Analyse climatologique et météorologique des avalanches meurtrières dans les Alpes en février 1999.

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Transcription:

Analyse climatologique et météorologique des avalanches meurtrières dans les Alpes en février 1999. Par Guillaume Schroeter, prévisionniste et analyste pour l association MétéoFoudre.

1. Introduction En février 1999, les Alpes ont été frappées par une situation avalancheuse exceptionnelle. Des chutes de neige exceptionnellement abondantes dans un premier temps, puis un redoux marqué avec de forts vents ont provoqués une situation chaotique dans les Alpes Françaises, Suisses et Autrichiennes. Il faut remonter à 1951, soit presque 50 ans plus tôt pour retrouver des conditions aussi dramatiques. Malheureusement, ces avalanches dont la fréquence, l intensité et l étendue fût exceptionnelle, ont causées la mort de plusieurs personnes pourtant dans des zones réputées quasiment sûres, notamment l avalanche d Evolène le 21 février 1999, qui a causé la mort de 11 personnes dans une zone pourtant classée bleue, donc sûre, ainsi que l avalanche de Mont-Roc, près de Chamonix du 8 février 1999 avec 12 morts et au final l avalanche de Galtür dans les Alpes autrichienne le 23 février 1999.

A travers cette analyse climatologique de l évènement je vous présenterai les causes météorologiques et nivologiques et surtout le bilan humain qui fût relativement lourd. 2. Contexte météorologique Rien ne laissait présager que le mois de février 1999 allait être aussi catastrophique. En effet, le mois de novembre et décembre 1998, s était montré très sec, et anticyclonique bien que très froid. Le manque de neige à mi-décembre posait même quelques inquiétudes pour la saison de ski en stations. L anticyclone se situait sur l Europe Centrale et bloquait donc les perturbations, même si de faibles fronts parvenaient tout de même à passer parfois en apportant quelques centimètres de neige en moyenne montagne. Le début du mois de janvier 1999 fût marqué par quelques fronts neigeux, apportant parfois quelque centimètres de neige jusqu en plaine, mais toujours pas de quoi apporter un manteau neigeux vraiment correct en montagne. Ensuite dès le 27 janvier, un changement de la situation météorologique va apporter 3 épisodes neigeux, du 27 au 29 janvier, du 7 au 10 février et du 19 au 22 février, chacun étant plus fort que le précédent et chacun apportant son lot de phénomènes aggravants comme nous allons l étudier en détails ci-dessous :

1 er épisode neigeux : du 27 au 29 janvier 1999 : Un premier épisode touche les Alpes à partir du 26 janvier 1999 et durera jusqu en fin de journée du 29 janvier. Durant cet épisode on enregistrera de 80 à 100cm, localement plus de 130cm de neige à 1500m d altitude, notamment en Suisse Centrale et Haut-Valais. La neige descends alors localement vers 700-800m. Le degré d avalanche devient très localement de degré fort (danger 4) et des avalanches de moyenne intensité sont alors enregistrées.

Puis, le calme revient pour une dizaine de jours avec le retour de l anticyclone. 2 ème épisode : Du 6 au 10 février 1999 Un 2 ème épisode se met en place à partir du 6 février 1999 et dure jusqu au 10 février en soirée. Cet épisode est exceptionnel : 5 jours de chutes de neige quasiment ininterrompues. En raison de l air froid qui l accompagne (0 C vers 800m), les chutes de neige sont abondantes même à très basse altitude. On mesure plus d un mètre de neige à Bourg-Saint-Maurice, et 70cm de neige à Sion (VS) le soir du 9 février 1999 tombés en seulement 48h! En montagne sur ces 5 jours, on mesure quasiment 2m de neige à 1500m. Le danger d avalanche passe alors au niveau 5, soit le niveau

maximum sur l échelle européenne du degré d avalanche. Une avalanche descend sur des chalets à Montroc, près de Chamonix, faisant 10 morts. Le cumul en montagne devient donc important avec les chutes de neige déjà tombées durant le 1 er épisode. La situation se normalise un peu dès le 12 février avec le retour de conditions plus ensoleillées. 3 ème épisode : Du 17 au 23 février 1999 Un 3 ème épisode de précipitations extrême se met en place du 17 au 23 février 1999. La neige se remet à tomber en abondance jusqu à basse altitude du 17 au 19 février et on enregistre de 80 à 100cm supplémentaires vers 1500m et même par endroit 20-30cm comme à Bourg-St-Maurice ou Sion. On mesure alors des cumuls qui dépassent largement les 3m de neige à 1600m depuis le 25 janvier ce qui est exceptionnel!

Mais, dans la soirée du 19 février et surtout dans la journée du 20 février un redoux marqué se met en place dans le courant perturbé. La limite de la neige située vers 700m, se remet alors rapidement à remonter vers 1800-2000m voir localement vers 2200m sur l Ouest des Alpes. La neige devient fortement humide en-dessous de 1800m. De plus, à la différence des deux précédents, cet épisode est accompagné par de vents violents en altitude, soufflant parfois jusqu à 120km/h à 2000m en raison d un conflit marqué entre les masses d air douces et fraiches, comme indiquées sur les cartes cidessus. Ces deux paramètres deviennent extrêmement critiques pour le danger avalancheux déjà très sensible en raison de l abondance de la neige. Le 21 février, le degré d avalanche passe alors au degré 5, soit le maximum possible des avalanches descends de partout Y compris dans des zones qui n avaient encore jamais vu des avalanche de mémoire d hommes, et ces avalanches descendent parfois jusqu en plaine en prenant des proportions absolument phénoménales comme nous allons le voir ci-dessous.

