affirmer la malignité de la tumeur, ce qui pose parfois des problèmes dans les tumeurs débutantes intraépidermiques ou dans certaines formes de nævus (nævus de Spitz, nævus de Clark). Il permet enfin d évaluer le degré d invasion de la tumeur en profondeur et de mesurer son épaisseur (indice de Breslow) qui est le principal facteur pronostique (cf infra). Le risque métastatique est nul en phase intraépidermique, très faible en phase microinvasive, très élevé en phase invasive et ce d autant plus que l invasion est profonde. Classification anatomo-clinique La classification anatomoclinique très utilisée tente de résumer l infinité des profils évolutifs du mélanome à 3 grandes catégories : mélanome superficiel extensif, (60 à 70 p. 100 des cas) d évolution initialement horizontale, puis assez rapidement verticale ; mélanome nodulaire (10 à 20 p. 100 des cas) d évolution très rapidement verticale ; mélanomes lentigineux qui ont une évolution horizontale pendant des mois et années ; mélanome acral (2 à 10 p. 100 des cas) des paumes, plantes et ongles ; mélanome de Dubreuilh (5 à 10 p. 100 des cas) des zones cutanées atrophiques dégradées par des expositions solaires régulières pendant des décennies (visage du sujet âgé) ; mélanomes des muqueuses. Plus la phase horizontale est longue, plus on a de temps pour faire le diagnostic avant l invasion verticale. Il est donc habituel de trouver les mélanomes nodulaires à un stade invasif et les mélanomes de Dubreuilh à un stade intraépidermique. Cependant à invasion tumorale identique toutes ces formes anatomocliniques ont le même pronostic (voir chap. pronostic). Diagnostic différentiel Il doit écarter les autre tumeurs noires qui sont considérablement plus fréquentes que le mélanome. Les nævus : les nævus «cliniquement atypiques» qui répondent souvent aux critères de mélanomes débutants (A, B, C) et posent un vrai problème car ils sont très fréquents. Ils sont souvent irréguliers, mais le plus souvent se ressemblent entre eux chez un même individu (petits nævus très noirs, grands nævus bruns à formes irrégulières, nævus en «œuf au plat» etc.). Les kératoses séborrhéïques, qui répondent volontiers aux critères B et C, mais dont la surface est mate, quadrillée avec des microkystes. Les carcinomes basocellulaires «tatoués», qui sont identifiables sur leur aspect perlé. Les histiocytofibromes pigmentés caractéristiques par leur palpation en pastille. Les angiomes thrombosés qui peuvent donner le change avec un petit mélanome nodulaire. Au moindre doute l exérèse doit être faite ; il n est pas raisonnable de reporter la décision. CRITÈRES CLINIQUES ET HISTOPATHOLOGIQUES DU PRONOSTIC Mélanome au stade de tumeur primaire Le diagnostic précoce et l exérèse correcte sont les clés du pronostic. Les marqueurs pronostiques sont surtout histologiques. Ils sont dominés par l épaisseur tumorale selon Breslow, qui est la mesure à l oculaire micrométrique sur coupe histologique standard de l épaisseur maximum comprise entre les cellules superficielles de la couche granuleuse épidermique et la base de la tumeur (cellule maligne la plus profonde). L épaisseur est vraisemblablement une appréciation de la masse de la tumeur. Il existe une corrélation presque linéaire entre épaisseur et mortalité. L ulcération (clinique ou histopathologique) a une valeur péjorative majeure. Le niveau d invasion selon Clark, basé sur le concept de franchissement de «barrières anatomiques»(barrière basale 2S145

