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Université Blaise Pascal ESPE Clermont - Auvergne Observatoire des représentations du développement durable TITRE DE LA COMMUNICATION : Le conte musical, trait d union entre transmission et héritage d un patrimoine local Auteurs : Marie-Noëlle BASMAISON et Maryvonne GIRARDIN Document de recherche n 7 Octobre - 2013 1

Préambule Samedi 11 août 2012, 12h30, nous sommes installés à une table dans un des restaurants les plus emblématiques du Cézallier : la Cabane, à St Alyre ès Montagne, une ferme au milieu de nulle part, au pied des éoliennes qui tranchent de leurs rotations régulières la chape de plomb qui recouvre ce jour l immensité des paysages sauvages de ce rugueux plateau volcanique, un endroit où on ne vient pas par hasard. D ailleurs, le restaurant, qui ne semble pas en être un au premier abord, dire que le cadre est champêtre est un euphémisme!, ne fonctionne que par le bouche à oreille, mais est toujours bondé, été comme hiver. Sans réservation, il n est pas la peine de passer le seuil. Nous étions en train de déguster un plat de savoureuses cuisses de grenouilles qui, si elles font la réputation de l établissement, n ont jamais dû, malheureusement, coasser sur le Cézallier, quand fait irruption dans la salle une bande de joyeux drilles, une douzaine de garçons et filles de 20 ans, pour ce qu on appelait dans nos campagnes il y a encore quelques années, «la tournée des conscrits». Nous sommes surpris, nous pensions que cette tradition-là s était perdue avec l exode rural. Mais là n était pas la plus grosse surprise, et c est surtout celle-là qui a fait sensation dans le restaurant rempli pour moitié de locaux et pour moitié de touristes bien informés, c est qu une jeune demoiselle, portant haut ses 20 printemps, ouvrait la marche en jouant de l accordéon, un Maugein, évidemment, il faut bien faire travailler le voisin corrézien dont la réputation a depuis longtemps dépassé les frontières. L assemblée s émerveillait de la virtuosité de la jeune artiste et l enthousiasme fut à son comble quand elle entreprit de jouer un «Brise-pieds» endiablé, dont ses compagnons s empressèrent de faire une démonstration au milieu des convives qui scandaient en tapant des mains, enchantés par ce spectacle improvisé. Puis tous ces jeunes gens se retrouvèrent au bar, à côté de notre table, pour se désaltérer. J en profitais pour interpeler la jeune accordéoniste. Et là, je regrettais amèrement de ne pas avoir sur moi mon dictaphone magique pour garder une trace de cet entretien aussi passionnant qu édifiant. La quasi-totalité des jeunes présents venaient de villages voisins, Mazoires ou Auzolle, communes désertées au cours des années, plus d école, plus de commerce Et pourtant l attachement de ces jeunes à leur territoire est touchant. Lise la musicienne a eu un parcours atypique : petite-fille d accordéoniste, elle avait décidé, depuis toute petite, que ce serait son instrument. Et son parcours a été semé d embûches : pourquoi une jeune fille comme elle 2

voulait-elle jouer de cet instrument «ringard» qu est l accordéon? Elle s est vu fermer les portes de prestigieuses écoles dont une particulièrement dont elle a cité le directeur «Moi vivant, aucun accordéon ne rentrera dans mon établissement!» Quel mépris pour cet instrument dit «populaire»! Mais elle s est entêtée, soutenu par le grand-père d Auzolle qui lui disait que son accordéon pouvait remplacer un orchestre complet, lui qui continue à animer, à lui tout seul, des petits bals sur tout le Cézallier. Elle a rencontré des gens de l AMTA, l Agence des Musiques des Territoires en Auvergne, qui l ont encouragée dans sa démarche. Elle est actuellement au conservatoire à Montpellier, elle donne des concerts d accordéon classique, et sitôt revenu le temps des vacances, elle rentre vite dans «son» Auvergne, sur «son» Cézallier, jouer avec «son» Maugein des airs traditionnels pour faire danser les gens. Le regard est brillant quand elle nous parle de son territoire. Elle nous dit avoir présenté, pour son cursus scolaire à Montpellier, un mémoire sur les musiques traditionnelles de son coin d Auvergne. Elle a promis de nous l envoyer par mail, vibrant témoignage de son attachement et de sa volonté à revenir pour animer ce pays qui lui est cher Nous avons discuté de l avenir du pays, elle nous a parlé de la fermeture du collège d Ardes, des fermetures de classes, voire même d école comme celle d Anzat le Luguet, qui était à l ordre du jour de la dernière carte scolaire. - Avec pour conséquences, pour les élèves restants, la perspective d une heure de trajet, matin et soir pour rallier l école la plus proche, sans parler des risques que représente, en hiver, la circulation sur les petites routes de montagne... - Elle nous a parlé aussi de la difficulté de rester au pays avec des exploitations agricoles qui ne suffisent plus pour nourrir plusieurs familles, comme c était le cas «avant», des gens qui s accrochent pourtant et qui veulent à tout prix trouver des solutions pour que vive ce territoire qui semble bien oublié des dieux et des hommes... 3

