supplément Faites le mur un film de Banksy



Documents pareils
7, rue Jules Ferry Bagnolet contact@riofluo.com

La Joconde. ( , 0,77x 0,53 m) de Léonard de Vinci TEMPS MODERNES

Le commerce électronique (ou e-commerce)

Journée sans maquillage : une entrevue entre ÉquiLibre et ELLE Québec

ALAIN-DOMINIQUE GALLIZIA

Nom : Prénom : Date :

NOTE D INTENTION EXTRAIT DE PRESSE

COMMUNIQUÉ LA CULTURE AUTREMENT. Pour diffusion immédiate

IN OUT! Sélection des œuvres du collectionneur Nicolas Laugero Lasserre (collection de plus de 300 œuvres d'art urbain)

C est dur d être un vampire

HISTOIRE / FRANCAIS CYCLE 3 TITRE : L UNION FAIT LA FORCE (1915), LA FRANCE ET SES ALLIÉS

Le livret des réponses

Le coin du vide 2014 Dessin, Vidéo, Photo, Jumelles

Compte rendu : Bourse Explora Sup

Sortie de Résidence Compagnie Satellite Vendredi 23 mai 2014

«Est-ce que mon enfant est à risques?» Sécurité sur la rue

EOI ARUCAS DEPARTAMENTO DE FRANCÉS DOSSIER LA VILLE ET LES PRÉPOSITIONS DE LIEU

La caméra Embarquée et subjective

Épreuve de Compréhension orale

Pourquoi? Caroline Baillat CPC EPS Céret / Elisabeth Maroselli CPC EPS P3 Page 1

VISITE DE L EXPOSITION AU THÉÂTRE DE PRIVAS :

VAGINISME. Quelques pistes pour avancer?

6Des lunettes pour ceux qui en ont besoin

VIVRE LA COULEUR DOSSIER PÉDAGOGIQUE. Musée des beaux-arts de Brest

Livret-jeu à partir de 11 ans

Je veux apprendre! Chansons pour les Droits de l enfant. Texte de la comédie musicale. Fabien Bouvier & les petits Serruriers Magiques

Présentation du Programme de prévention et de soutien relié aux tags et aux graffitis

Showroom 2006 Journées Portes Ouvertes des Ateliers des Artistes Lyonnais DOSSIER DE

Le rapport des femmes à la beauté

N 39 Du 3 déc au 7 déc 2012

LES RESEAUX SOCIAUX SONT-ILS UNE MODE OU UNE REELLE INVENTION MODERNE?

Publier dans la Base Documentaire

Méthodologie du dossier. Epreuve d histoire de l art

1 /// 9 Les médias solutions

PAROLES D ACTIFS. 1. Les personnes qui travaillent font partie LEÇON DU

Newsletter FH-DCE Federation Harley-Davidson Clubs Europe

Autoportraits photographiques. Il s agit de se photographier soi-même (ce n est pas un portrait pris par un autre)

Thomas Dutronc : Demain

PARLEZ-MOI DE VOUS de Pierre Pinaud

Bienvenue à la Banque nationale de Belgique!

Compréhension de l oral

Exposition des photographies de. du 1 er septembre au 22 octobre Commissaire de l exposition : Françoise Masson

Le traitement des questions économiques dans les médias. Le point de vue de Marie-Agnès Thellier, MBA Directrice Affaires Le Journal de Montréal

Pourquoi investir en bourse? Pour gagner nettement plus qu avec un livret

La Reine des fourmis a disparu

Un nouvel art de vivre est né!

Nicolas RABEL

«Quand le territoire devient source d inspiration et souffle d expression créative : Présentation du Festival Art-Pierre-Terre»

Les ZOOMS 2014 PROCLAMÉS!

FICHES DE REVISIONS LITTERATURE

Réseaux Sociaux. (en Anglais Social Network)

Définir une ligne éditoriale

Mademoiselle J affabule et les chasseurs de rêves Ou l aventure intergalactique d un train de banlieue à l heure de pointe

DOSSIER DE PRESSE FAITES VOS JEUX! AV E C SAINT- H ONORÉ-LES-BAIN S. infos Exposition photographique jusqu au 1 er septembre 2010

Utilisez les mots-ressources pour identifier les parties de la tête selon les numéros.

