M. André Kuhn Professeur à la Faculté de droit de l'université de Lausanne «Sanctions privatives de liberté: Principaux problèmes dans la loi»

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Transcription:

M. André Kuhn Professeur à la Faculté de droit de l'université de Lausanne «Sanctions privatives de liberté: Principaux problèmes dans la loi» Lorsqu on traite de sanctions en Suisse on traite de deux choses très différentes l une de l autre puisqu il y a d une part des peines et d autre part des mesures. La Suisse connaît un système dit dualiste. Il existe deux grandes différences entre ces deux genres de sanctions. 1. La première relève de l utilité : les peines servent à sanctionner le condamné en fonction de la faute qu il a commise, en fonction de sa culpabilité, alors que les mesures servent à prendre en charge de manière particulière un condamné qui a certaines particularités, soit parce qu il souffre d un trouble particulier qui nécessite un traitement particulier et donc qu il faut le soigner, soit parce qu il représente un danger particulier pour la société et que l on considère qu il faut le neutraliser. 2. La seconde différence entre les peines et les mesures est une différence liée à la quantité de la sanction : les peines sont généralement prononcées pour un montant ou une durée déterminée, alors que les mesures sont généralement de durée indéterminée, puisque la libération dépendra de l évolution de l individu qui a été condamné. Si je dis généralement à chaque fois c est qu il existe quelques exceptions. Il existe une peine à durée indéterminée, soit la peine privative de liberté à vie qui est prononçable dans certains cas dont les assassinats, les prises d otage aggravées, génocides, crimes de guerres et autres atteintes à l indépendance de la Confédération. Et il existe aussi des mesures à durée maximale déterminée puisque, par exemple, un traitement pour des addictions ne pourra jamais dépasser un total de 6 ans. Lorsqu un tribunal suisse reconnaît une personne coupable d une infraction grave, il prononcera donc toujours une peine en fonction, d une part, de la gravité de l acte qui a été commis et, d autre part, de la culpabilité de l individu, c est-à-dire de la faute qu il a commise. Et lorsque cette peine est une peine privative de liberté, elle sera généralement comprise entre 6 mois et 20 ans ou à vie lorsqu on est dans une des situations que j ai mentionnée tout à l heure. Si le condamné a commis son infraction en relation avec un trouble mental, une addiction ou s il a entre 18 et 25 ans et qu il a commis son infraction en relation avec un trouble du développement de la personnalité, alors le juge pourra prononcer, en plus de la peine, une mesure thérapeutique institutionnelle. Il faut, bien entendu, que les conditions pour prononcer une telle mesure soient remplies. Si par contre le condamné a commis un crime particulièrement grave et qu il est considéré comme étant dangereux pour la société mais que l on ne peut pas envisager une mesure thérapeutique, alors le juge devra prononcer un internement. Internement qui peut soit être ordinaire soit à vie lorsque le juge considère que le condamné est durablement non-amendable. Lorsque deux sanctions sont prononcées contre une même personne pour une même infraction, donc une peine et une mesure, il se posera encore la question de savoir dans quel ordre ces sanctions seront ensuite exécutées. Là, le code pénal prévoit deux régimes différents. 1. Le premier régime est celui des mesures de traitement, puisqu une mesure de traitement intervient toujours avant la peine privative de liberté. En d autres termes on soigne immédiatement lorsqu on considère qu une personne a besoin de soins. Et dans ce cas de figure, le temps passé enfermé en institution de soin est imputé, c està-dire déduit, de la durée de la peine. Il ne restera donc de la peine privative de liberté à exécuter que lorsque la mesure aura duré moins longtemps que la peine infligée au condamné par le tribunal. La mesure étant de durée indéterminée, elle pourra durer