P. SAIAG, J.-J. GROB, E. GROSSHANS Tableau II. Epaisseur tumorale selon Breslow et marges chirurgicales conseillées. Epaisseur selon Breslow Intra-épidermique 0,5 cm < 1mm: 1cm > 1mm et < 2mm 2cm > 2mm 2à3cm Marges chirurgicales conseillées qui définit des mélanomes sans risque métastatique (niveau I) et, concept plus discutable, de barrières entre le derme papillaire et le derme réticulaire (niveau III-IV), et entre le derme et l hypoderme (niveau IV-V)) ne semble apporter de renseignement additif au Breslow que dans les mélanomes minces. Les aspects régressifs, s ils sont plutôt un signe de bonne immunité, minorent artificiellement l épaisseur selon Breslow. D autres facteurs comme le sexe masculin, l âge avancé, certaines topographies seraient des facteurs de mauvais pronostic. Cependant ces facteurs sont bien sûr très étroitement liés au délai de diagnostic et donc à l épaisseur tumorale. Le contrôle histologique du premier ganglion relais dit ganglion sentinelle identifié par méthode scintigraphique et colorimétrique est un marqueur pronostique récent extrêmement fiable. Un bénéfice en terme de survie pour le patient n étant pas encore démontré, cette procédure n est pas encore introduite dans la routine. L étude combinée de l ensemble des facteurs pronostiques montre globalement que l épaisseur tumorale selon Breslow, l ulcération et l envahissement du ganglion sentinelle sont les meilleurs indicateurs, mais que le sexe, l âge et la topographie semblent avoir un poids pronostique indépendant. L épaisseur tumorale est habituellement utilisée comme guide de l extension de l exérèse chirurgicale (tableau II). Certains mélanomes lentigineux (mélanome de Dubreuilh, mélanome acral lentigineux) à contours mal définis méritent souvent une exérèse plus large que ce que leur épaisseur définit. Mélanome au stade d atteinte régionale ganglionnaire Dès la phase invasive, il y a possibilité de métastase ganglionnaire régionale, d abord infracliniques, ce qui peut durer des mois et des années, puis cliniquement parlantes avec adénomégalie tumorale. Parfois des métastases in situ apparaissent sur le site tumoral initial, ou des métastases en transit entre la tumeur et le premier site ganglionnaire. Les métastases viscérales surviennent le plus souvent après les tumeurs ganglionnaires régionales et peuvent toucher n importe quel organe. Tableau III. Risque de récidive et risque de décès à 5 et 10 ans (à titre indicatif). Risque de récidive Les marqueurs histologiques, comme le nombre de ganglions atteints, les ruptures capsulaires sont les marqueurs péjoratifs. Le siège au membre est plutôt un marqueur favorable. L épaisseur tumorale initiale et la présence d une ulcération gardent un poids pronostique péjoratif à ce stade. Mélanome au stade d atteinte métastatique à distance Le pronostic est en règle très mauvais. Les patients avec métastase à distance cutanée ou ganglionnaire sans atteinte viscérale, ou avec un site métastatique viscéral unique (poumons) ont en règle une survie plus prolongée, tandis que ceux qui développent rapidement de multiples métastases viscérales, ou ont des LDH élevées, ont une survie très courte quel que soit le traitement. EVOLUTION ET SURVEILLANCE Risque d être décédé 5 ans plus tard Mélanome primitif, après exérèse Risque d être décédé 10 ans plus tard Intraépidermique 0 % / / Breslow : 0,20-0,75 mm < 10 % < 5% < 5% Breslow : 0,75-1,5 mm 20 % 10 % 15 % Breslow : 1,5-4 mm 40 % 30 % 40 % Breslow : > 4mm 70% 40% 50% Mélanome régional, après curage 1 Adénopathie + 70 % 50 % > 60 % > 4 Adénopathies + > 80 % > 70 % > 80 % Sauf au stade de mélanome in situ (intra-épidermique), le malade atteint de mélanome est exposé au risque de récidive, de métastases locales («en transit») ou régionales (ganglionnaires) et de métastases viscérales entraînant la mort. Ces modalités évolutives sont étroitement corrélées à l indice de Breslow. A tous les stades, il est exposé au risque de deuxième mélanome. Le tableau III donne des indications statistiques sur le risque de récidives et le risque d évolution létale à 5 et 10 ans. Hormis le traitement chirurgical de la tumeur primitive et des métastases ganglionnaires, aucun traitement adjuvant n a d effet déterminant sur ces risques. Les modalités de surveillance des malades opérés d un mélanome primitif sont directement fonction de ces risques évolutifs. Elles ont été clairement définies en France par une conférence de consensus (tableau IV). 2S146