PARTICIPER À UNE VENTE AUX ENCHÈRES D ŒUVRES D ART

JAD FAIR. EXPOSITION DU : Du 08_04 au 24_04/2015

Le Team building. (consolidation d équipe)

Internet et les nouvelles technologies : «Surfer avec plaisir et en sécurité»

Appliquez-vous ces 4 éléments pour travailler plus efficacement?

To buzz or not to buzz?

Tout au long de l année

Galerie de photos échantillons SB-910

PHOTOS-EVENEMENT.COM Des animations originales pour vos événements

CLAQUIN FREDERIC. ARTtitude, c est quoi? QuelLEs sont les difficultés que tu as rencontrées Entre 2006 et la parution de ARTtitude 1 en 2012?

RENAN LUCE, On n'est pas à une bêtise près (3 36)

N 6 Du 30 nov au 6 déc. 2011

Directives. 1. Je lis beaucoup. 2. J aime utiliser la calculatrice, un chiffrier électronique ou un logiciel de base de données à l ordinateur.

les Carnets du p a ra d oxe

Il manque quelque chose! (L histoire du film 1re partie)

MAISON NATALE DE VICTOR HUGO

(La Société ARISTOPHIL collectionne et détient la plus grande collection Française de lettres et manuscrits de renommée mondiale)

«Selon les chiffres de la BNS, l évasion fiscale prospère»

Utilisation des portables en classe, des problèmes et des solutions.

elle devrait bientôt débarquer en Belgique.

Formation Informatique. Utiliser les périphériques informatiques

LES CONSEILS CRÉATIFS DE DOUG HARRIS ET DAN O DAY

Forum de l investissement Ateliers d Experts. 15 Octobre Les Dangers de l Assurance Vie

CONSEILS ET RECOMMANDATIONS

Mon aide mémoire traitement de texte (Microsoft Word)

Chez les réparateurs de zém

LIVRET DE VISITE. Autoportraits du musée d. musée des beaux-arts. place Stanislas

Ça me panique, pas question de le nier. Mais c est ma seule carence, le dernier point encore sensible entre elle et moi, ce fait que, dès qu elle

GROUPE DE SPECIALISTES SUR UNE JUSTICE ADAPTEE AUX ENFANTS (CJ-S-CH) QUESTIONNAIRE POUR LES ENFANTS ET LES JEUNES SUR UNE JUSTICE ADAPTEE AUX ENFANTS

Les Foires et Salons vecteurs de communication efficace dans la prospection de nouveaux marchés

Ne vas pas en enfer!

Le présent, le passé, mon histoire

REGISTRE DE LA MÉMOIRE DU MONDE. Journal d Anne Frank

Mes grands-parents à La Havane en 1957

«Petit guide d utilisation Prezi» par Marc Nolet

ACADEMIE de MAQUILLAGE & de la BEAUTE GLOBALE

Quels avantages apportent les systèmes de sécurité modernes à l aide de l informatique et de l intégration? Par exemple:

Compte-rendu d une expérience Un album à jouer... Le château de Radégou

Vous n avez aucune installation à faire et aucune mise à niveau ne vous complique la vie. Vous allez adorer votre nouveau site.

Le dispositif conçu pour M6 et Orange pour soutenir l offre de forfaits illimités M6 Mobile by Orange

Fiche de préparation. Intitulé de séquence : le portrait

fiches pédagogiques 9. Grand Corps Malade Funambule PAROLES BIOGRAPHIE

Atelier photo * au lycée Léonard de Vinci

Transcription:

