ÉVOLUTION ET CONSOLIDATION DE L ESPACE FRANCOPHONE DU GRAND MONCTON AU NOUVEAU-BRUNSWICK : 1960-2002



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Transcription:

MARTIN DURAND ÉVOLUTION ET CONSOLIDATION DE L ESPACE FRANCOPHONE DU GRAND MONCTON AU NOUVEAU-BRUNSWICK : 1960-2002 Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.) Département de géographie FACULTÉ DE FORESTERIE ET DE GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC MARS 2004 Martin Durand, 2004

ii Résumé L évolution de l espace francophone du Grand Moncton au Nouveau-Brunswick, est, depuis 1960, le fruit de nombreuses luttes menées par les francophones aux niveaux culturel, politique, économique, social et linguistique. Ces luttes ont notamment permis l ajout de postulats fondamentaux nécessaires au développement de la communauté de langue française et ont contribué à la diversification et l enrichissement des espaces vécu et institutionnel ainsi que des liens supra régionaux de la communauté. Ces différents éléments ont directement influencé la zone d influence francophone en milieu urbain qui, durant cette période, a pris de l expansion. Malgré son développement constant depuis 1960, de nombreux défis attendent la communauté francophone du Grand Moncton toujours aux prises avec des taux d assimilation élevés et l absence de loi protégeant la langue d affichage et de travail. La récente ouverture d esprit de la communauté anglophone permettra néanmoins de relever ces défis dans un environnement plus favorable que celui des années 1960.

iii Avant Propos Nous aimerions profiter de ces quelques lignes pour remercier, tout particulièrement, M. Dean Louder, professeur de géographie à l Université Laval et directeur de ce mémoire. Ses précieux conseils et ses encouragements ont été grandement appréciés. Nous sommes aussi extrêmement reconnaissant envers M. Samuel Arseneault, professeur de géographie à l Université de Moncton, pour sa patience, son soutien et la justesse de ses commentaires. Nous aimerions remercier toutes les personnes qui ont accepté de nous rencontrer, de partager leurs souvenirs et leurs réalisations personnelles dans le développement de la francophonie de Moncton et du Nouveau-Brunswick. Nous voulons aussi souligner notre étroite collaboration avec Kevin Robert et Hugo Godin, étudiants à l Université de Moncton et les remercier tous deux pour leur aide lors de la réalisation de plusieurs figures présentes dans ce mémoire. Des remerciements s adressent aussi à toute ma famille, plus particulièrement ma mère et mon père pour leurs encouragements. Finalement, j aimerais remercier le Conseil de la vie française en Amérique qui a cru en mon projet dès le début en m octroyant une bourse d étude me permettant de supporter financièrement mon séjour dans la région de Moncton au Nouveau-Brunswick, à l automne 2002.

iv Table des matières Résumé... ii Avant Propos... iii Table des matières...iv Liste des figures...vi Liste des tableaux...ix Liste des photos...x Introduction...1 Chapitre I Repères géo-historiques de la communauté francophone du Nouveau-Brunswick et de celle du Grand Moncton avant 1960...15 1.1 Colonisation française...16 1.2 Colonisation anglaise...18 1.3 Le développement de Petcoudiac...19 1.4. La renaissance des communautés francophones du Nouveau-Brunswick...23 1.5 Milieu politique...25 1.6 Milieu associatif...26 1.7 Médias et presse écrite...30 1.8 Milieu institutionnel et développement économique...32 1.9 Milieu de l éducation...37 1.10 Milieu culturel...39 1.11 Présence francophone dans la grande région de Moncton...41 1.12 Vivre en français à Moncton...42 1.13 Schéma de l espace francophone...44 Chapitre II Le temps des réformes et des revendications sociales : 1960 à 1980...47 2.1 Milieu politique...48 2.2 Milieu de l éducation...61 2.3 Bouleversements sociaux...65 2.4 Milieu associatif et institutionnel...72 2.5 Milieu économique...76 2.6 Milieu culturel...77 2.7 Milieu religieux...80 2.8 Répartition géographique des francophones du Grand Moncton...83 2.9 Schéma de l espace francophone...86

