LE THUYA GÉANT : ESSENCE DE REBOISEMENT?

Documents pareils
Diagnostic de la stabilité des peuplements à l aide des données de l IFN

1. L'été le plus chaud que la France ait connu ces cinquante dernières années.

Placettes vers de terre. Protocole Fiche «Description spécifique» Fiche «Observations»

PLAN GÉNÉRAL D AMÉNAGEMENT FORESTIER SEIGNEURIE DE PERTHUIS RÉSUMÉ NOTE AU LECTEUR

Biomasse forestière et bioénergie: Danger ou solution?

Marteloscope Gounamitz 2

LE MONITORING DE LA BIODIVERSITE EN SUISSE. Hervé LETHIER, EMC2I

Débroussailler autour de sa maison : «une obligation»

4. Résultats et discussion

Exemple et réflexion sur l utilisation de données satellitaires

Une forêt en extension

La Charte. forestière. du Pilat. Un engagement collectif pour une gestion durable de la forêt

Fertiliser le maïs autrement

Perte de superficies ayant fait l objet de traitements sylvicoles

M. GUILLAUME ^ Alimentation en eau potable /} ( de la Ville de Metz Implantation de nouvelles stations de pompage dans la région de La Maxe-Thur;y

Sorgho grain sucrier ensilage L assurance sécheresses

Le drone en forêt : Rêve ou réalité de performance?

DES FORÊTS POUR LE GRAND TÉTRAS GUIDE DE SYLVICULTURE

Influence du changement. agronomiques de la vigne

L utilisation du lidar terrestre en foresterie. Richard Fournier Département de géomatique appliquée

RELEVE D ETAT DU PONT DES GRANDS-CRÊTS. On a procédé une auscultation visuelle entre le 23 et le 29 mars 2007.

FICHE TECHNIQUE SUR LA FERTILISATION DE LA PASTEQUE

Pour bien comprendre les résultats publiés

Présentation du nouveau programme de remboursement de taxes foncières. novembre 2014

Evaluation du LIDAR et de solutions innovantes pour la chaîne d approvisionnement du bois : les résultats du projet européen FlexWood

PLAN DE SITUATION C'est le plan qui localise votre terrain PCMI 1. SAINT DENIS - Bellepierre Parcelle AY 592. Ech : 1/ 2000 ème

Règlement type relatif à l abattage d arbres

Bien choisir sa variété de maïs ensilage

Étude de la carte de Vézelise. Initiation à la lecture du relief sur une carte topographique

CHAPITRE 6 : LE RENFORCEMENT DU MODELE PAR SON EFFICACITE PREDICTIVE

[Signature]Essais réalisés en collaboration entre les Chambres d'agriculture de Bretagne, les fédérations de Cuma et Arvalis Institut du végétal.

Objectifs présentés. Discussion générale

Régionalisation des régimes de perturbations et implications pour l aménagement dans un contexte de changement climatique

HARMONISATION DES DONNÉES FORESTIÈRES EUROPÉENNES :

AVIS. Objet : Demande de permis de lotir à Franc- Waret (FERNELMONT) Réf. : CWEDD/05/AV.276. Liège, le 14 mars 2005

Caisse Nationale de Mutualité Agricole

Fiche Technique. Filière Maraichage. Mais doux. Septembre 2008

PASS ARAN. Maison du Valier - Gite Eylie 9 h 25 mn Dénivelée +1642m m

Quelques données : Domaines & Patrimoine. Accord de partenariat avec le Groupe LAFORET Franchise. Membre de l ASFFOR.

La base de données régionale sur les sols. d Alsace. La base de données régionale sur les sols d Alsace

RESULTATS DE L ESSAI VARIETES D ORGES D HIVER EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE CAMPAGNE

STRATEGIES DE CONDUITE DE L IRRIGATION DU MAÏS ET DU SORGHO DANS LES SITUATIONS DE RESSOURCE EN EAU RESTRICTIVE

Symboles de nos cartes

Cahier d enquête. Suspect N 5. Reproduction interdite

Comfortlift ONE.

Les compensations écologiques sur la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique

Fiche Technique. sur l itinéraire de fertilization de la Pomme de terre. (Solanum tuberosum L.) au Cameroon

INSTRUCTIONS COMPLÉTES

Le séchage en grange du foin à l énergie solaire PAR MICHEL CARRIER AGR. CLUB LAIT BIO VALACTA

PREFECTURE DE LA REGION AQUITAINE

VITICULTURE 2012 V 12 / PACA 02 STRATEGIE D APPLICATION DU CUIVRE EN VITICULTURE

Le béton léger prêt à l emploi, la solution idéale pour les applications intérieures et extérieures

Une espèce exotique envahissante: Le Roseau commun. ou Phragmites australis

COMFORTLIFT ONE VOTRE MONTE-ESCALIER DISCRET.