3. Analyse des avalanches et nivologie Durant le mois de février 1999, surtout le 20,21,22 février 1999, des avalanches sont descendues même dans des endroits qui n en avaient jamais connues (Evolène, Chamonix, plaine du Rhône) Certes, les quantités de neige étaient vraiment importantes, de l ordre par endroit de plus de 3m de neige à 1800m, mais à elles seules cela n explique pas une des pires situation avalanche que le Valais a connu, avec de nombreux villages coupés, et plus de 20 morts. 4 phénomènes bien distincts sont à l origine d une situation avalancheuse extrême : 1. Une sous-couche instable : L hiver 98/99 avait commencé par un manque flagrant de neige, et par un froid relativement important. Du coup, la faible pellicule de neige qui recouvrait les sommets, n avait pas une excellente adhérence au niveau du sol. Les chutes de neiges qui se déposeraient par-dessus, pouvait facilement glisser. 2. L importante couche de neige Il a localement neigé plus de 3m de neige à 1800m, et par endroit, localement à plus de 2500m, on mesurait 5m de neige. Cette importante couche de neige était donc susceptible de provoquer de grosses avalanches.

3. Le vent d altitude. Durant les deux premiers épisodes, du 27 au 29 janvier et du 7 au 11 février, les vents d altitudes étaient assez modérés, de l ordre de 60-80km/h. Ce vent n a donc transportés que peu de neige, et bien que le danger d avalanche aient été très fort durant la journée du 9 février 1999, les avalanches sont restés moyennes. Par contre, à partir du 19 février, les vents d altitudes ont fortement augmentés, atteignant parfois les 120km/h, transportant énormément de neige. 4. Le redoux Durant les deux premiers épisodes, les fronts étaient accompagnés par de l air froid, où la neige tombait parfois presque jusqu en plaine, notamment le 9 février 1999 en Valais Central. Durant le dernier épisode, il avait commencé à neiger jusqu en plaine jusqu au 19 février, puis un gros redoux avait fait remonter la neige vers 1800-2000m, voir 2200m le 21 février. La neige était donc devenue très lourde en-dessous de cette altitude, et au-dessus, l épaisse couche de neige atteignait ses limites. La couche avait donc rompue. C est pour cela qu on avait enregistré à la fois des avalanches de neige poudreuses, et à la fois des avalanches de neige mouillées et même parfois mixtes (Mélange d avalanche mouillées et poudreuses)

4. Bilan humain : (Seules sont indiquées les avalanches ayant le plus marqué les mémoires) Montroc, Haute-Savoie : 9 février 1999, 12 personnes.

Galtür, Autriche : 31 morts, 23 février 1999 Evolène, Suisse : 12 morts, 21 février 1999.

5. Situations analogues par le passé Perspective pour le futur Cette situation de février 1999 a marqué les esprits par sa violence, sa quantité de neige, et ses avalanches, au point que beaucoup se demande si c est un fait nouveau marqué par le changement climatique ou si c est le fait que le fait de vivre dans les Alpes peux présenter parfois des hivers extrêmes marqués par des enneigements extrêmes et des avalanches. La mémoire nous joue des tours en ce qui concerne la météorologie, et nous fais croire des choses, c est pourquoi nous allons considérer cela d un point de vue uniquement climatologique. L évènement le plus comparable s est produit en février 1970, avec des mêmes configurations, et même des avalanches qui ont détruits des villages complets, faisant plusieurs dizaines de morts. En janvier/février 1951, des avalanches causés par un enneigement exceptionnel, peut-être même supérieur à février 1999, causa la mort de centaines de personnes dans les Alpes françaises, autrichiennes et Suisse. Des rapports historiques font état d avalanches extrêmes dans les Alpes dans les années 1800, ainsi que dans l antiquité.

Par conséquent, ce qui nous apparaît comme exceptionnel, est susceptible de se reproduire à intervalles de 20-30 ans dans les Alpes en moyenne, ce qui laisse le caractère «exceptionnel» peut-être un peu fort.. Le changement climatique apportera plus de précipitations en hiver, surtout en haute montagne sous de l air plus doux. Par conséquent, on ne peut pas exclure à l avenir, une tendance à l augmentation des situations comme février 1999. Vouloir vivre dans les Alpes en hiver apporte son lot de mauvaises surprises qu il convient d accepter. La nature et la montagne resteront au-dessus de nous et bien que les secours, prévisions météorologiques, ainsi qu observations se soient considérablement améliorées nous ne pourrons jamais éviter à l avenir des situations avalancheuses extrêmes pouvant causer des dégâts voir des pertes humaines.

6. Sources et bibliographies www.slf.ch www.toraval.ch www.meteociel.fr