v Chapitre III Consolidation des acquis et développement de la francophonie : 1980 à 2002...89 3.1 Milieu politique et juridique...90 3.2 Milieu de l éducation...99 3.3 Milieu associatif et institutionnel...108 3.4 Milieu économique...116 3.5 Milieu culturel...119 3.6 Développement des réseaux francophones...124 3.7 Ville de Moncton et développement de la francophonie...126 3.8 Paysage linguistique...131 3.9 Répartition géographique des francophones du Grand Moncton...135 3.10 Origine ethnique...137 3.11 Langue maternelle et langue parlée à la maison...143 3.12 Indice de continuité linguistique...156 3.13 Langue parlée au travail...160 3.14 Schéma de l espace francophone...164 Conclusion...168 Bibliographie...177 Annexe A...187 Cadre de référence pour les entrevues semi-dirigées...188 Annexe B...195 Loi 88...196

vi Liste des figures Figure 1 Terrirore du Grand Moncton...1 Figure 2 Concept d espace francophone...8 Figure 3 Acadie néo-écossaise avant 1755...17 Figure 4 Familles francophones établies dans la région du Coude, 1750...20 Figure 5 Établissements des francophones sur le territoire du Nouveau-Burnswick actuel, après 1763...24 Figure 6 Rues habitées par les familles francophones de Moncton en 1895....42 Figure 7 Espace francophone de Moncton avant 1960...45 Figure 8 Les quinze comtés du Nouveau-Brunswick en 1960...53 Figure 9 Figure 10 Figure 11 Figure 12 Figure 13 Figure 14 Carte de la Province acadienne...60 Par qui seront-ils écrasés...68 What?...68 Population catholique du Grand Moncton d'origine ethnique française, 1962...81 Population catholique du Grand Moncton d'origine ethnique française, 1973...82 Population catholique du Grand Moncton d'origine ethnique française, 1980...82 Figure 15 Rues habitées par les familles francophones de Moncton en 1895....83 Figure 16 Population d origine ethnique française de Moncton, 1961...84 Figure 17 Espace francophone du Grand Moncton,1960-1980...86 Figure 18 Figure 19 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d immersion française, 1976...103 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d immersion française, 1986...104

vii Figure 20 Figure 21 Figure 22 Figure 23 Figure 24 Figure 25 Figure 26 Figure 27 Figure 28 Figure 29 Figure 30 Figure 31 Figure 32 Figure 33 Figure 34 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d immersion française, 1996...105 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d immersion française, 2001...106 Pourcentage de la population d origine ethnique française du Grand Moncton, secteur de dénombrement, 1981...140 Pourcentage de la population d origine ethnique française du Grand Moncton, aire de diffusion, 2001...141 Population totale du Grand Moncton d origine ethnique française, aire de diffusion, 2001...142 Langue des ménages du quartier Sunny Brae selon le patronyme, 1961-2001...146 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, secteur de dénombrement, 1981...148 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, secteur de dénombrement, 1981...149 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, aire de diffusion, 2001...150 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, aire de diffusion, 2001...151 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue d usage, secteur de dénombrement, 1981...152 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue d usage, secteur de dénombrement, 1981...153 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue d'usage, aire de diffusion, 2001...154 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue d'usage, aire de diffusion, 2001...155 Indice de continuité linguistique, population francophone du Grand Moncton, secteur de dénombrement, 1981...158

viii Figure 35 Figure 36 Indice de continuité linguistique, population francophone du Grand Moncton, aire de diffusion, 2001...159 Pourcentage de la population du Grand Moncton utilisant le plus souvent le français à son lieu de travail, aire de diffusion, 2001...163 Figure 37 Espace francophone du Grand Moncton, 1980-2002...167

ix Liste des tableaux Tableau 1 Population francophone de l Acadie des Maritimes...15 Tableau 2 Répartition (en nombres et en pourcentages) des employés des principales entreprises de Moncton, selon l'appartenance linguistique et l'employeur, par année choisie...34 Tableau 3 Population étudiante de l Université de Moncton, 1963-1971...64 Tableau 4 Localités ayant accueilli les Jeux de l Acadie et nombre de participants : 1979-2003...114 Tableau 5 Ménages canadiens contenant au moins un utilisateur régulier d Internet, selon le lieu d accès...125 Tableau 6 Magasins à grande surface ayant obtenu, pour l année 2001-2002, les meilleurs résultats au niveau de l affichage en français dans la grande région de Moncton..134

x Liste des photos Photo 1 Louis J. Robichaud...47 Photo 2 Photo 3 Photo 4 Photo 5 Ville de Moncton...75 Radio communautaire Beauséjour...111 Centre culturel Aberdeen...122 Herménégilde Chiasson...123