Bref rappel du contexte et des objectifs

COMMENT CONSTRUIRE UN CRIB A MAÏS?

Tableaux standards. Documentation d aide.

description du système

Où sont les Hommes sur la Terre

Comment utiliser les graines de soja à la cuisine

Prise en main par Guy BIBEYRAN Chevalier médiéval époque XIII / XIV siècle métal 75mm Atelier Maket Référence AM Sculpteur: Benoit Cauchies

a) La technique de l analyse discriminante linéaire : une brève présentation. 3 étapes de la méthode doivent être distinguées :

Guide pratique Informations utiles

Note récapitulative : culture de Taillis à très Courte Rotation (TtCR) de saules

Réunion CAQ-CAPSIS, Prénovel, 10 avril Jean-Philippe Schütz, Roland Brand, Dominique Weber

Le défi : L'avantage Videojet :

qu une partie de l année? Où pourrez-vous demander de l aide en cas de problème (poste de police, bureaux de la mairie, pompiers, hôpitaux, etc.).

Produire avec de l'herbe Du sol à l'animal

NOTRE PERE JESUS ME PARLE DE SON PERE. idees-cate

Guide des autorisations d urbanisme

Bancs publics. Problématiques traitées : FICHE

Rosemont- La Petite-Patrie. Îlots de chaleur urbains. Tout. savoir! ce qu il faut

Jean-Marc Schaffner Ateliers SCHAFFNER. Laure Delaporte ConstruirAcier. Jérémy Trouart Union des Métalliers

2 Pour les puits de lumière :

Activité 45 : La responsabilité de l Homme sur son environnement géologique

AVIS. Objet : Demande de permis d environnement pour l aménagement et l exploitation d un terrain d entraînement de sport moteur à ROCHEFORT

ESTIMATION DE LA TAILLE DES POPULATIONS D ANOURES DE LA FORET DE FONTAINEBLEAU (SEINE ET MARNE)

Nous recensons ci-dessous, de la manière la plus exhaustive possible, l ensemble des éléments qui ont ou vont nécessiter une intervention :

La consommation énergétique des usines de dépollution est un poste de dépense important et l un des plus émetteurs de gaz à effet de serre.

COMFORTLIFT TWO LE PLUS COMPACT ET LE PLUS FACILE D'UTILISATION

RÉSULTATS DE L OBSERVATOIRE TECHNICO-ÉCONOMIQUE DU RAD Synthèse Exercice comptable 2010

Bulletin n 6 LA MALADIE DU ROND

LA COMPTABILITE PATRIMONIALE. des milieux naturels et culturels : des différences mais une logique de base

Eau Sol. Air Eau Sol. Mes sources. Comment se fait la compaction? L impact de la compaction.

Libre-Service de l agence ISOPAR Garges-lès-Gonesse

Immeuble de bureaux Ilot T8 ZAC de Tolbiac Paris 13e

La production énergétique à partir de la biomasse forestière : le devenir des nutriments et du carbone

Les Cheminements piétons

Synthèse SYNTHESE DIRECTION GENERALE DE L ENERGIE ET DU CLIMAT. Service du climat et de l efficacité énergétique

Cergy eric.yalap@keops.fr. ROISSY EN FRANCE m 2

Surveillance et suivi d un émergent en Alsace Anoplophora glabripennis

Rotations dans la culture de pomme de terre : bilans humiques et logiciel de calcul

Projet d auto-construction d un chauffe-eau solaire au pays des Cigales

JOURNEES DEPARTEMENTALES D INFORMATION REGION BOURGOGNE NON-CONFORMITES RECURRENTES

VII Escaliers et rampes

LA MESURE DE PRESSION PRINCIPE DE BASE

Détermination des enjeux exposés

PLAN LOCAL D'URBANISME COMMUNE DE RONCHEROLLES SUR LE VIVIER

Transcription:

LE THUYA GÉANT : ESSENCE DE REBOISEMENT? P. AUBERT La recherche actuelle de l'indépendance de notre approvisionnement en bois vis-à-vis des importations autorise, semble-t-il, à s'interroger sur l'intérêt que pourrait présenter l'introduction du thuya géant parmi nos productions ; nous importons en effet plus ou moins couramment cette essence sous son appellation commerciale de «western red cedar». Le thuya géant (Thuya plicata Lobbii) est très communément connu sous ses divers cultivars employés dans l'aménagement de clôtures vertes dans les résidences pavillonnaires et cet emploi est devenu si courant qu'il en arrive à défigurer le paysage local. Il est aussi connu comme arbre très ornemental dans les parcs mais il est quasiment ignoré en forêt et les peuplements pouvant servir de références sont rares. Cette essence offre-t-elle une capacité de production matière qui lui donnerait une place intéressante dans la forêt ; apporterait-elle d'autre part un produit apprécié pour ses qualités technologiques et dans l'affirmative pourrait-elle bénéficier d'une demande actuelle et à venir dans l'industrie? Sans prétendre donner réponse à cette double question, notre objet est d'apporter le témoignage de deux peuplements situés l'un près de Cherbourg, sur la commune de Rufosses, dans la propriété de feu l'inspecteur général des Eaux et Forêts Rivet, l'autre dans les Vosges, en forêt de «Barr et 6» à mi-chemin entre le Hohwald et le Mont Sainte-Odile. La futaie de Rufosses (source : Centre régional de la propriété forestière de Normandie). Caractéristiques de la station : climat doux et humide ; pluviosité annuelle 1 000 mm, température moyenne annuelle 11, minima de février + 2 1 ; maxima d'août 19 8, période de végétation très prolongée en arrière-saison ; sol brun lessivé sur roche mère «grès armoricain «, assise géologique de transition entre ce grès et les schistes et grès cambriens ; situation en haut de versant, pente nulle, sol sain ; couverture vivante : lierre, houx, myrtille, blechnum spicant, oxalis et semis naturels de thuya et sapin pectiné. Aspect du peuplement Le peuplement est âgé de 60 ans ; la plantation a été faite sur un peu plus d'un hectare à l'espacement de 4 m x 4 m. La placette de contrôle établie sur 0 ha 89 a 74 ça a été inventoriée une première fois en mars 1971, une seconde fois en août 1979. En 1975, douze thuyas ont été exploités au titre de produits accidentels pour un volume de 18 m 3. 379 R.F.F. XXXII - 4-1980

P. AUBERT Peuplement de Rufosses. Photo P AUBERT 380

Technique et foret Rapportés à l'hectare, les résultats des inventaires sont les suivants : Inventaire 1971 Inventaire 1979 Essence Nombre Nombre Volume Volume de de m 3 3 tiges tiges m Accroissement en volume produits intermé annuel diaires Périodique 3 moyen m 3 m m3 Thuya 398 893 389 1 026 18 151 18,8 Douglas 43 39 41 58 19 2,3 Pin noir 8 7 7 7,5 0,5 p.m Ep. Sitka 23 14 23 18 4 0.5 Ensemble.... 472 953 460 1109,5 174,5 21.75 Sur 60 ans, l'accroissement annuel moyen a été de 18,3 m3. Autres données : 1971 1979 Surface terrière de peuplement 91 m 2 103 m 2 Surface terrière moyenne par tige 0,216 0,250 Circonférence de l'arbre de surface terrière moyenne 165 cm 176 cm Les volumes ont été établis par application du tarif Schaeffer lent n 7, ce qui malgré le fort empattement des arbres parait très prudent, la hauteur du peuplement étant de 29 mètres. Compte tenu de quelques produits intermédiaires qui n'ont pas été comptabilisés, la production constatée de 18,3 m 3/ha n'est plus tellement éloignée de celle de 24 m 3 annoncée par la table de production de la Forestry Commission la plus favorable (classe 24) ; la hauteur et le nombre de tiges du peuplement à 60 ans sont de même ordre, par contre la circonférence à Rufosses est beaucoup plus forte : 176 cm contre 126. Cet écart est certainement dû au grand espacement auquel a été faite la plantation, soit au départ 625 tiges/ha alors que selon la table cette densité (de 3 500 au départ) n'est atteinte qu'à 45 ans. La plantation à faible densité a évité des produits intermédiaires au placement difficile et elle a mis à disposition beaucoup plus précocement un peuplement exploitable en totalité comme sciage de dimension très satisfaisante. Selon la table anglaise il aurait fallu plus de 80 ans pour obtenir la même dimension. Enfin la surface terrière, 103 m 2, est très élevée ; elle est la même que celle observée dans la futaie de Sequoia sempervirens de St-Borner (Eure-et- Loir) citée dans la Revue forestière française, n 2, 1972. Les deux essences prospèrent avec des cimes très étroites qui permettent d'obtenir une surface terrière très élevée, facteur de forte production matière. C'est un caractère d'«essence d'ombre très marqué et la tolérance à l'ombre du thuya se traduit encore par l'abondance des semis naturels sous le couvert cependant très sombre de la futaie. La futaie de Barr et 6» - (source : Office national des forêts, Centre de Sélestat) Caractéristiques de la station altitude : 680 m ; exposition sud ; pente très légère ; sol profond et fertile (granite décomposé) ; surface rectifiée de la placette : 24,66 ares; plantation effectuée sous la direction du Forstmeister allemand Rebmann en poste à Barr en 1885. 381 R.F.F. XXXII - 4-1980