aussi longtemps que nécessaire et donc parfois plus longtemps même que la peine elle-même. Ce n est pas exclu et c est même relativement fréquent. 2. Le deuxième cas de figure est celui de l internement, c est-à-dire de la mesure de protection de la société contre les criminels qu elle considère comme étant dangereux. Dans ces cas-là, le condamné purge d abord l entier de sa peine, puis est interné jusqu à ce qu il ne représente plus de danger pour la société. Pour en terminer avec ces généralités, il faut encore se poser la question de la sortie. Comment sort-on en fin de peine ou en fin de mesure de l institution dans laquelle un condamné est enfermé? Cette sortie se fait généralement selon un régime de libération conditionnelle. C est-à-dire une libération souvent conditionnée à certaines règles de conduite et accompagnée d une assistance de probation, sous la forme d un travailleur social qui sera chargé de favoriser la réintégration sociale du condamné libéré. Cette libération conditionnelle prendra fin au terme d un certain délai d épreuve qui est généralement d une durée maximale de 5 ans (mais qui peut être prolongée lorsqu on est dans un cas de mesure) pour faire place, tout à la fin, à la liberté définitive. Voilà donc un rapide aperçu du système de sanctions privatives de liberté que connaît la législation pénale suisse aujourd hui. Cet aperçu va maintenant me permettre de me concentrer sur les principaux problèmes que connaît ce système. Ces problèmes sont presque exclusivement liés au système des mesures et pas tellement à celui des peines. Le premier problème sur lequel j aimerais mettre le doigt est celui de la disposition sur les traitements institutionnels des troubles mentaux, soit l article 59 du Code pénal (CP). Ce traitement institutionnel des troubles mentaux peut être prononcé lorsque trois conditions sont réalisées : 1. Première condition : Il faut que l auteur souffre d un grave trouble mental. En d autres termes il est évident qu une expertise psychiatrique sera nécessaire pour le déterminer. 2. Deuxième condition : Le crime ou le délit qui a été commis doit être lié à ce trouble. 3. Troisième condition : Il paraît vraisemblable que la mesure permettra d éviter la récidive. Là, on perçoit déjà un premier problème. À la lecture de cette troisième condition, on observe clairement que le but principal de ce traitement n est donc pas vraiment de soigner l individu mais bien d éviter la récidive. En d autres termes, contrairement à ce qu indique la note marginale «traitement des troubles mentaux» et contrairement à ce que je vous ai dit tout à l heure, il ne s agit pas véritablement d une mesure de soin mais bien plutôt d une mesure de protection de la société qui, finalement, ressemble un peu à l internement. On retrouve ici l aspect sécuritaire dont parlait M. Recordon tout à l heure. Ce constat va encore être renforcé lorsqu on traite du second et d ailleurs principal problème de cette disposition (soit l article 59 CP), à savoir le lieu d exécution de cette mesure. En effet, très logiquement la loi prévoit que le lieu d exécution de la mesure de traitement des troubles mentaux soit un établissement psychiatrique ou un établissement spécifique d exécution des mesures dans lequel on dispense des soins psychiatriques (art. 59 al. 2 CP). Mais dans une modification de dernière minute, le Parlement a ajouté un alinéa 3 à cette disposition. À la fin de cet alinéa, on prévoit que la mesure thérapeutique peut aussi être effectuée dans un établissement pénitentiaire ordinaire. Non seulement cet alinéa 3 est en totale contradiction avec l alinéa 2 et en totale contradiction avec le principe même d une mesure de soin qui s effectue généralement dans un établissement approprié, mais également en totale contradiction avec une autre disposition du Code pénal, à savoir l article 58 alinéa 2 CP, qui prévoit que les lieux d exécution des mesures thérapeutiques visés aux articles 59 à 61 doivent être séparés des lieux d exécution des peines. Et là ce n est plus le cas. En conclusion, cet article 59 alinéa 3 CP aura comme conséquence que les personnes condamnées à une mesure de traitement des troubles mentaux ne pourront que très rarement

bénéficier d un traitement adéquat. En d autres termes, elles ne pourront pas être libérées puisqu à défaut d être soignées, elles ne seront donc pas guéries de leur trouble et ne seront donc pas libérables. Ce n est donc pas par hasard que la doctrine appelle ce traitement des troubles mentaux «le petit internement» puisqu il ressemble bien plus à un internement qu à une réelle mesure thérapeutique. Ceci sans compter qu il va nous falloir ensuite des EMS carcéraux si l ont veut s assurer que ces personnes soient prises en charge jusqu au terme de la sanction Une autre disposition qui pose un problème important est évidemment celle sur l internement. En effet, l article 64 CP contient comme je l ai dit tout à l heure deux types d internement que j appellerais d une part l internement ordinaire et d autre part l internement à vie. Pour ce qui est de l internement ordinaire, le Code pénal mentionne que le juge doit prononcer l internement lorsqu un certain nombre de conditions sont réalisées. Il y a deux conditions cumulatives qui comprennent chacune deux alternatives possibles. 