Introduction Cette rencontre fortuite venait à point nommé pour alimenter notre réflexion sur les conditions favorables pour qu un projet pédagogique d éducation au développement durable puisse aboutir à la construction d un rapport pérenne au patrimoine local proche. Si le Rapport de la Commission mondiale sur l environnement et le développement de l ONU, présidée par Madame Harlem Brundtland, paru en Avril 1987, fait aujourd hui référence quant à la définition qui en est donnée du développement durable : «Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.», le concept d «état d harmonie entre les êtres humains, et entre l homme et la nature» défini par la CMED en 1988, donne le ton d une visée anthropocentrée déclinée par Sébastien et Brodagh. (Sébastien et Brodagh, 2004) Dans notre première partie, en prenant comme base de départ de notre recherche le Développement territorial, nous avons fait le choix d une approche socio-centrée. Nous en avons étudié les enjeux en termes de croissance et de développement, mais aussi en termes d identité territoriale. Nous avons mesuré les enjeux culturels, par la lecture des textes fondateurs de l UNESCO et de l Agenda 21 de la culture, mais aussi celle d auteurs référencés ayant développé des argumentaires en faveur de la dimension sociale, comme Auclair, Jeudy, Béghain, Sébastien et Brodagh, Hawkes, Lucas, certains allant même jusqu à défendre la nécessité de concevoir un 4 ème pilier culturel pour donner une place de premier plan au lien social. Concevoir une action dans ce but, c est précisément un des objectifs de l AMTA qui propose dans son projet d aider les habitants à s ancrer dans le territoire, qu ils soient natifs ou primoarrivants. Avec les élus des territoires, ils ont monté un projet intitulé «Partageons le Cézallier» dont nous présentons les intentions. L idée de la création d un conte musical émane directement de ce projet. L objectif premier était de capter les enfants des écoles du territoire sur un projet multi-partenarial et fédérateur. Le conte, conçu comme une «rencontre entre nature intérieure et nature extérieure» (Bischoff, 2010) est un vecteur de transmission de choix. «Les contes ont ce pouvoir de 4

toucher en nous simultanément plusieurs registres, de réactiver notre inconscient, de stimuler la mémoire de nos oublis, de susciter un autre regard, une autre écoute, d être porteurs d énergie créatrice.» (Salomé, 2010) Le conte constitue aussi un lien particulier entre culture et éducation. Nous avons pu nous imprégner des travaux de Bruner, Dalongeville et Huber, Fabre ou encore Meirieu, sur la culture comme moyen d entrer dans l éducation, de l aborder sous l angle de la résolution de situations-problèmes ou encore sur la notion de transmission. Mérini et Bruxelle nous ont permis d envisager le partenariat comme une des conditions favorables à la consolidation de ce lien. Le milieu scolaire étant soumis à des contraintes normatives, nous avons été amenées à considérer quelle place était réservée à notre sujet d étude dans les Instructions officielles. Depuis 2004, l Éducation au développement durable figure dans les programmes officiels de l école, et malgré une généralisation très progressive, elle peine à prendre une place de choix dans les programmations des enseignants, qui visent davantage encore trop souvent des acquisitions de connaissances quand les didacticiens s accordent à privilégier les compétences. Les représentations sont encore trop parasitées par le flou des limites de l interdisciplinarité, de la transdisciplinarité, de la transversalité et de leur complexité. Nous avons étudié aussi les interrogations de Pellaud : «Éduquer au développement durable, les termes semblent à la mode, mais ont-ils encore du sens?» (Pellaud, 2011), et le développement des «quatre types de savoirs» (Giordan-Pellaud, 2001), savoir-être, savoirfaire, savoirs et méta-savoirs, autant de compétences que l on retrouve dans l EDD. Dans notre deuxième partie, notre méthodologie de recherche s est orientée sur le travail qui a été mené dans les écoles du Cézallier, avec le partenariat de l AMTA, du PNRVA, des Communautés de Communes d Ardes et du Cézallier (côté Cantal). Pour le recueil de données, nous avons fait le choix d entretiens semi-directifs, avec des critères tels que définis par Blanchet A., Ghiglione B. et al. (1987, pp84-85) (cité dans le cours de Carine Simar pour le DU FF EDD). Nous avons élaboré une grille d entretien (L.Festinger et D. Katz, 1959). Nous avons mené une dizaine d entretiens auprès des différents acteurs du territoire, enseignants, élèves, intervenants, permanent d Ardes Communauté, parents, élus 5

