Zied Ayadi Flén 2
2
Ma voisine est une belle femme Ma voisine est une belle femme, je ne sais pas si vous êtes d accord avec moi ou non, mais en tout cas je la trouve séduisante. Une chose est sûre, c est qu elle a un trésor à la portée de tout le monde et que chaque homme voudrait avoir en excès : une poitrine et un vagin. Je préfère vous dire, au lieu de perdre mon temps et le vôtre à vous la décrire, qu elle est un rêve. Je la connais comme je connais la lune et cela ne veut pas dire que je suis aussi indiscret, bien au contraire. Elle est très, très loin, je la vois une seule fois par jour, après le coucher du soleil, bien évidemment la nuit. Elle ne pourra jamais me voir ni me rencontrer, Dieu soit loué. Maintenant, pour ceux qui s intéressent à connaître la nature de cette femme, laissez-moi vous raconter ce qu elle a de si exceptionnel. Ceux pour qui la femme ne représente qu un simple objet de collection ou une poule pondeuse n ont qu à tourner la page, car cela risque de leur déplaire. Pour les femmes je ne peux vous dire qu une seule chose : soyez patientes. La pauvre elle changerait de sexe, non par désir ou par volonté, mais par souffrance. 2 3
Elle y avait beaucoup pensé ; finalement elle resterait toujours et à jamais la femme qu elle était, même si le Seigneur lui-même lui avait accordé son pardon. Pour elle, devenir un homme ça ne changerait guère sa nature, elle aurait certainement envie des hommes et elle serait toujours à côté des normes. Le mieux est de prendre soin de sa féminité et d en être fière. Tous les hommes du coin ont envie de coucher avec elle, le comble c est qu ils y parviennent, elle n est pas si facile, elle est digne de sa nature. Elle change de couleurs, tout dépend des goûts de son maître, et des maîtres, elle en a. Pour les hommes qu elle fréquente, elle n est qu un simple remède, un vêtement comme un autre, on en change chaque fois qu il ne nous va plus. Tout homme pourrait trouver quelque part une femme à sa hauteur, mais pour un homme de goût il vaut mieux rester nu que de mettre un vêtement qui lui colle sur le corps, car si un jour il voulait s en débarrasser il risquerait d enlever sa peau avec. Ma voisine a bien accepté sa nature, elle fait la joie de tous les hommes sans pour autant être une fille de joie, et c est ce qui rend ses partenaires furieux et au bout de leurs regrets aussitôt qu ils finissent avec elle. Personne n a jamais été heureux après avoir partagé son lit. Elle ne cesse de posséder des hommes alors qu ils croient la posséder, le temps d un maudit plaisir, d un péché, est-ce un diable? Un ange? Personne n a jamais compris sa nature, elle était là quand tout était désert, elle est encore là quand tout est beau comme un paradis, elle sera là, toujours et à jamais, dans le moindre désir, dans le moindre rêve. Ma voisine a été un jour invitée à rejoindre un lit qui lui 42
était familier, le lit d un homme furieux, curieux comme les autres. Après un moment de plaisir solitaire, son maître, comme un chien enragé, leva ses yeux au ciel et cria : «Dieu que les femmes belles sont rares! Que j ai envie de crier Femmes! Femmes du monde entier! Vous me faites toutes pleurer, Orgueilleuses qu elles semblent soudain, Fières comme des soldats, Vous n êtes que de misérables créatures Créées pour nous faire plaisir, Et quel plaisir! Vous ne nous faites que jouir De ces corps salis, de ces âmes maudites, Au diable, à l enfer, Je vous plains, je vous crains, Minables créatures de radin. Oh Dieu, grand Dieu de l amour! Faites éteindre ces flammes Que je ressens au fond de mon cœur, Car j ai besoin D une bonne mère, d une gentille sœur, D une épouse désormais Qui fera de moi père D un fils j espère.» Et il versa des larmes, je ne sais si de joie ou de haine et se jeta dans ses bras. Elle lui caressa les cheveux, il s endormit comme un bébé. «Si ce n était la pomme, toi et moi aujourd hui nous ne serions pas là, si ce n était moi, si ce n était toi, tous les autres ne seraient là. Apprenons à accepter notre nature ; hommes, 2 5
femmes, ni diable ni ange, nous sommes des humains. Chacun de son côté devrait s accepter et accepter son semblable, car ma place, car la tienne, est d être ensemble pour l éternité. Mais qui es-tu pour me dire ces mots-là? Crois-tu savoir ce qu est la nature humaine? Je ne te connais pas, je ne t estime pas, je t ai fait venir rien que pour un plaisir, et Dieu lui-même le sait mieux que moi. Ignorant! Crois-tu pouvoir me posséder? Crois-tu être mon maître? Je serai toujours là pour toi au moment que tu voudras ; pour la joie, pour l amour, pour la tendresse, mais jamais je ne serai à toi, car je suis libre de choisir, manger une pomme ou tenir ma promesse. Ma foi, arrête ton délire, tu ne me tromperas plus jamais, te suffit une fois. Hélas, me chagrine de te voir aussi fier, et me tue de savoir que tu ne changeras guère, je voudrais quand même que tu saches que je changerai de couleurs comme un caméléon mais je ne changerai jamais ma peau comme un serpent.» Voilà, ma voisine est une belle femme, je la vois tous les jours, je la connais comme je connais la lune, car elle n apparaît que la nuit. J ai préféré vous dire, au lieu de perdre mon temps et le vôtre à vous la décrire, qu elle était un rêve. Ma voisine est un rêve, le rêve de tous les hommes, l amour, la joie, la tendresse. Elle a su être ce qu elle est et a accepté sa nature, car elle sait au fond d elle-même qu elle est là par erreur, mais elle n est pas l erreur même. Ma voisine est une femme, la source de la vie. Tunis, 2000 62