Tumeurs cutanées épithéliales et mélaniques Tableau IV. Modalités de surveillance après exérèse d un mélanome primitif. Mélanome in situ Mélanome < 1,5 mm : Mélanome > 1,5 mm ou si régression, quelle que soit l épaisseur DÉPISTAGE surveillance clinique tous les 6 mois pendant 2 ans, puis une fois par an pendant 5 ans + autosurveillance surveillance clinique tous les 6 mois pendant 10 ans, puis une fois par an toute la vie surveillance clinique tous les 3 mois pendant 5 ans, tous les 6 mois pendant les 5 ans suivants, puis une fois par an toute la vie Le dépistage précoce est la clé du pronostic Le dépistage doit être précoce pour être efficace, puisque plus un mélanome est dépisté tard plus il a de risque d être invasif (phase verticale) et de donner des métastases Le diagnostic est l affaire de tous. Les médecins doivent savoir examiner tout le tégument de leur patient. Ils doivent être formés au repérage des lésions suspectes. La population générale doit connaître les signes d appel. Les campagnes d éducation du public sont donc utiles. Les familles à haut risque doivent faire l objet d une surveillance particulière. Les campagnes d information du public sont axées sur la prévention, par la photoprotection notamment, et sur l autosurveillance des nævus et de toute lésion pigmentée. Les critères A, B, C et D paraissent accessibles à l entendement. Le dépistage précoce par le corps médical passe par la connaissance des situations cliniques, dont la plupart sont classiques : tache avec relief discret répondant aux critères ABCDE dans la plupart des mélanomes superficiels extensifs ; petit nodule répondant aux critères C et E dans les mélanomes nodulaires ; nappe irrégulière du visage chez un sujet âgé répondant aux critères ABCD dans le mélanome de Dubreuilh. Le dépistage clinique est parfois difficile dans les situations suivantes : mélanome au sein de nævus atypiques multiples dont beaucoup peuvent répondre aux critères ABCD ; souvent c est une lésion pigmentée qui attire l œil par une couleur ou un diamètre différents de ceux des autres lésions ; c est le «vilain petit canard» ; mélanome de l appareil unguéal se présentant sous la forme d une bande pigmentée longitudinale, s élargissant lentement pour atteindre ou dépasser 5 mm de large ; mélanome achromique, souvent nodulaire et ulcéré, simulant un botriomycome ou une verrue irritée ; mélanome des muqueuses, se présentant sous la forme d une tache noire plane. Points clés 1. Le soleil est le seul facteur d environnement impliqué (expositions intermittentes, s brutales, et reçues dans l enfance) mais n est pas exclusif : 10 p. 100 des mélanomes sont familiaux (dépistage et surveillance particulière). 2. La plupart des mélanomes naissent de novo. 3. Le diagnostic du mélanome est anatomo-clinique. 4. Le diagnostic précoce et l exérèse correcte sont les clés du pronostic au stade primaire. Les marqueurs pronostiques sont surtout histologiques, dominés par l épaisseur tumorale selon Breslow qui guide l extension de l exérèse chirurgicale. 5. Excepté pour les mélanomes de très faible épaisseur, le risque de récidive existe. 2S147

P. SAIAG, J.-J. GROB, E. GROSSHANS Fig. 1. Mélanome superficiel extensif (SSM) avec un nodule invasif. Fig. 3. Schéma des niveaux d extension selon Clark et Mihm. Fig. 2. Mélanome acral du visage (Dubreuilh). 2S148