1. Premièrement il faut avoir commis une infraction qui se trouve dans une liste qui est indiquée à l article 64 alinéa 1 CP ; ou il faut que l auteur ait commis une autre infraction qui n est pas dans la liste mais par laquelle il a voulu porter (ou a porté) gravement atteinte à l intégrité physique, psychique ou sexuelle d autrui. 2. Deuxième condition cumulative : il faut qu il soit sérieusement à craindre que l auteur ne recommette une infraction du même genre, soit en raison de caractéristiques de sa personnalité, des circonstances dans lesquelles il a commis l infraction ou de son vécu, soit parce qu il souffre d un trouble mental que la mesure thérapeutique de l article 59 CP (dont nous venons de parler) ne suffit pas à soigner. Tout cela semble relativement complexe et surtout restrictif mais contrairement aux apparences, on tombe assez vite sous le coup de ces quelques conditions et il est donc assez facile pour un tribunal aujourd hui de retenir l internement. Cela signifie que le condamné purgera d abord la peine privative de liberté qu il a écopée en vertu de la faute qu il a commise puis, une fois la peine terminée, il restera en prison pour une durée indéterminée en raison de sa dangerosité. On comprend donc bien ici l aspect sécuritaire de cet internement. Et il restera ensuite interné jusqu à ce que son caractère dangereux se soit résorbé. En d autres termes, il ne ressortira que lorsqu on considèrera qu il est à prévoir qu il ne recommettra plus d infractions une fois en liberté. Et pour savoir quand on va pouvoir le libérer (puisqu il s agit d une mesure à durée indéterminée), la loi prévoit, conformément d ailleurs aux exigences de la Cour Européenne des Droits de l Homme, que la situation d un interné soit revue d office une fois par année au moins et que tous les deux ans on examine également la possibilité de transférer cet interné en mesure de traitement des troubles mentaux au sens de l article 59 CP. Ce qui va se passer c est que, généralement, un interné restera en internement un certain temps, puis il ira en mesure de l article 59 alinéa 3 CP, puis éventuellement en 59 alinéa 2 CP, puis on envisagera éventuellement sa libération. Tout cela peut donc prendre beaucoup de temps. Jusqu ici, en dehors de l aspect purement sécuritaire de cette norme, il n y a pas de grandes critiques à formuler contre l internement ordinaire puisqu il est compatible avec ce que prévoient les accords internationaux auxquelles la Suisse est partie. Mais à cela vient encore s ajouter un autre internement qui est l internement à vie ; et c est là que vous verrez que nous disposons aujourd hui d une norme nettement plus critiquable. Qu est-ce que l internement à vie? L internement à vie c est d abord une initiative populaire acceptée par le peuple suisse qui consistait à introduire dans la constitution un article 123a. Ce qu il faut savoir c est que cette initiative a été déposée alors que le Code pénal actuel n était pas encore en vigueur. C était encore l ancien Code pénal qui était en vigueur, ancien Code pénal sous lequel l internement d alors était beaucoup plus restrictif, et donc prononcé beaucoup plus difficilement que l internement ordinaire d aujourd hui ; cet internement était donc à l époque relativement rarement prononcé. En fait, cette disposition, si on la lit, n est pas fondamentalement différente de ce que prévoit déjà le Code pénal d aujourd hui en matière

d internement ordinaire, à une exception près, exception qui est de taille. C est que ce n est plus l amendement du condamné ou son absence de dangerosité qui est déterminante pour savoir si on peut libérer conditionnellement cet interné, mais ce sont les nouvelles connaissances scientifiques. Cela veut dire qu une personne peut éventuellement être devenue prêtre et être totalement amendée en détention, cela ne suffira pas pour la libérer puisqu il manquera le progrès scientifique nécessaire à ce que l on revoit son état personnel. Je rappelle encore une fois que l internement ne sert pas à sanctionner un individu ou le crime qu il a commis, ça c est la peine qui s en charge et cette peine est exécutée avant l entrée en internement. L internement sert uniquement à protéger la société contre des individus qu elle considère comme trop dangereux pour être libérés au terme de leur peine. Lorsque l on maintient en internement une personne qui ne répond plus à cette caractéristique de dangerosité sociale, on détourne manifestement l internement de son but initial. Et si ce but initial de protection de la société par l intermédiaire de l internement est probablement compatible avec la CEDH, ce n est plus le cas lorsqu on fait dépendre la libération d un individu de circonstances extérieures à cet individu, à savoir de progrès scientifiques. Dans l internement à vie, ce n est plus l absence de dangerosité du condamné qui permet sa libération mais la présence de nouvelles connaissances scientifiques. La Suisse a donc réussi l exploit d introduire dans sa constitution une norme clairement incompatible avec la CEDH. Dans le code pénal, cela a donné l article 64 alinéa 1bis CP qui prévoit quatre conditions cumulatives un peu plus restrictives que celles de l article 64 alinéa 1 CP. Comme conditions vous avez : 1. Que l auteur doit avoir commis une des infractions d une liste. Il s agit d une autre liste que celle de l alinéa 1. 