Introduction «Moncton. Un lieu exact, une erreur monumentale sur la carte de notre destin, le nom de notre bourreau commun graffiti sur la planète. Moncton. Un espace difficile à aimer (un espace difficile pour aimer), une ville qui nous déforme et où nous circulons dans les ramages du ghetto. Et pourtant, c'est de cet espace que jaillit notre conscience, vécu dans les méandres de la diaspora et articulée dans un faisceau rutilant de colère et d'ironie 1». Herménégilde Chiasson Au début des années 1960, la grande région de Moncton est loin d'être un milieu propice au développement et à l'épanouissement d une communauté francophone minoritaire. Au plan géographique, les francophones sont, à cette époque, dispersés sur l ensemble du territoire du Grand Moncton qui comprend les municipalités de Moncton, Dieppe et Riverview tel qu illustré sur la figure 1. Territoire du Grand Moncton Figure 1 Carte réalisée par Martin Durand, Ottawa, février 2004 1 Gérald Leblanc, L'Extrême frontière : poèmes 1972-1988, Moncton, Éditions d'acadie, 1988, p.7.

2 L établissement des francophones sous la forme d îlots dans les quartiers de Parkton, Sunny Brae ou encore Lewisville amène le géographe Jean-Claude Vernex à conclure en 1969 : «En réalité, ces quartiers forment des îlots de peuplement isolés les uns des autres, non un bloc d'un seul tenant, îlots dont la population totale d'origine française ne dépasse jamais 2600 habitants. Il n'est point étonnant que ce fractionnement de la population francophone favorise l'assimilation 2». En plus d'être dispersée sur l'ensemble du territoire, la population de langue française de Moncton, qui représente 32,1% de la population totale en 1961 3, n a fait que de timides avancées sur les plans économique, culturel, institutionnel et social 4. Les années 1960 sont aussi marquées par les nombreuses tensions qui existent entre les francophones et les anglophones. La présence à la mairie de Moncton, entre 1963 et 1974, de Leonard C. Jones 5, un homme farouchement opposé au bilinguisme, rend le dialogue entre les deux communautés linguistiques difficile. De plus, l'affichage commercial est alors essentiellement, sinon totalement en anglais. L accueil réservé aux unilingues francophones dans les commerces est souvent très froid, voire hostile 6. Pour ceux et celles qui quittent le Nord majoritairement francophone pour s'établir dans la grande région de Moncton pour y trouver du travail ou encore pour venir y étudier (surtout après 1963, année de la création de l Université de Moncton), il s agit d un vrai choc culturel 7. Encore aujourd'hui, certains étudiants rencontrés sur le campus universitaire de Moncton nous ont avoué avoir éprouvé des difficultés à s adapter à ce nouvel 2 Jean-Claude Vernex, «Densité ethnique et assimilation : les francophones à Moncton», Revue de l Université de Moncton, vol. 2, no. 3 (1969), p.160. 3 Ibid., p.160. 4 Au plan économique par exemple, peu d'entrepreneurs francophones ont, à cette époque, réussi à faire leurs marques dans le milieu des affaires. Toutefois, la mutuelle d'assurance Assomption-Vie est un bel exemple de réussite. Au plan institutionnel, l'université de Moncton reçoit officiellement son statut d'université le 15 juillet 1963. Au plan artistique, seulement quelques artistes réussissent à se tailler une place à travers cet énorme marché anglophone (Antonine Maillet, Ronald Després, tous deux publiés au Québec). 5 E.W. Larracey, Resurgo : L'histoire de Moncton, des débuts jusqu'à 1990, Moncton, Ville de Moncton, 1999, vol. 2, p. 373. 6 Propos recueillis lors d une entrevue réalisée avec le Père Maurice Légère à Moncton à l automne 2002. 7 L ensemble des personnes ayant quitté leur région majoritairement francophone pour s établir à Moncton au début des années 1960 que nous avons rencontrées, à l automne 2002, nous ont confirmé ce constat.