Après avoir retranscrit les entretiens, nous les avons passés au crible d une grille analytique que nous avons élaborée en tenant compte des conditions favorables dégagées dans notre cadre théorique. Pour information, nous avons mis en notes de bas de page toutes les correspondances entre notre cadre théorique et la grille-outil élaborée pour l analyse des données. L analyse quantitative des indicateurs retenus, puis la synthèse de ce travail nous permettrons d établir une conclusion quant à notre problématique et d envisager des points de vigilance que nous proposons de définir en vue de les communiquer aux acteurs du projet. Tableau de la classe de CE d Ardes sur Couze, dessin à main levée de Christian Laurent suite à la demande des enfants «Le Cézallier, qu est-ce que c est?» 6

PARTIE 1 De la culture et du patrimoine à l EDD 1-1 Culture, patrimoine et transmission 1-1.1 Le développement territorial 1-1.1.1 Croissance et développement Baudelle, Guy et Mérenne-Schoumaker (2011) s attachent à définir, dans un contexte européen, ce grand concept, largement mis en avant depuis les années 1990. Dans un premier temps, il est nécessaire de pointer la différence entre croissance et développement : La notion de croissance : En économie, la croissance est «l augmentation soutenue, durant une certaine durée, d un indicateur de dimension, généralement le PIB, Produit Intérieur brut, lui-même défini comme la somme des valeurs ajoutées produites par toutes les entreprises. La croissance est matérielle et quantitative. Elle traduit un fait simple : les besoins sont satisfaits par les biens». (cité par Arnaud Diemer, classe virtuelle du 6/10/2011 DU FF EDD-IUFM d Auvergne). La notion de développement : Le développement implique une transformation sociale et culturelle : l indicateur synthétique utilisé à l échelle internationale est l IDH, indice de développement humain introduit par le PNUD, Programme des Nations Unies pour le Développement dans son «Rapport mondial pour le développement humain», 1990. Celui-ci a été construit à partir de 3 indicateurs simples : l espérance de vie à la naissance (état de santé et nutritionnel), le taux d alphabétisation des adultes (niveau d éducation) et le PIB par habitant ajusté en fonction du pouvoir d achat (indicateur du niveau de vie). Théories et modèles de développement : Bajoit (2005) compare, dans sa grille des modèles du développement, les cinq grandes approches du développement qui se sont succédées depuis 1960, à savoir modernisation, révolution, compétition, démocratie et identité culturelle ainsi que leurs critères : cause, définition, que faire, qui, coopérer. Dans notre étude de cas, nous nous intéresserons plus spécifiquement au modèle de l identité culturelle. Bajoit le définit comme «un nouveau paradigme qui se fonde sur l idée qu une politique de développement ne peut être unilatéralement appliquée à tous les pays, «par le 7

haut» ; elle implique une relative autonomie locale et la mobilisation des différents acteurs du changement (société civile, investisseurs, État ). Ce qui la rapproche beaucoup des principes fondateurs du développement local et territorial dans les pays développés». 1 1-1-1.2 Territoire et identité territoriale Le mot territoire induit différentes acceptions : «Aire d extension d un phénomène, espace d enjeux sociaux, portion de la surface terrestre délimitée par une collectivité humaine et aménagée en fonction des besoins de celle-ci, lieu de vie d un groupe social» et à différentes échelles (locale, mondiale ). L origine du mot est double, à la fois juridique et éthologique.. Il provient du latin territorium, dérivé de terra : morceau de terre approprié, en français : terroir-territoire. Celuici a pris un sens juridique dès l époque moderne avec les idées de domination liée au pouvoir du prince, d aire dominée par un contrôle des limites matérialisées par des frontières. Après les travaux des éthologues en 1920, qui étudient les animaux dans leur milieu naturel, territoire devient un espace dominé par une société animale. Puis le terme a été transféré à l anthropologie, la psychologie puis la sociologie et enfin à l étude des groupes sociologiques «normés» et aux travaux géographiques où «l on présuppose comme en éthologie qu il n existe pas de comportements sociaux sans territoire». (Baudelle, Guy et Mérenne-Schoumaker, 2011) Définition opératoire en géographie sociale : un territoire est un espace approprié par un groupe social avec un sentiment d appartenance ou conscience de son appropriation : souvent un espace aménagé par ce groupe ainsi qu un espace d identité. (Brunet, Ferras et Théry, 2009) Trois points de vue différents d analyse du territoire sont proposés par les géographes : o existentiel : une entité-identité traduite par son nom. Cette facette est «forgée par le groupe qui donne du territoire à l extérieur une vision globale, par ses revendications territoriales, par l affirmation d un sentiment d appartenance et par l unité de fonctionnement qu il lui confère». o physique ou configurations territoriales. «Un ensemble de lieux qui possèdent des propriété naturelles et matérielles». Le Cézallier répond à cette 1 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateur D1-i1 8

