PREMIERE CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n S 2016-2335 Audience publique du 23 juin 2016 Prononcé du 28 juillet 2016 DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DES YVELINES SERVICE DES IMPOTS DES ENTREPRISESS (SIE) DE POISSY-NORD Exercices 20066 à 2010 Rapport n R-2016-0124 République Française, Au nom du peuple français, La Cour, Vu le réquisitoire en date du 28 juillet 2015, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la première chambre dee la Cour des comptes de présomptions de charges, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire dee M me X ou à défaut de son successeur M. Y, comptables du service des impôts des entreprises de Poissy-Nord, ensemble la preuvee de sa notification auxx parties, respectivement les 9 et 21 octobre 2015 ; Vu les comptes de la direction départementale des finances publiques (DDFiP) des Yvelines rendus pour les exercices 2006 à 2010, y annexés les états dee restes à recouvrer établis, en leur qualité de comptables, par M me X pour la période duu 1 er septembre 2007 au 17 décembre 2009, et M. Y, à compter du 188 décembree 2009 ; Vu les justifications produites au soutien des susdits états annexes, a ensemble les pièces recueillies au cours de l instruction ; Vu les observations écrites présentées par M me X et M. Y, respectivement les 23 et 30 novembre 2015 en réponse au réquisitoire susvisé ; Vu le code de commerce ; Vu le code général des impôts, ensemble ses annexes et le livre des procédures fiscales, notamment son article L. 267 ; Vu le code des juridictions financières ; Vu l article 60 de la loi de finances n 63-156 du 23 février 19633 ; Vu le décret n 62-1587 du 29 décembree 1962 portant règlement générall sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faitss ; Vu le décret n 77-1017 du 1 ere septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ; Vu le rapport à fin d arrêt n 2016-0124 de M. Jean-Christophee CHOUVET, conseiller maître, chargé de l instruction ; Vu les conclusionss du Procureur général ; 13 rue Cambon - 751000 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 959 00 - www.ccomptes.frr
2 / 6 Entendu lors de l audience publique du 23 juin 2016, M. CHOUVET, en son rapport, et M. Bertrand DIRINGER, avocat général, en les conclusions du ministère public, en présence de M. Y, et de M. Z, représentant le directeur départemental des finances publiques des Yvelines, M me X, informée de l audience, n étant ni présente, ni représentée ; M. Y ayant eu la parole en dernier ; Entendu en délibéré M. Vincent FELLER, conseiller maître, en ses observations ; Sur la présomption de charge n 1 soulevée à l encontre de M me X ou à défaut, de son successeur M. Y au titre des exercices 2009 ou 2010 (affaire Sarl Tonylec) Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général a saisi la première chambre de la Cour des comptes de l engagement de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M me X, à concurrence de 281 484 au titre de l exercice 2009, ou à défaut, de son successeur, M. Y, pour le même montant au titre de l exercice 2010, au motif de l insuffisance de diligences, notamment du défaut d assignation du dirigeant de la Sarl Tonylec, en vue du recouvrement des créances sur cette société ; Sur l existence d un manquement du comptable à ses obligations Sur la règle de droit Attendu que l article L. 267 du Livre des procédures fiscales (LPF) prévoit : «Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.» ; Attendu qu aux termes de l'article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu ils sont tenus d assurer en cette matière dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu une recette n a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recettes s apprécie au regard de ses diligences, celles-ci devant être adéquates, complètes et rapides ; Sur les faits Attendu que la société Tonylec était redevable d un montant de 299 484 de taxe sur la valeur ajoutée et d impôt sur les sociétés résultant d un contrôle fiscal externe ; que ces rappels de droits, assortis de pénalités, soit pour défaillances déclaratives, soit pour manquement délibéré ou manœuvres frauduleuses, ont été mis en recouvrement le 24 janvier 2008 ; Attendu que la société a fait l objet d une procédure de liquidation judiciaire prononcée par jugement du 4 septembre 2007, publié le 7 octobre 2007, et que les créances ont été régulièrement déclarées et admises au passif de la procédure collective ;