supplément Faites le mur un film de Banksy

Avant-propos «Un film qui interroge brillamment la frontière entre fiction et réalité» Banksy fait son cinéma Pendant des années, Thierry Guetta [ci-contre à gauche] a filmé les interventions de Banksy [ci-dessus, son exposition «Barely Legal» à Los Angeles, en 2006] avant de devenir lui-même street artist [ci-contre, son autoportrait au pochoir]. Un film inclassable dont l étrangeté réjouit. Faites le mur, premier long-métrage de Banksy, est de prime abord un film passionnant sur le street art, ses acteurs et leurs pratiques clandestines. La figure centrale du film, c est Thierry Guetta, commerçant français installé à Los Angeles. Obsédé par les graffeurs et leurs exploits nocturnes, il filme sans relâche les plus fameux d entre eux : Space Invader, son cousin, Shepard Fairey, graffeur-star de Los Angeles, et Banksy. On plonge alors dans les coulisses d une œuvre qui jusque-là gardait son plein mystère. Voix et visage cryptés, on voit Banksy en action, réalisant ses tags au pochoir. Et Thierry Guetta de se prendre au jeu : il se lance lui-même dans le street art avec un succès fulgurant, sous le pseudo de Mr. Brainwash. Le film bascule dans une interrogation vertigineuse sur la valeur de l art, les conditions d émergence d un artiste. Sans se départir de ce goût du canular dont Banksy a fait sa marque. Comment avez-vous découvert le film de Banksy? C est Jim Jarmusch, un passionné de street art, qui m a parlé le premier de Banksy, lors de l exposition «Né dans la rue Graffiti» à la Fondation Cartier, bien avant que le film fasse sensation au festival de Sundance et il m a dit : «tu ne peux pas ne pas le voir.» Il était dithyrambique! Ce qui est une référence. Car les films de Jim et le street art appartiennent à une même culture urbaine. La relation entre Banksy et Mr. Brainwash intrigue. Certains pensent qu ils ne seraient qu une seule et même personne. Quelle est votre opinion? J ai rencontré Mr. Brainwash. C est un homme intelligent et un artiste extrêmement doué et prolifique. Comme tout le monde, je n ai jamais vu Banksy. Mais nous travaillons par e-mail avec son équipe sur la sortie du film : il nous a fait le plaisir de réaliser une affiche spécialement pour la France. Je dirais que Mr. Brainwash est un disciple de Banksy, mais qu il n est pas Banksy lui-même. En tout cas, une relation très forte les unit : Mr. Brainwash est une des rares personnes qui ont gagné la confiance de Banksy. De quelle façon définiriez-vous ce film? Ce n est pas un documentaire de Banksy sur son œuvre. Je dirais qu il s agit d une «auto-fausse-fiction». Un de ces films qui interrogent brillamment la frontière entre vrai et faux, fiction et réalité. Comme F for fake d Orson Welles. C est le premier long-métrage réussi d un immense artiste. Jean Labadie, distributeur en France de Faites le mur Cette publication consacrée à Banksy est éditée par TTM Éditions / Beaux Arts magazine 3, carrefour de Weiden 92441 Issy-les-Moulineaux cedex tél. 01 41 08 38 00 www.beauxartsmagazine.com RCS Paris B 435 355 896 Président : Thierry Taittinger Éditeur : Claude Pommereau Rédacteur en chef : Fabrice Bousteau Directrice des partenariats : Marion de Flers Rédaction : Thomas Jean Coordination éditoriale : Charlotte Ullmann Création graphique : Michel Déjus Iconographie : Julie Le Borgne Secrétariat de rédaction : Sabine Moinet et Barbara Petit Toutes images : Courtesy of Pest Control Office. Photogravure : Litho Art New, Turin Imprimé en France par GIM, Paris (Printed in France). Beaux Arts magazine / TTM Éditions

BANKSY art terrorist Avec Faites le mur, le subversif Banksy livre un film passionnant sur le street art. Enquête sur un jeune artiste déjà culte qui bouleverse les codes de l art contemporain et a fait de l anonymat sa marque de fabrique. par Thomas Jean