définition. Ce sont les géographes qui ont nommé ce territoire selon ses caractéristiques physiques. Cependant ; l entité Cézallier n a pas de résonnance au sein de la population. o organisationnel par l identification d acteurs et leurs rôles spécifiques, les échanges d informations et processus décisionnels qui permettent la compréhension du fonctionnement de celui-ci. Cependant la notion d évolution des territoires permet d aborder les dynamiques territoriales. (Le Berre, 1995, cité par Baudelle, Guy et Mérenne-Schoumaker, 2011, p.17) Concernant la notion d espace d identité évoquée par Brunet, Ferras et Théry, 2009, cidessus, nous nous attacherons à observer dans notre étude de cas de voir si des caractéristiques de l espace local ont été spontanément intégrées par les enfants dans leur histoire. 2 Ce qui pourrait confirmer le point de vue existentiel de l analyse du territoire faite par les géographes. 1-1-1.3 Finalités et enjeux du développement territorial Des territoires attractifs et compétitifs : «L élément crucial pour toute politique de développement réside dans la construction d une vision partagée du futur, bien ancrée dans les spécificités et les vocations de l économie locale : un plan d action collective et de coopération entre public et privé, une démarche stratégique qui puisse maximiser les synergies locales et valoriser le rôle de chaque acteur». (Baudelle, Guy et Mérenne-Schoumaker, 2011) La valorisation des ressources territoriales : Le terme de ressources a évolué au cours du temps. Nous parlions tout d abord de ressources naturelles potentialités du milieu physique (sous-sol, sol, eau, flore, faune). En 1980, les ressources humaines ont caractérisé «la force de travail ou personnel d une entreprise». Utilisée depuis moins de dix ans, l expression ressources territoriales signifie «les potentialités d un milieu que les acteurs peuvent activer pour en faire des richesse». (Gumuchian et al., 2004) Les ressources territoriales comprennent les ressources matérielles mais aussi immatérielles. Ainsi, selon Benko et Lipietz, (1992) «Dans les régions qui gagnent, ces facteurs intangibles comme le savoir chercher, la capacité d innover, la sécurité et la «rassurance» la maîtrise 2 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateur D2-i2 9

des technologies, l ouverture à la nouveauté le cadre de vie, la capacité d accueil sont plus importants que les facteurs tangibles tels les ressources naturelles, les voies de communication, les terrains et les bâtiments disponibles, les aides financières et fiscales [ ]». «Les ressources territoriales sont le résultat d acquisitions progressives basées sur des coopérations, des complémentarités et des spécialisations». Le rôle majeur des acteurs du territoire : Les ressources résultant de savoirs et savoirs faire, le rôle des acteurs du territoire et les relations entre eux sont primordiaux pour le développement et conditionnent une vision partagée nécessaire à ce dernier. Les relations que les acteurs entretiennent entre eux ou les relations entre dirigeants et dirigés sont dénommées gouvernance. En termes de développement territorial, selon la DIACT (2008), trois thèmes sont plus spécifiquement concernés par cette problématique : - rapports entre pouvoirs locaux et société civile - conditions de partenariat entre privé et public - participation des citoyens à l action publique par l intermédiaire de la consultation ou concertation. Combinaison des finalités économiques, sociales et environnementales : Le développement territorial, relevant du développement durable, s articule autour des 3 dimensions : - économique en valorisant les spécificités du territoire mais en envisageant une meilleure répartition - environnementale en valorisant l environnement spécifique tout en le préservant et renouvelant les ressources naturelles et patrimoniales - sociale, en visant une meilleure prise en compte des besoins des populations et le développement d une cohésion sociale 10