environnement linguistique après avoir quitté leur région majoritairement francophone du nord du Nouveau-Brunswick 8. 3 Dans le but de transformer le visage anglophone et conservateur de la ville de Moncton, de nombreuses actions ont été entreprises depuis les quinze dernières années par les membres de la communauté, mais aussi par les différents paliers gouvernementaux et les organismes communautaires. En ce sens, le geste le plus significatif est l adoption par le conseil de ville, en août 2002, d une résolution visant à faire de Moncton une ville officiellement bilingue, la première au Nouveau-Brunswick. La tenue à Moncton, en 1994, du I er Congrès mondial acadien et, en 1999, du VIII e Sommet de la Francophonie sont d autres exemples illustrant le développement de la francophonie dans la grande région de Moncton au cours des 40 dernières années. Les différentes conjonctures, tant politique, sociale, culturelle qu économique, ainsi que les nombreux combats menés par les francophones au sein des conseils scolaires, des conseils municipaux, des associations régionales, des regroupements économiques et des partis politiques sont sous-jacents au développement et à la consolidation de la francophonie dans la grande région de Moncton. Par exemple, la création des lois fédérale et provinciale sur les langues officielles, l implantation d institutions axées sur le rayonnement de la culture francophone (Centre culturel Aberdeen, Société Radio-Canada, Université de Moncton) et le dynamisme économique de la population de langue française sont quelques-uns des éléments ayant contribué à ce développement. Ces gains amassés, au fil des ans, ont permis de transformer l espace francophone du Grand Moncton. Les droits de la communauté de langue française reposent aujourd hui sur plusieurs postulats fondamentaux (exemple : nouvelle loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, le statut bilingue de la ville de Moncton...). De plus, des modifications substantielles ont été apportées à l'espace institutionnel et à l'espace vécu des francophones de la région. Par conséquent, l ensemble de ces éléments a solidifié les assises de la communauté minoritaire. 8 Nous avons abordé ce sujet avec deux étudiants et une étudiante du nord du Nouveau-Brunswick qui ont bien voulu partager leur, impression, avec nous, mais qui ne voulaient pas être cités dans cette étude.

4 Dans le but de mieux comprendre comment cette dynamique en milieu urbain s est construite, développée et consolidée, nous pouvons nous poser la question suivante comportant deux volets : quels sont les éléments qui caractérisent la zone d'influence francophone du Grand Moncton depuis 1960 et comment cette zone a-t-elle évolué, tant au niveau des postulats, de l espace vécu et de l espace institutionnel, qu'au niveau des liens supra-régionaux qui viennent s'y greffer? Depuis 1960, de nombreuses entreprises, écoles et autres institutions francophones ont vu le jour à Moncton. De plus en plus de services, d'actions communautaires et de loisirs sont offerts aux citoyens francophones de la région. Sur le plan artistique, par exemple, grâce au Festival international du cinéma francophone en Acadie, Moncton est un lieu important de diffusion cinématographique. Au plan économique, les réussites sont nombreuses comme en fait foi le succès pancanadien de la chaîne de restaurants Pizza Delight et le rôle important joué par la compagnie d assurance Assomption-Vie dans les provinces maritimes. De plus, avec l'apparition du complexe l Assomption au centre-ville et de l'axe Archibald-St George (qui comprend l'hôpital Georges-Dumont, les bureaux de la Société Radio-Canada, le Centre culturel Aberdeen et autres), les francophones se sont appropriés un espace urbain qui était essentiellement occupé par les anglophones au début des années 1960. Au-delà de ces préoccupations territoriales, la grande région de Moncton s'est taillée une place importante dans la francophonie canadienne et nord-américaine grâce au développement de réseaux qui se sont mis en place bien avant que Moncton n'accueille le Congrès mondial acadien en 1994 et le Sommet de la Francophonie en 1999. Par conséquent, nous pouvons poser l hypothèse suivante : la zone d influence francophone du Grand Moncton a connu une forte expansion, entre 1960 et 2002, due majoritairement aux réalisations des francophones tant dans les domaines économique, social, institutionnel que culturel renforçant ainsi l espace vécu, l'espace institutionnel, les postulats et les liens supra-régionaux de la communauté. Nous pouvons aussi avancer que l expansion de la zone d influence francophone s explique, en partie, par la création de l Université de Moncton, par la multiplication des réseaux et des institutions francophones, mais aussi par un changement d attitude récent de la part de la population anglophone de la ville face au bilinguisme.