3 / 6 Attendu qu un certificat d irrécouvrabilité de la créance a été établi le 1 er septembre 2008 par le liquidateur et que la clôture pour insuffisance d actif a été prononcée le 21 juillet 2009 ; Attendu que le dirigeant de la société a fait l objet d un jugement d interdiction de gérer en date du 27 novembre 2008 publié au Bulletin d Annonces Civiles et Commerciales du 8 décembre 2008 ; Attendu que M. Y, comptable du SIE de Poissy-Nord, a proposé d assigner le dirigeant de la société sur le fondement de l article L. 267 du LPF précité, le 16 juin 2010 ; Attendu que cette proposition a été écartée le 21 octobre 2010 par le pôle de recouvrement de Versailles en raison, notamment, de son caractère tardif ; que la créance a été admise en non-valeur le 30 décembre 2010 ; Sur les moyens invoqués à décharge Attendu que pour expliquer la tardiveté de la proposition de mise en cause du gérant, les comptables invoquent les conditions de mise en œuvre de l article L. 267 du LPF qui n auraient pas été pas satisfaites dès le départ ; Attendu que les comptables se réfèrent aux consignes internes de l administration centrale, notamment à une note du bureau P2 du 26 juillet 2007 qui prescrit de ne pas retenir les propositions de mise en cause des dirigeants lorsque les contrôles ont été engagés peu de temps avant ou après l ouverture de procédure collective, et que de ce fait le dirigeant n a pas été l interlocuteur de l administration fiscale ; Attendu que, selon M. Y, la DDFiP des Yvelines aurait donné un avis défavorable à sa demande pour ce motif principal, et subsidiairement pour la tardiveté de la demande ; Attendu qu il estime que le délai de six mois écoulé entre sa prise de poste, le 18 décembre 2009, et sa demande de mise en cause du dirigeant, le 16 juin 2010, n est pas excessif ; Attendu qu au cours des débats, le représentant du directeur départemental des finances publiques des Yvelines a évoqué un arrêt de la Cour d appel de Versailles ; qu il en résulterait que l ouverture de la procédure collective et la désignation d un mandataire judiciaire, avant que la procédure de contrôle fiscal soit achevée, ne permettrait pas de garantir le caractère contradictoire de la procédure à l égard des personnes visées par l article L. 267, lorsqu elles seraient mises en cause au titre de ces dispositions, et rendraient donc irrégulières toutes poursuites commencées postérieurement à l ouverture de ladite procédure collective ; Sur l application au cas d espèce En la forme Attendu que les instructions administratives n exonèrent pas les comptables de la responsabilité qui leur incombe de mettre en œuvre toutes diligences en vue d obtenir le recouvrement des créances ; qu au surplus, les instructions invoquées par les comptables précisent qu un délai raisonnable doit être respecté pour l exercice des poursuites ; Attendu ainsi que les arguments des comptables concernant les conditions de mise en œuvre de l'article L. 267 du LPF et les instructions de l administration centrale ne sont pas recevables ; Attendu en outre que l admission d une créance en non-valeur ne lie pas le juge des comptes dans son appréciation des diligences exercées par le comptable public pour recouvrer les recettes ; Attendu que ni le texte de l arrêt de la Cour d appel de Versailles invoqué au cours de l audience, ni sa référence n ont été communiqués à la Cour ; qu il s ensuit qu à supposer qu une règle générale de droit positif puisse être tirée de ce jugement, la Cour des comptes ne peut utilement se prononcer sur son applicabilité au cas d espèce ;