Intervention sur les structures spatiales Développer un territoire, c est «chercher à modifier les structures spatiales pour en améliorer son fonctionnement». Six facteurs nouveaux pour un développement territorial (Mérenne-Schoumaker, 2007, cité par Baudelle, Guy et Mérenne-Schoumaker, 2011) : - L innovation - La formation : pas de développement territorial sans une population bien formée, à l école, dans les familles, association, tout au long de la vie. - L insertion dans les réseaux - L identité territoriale : un ensemble de valeurs partagées et ressources ainsi qu une fierté d être ensemble pour le faire ensemble. Elle se construit souvent sur des ressources territoriales banales «mais qui par leur combinaison et la volonté des partenaires deviennent spécifiques dans un cadre spatial bien déterminé» 3. Se pose cependant la question du territoire pertinent : une masse d acteurs critique ou une superficie suffisante. Notamment comment initier un changement quand les acteurs sont peu nombreux? Le développement implique un projet cohérent porté tout au long de l année, articulant différentes ressources et de multiples acteurs. Une autre vision de l identité territoriale (Baudelle, Guy et Mérenne-Schoumaker, 2011), «[ ] avec la puissance de la mondialisation, on observe un mouvement idéologique de recherche de ce qui fait communauté», le lien social territorial, autrefois imposé, prend une acception plus revendicative et dans certains cas va soutenir l orientation du développement territorial» (exemple de la Bretagne) - La gestion stratégique - La gouvernance Ces facteurs sont combinés dans deux macro-facteurs : les compétences et l intelligence territoriale. En conclusion, une proposition de définition pour développement territorial : «un processus volontariste cherchant à accroître la compétitivité des territoires en impliquant les acteurs dans le cadre d actions concertées, généralement transversales et souvent à forte dimension spatiale». 3 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateur D1-i1 11

1-1-1.4 Revenir vers les territoires Pour compléter cette approche territoriale, nous nous sommes intéressées aux propositions d Auclair (2011). Partant du postulat que la crise actuelle, aussi bien écologique qu économique, met en péril le concept même de développement durable, Auclair appuie son analyse sur une des typologies données par un certain nombre d économistes et de sociologues aux diverses approches, qui est caractérisée par une «rupture dite révolutionnaire», à laquelle adhèrent notamment les partisans de la décroissance. Sa réflexion s est portée sur trois volets : - Comment des questionnements sur l avenir de la société actuelle peuvent conduire à des réflexions d ordre culturel - Quelle évolution pour la culture, notamment en relation avec le développement des territoires - Quelle spécificité des projets culturels en vogue actuellement Sa première interrogation concerne l avenir de la société, de nos sociétés, dans le contexte de crise actuelle. Elle rappelle qu à l origine, la culture était exclue des textes fixant le cadre du développement durable, concentré sur des enjeux économiques prédominants et une focalisation sur les problèmes environnementaux qui conduisaient à un désintérêt pour le pilier social, qui s en trouvait de fait fragilisé. Mais la crise a eu comme effet positif de recentrer l intérêt des économistes, des philosophes et des sociologues sur la question sociale. «Nous ne devons plus continuer sur la route du développement. Il nous faut changer de voie, il nous faut un nouveau commencement.» (Morin, 2007, cité par Auclair, 2011) Cette remise en cause, vingt ans après la parution du rapport Brundtland, exacerbe le malaise existant entre les bonnes intentions, et la retenue évidente de nombreux pays à s approprier et à mettre en place les préceptes énoncés. Dans le sillage de l économiste Nicholas Geogescu- Roegen, qui dénonçait la notion de croissance dès 1971, les théoriciens de la décroissance, comme l économiste Serge Latouche ou le philosophe Dominique Bourg ont mis en garde contre des choix de gouvernance encore beaucoup trop axés sur une logique de «développement», terme ambigu cachant de nombreuses acceptions, souvent contradictoires. «Il nous faut renoncer à cette course folle vers une consommation toujours accrue [ ] Il s agit d une véritable décolonisation de notre imaginaire [ ].» (Latouche, 2004, cité par Auclair, 2011) Le rapport Stiglitz (2009) préconise l adoption d indicateurs prenant en compte le progrès social et le bien-être des individus, allant au-delà d indicateurs purement quantitatifs tels que 12