5 Tout comme la communauté de langue française de Moncton, les francophones vivant en milieu minoritaire dans différentes villes du Canada ont dû et doivent faire face à de nombreuses contraintes économiques, politiques et sociales qui viennent perturber l espace qu ils occupent en milieu urbain. Par conséquent, nous espérons que cette étude permettra de développer des connaissances au sujet de l appropriation de l espace par les francophones vivant en milieu minoritaire et, bien sûr, en milieu urbain. La présente étude a donc pour but de retracer l évolution de l espace francophone du Grand Moncton, défini par le concept de «zone d'influence francophone en milieu urbain», sur une période s échelonnant entre 1960 et 2002. Nous n'avons donc pas l'intention d'étudier les actions identitaires des francophones du Grand Moncton. Ces gestes, posés au quotidien 9 par la population de langue française et qui visent à maintenir, préserver et développer leur francophonie, demandent une étude qui se veut très délicate et qui nécessite une enquête de terrain beaucoup plus approfondie et multidisciplinaire. Pour être en mesure de quantifier et de qualifier l'espace francophone, il est indispensable de bien définir ce concept qui a été, à plusieurs reprises, utilisé par de nombreux chercheurs au cours des 30 dernières années. Mentionnons, entre autres, Anne Gilbert, Micheal O Keefe, André Langlois et Philippe Falardeau qui ont tous travaillé sur la thématique de l espace francophone 10. De plus, les sujets gravitant autour du phénomène de la mondialisation sont de plus en plus populaires et le thème de la francophonie en est un bel exemple. C est dans cette optique que les travaux de Didier de Robillard sur l espace francophone ont été réalisés 11. Par conséquent, plusieurs auteurs ont influencé notre démarche nous permettant d élaborer le concept d espace francophone utilisé pour cette étude. Un survol des plus récentes études abordant le thème de l espace francophone nous 9 Par exemple, la décision pour certains parents d inscrire leur enfant à l école française plutôt que dans un programme d immersion ou le fait d exiger un service en français dans un commerce sont des exemples d actions identitaires posées au quotidien par la population de langue française en milieu minoritaire. 10 Consulter les articles suivants à ce sujet : André Langlois, «L espace comme élément stratégique : l importance de la répartition géographique des francophones de l Ontario», Études canadiennes/canadian studies, no. 30, p.13-30. ; Philippe Falardeau, Hier, la francophonie : fenêtre historique sur le dynamisme des communautés francophones et acadiennes du Canada, Ottawa, La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, 1992, 78p. ; Anne Gilbert, Espaces franco-ontariens : essai, Ottawa, Ontario : Éditions du Nordir, 1999, 198 p. 11 Didier de Robillard, Le français dans l'espace francophone, Paris, H. Champion, 1993, 121p.

permettra de mieux définir les éléments retenus pour l élaboration du concept utilisé pour cette étude. 6 État des recherches sur l espace francophone Quelques spécialistes de la géographie urbaine et de la francophonie se sont penchés sur le thème précis de l espace francophone. Dans le contexte canadien, l étude de Thériault et Falardeau nous démontre que la francophonie canadienne ne peut prétendre à un espace géographique bien délimité. C est pourquoi ces auteurs ont élaboré un concept original qui permet de redéfinir la francophonie selon un concept spatial plus large que ceux basés sur une entité territoriale. Sur ce thème précis, les deux auteurs s expriment comme suit : «Aussi longtemps que nous percevrons l espace francophone en fonction de l espace politique et territorial habituel, le fait français conservera ses attributs minoritaires 12». Le concept que ces deux auteurs avancent déborde de la notion de territoire. Ils proposent un concept «d espace psychologique». Cette approche suppose que des liens d interdépendance soient créés entre les communautés. D autres auteurs se sont penchés sur l'étude des francophonies minoritaires en milieu urbain dans des contextes linguistiques mixtes. Malheureusement, ces études sont peu nombreuses. Mentionnons, toutefois, l ouvrage de Robert Stebbins sur les Franco-Calgariens, celui de Maxwell sur les francophones de Toronto, l'étude de Jackson sur Tecumseh près de Windsor et, finalement, les recherches de Greg Allain sur la communauté francophone de St-Jean et celle de Fredericton au Nouveau-Brunswick. Notre concept d espace francophone Il faut, d entrée de jeu, souligner que l'espace est fondamentalement un produit social. Il est l objet d une appropriation, le lieu du déploiement des stratégies de groupes, 12 Aurèle Thériault et Philippe Falardeau, «Pour un espace francophone : obsèques du réflexe minoritaire», L Action nationale, vol. 80, no.10, (décembre 1990), p.1456.