2. Deuxième condition : l auteur doit avoir porté ou voulu porter une atteinte particulièrement grave à l intégrité physique, psychique ou sexuelle d autrui. 3. Troisième condition : il est hautement probable que l auteur commette à nouveau des crimes. 4. Quatrième condition : l auteur doit pouvoir être qualifié de durablement non amendable dans la mesure où une thérapie, même longue, semble vouée à l échec. Comme s il était possible aujourd hui de déterminer qu un criminel âgé de 20 ans ne pourra pas changer dans les 60 prochaines années C est un peu à ça que revient le fait de prononcer un internement à vie. Et finalement la libération conditionnelle de cet internement à vie n est effectivement pas principalement conditionnée à l amendement de l individu ou à son état de dangerosité mais à des connaissances scientifiques nouvelles qui permettraient de traiter l individu. On a donc repris ce qui était indiqué dans l article constitutionnel. Pour terminer, j aimerais encore présenter une troisième norme problématique introduite par le Parlement dans la même modification de dernière minute que celle qui a créé l article 59 alinéa 3 CP à savoir l article 65 du Code pénal. L article 65 CP est une disposition qui permet de changer de sanction en cours de route. Si le fait de transformer un internement en mesure thérapeutique ne pose aucun problème parce qu on passe de quelque chose de plus grave à quelque chose de moins grave, il n en va pas de même lorsqu on envisage a posteriori, donc après le jugement, de détériorer la situation d un condamné. La question est alors de savoir si le fait de prononcer une mesure de traitement, comme le prévoit l alinéa 1 de cet article 65 CP, pendant l exécution d une peine privative de liberté pour un individu qui avait été initialement condamné à la seule peine privative de liberté est une détérioration de sa situation ou non. Là, la doctrine majoritaire estime que ce n est pas le cas. On ne détériore pas la situation d un individu en prononçant a posteriori une mesure alors qu au début il n avait écopé que d une peine. Pourquoi? Parce que la mesure de traitement, prononcée à la place de la peine, est immédiatement exécutée et est ensuite imputée de ce qui pourrait rester de la peine. Donc on a considéré que tout ça était compatible avec la CEDH. Mais il y a quand même un petit problème. Si par combinaison de 65 alinéa 1 et de 62c alinéa 4 CP la peine

privative de liberté initiale devient un internement, parce qu elle devient d abord une mesure de traitement puis un internement par le jeu de 62c, à ce moment-là évidemment on serait manifestement dans une situation incompatible avec la CEDH. Mais le droit suisse le permet. Pour ce qui est de l alinéa 2 de cet article 65 CP, c est là qu il y a le plus gros problème. C est celui qui prévoit qu un internement peut être prononcé a posteriori. C est-à-dire qu une personne a été condamnée à une peine et puis, a posteriori, on se dit qu on va quand même lui mettre un internement. Pour qu on puisse le faire, il faut que les conditions de l internement aient déjà été présentes au moment du jugement mais que le juge n en ait pas eu connaissance à l époque. Cet article 65 alinéa 2 CP pose évidemment un gros problème puisqu il prévoit manifestement une révision du premier jugement en défaveur du condamné. Ceci n est déjà pas tellement compatible avec le principe, assez fondamental en droit pénal, ne bis in idem, qui veut que l on ne rejuge pas une personne une deuxième fois sur les mêmes faits. Il peut arriver qu on doive rejuger une personne sur les mêmes faits mais il y a des conditions. Il faut qu il y ait des faits nouveaux, inconnus du premier juge, et sérieux, c est-àdire susceptibles de modifier le jugement, qui soient arrivés à la connaissance de la justice. Mais ici, cela revient à faire un diagnostic psychiatrique rétrospectif sur l état psychique d un individu, diagnostic qui permettrait de démontrer que l individu était dangereux au moment du procès mais que le juge ne pouvait pas le savoir. Tout cela me semble davantage confiné à la sorcellerie qu à la preuve pénale