le PIB. Auclair cite plusieurs exemples d initiatives locales ayant pour objectif la mise en place de ces principes et valeurs. Elle décrit notamment les concepts, mis en place à certains endroits, baptisés Cittaslow et Slowfood, visant à redonner une certaine qualité de vie aux habitants en mettant en place une démarche de «mise en valeur de toutes les richesses du territoire, qu elles soient alimentaires, culturelles ou patrimoniales» et en cherchant à établir des relations plus conviviales entre tous les acteurs du territoire. «Le principe partagé par toutes ces expériences conduit à développer des projets en valorisant le niveau local et les notions de proximité, tout en évitant les pièges de l autarcie, de l enfermement et des tentations passéistes.» (Auclair, 2011) Theys a aussi développé l idée de la prise en compte de la dimension sociale de l approche territoriale, en faisant du territoire la «brique de base» du développement durable. (Theys, 2002) 4 Si le terme de diversité culturelle est associé à la diversité des productions, on assiste à un autre type de débat bien franco-français, sur les différences opposant culturel et socio-culturel. À ce débat vient s ajouter la difficulté d articuler les politiques culturelles publiques et les «industries culturelles». «Lorsque l on évoque «la culture» en France, on pense fréquemment aux politiques culturelles menées par le Ministère de la culture et par les collectivités locales. Or celles-ci se sont davantage centrées jusqu à présent sur le développement des pratiques artistiques et la protection des patrimoines, que sur la promotion de la culture au sens large.» (Auclair, 2011). Si d aucuns estiment que la culture en France est en crise, d autres au contraire défendent sa bonne santé, en s appuyant sur le foisonnement de projets mis en place sur l ensemble du territoire, avec des déclinaisons locales riches et variées. On constate l émergence de nouvelles pratiques qui veulent se démarquer de politiques centrées sur une logique unilatérale et descendante d offre artistique et culturelle. Au niveau des collectivités territoriales, dont beaucoup se sont engagées, suite à la loi de décentralisation, dans une promotion des actions culturelles, on assiste encore à une prédominance du volet économique, la culture étant conçue comme un vecteur de croissance 4 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateur D3-i3 13

économique (emplois culturels, industries créatives, tourisme culturel ). Le développement culturel est vu comme un moyen de favoriser l attractivité du territoire. On est passé d une vision d offre descendante à une démarche plus globale mais aussi plus territorialisée, avec des acteurs clairement identifiés, mais l action est encore timide et peu généralisée. 5 Des artistes et porteurs de projets culturels utilisent le territoire comme support de projets et donnent ainsi aux habitants la possibilité de participer, de s exprimer. Mais deux écueils se présentent : - Monter des spectacles ou des expositions, par opportunisme financier - «Donner à la population l occasion de s exprimer, ou recueillir la parole des habitants afin de travailler sur «ce matériau» pour créer un spectacle, est-ce suffisant pour parler de participation des habitants?» (Auclair, 2010) Ces deux cas de figure viennent s ajouter à nos conditions favorables ou défavorables. L interrogation d Auclair interpelle et pourrait même être considérée comme une QSV. 6 1-1.2 Enjeux culturels et rétrospective 1-1-2.1 Textes de référence Trois documents ont permis de poser le cadre légitime de notre réflexion : La déclaration de Johannesburg de 2002, basée sur Diversité culturelle, DD et EDD UNESCO : «La richesse de notre diversité ( ) est notre force collective.» L humanité vit partout dans le monde, à l exception de l Antarctique, depuis des siècles. En travaillant et vivant ensemble, un groupe humain crée une culture qui lui est propre. Les cultures du monde forment une mosaïque riche et variée. Cette diversité culturelle multiplie les choix, nourrit un éventail de compétences, de valeurs humaines et de visions du monde et tire du passé la sagesse nécessaire pour éclairer l avenir. La diversité culturelle est le ressort central du développement durable des individus, des communautés et des pays. Une approche mondiale efficace du développement durable et de l EDD passe donc par le respect, la protection et le maintien de la diversité culturelle du monde, aujourd hui et demain. 5 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateur D1-i1 6 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateurs D3-i3 et D4-i4 14

DD et EDD ne signifie pas forcément le respect, la protection et le maintien de la diversité culturelle du monde parce que d un point de vue éducatif se pose la question de la transmission et de l appropriation. L Agenda 21 de la culture, approuvé le 8 mai 2004 à Barcelone Le pari est d obtenir des engagements de villes et de gouvernements locaux dans les domaines des droits de l'homme, de la diversité culturelle, du développement durable, de la démocratie participative et de la création de conditions pour la paix. C est le premier document à vocation mondiale dans lequel il est question de développement culturel. La convention UNESCO mentionne le lien entre culture et développement mais ne les associe pas vraiment. «Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) a adopté l Agenda 21 de la culture comme document de référence de ses programmes en culture et joue le rôle de coordinateur du processus postérieur à son approbation. La Commission de la culture de CGLU est le point de rencontre de villes, gouvernements locaux et réseaux qui situent la culture au cœur de leurs processus de développement.» (CGLU, 2004). En 2010, CGLU adopte une résolution faisant de la culture le 4 ème pilier du DD. la convention UNESCO de 2005, dont plusieurs objectifs concernent directement notre étude de cas, à savoir - protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ; - créer les conditions permettant aux cultures de s épanouir et interagir librement de manière à s enrichir mutuellement ; - promouvoir le respect de la diversité des expressions culturelles et la prise de conscience de sa valeur aux niveaux local, national et international ; - réaffirmer l importance du lien entre culture et développement pour tous les pays, en particulier les pays en développement, et d encourager les actions menées aux plans national et international pour que soit reconnue la véritable valeur de ce lien ; - reconnaître la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d identité, de valeurs et de sens ; - réaffirmer le droit souverain des États de conserver, d adopter et de mettre en œuvre les politiques et mesures qu ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. 15