7 une réalité physique et il se modèle selon la perception que nous en avons 13. Pour bien analyser cet espace, nous devons nous intéresser à son découpage. De plus, l espace ne peut pas être étudié par les géographes comme une catégorie indépendante, puisqu il n est justement rien d autre qu un des éléments du système social. En fait, si nous voulons avoir une compréhension plus globale de l espace, il nous faut analyser les sous-systèmes sociaux localisés. Ainsi, nous pourrons examiner les forces et les rapports de production, explorer les niveaux idéologiques, politiques et culturels de la dynamique sociale. Pour ce faire, le géographe doit enquêter sur le terrain, mais l'enquête doit rester un moyen et non une fin en soi 14. Dans le cadre de cette étude, c est surtout le développement et l'évolution de l'espace qui nous intéresse. Sur une période de 40 ans, comment les francophones du Grand Moncton se sont-ils appropriés l espace? Comment cette zone d'influence francophone s'est-elle transformée tout au long de cette période? Quelles sont les limites d'une telle zone? Comme Paulet le souligne : «Les villes que les hommes construisent reflètent à un moment donné, l image que les hommes se font du monde 15». En effet, la grande région de Moncton, en 1960, ne peut refléter la même francophonie que la grande région de Moncton en 2002. La culture politique, les débats, les projets de société et le développement économique sont quelques-uns des facteurs qui viennent influencer notre perception du monde. Pour être en mesure de bien cerner toutes les transformations et l'évolution de l'espace francophone du Grand Moncton, nous avons développé un concept qui dégage quatre éléments influençant la zone d'influence francophone de l'espace urbain étudié : les postulats, l'espace vécu, l'espace institutionnel et les réseaux. Ces éléments sont présentés dans la figure 2. 13 Bernard Kayser, «Systèmes spatiaux et structures régionales», dans Bernard Kayser, Géographie entre espace et développement, Toulouse, PUM, 1990, p.60. 14 Ibid., p.237. 15 Paulet, op. cit., p. 184.

Figure 2 Schéma réalisé par Martin Durand 8

9 D'abord, pour bien comprendre la dynamique particulière liée à la vie des francophones en milieu minoritaire et leur rapport à l espace, reconnaissons que la situation des francophones est différente des autres communautés culturelles du Canada (mise à part, dans certains cas, les communautés autochtones). En effet, les francophones bénéficient d une situation privilégiée par rapport aux autres communautés minoritaires. La Loi sur les langues officielles et la Constitution canadienne (dans le cas du Nouveau- Brunswick, mentionnons la nouvelle Loi sur les langues officielles, la Loi 88 et l adoption d un statut bilingue par la ville de Moncton) sont des dispositions qui protègent les droits des francophones vivant en milieu minoritaire. Les politiques gouvernementales du Secrétariat d État et de Patrimoine canadien sont, elles aussi, fondamentalement liées au développement et à l épanouissement (articles 41 et 42) des communauté francophones (et anglophones) minoritaires. Finalement, le Commissariat aux langues officielles joue, lui aussi, un rôle important dans cette dynamique puisqu il veille au respect des modalités de la L.L.O. du gouvernement fédéral et de ses dispositions. Le regroupement de tous ces éléments nous permet d affirmer qu'il existe des «postulats» fondamentaux qui influencent directement l'évolution, la consolidation et le développement de la zone d'influence francophone en milieu urbain. C'est ce que nous avons représenté en gris dans la figure 2. Ensuite, nous devons souligner l apport (financier, juridique, matériel) important des différents paliers de gouvernement auprès des institutions, des associations et des organismes communautaires. Parmi ceux présents à Moncton, mentionnons la Société Radio-Canada, l Hôpital Georges-Dumont, le Centre culturel Aberdeen, différents quotidiens et revues, les centres jeunesses Cette catégorie comprend aussi le système d éducation et la religion qui, à leurs façons respectives, participent à l encadrement institutionnel de la population francophone du Grand Moncton. Cette partie appelée «espace institutionnel» est représentée par la couleur bleue dans la figure 2. Cet espace, qui assure les fondements institutionnels de la communauté, agit directement sur la zone d'influence francophone et vice versa.