P. AUBERT Aspect général du peuplement : Les arbres paraissent en bonne santé ; deux sujets secs ont été récemment extraits en totalité», dont l'un a été purgé au pied par suite de pourriture. Depuis l'inventaire de 1960, leur croissance en diamètre semble faible puisque le diamètre moyen actuel est de 40/45 cm ; il était de 37,5 cm en 1960. Les arbres bien éclaircis ont poussé beaucoup plus rapidement. Exemple : diamètre 60 cm et hauteur 38 métres. La hauteur moyenne du peuplement est de 35 mètres. 123 arbres se trouvent encore sur la placette soit une densité à l'hectare de 499 tiges. Contre 681 tiges/ha et 168 arbres sur la placette en 1960, l'écart de 45 arbres a été le fait de chablis et bois secs. Au tarif aménagement Algan n 13, le volume bois fort est de 985 m 3/ha, soit une production depuis l'origine de 10,48 m 3. La comparaison possible entre les deux stations est limitée : à un âge presque deux fois plus élevé (94 ans contre 50 à 60 ans), le peuplement de Barr présente un nombre de tiges un peu plus élevé et un volume à l'hectare un peu moindre, avec des arbres plus longs, moins défilés, mais beaucoup moins gros : 130-150 cm de circonférence au lieu de 176 cm. La production annoncée depuis l'origine à Barr, soit 10,48 m 3, devrait être augmentée des produits intermédiaires qui ont dû être importants car la plantation en 1885 a été certainement faite à densité élevée. Par rapport à celui de Rufosses, le peuplement de Barr a été grandement défavorisé par une densité excessive de tiges et, dans une moindre mesure par un climat plus rude et une saison de végétation beaucoup plus brève. Un troisième peuplement ne peut être cité que très brièvement parce qu'il a été entièrement livré à lui-même et est devenu sans intérêt ; c'est une futaie de thuya d'un hectare âgée de 60 ans, située dans le parc de Condésur-Iton (Eure). La plantation a été faite à 2 m Photo P. AUBERT Peuplement de Rufosses. 382

Technique et forêt x 1,50 m et aucune éclaircie n'a été pratiquée, si bien que l'on se trouve aujourd'hui en présence d'un perchis de 80 à 110 cm de circonférence, avec de nombreuses tiges sèches ; seuls de rares sujets ont réussi à s'affranchir de leurs voisins, à les dominer et à atteindre des circonférences plus normales à cet âge. C'est évidemment la condamnation de pareil abandon. Sur ces trois stations, seule la station de Rufosses constitue une référence, très avantageuse, pour l'emploi du thuya comme essence de production à grande capacité ; grâce au grand espacement au départ elle a pu se développer heureusement sans appeler d'éclaircie et sa récolte est précoce. En sujets isolés, de très beaux arbres ont été exploités dans l'arboretum et la forêt d'fiarcourt (Eure) ; entre autres, une gerbe de cinq tiges issues de la même souche a donné quinze m 3 de grumes.â sciage de qualité. Au point de vue cultural, les rares plantations faites montrent malheureusement une grande sensibilité à l'armillaire. Reste la question de l'intérêt du bois de thuya dans les emplois industriels. Le bois a pour caractéristiques d'être très léger, ne travaillant pas, remarquablement fissile, naturellement immunisé contre la pourriture quand il est ouvragé car, sur pied, il présente de bonne heure la pourriture du pied. Très largement utilisé en Amérique du Nord, on voit mal pourquoi il ne trouverait pas d'emploi en France où il est d'ailleurs utilisé, entre autres, pour les revêtements extérieurs dans le bâtiment en montagne (bardeaux) et dans les «marina» de Deauville ; il a bénéficié également d'un marché important lors de la construction de l'hippodrome de Cergy pour l'aménagement des boxes ; en perches, il convient parfaitement pour les lisses de clôture des herbages dans les régions d'élevage du cheval. Il présente un grand intérêt forestier» conclut M. Marcel Mailloux traitant du thuya géant parmi les cinq principaux conifères d'origine américaine («La forêt privée» n 127, 1979). Gros producteur, n'est-il pas en effet intéressant? et cela d'autant plus que, si l'on hésite à diversifier les produits à livrer à l'industrie, nous sommes tenus de varier les essences de reboisement pour parer aux dangers d'épidémies qui se montrent de plus en plus redoutables. Pierre AUBERT Ingénieur du G.R.E.F. (e.r.) 78, rue J.-Moulin 27000 ÉVREUX 383 R.F.F. XXXII 4-1980