1-1-2.2 Patrimoine et lien social, une approche historique Pour une approche historique, les propositions de Béghain (1998) nous ont paru intéressantes Il s attache à donner un cadre à la notion de patrimoine, en précisant des temps forts : -Fin XIXème : Nicolas François de Neufchâteau, à l époque Ministre de l intérieur du Directoire, est à l origine de l acte de fondation de la notion moderne du patrimoine «Trésor que l on reçoit et que l on transmet». Victor Hugo a écrit : «Il y a deux choses dans un édifice, son usage et sa beauté ; son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde...» Béghain précise les étapes de la structuration, de la notion de l Abbé Grégoire à François Guizot (couvrant le XIXème). Fin XVIII, la problématique est essentiellement politique : que faire des biens de la Couronne, de l Église, des émigrés, confisqués à la Révolution. En 1794, des élus comme l Abbé Grégoire proposent l appropriation par l État de tous les biens de la royauté et du clergé. Cela donna lieu à certaines dérives (le mot «Vandalisme» a d ailleurs été créé pour la circonstance). Le régime de la Restauration s est montré particulièrement indifférent à la défense du patrimoine (attitude stigmatisée par Hugo et Montalembert). Début XIXème, Guizot, Ministre de l Instruction Publique de 1832 à 1837, déclare, en 1810, «La société, pour croire en elle-même, a besoin de n être pas né d hier.» Fin XIXème et début XIXème, les lois de 1887 et 1913 donnent un statut aux monuments et aux objets. Désormais édifices et biens religieux deviennent propriété publique. Maurice Barrès se fait «le Croisé des églises en France». Fin 1913, le patrimoine cesse d être un sujet de conflit politique, même si en 1919 reparaît un article polémique de Proust (paru dans le Figaro en 1904) sur «La mort des Cathédrales». Entre temps, l ennemi avait changé Dans un paragraphe qu il intitule de façon provocatrice «Les prédateurs modernes du patrimoine», Béghain donne sa vision du développement du concept tout au long du XXème siècle, en rappelant les quelques dérapages des années 60-80, mais en expliquant que le débat s est déplacé : d idéologique, il se pose désormais plus en termes économiques et sociaux. On doit au Ministère Léotard la loi de programmation en faveur des monuments historiques, renforcée par le Ministère Lang en 1989. 16

«Le patrimoine n est plus seulement conçu comme une valeur idéologique, mais comme un enjeu de développement économique et d aménagement du territoire.» (Béghain, 1998) Par la suite, le champ d application s est étendu aux objets les plus divers, le concept est devenu «Nomade» (Choay, 1999). Au-delà de la protection des bâtiments, la notion de patrimoine a pris une dimension plus ethnologique et s est étendu à toutes sortes de réalités matérielles ou immatérielles : - Savoir-faire - Traditions populaires - Pratiques sociales - Arts culinaires - Création : cinéma, musique, littérature, danse - Environnement : notion de patrimoine naturel «Le patrimoine est une valeur sûre pour affronter un présent déconcertant et un avenir incertain.» (Béghain, 1998) Un des principaux objectifs de la valorisation du patrimoine est de nous prémunir contre la perte de mémoire et la dilution de notre identité, tout en résistant à l uniformisation des comportements et la mondialisation des échanges. Il faut cependant veiller au risque que, derrière la protection du patrimoine, se cachent quelques idéologies partisanes et rétrogrades. Il faut également surmonter la tentation d instrumentalisation, idée que l on retrouve comme condition défavorable 7 dans notre grille analytique, et refuser qu elle devienne un lieu de repli identitaire extrême et l outil de nouvelles exclusions. L enjeu est de faire de la défense du patrimoine une cause d intérêt général commune. Proust (1904) : «La demeure est assez grande pour que nous puissions tous y trouver place.». Pour conclure cette partie historique, Béghain lance une amorce de débat polémique, rappelant que la question du patrimoine est une QSV : «On serait donc tenté de conclure que le patrimoine, comme le Loto, le Tour de France ou l Abbé Pierre malgré quelques errements récents- est devenu, pour les tribus 7 Cf. grille d analyse p.76 - Indicateur DF2-i2 17