10 «L'espace vécu», représenté par la couleur verte dans la figure 2, est, lui aussi, un élément extrêmement important qui alimente la zone d'influence francophone. Associé au milieu familial, au milieu du travail, aux loisirs et au paysage linguistique (l'affichage), cet espace, bien que plus difficile à mesurer, doit être étudié pour bien décrire et analyser l'évolution de l'ensemble de l'espace francophone du Grand Moncton. Finalement, il faut ajouter un phénomène plutôt récent à ce schéma, celui des «réseaux». Les chercheurs qui s intéressent aux communautés francophones minoritaires ne peuvent, dans leurs études, faire abstraction des liens supra-territoriaux. En effet, les différents chercheurs qui ont étudié les francophones en milieu minoritaire ont pratiquement tous ignoré, jusqu à tout récemment 16, les liens importants qui s opèrent entre les communautés minoritaires de langue française. C est pourquoi l étude de ces communautés ne doit pas se restreindre au niveau local, mais doit être ouverte à une dynamique francophone qui s opère au-delà du local, allant du régional à l international, en passant souvent par le provincial et le national 17. L'élément «réseaux» est représenté par la couleur orange dans la figure 2. À un moment ou à un autre de la période étudiée, certains postulats viendront s'ajouter à notre schéma, des éléments de l'espace vécu ou de l'espace institutionnel seront ajoutés ou seront soustraits au rythme des luttes, des gains et des pertes de la communauté francophone. De plus, pour faciliter la compréhension du lecteur, nous ajouterons des exemples à l intérieur des différentes catégories sélectionnées et nous augmenterons ou diminuerons la grosseur des catégories selon leur importance relative durant la période à l étude. Finalement, chacun des chapitres de ce mémoire se terminera par une analyse et une interprétation du schéma de l'espace francophone du Grand Moncton. L'approche conceptuelle que nous venons de présenter n'est pas la seule qui aurait 16 Voir les actes du colloque «La Francophonie internationale et la mondialisation : un univers de réseaux», dans la Revue de l Université de Moncton, 2001, numéro hors série. 17 Fernand Harvey, «Le champ de recherché sur les communautés francophones minoritaires du Canada : sa structuration, ses orientations», Francophonies d Amérique, no.14 (2002), p.18.

11 pu être utilisée pour étudier l'espace francophone du Grand Moncton 18. Toutefois, nous croyons que le modèle que nous avons conçu s'applique particulièrement bien à l étude des communautés francophones minoritaires en milieu urbain. Il ne faut pas oublier, comme le souligne Simon Laflamme, que : «Un modèle théorique doit simplifier la complexité ; il ne doit pas l'altérer. Et un modèle n'est jamais qu'une possibilité de la construction analytique de la réalité observée, ce qui signifie qu'il pourrait y avoir d'autres modélisations, à partir, par exemple, d'autres catégories analytiques, d'autres variables 19». Approche méthodologique Au plan méthodologique, nous avons décidé de suivre les recommandations du sociologue Greg Allain qui, pour assurer une meilleure validité des données recueillies lors de son étude de la communauté francophone de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick en 1999, a décidé de «faire appel à la triangulation, c'est-à-dire de recourir à plusieurs techniques de collecte d information 20». Par conséquent, nous avons décidé de jumeler l'enquête de terrain à une approche semi-dirigée d entrevues et à une revue détaillée de la littérature produite sur l étude des minorités de langues officielles. Tout d'abord, nous avons séjourné quatre mois au sein de la communauté francophone du Grand Moncton. Durant ce séjour, nous avons utilisé une technique d enquête de terrain basée sur l observation participante. Ce type d enquête comporte, comme son nom l indique, deux volets : l observation et la participation. En ce qui concerne le premier volet, notre séjour dans la région du Grand Moncton nous a, entre autres, permis de circonscrire les caractéristiques particulières du paysage linguistique. De plus, nous avons, à de nombreuses reprises, visité des commerces, des institutions, des cafés, des bars et des restaurants dans le but de connaître la langue la plus souvent utilisée au niveau de l offre de service. En parcourant les rues, en visitant ou en fréquentant les 18 Le concept des balanciers compensateurs développé par Allard et Landry aurait aussi pu être utilisé pour réaliser cette étude. À ce sujet consulter : Rodrigue Landry et Réal Allard, «L'éducation dans la francophonie minoritaire», dans Joseph Yvon Thériault, Francophonies minoritaires au Canada : l'état des lieux, p. 418. 19 Simon Laflamme, «Alternance linguistique et postmodernité», Francophonies d'amérique, no. 12 (2001), p.108. 20 Greg Allain, «La communauté francophone de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick : de la survivance à l'affirmation», Francophonies d'amérique, no. 14 (2001), p. 38.