Qui est Banksy? Ce vandale est un incontournable de l art d aujourd hui. Sur les murs du monde entier, son insolence explose. Banksy, c est l icône absolue du graffiti. C est une causticité, un sens du politiquement incorrect que la discipline n a jamais connus avant lui. Alors, comme tous ceux qui réinventent leur domaine, il a ses ennemis farouches et ses plagiaires. Lui ne s en offusque pas. Il garde le silence et reste invisible, ce qui participe de son mythe. Ses entretiens dans la presse sont rarissimes. Les photos de son visage inexistantes. Et ce n est pas son premier et excellent film, Faites le mur qui lèvera le mystère. Au contraire, il l épaissit. Deux certitudes biographiques, cependant : Banksy est né en 1974. Dans les environs de Bristol. Point. On dit qu il s appellerait Robin, Robert ou Robden. On lui prête Gunningham comme patronyme. À moins que ce ne soit Banks, tout bêtement. Simples rumeurs! C est son médium, le graffiti, qui impose ce culte du secret : quand on passe ses nuits, bombe en main, à déjouer la surveillance policière, on reste discret pour durer. Banksy fait ses premières armes dans le Bristol du début des années 1990, alors que la culture underground bouillonne. Dix ans avant qu il n ébauche son premier tag, la grande cité du sud-ouest anglais compte déjà des personnalités du genre : les Inkie, 3D ou autres Nick Walker dont les signatures psychédéliques chahutent l espace urbain. Exposer dans des lieux respectables est une chose. Mais l adrénaline de l illégalité reste son meilleur carburant. Ces figures de proue, Banksy les admire. Mais il compte bien assurer la relève. Dix-huit ans à peine et il connaît déjà tous les recoins du Bristol interlope, bariolant ses murs, ses ponts, ses trains. Au départ, son style est plutôt commun : explosions de couleurs et lettres biscornues dessinées à la main. Mais du jour où Banksy se lance dans le graffiti au pochoir, il détonne. Ses tags plus précis, plus sobres, ont un vrai goût d inédit. Si bien qu au festival de graf Walls on Fire, qui investit en 1998 le quartier portuaire de Bristol, on ne parle que de lui. L année d après, sa fresque mythique The Mild Mild West qui représente un ours en peluche s apprêtant à balancer un cocktail Molotov sur un escadron de police le hisse un peu plus haut : Bristol découvre un subversif. Et le traque, via cette police qu il moque. Sans parler des entreprises de nettoyage qui effacent consciencieusement une grande part de ses interventions. C est peut-être l envie d un art moins éphémère qui pousse Banksy à se diversifier. Entre deux tags, il commence à peindre des tableaux, il s essaye à la photo. En 2000, il accepte même le principe d une exposition qui montrerait l ensemble de son travail au restaurant Severnshed de Bristol. Un triomphe! Toutes ses œuvres sont vendues dès le premier jour. Dans les médias anglais, on s excite. On se passionne pour cet artiste anonyme qui oscille entre hype et clandestinité. Et les expositions suivantes ne font pas retomber ce Banksy buzz. Dans une galerie de l ouest londonien en 2005, il libère 200 rats lors de son exposition «Crude Oils» : Banksy est trash. Un cran au-dessus, à Los Angeles en 2006, le vernissage de «Barely Legal» accueille Angelina Jolie et Keanu Reeves : Banksy est glam. Quant à sa dernière exposition, en 2009, dans son Bristol natal, elle a pulvérisé les records d affluence avec 4 000 visiteurs quotidiens : Banksy est une star. D ailleurs, le Network Rail (l équivalent de la SNCF en Angleterre) apprend désormais à ses employés chargés du nettoyage à reconnaître ses graffitis pour ne surtout pas les effacer. Exposer dans des lieux respectables est une chose. Mais l adrénaline de l illégalité reste son meilleur carburant. Malgré ses succès, Banksy distille encore et toujours son ironie mordante dans les espaces publics. Au zoo de Londres, il se faufile dans l enclos des pingouins pour y écrire le très drôle «We re bored of fish» [«On en a marre du poisson»]. Plus acide, il introduit en 2006 à Disneyland, en Californie, une poupée gonflable qui porte un uniforme orange façon Guantanamo. Mais son intervention culte, c est celle de Ramallah en 2005, sur le mur de séparation entre Israël et Palestine. On y voit des brèches et des fenêtres qui s ouvrent sur des paysages idylliques, une fillette qui s envole ou une échelle en trompe l œil. Soit un ensemble de fresques qui travaillent magnifiquement le thème de l évasion. Toutes les télévisions du monde retransmettent ces images et font de Banksy le plus fameux des artistes engagés. Mais son anonymat a la peau dure. Toujours pas de visage ni d état civil à mettre sur son pseudo. Juste une silhouette à capuche. Même si en 2008, le Daily Mail prétend l avoir démasqué, indices et photo volée à l appui. Beaucoup doutent de ces preuves. Banksy, évidemment, ne confirme ni n infirme, laissant planer ce mystère qui fait son identité. C est là sa condition pour moquer, questionner ou vilipender notre époque en toute liberté. à lire Banksy Guerre et Spray, éd. Alternatives, 240 p., 22. En librairie le 15 décembre 2010 de haut en bas et de gauche à droite : Londres, 2003. Londres, 2004. Palestine, 2005. San Francisco, 2010. Los Angeles, 2010. Londres, 2002. Ile de Wight, 2010. Londres, 2001.