4 / 6 Au fond Attendu, en premier lieu, que lorsque l exercice d une diligence est subordonné à l autorisation de l autorité hiérarchique, le comptable public dégage sa responsabilité à cet égard en demandant cette autorisation, indépendamment des chances de succès de celle-ci ou du sens de la décision de l autorité supérieure ; Attendu qu en l espèce, le dirigeant de l entreprise a bien été l interlocuteur de l administration ; qu il a donné mandat à son comptable pour le représenter et qu il a eu la possibilité d être l interlocuteur du service vérificateur ; que si, à compter de la publication du jugement de liquidation judiciaire, la proposition de rectification devait être adressée au mandataire judiciaire, interlocuteur légal du vérificateur, dès lors que le dirigeant était destinataire en copie des courriers, il lui était loisible de contester tant la proposition de rectification que le titre mis en recouvrement lui-même ; qu il n est pas soutenu que tel n aurait pas été le cas ; Attendu qu il ressort de l examen du dossier que les conditions de mise en œuvre des dispositions de l article L. 267 du LPF étaient remplies, s agissant de créances nées antérieurement au jugement d ouverture de liquidation qui ont fait l objet d une déclaration dans les délais requis ; que les pénalités appliquées aux rappels litigieux révèlent l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales ; Attendu qu il ressort de l instruction que le foyer fiscal du dirigeant de la société disposait de revenus réguliers et de biens immobiliers ; Attendu qu un délai raisonnable devait être respecté pour l engagement de l'action contre le dirigeant de la société en application de l'article L. 267 du LPF ; Attendu ainsi que c est à M me X, comptable en fonctions du 1 er septembre 2007 au 17 décembre 2009, qu incombait la responsabilité de proposer la mise en œuvre de cette action au plus près de la date de la liquidation judiciaire, alors qu elle disposait de tous les éléments, et notamment du jugement d interdiction de gérer en date du 27 novembre 2008 ; Attendu ainsi qu il y a lieu d engager la responsabilité de M me X au titre de l exercice 2009 à ces motifs ; qu il n y a pas lieu d engager la responsabilité de M. Y ; Sur l existence d un préjudice financier Attendu que le non recouvrement d une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu il n y a absence de préjudice que s il est établi que l Etat n aurait pas pu être désintéressé, quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations ; Attendu que cette preuve n est pas apportée en l espèce ; qu en particulier il ressort du dossier que l existence d un patrimoine détenu en propre par le dirigeant de la société aurait pu permettre, le cas échéant de désintéresser au moins partiellement le Trésor ; que le fait que la procédure collective portant sur la société ait été close pour insuffisance d actif est indifférent à cet égard, même à supposer qu aucun créancier n ait été désintéressé à cette occasion, s agissant d un manquement concernant une absence de proposition de poursuite du dirigeant et non de la société elle-même ; Attendu qu aux termes du troisième alinéa du VI de l article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée : «lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante» ;
5 / 6 Attendu qu il y a lieu, ainsi, de constituer M me X débitrice envers l Etat de la somme de 281 484 au titre de l exercice 2009, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, soit le 9 octobre 2015, date de sa réception du réquisitoire susvisé ; Par ces motifs, Présomption de charge n 1 Exercice 2009, M me X DÉCIDE : Article 1 er. M me X est constituée débitrice envers l Etat de la somme de 281 484, augmentée des intérêts de droit à compter du 9 octobre 2015. Article 2. M me X ne pourra être déchargée de sa gestion 2009 qu après apurement du débet fixé ci-dessus. Exercice 2010, M. Y : Article 3. Il n y a pas lieu d engager la responsabilité de M. Y au titre de la présomption de charge n 1. Fait et jugé en la Cour des comptes, première chambre, première section, par M. Philippe GEOFFROY, président de section, présidant la séance, MM. Daniel-Georges COURTOIS, Olivier MOUSSON, Vincent FELLER, M me Dominique DUJOLS et M. Alain LEVIONNOIS, conseillers maîtres. En présence de M me Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance. Marie-Hélène PARIS-VARIN Philippe GEOFFROY
6 / 6 En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu ils en seront légalement requis. Conformément aux dispositions de l article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l objet d un pourvoi en cassation présenté, sous peine d irrecevabilité, par le ministère d un avocat au Conseil d État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l acte. La révision d un arrêt ou d une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l article R. 142-15 du même code.