gauloises, toujours prêtes à s entre-déchirer, un terrain d entente, et un sujet de fierté, une cause nationale, un instrument de lien social.» (Béghain, 1998) 1-1-2.3 Dimension sociale du développement durable Pour Sébastien et Brodagh (2004), la définition du concept d «état d harmonie entre les êtres humains, et entre l homme et la nature» (CMED, 1988), émanant du rapport Brundtland, permettrait d envisager une forme de cohésion sociale c est d ailleurs le nom qui a été attribué depuis au Ministère du Temps libre, de la Jeunesse et des Sports, ce qui mérite réflexion - mais le concept s égare dans les méandres des propositions de mise en place du développement durable, des considérations environnementales au souci de croissance économique. «La sphère sociale du développement durable se retrouve alors «prise en tenaille» entre l approche écocentrée (se donnant pour objectif la protection de tous les êtres vivants) et l approche anthropocentrée (visant exclusivement le bien-être de l homme.» (Sébastien- Brodagh, 2004) On peut se demander comment retrouver cette harmonie sociale et environnementale au niveau d un territoire. Sébastien et Brodagh proposent la théorie d un «Acteur en 4 dimensions». Cette théorie prend en compte en premier lieu ce qu ils appellent les «acteurs faibles», ceux qui n ont pas une position de force dans les négociations et les prises de décision. Pour ceux-là, Sébastien et Brodagh précisent que «Seule la démarche participative se traduit par une implication des acteurs dans la durée tout au long de l élaboration d un projet commun, dont ils ont eux-mêmes la responsabilité», énoncé qui rejoint nos conditions favorables à la réussite du projet. 8 En second lieu, ils avancent un concept d «acteurs absents» du territoire, en établissant un parallèle avec le concept de biodiversité, qui énonce trois composantes indissociables : - Une composante écologique partant du principe que chaque écosystème actuel est un héritage produit de l évolution - Une composante éthique et philosophique énonçant que chaque génération a le devoir de transmettre cet héritage à la suivante - Une composante économique tentant de qualifier en termes financiers les usages actuels et potentiels de cet héritage (Lévêque, 1994). 8 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateurs D3-i3 et D5-i5 18

Ainsi, tout projet d aménagement du territoire, même s il est négocié, ne doit pas se faire au détriment de cet héritage. L approche de l acteur en 4 dimensions serait donc une approche «socio-centrée», que Sébastien et Brodagh résument par le schéma suivant : L acteur social, qui peut être individuel ou collectif, se définit par le rapport social qu il a à son territoire. Ce rapport se présente comme une «coopération conflictuelle d acteurs qui coopèrent à une production mais qui entrent inévitablement en conflit en raison de leurs positions inégales dans la coopération ou, ce qui revient au même, de leur emprise inégale sur les enjeux de leur coopération» (Quivy & Van Campenhoudt, 1995). L évaluation d un acteur à coopérer ou à entrer en conflit peut se faire à l aide d indicateurs. On pourrait mesurer ce rapport social sur un graphe, avec un indice de coopération et de conflit calculé pour chaque acteur, ce qui permettrait, à terme, d établir des comparaisons entre les acteurs. Le rôle des acteurs, et notamment celui des acteurs faibles, est aussi une des conditions favorables, ou défavorables c est selon, que nous avons mis en évidence dans notre étude de cas. 9 Sébastien et Brodagh rappellent que l homme moderne, défini par le biais de l acteur social, n est considéré seulement que social et que moderne. 9 Cf. grille d analyse p.72 - Indicateurs D1-i1 et p.75 DF2-i2 19

C est occulter deux composantes qui lui sont intimement associées : la nature (le vivant, le milieu naturel), et la «tradition» (générations futures et passées) (Micoud, 2000). C est la prise en compte de ces deux valeurs qui aboutit à ce qu ils appellent «le rapport patrimonial», au travers duquel le concept d acteur en 4D prend tout son sens, dans ses relations aux autres (rapport social), mais aussi aux éléments du territoire (rapport patrimonial) qu ils soient naturels ou culturels. Leur démonstration se conclut par la proposition d une «empreinte territoriale» que nous résumerons en leur empruntant le schéma ci-dessous, obtenu par croisement des analyses des entretiens, des comptes rendus de réunion et autres supports d information qu ils ont mené sur le terrain et qui leur ont permis de quantifier de façon sommative chacun des indicateurs: Même si leurs hypothèses de départ s appuyaient sur des éléments environnementaux, on se rend compte que la démonstration de Sébastien et Brodagh peut s appliquer à tout élément du patrimoine, qu il soit naturel ou culturel. L originalité de leur démarche réside dans la combinaison rapport social - rapport patrimonial de l acteur dans un objectif d «harmonie entre les êtres vivants et entre l homme et la nature». (CMED, 1988). 20