le style Banksy L art de l infiltration Les gardiens de la Tate Britain n y ont vu que du feu. Juste à côté d une toile du XIX e siècle, Banksy accroche un tableau champêtre barré du bandeau Police line do not cross. Une simple peinture à l huile chinée aux puces, et customisée. Par cette intervention d octobre 2003, Banksy entend dénoncer le climat de peur et de paranoïa qui règne sur l Angleterre. C est surtout un sacré pied de nez au musée le plus prestigieux du pays. Le graffeur, c est celui qui déjoue les règles de sécurité, de propriété, pour faire d un pan de mur son domaine. Le génie de Banksy, c est d avoir poussé cet esprit pirate bien au-delà des murs. Street artist hors pair, certes. Mais ses interventions dans l espace public dépassent largement le cadre pictural du graf. En 2004, il met en circulation des centaines de faux billets de 10 livres sterling : à la place du visage d Elizabeth II, celui de Lady Di, tandis que la mention «Bank of England» devient «Banksy of England». Une monnaie de singe qui fait scandale. Autre pied de nez en 2006 quand il pirate 500 copies de l album de Paris Hilton qu il replace ensuite en magasin : on y voit en couverture la jet-setteuse seins nus, des phrases du type «Why am I Famous» remplaçant la tracklist. La monnaie, l industrie du disque Des mécaniques trop bien huilées que l artiste-hacker adore gripper. Dernière victime en date, les studios de la Fox : détournant le générique des Simpson, Banksy fait passer l entreprise hollywoodienne pour une multinationale totalitaire et esclavagiste. La vidéo fait florès sur YouTube depuis octobre dernier. «Art terrorist» : c est comme ça qu il se désigne. On raffole de ses attentats. Les chefs-d œuvre truandés L irrévérence de Banksy n épargne ni les grandes œuvres ni les grands hommes de l histoire de l art. Rien n est sacré. Tout est prétexte à rigolade. Même les trésors du néolithique en prennent pour leur grade! Stonehenge, juin 2007 : non loin de ces cercles de pierre, fierté de l Angleterre, Banksy érige Boghenge. The bog, c est les «chiottes» en anglais, et pour cause : singeant le monument, l artiste a empilé des cabines de W.-C. chimiques! Une installation en forme de blague qui n a pas fait marrer tout le monde. Certes, l art du pastiche n a pas attendu Banksy pour exister. Mais lui le pratique en virtuose. Notamment lors de son exposition «Crude Oils» de 2005, un ensemble de tableaux qui revisitent insolemment les classiques. Les Nymphéas de Monet? Des caddie de supermarché, à moitié immergés dans le bassin, cassent leur romantisme [ill. cidessous]. Les Tournesols de Van Gogh? Banksy les représente souillés de pétrole. Quant à Warhol, il le met au diapason de notre époque : sa Marilyn se mue en Kate Moss, ses soupes Campbell s en soupes Tesco, le Franprix d outre-manche. Banksy sidère encore plus lorsqu il s attaque aux musées, ces sanctuaires de l histoire de l art, en les truffant de canulars. Toujours expert en infiltration, il parvient à accrocher au Louvre, juste à côté de la Joconde, une Mona Lisa affublée d un grand smiley. Il pose sa boîte de soupe Tesco, incognito, au MoMa. Avec ces performances, Banksy nous dit qu il y a du dérisoire dans les «chefs-d œuvre» désignés. Du ridicule dans leur vénération. Que leur valeur est relative et peut-être pas éternelle. Comme celle d un graffiti. Show Me the Monet 2005 Banksy nous dit qu il y a du dérisoire dans les «chefs-d œuvre» désignés. Que leur valeur est relative et peut-être pas éternelle. Comme celle d un graffiti. La subversion par le pochoir Si Banksy a choisi la technique du pochoir, c est plus pour des raisons pratiques que pour le style. Dans son livre Wall and Piece (Century, 2005), il raconte : «J avais passé une nuit entière à essayer de peindre ENCORE EN RETARD en grosses bubble letters argentées sur le flanc d un train.» Mais la police débarque, course le graffeur et ses potes. «J ai réalisé que je devais réduire de moitié la durée de mon temps de peinture, ou alors tout abandonner.» Fini les bubble letters laborieusement dessinées à la main : les pochoirs répondent parfaitement à l exigence de rapidité. Une fois fabriqués dans l atelier, sur les lieux du tag il n y a plus qu à passer de la bombe dessus. Banksy est pourtant un des seuls, sur la scène prolifique du Bristol des années 1990, à utiliser cette technique si pratique. Elle est là, sa singularité, dans ces silhouettes précises. À Paris, en revanche, c est le procédé en vogue depuis les années 1980 chez les graffeurs-phares, Miss.Tic et Blek le Rat en tête. Beaucoup voient d ailleurs une influence de ce dernier sur les premiers travaux du Banksy pochoiriste : cette esthétique noir et blanc, cette poésie du trompel œil, et puis ces rats, omniprésents. Sauf que, chez Banksy, les rongeurs prennent un tour plus absurde. Détournant l imagerie guerrière et sécuritaire, il les affuble de parachutes, d ailes d hélico ou de caméras de surveillance. D autres portent l emblème anarchiste en sautoir et profèrent des messages anti-travail. Même chose avec ses pochoirs de singes, flippants ou tordants. Quant aux bobbies, eux aussi légion dans l œuvre de Banksy, il les représente se roulant des pelles [ill. ci-contre]. C est à travers ces figures récurrentes, ces pochoirs-marottes, que Banksy délivre sa vision du monde, toujours décapante, mais jamais trop sérieuse. Ci-contre : Brighton, 2005

Banksy & le marché Dans le genre anti-establishment, Banksy se pose là. Anticapitaliste radical même, quand il s attaque à McDonald s ou à Disneyland avec la violence d un anarchiste, l humour en plus. Et puis, le graf est une affaire de rue, pas de salle des ventes. Alors Banksy et le marché de l art, c est une association qui sonne un peu faux. Mais Banksy n est pas qu un artiste vandale qui taggue à la sauvage. Depuis environ dix ans, il produit aussi des œuvres «vendables» : peintures, dessins, installations. Ses pochoirs, il ne les applique plus seulement sur les murs des villes, mais aussi sur des toiles. Il déclare pourtant dans un entretien paru dans Time Out en mars dernier : «Je ne suis pas certain que le street art soit destiné à se retrouver dans des salons. [ ] C est difficile de sentir la montée d adrénaline que procure un graf dans une jolie pièce bien cosy où l on sirote une tasse de thé!» Ce qui ne l empêche pas de vendre ses œuvres jusqu à 2000 dès sa première exposition en 2000. Elles ont probablement fini dans un salon. Mais il faut bien vivre! Et financer les interventions coûteuses qu il réalise dans le monde entier. Ça grince des dents chez les collègues graffeurs. On l accuse d avoir trahi la cause du street art, gratuit par essence. Ça tombe bien, sa cote grimpe en flèche. Surtout quand la jet-set s en mêle. Christina Aguilera achète en 2006 un tableau pour 25 000. Après son expo-phénomène à Los Angeles, c est Angelina Jolie qui craque et débourse 200 000 pour trois de ses pièces. Ça grince des dents chez les collègues graffeurs. On l accuse d avoir trahi la cause du street art, gratuit par essence. Tandis qu explosent sur ebay les ventes «sauvages» de ses tags, arrachés à leur support urbain. Les experts du marché de l art, eux, relativisent le phénomène. Ils parlent d une «bulle Banksy». Angelina Jolie n a rien d une collectionneuse influente. N est pas François Pinault qui veut! En revanche, quand Damien Hirst s affiche en grand fan sa collection personnelle comprend plusieurs Banksy le «Banksy effect» est pris un peu plus au sérieux. D ailleurs, le street artist et le plasticien-star ont créé une œuvre commune, Keep it spotless [ci-dessous], dont la vente en 2008 atteint un record : adjugée près de 1,9 M$ chez Sotheby s New York! Mais la crise financière de septembre 2009 freine largement cette surenchère. Les œuvres de Banksy auraient même perdu entre 30 et 40 % de leur valeur. Peut-être une saine correction. Reste l ambiguïté d un artiste qui a vendu beaucoup, et très cher, tout en affichant un vrai mépris pour le commerce de l art et les puissances de l argent. Il a cette formule qui résume formidablement son paradoxe : «J utilise l art pour contester l ordre établi, mais peut-être que j utilise simplement la contestation pour promouvoir mes œuvres.» Banksy & Damien Hirst Keep it Spotless Vendu 1,9 M$, collaboration for The Red Auction. Photographie Prudence Cuming Associates. Damien Hirst. All rights reserved, Adagp Paris 2010.

Chaque porte renferme une histoire sur onitsukatiger.com *Fabriqué au Japon