Benchmarking. Socio-histoire de la statistique ENSAE 2011 Laurent Davezies & Emmanuel Didier



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Benchmarking Socio-histoire de la statistique ENSAE 2011 Laurent Davezies & Emmanuel Didier

Introduction Etat providence est pendant le XXème siècle. Deux formes statistiques typiques : assurance sociale et enquêtes par sondage. Elles sont fondées sur une représentation de la totalité : l univers, qui sert ou à mutualiser les risques, ou à donner une vision exhaustive pour les interventions de l Etat Exemples déjà vus : taux de chômage ou enquête SD 2001.

Introduction 2 Depuis une vingtaine d année, on assiste A des remises en cause de plus en plus sérieuses de l Etat providence (son coût, son inefficacité) à la diffusion, dans l Etat, de statistiques très différentes des précédentes, qui reposent non plus sur la constitution d un univers, mais sur la mise en compétition et la mesure de la performance. On va décrire comment cela fonctionne dans l Etat en prenant particulièrement l exemple de la police. Exemple crucial parce que l insistance sur la sécurité publique est une autre caractéristique de la période contemporaine.

1. Benchmarking brève histoire Ces méthodes n ont pas été mises au point dans les administrations de l Etat comme cela a été le cas avec les sondages - mais dans les entreprises ou par des consultants en management. «Benchmarking» revendiqué par Robert Camp de Xerox au début des 1980 s. Procédure en plusieurs étapes : Établir des équipes et des indicateurs. Etablir une durée pour la compétition et éventuellement des objectifs chiffrés. A bout de la durée comparer les concurrents Récompenser les meilleurs et préparer un nouveau cycle.

2. Benchmarking extension contemporaine Des déclinaisons de cette procédures sont mises en place dans de très nombreux domaines de l Etat La LOLF (Loi organique relative aux lois de finance) (2001) prévoit que l Etat fonctionne par «missions» elles mêmes découpées en «programmes», lesquels sont évalués annuellement par des indicateurs le plus souvent quantitatifs et des objectifs. Recherche et développement c est très proche du «benchmarking» tel que nous l avons défini précédemment en terme de publications. Influence de la conférence de Lisbonne Dans les hôpitaux on assiste plutôt à la mise en place de palmarès. Dans la police comme on va le voir ce sont plutôt de savants tableaux de bord.

3.1 Exemple de la police : modèle new yorkais Compstat inventé par le maire Giuliani et William Bratton son «Police Commissionner» à NYC pendant les années 1990 Crainte de voir les classes moyennes déserter NYC à cause de l insécurité, et ensuite des élites financières. Compstat inspiré de Hammer et Champy, Reengineering. Management d entreprises privées. Initiatives et mise en responsabilité des échelons intermédiaires. Succès apparemment phénoménal : taux de criminalité s effondrent. On parle de «miracle New Yorkais», les polices du monde entier viennent voir ce qui se passe.

3.2 Introduction de Compstat dans la police en France En France,les années 1990 et 2000 sont celles où se pose la question de la sécurité publique, à mi-chemin entre police judiciaire pure et dure et renseignement généraux. La gauche, en particulier Chevènement, essaye la police de proximité. Jean Paul Proust, nommé à la préfecture de police de Paris va à NYC et est convaincu par Compstat.

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3.3 - Ressources et efficacité Evaluation quantitative à tous les niveaux hiérarchiques. Les statistiques deviennent cruciales pour chacun, et non plus une perte de temps. Les statistiques deviennent un véritable rituel contemporain. C est une façon de faire de la police qui n a rien de spécifiquement «soft» comme disent les américains. Il est possible d être très dur. Ambiguité de la police de proximité. Tout le point est de montrer qu on a optimisé l utilisation des ressources pour l action.

3.3 - Initiative et mise en responsabilité Mécanisme visant à promouvoir l initiative des agents. On comprend qu il y a une tension très forte pour ne pas dire une apparente contradiction entre le fait de faire respecter la loi, qui par définition est la source de toute action policière, et la prise d initiative dans le champ social puisque l initiative s autorise d elle-même. D autre part il y a «mise en responsabilité», c est-à-dire possibilité de sanction, positive comme négative. D où le développement des primes collectives comme individuelles et la difficile question des objectifs quantifiés. C est un tout autre rapport à la loi et à la souveraineté de l Etat qui est mise en œuvre. Non pas l Etat comme instance de mutualisation mais comme fer de lance de la compétition.

4.1. Critiques du benchmarking : activité Statistiques ne décrivent en rien la réalité d un fait (la délinquance, la recherche, la santé) mais l activité des services (police, chercheurs, médecins). En outre elles courent le risque d être manipulées par le gouvernement. Donc elles ne doivent pas être utilisées pour décrire la première, ce qui est souvent fait par les administrations.

4.2. Critique du benchmarking : gaming La question du «gaming» en Anglais, ou «chanstique» dans le monde policier. Comme les informations ne peuvent être produites que par ceux qu elles servent à évaluer, les incitations à biaiser sont nombreuses. Problème par exemple des prises de plainte dans la police. En outre, la pratique des statistiques montre qu il n y a que rarement une unique façon de compter. Biais qui peut aller jusqu au mensonge pur et simple.

4.3. Critique du benchmarking : surrégime La mise en compétition valorise la surproduction, l activité outrancière. Parfois, cela engendre des méfaits que l on peut qualifier de «surrégime». Exemple des «stop-and-frisk» aux USA, contrôles d identité ou GAV en France. Revient à ce que les américains appellent «cutting corners» : faire de petits abus de pouvoir. Particulièrement grave pour ceux qui agissent au nom de la souveraineté de l Etat.

4.4. Critique du benchmarking : creaming Le benchmarking devrait tirer tout le monde vers le haut. Mais pratique du creaming : seul ceux qui sont près du seuil le passe, et cela repousse les autres. Exemple RSA, pauvreté, et argument d ATD quart monde.

4.5. alternatives au benchmarking. Les indicateurs qui ne correspondent pas à la vraie nature du travail, ce n est pas une critique, tous les managers dirons que pour bien évaluer le travail il faut le décrire bien, avec les agents concernés. Ce n est rien d autre que dans le dispositif. En revanche, certains acteurs créent des quantités différentes. Exemple du FAIR (Forum pour d Autres Inidcateurs de Richesse) qui remettent en cause le PIB depuis longtemps au nom de l écologie, du travail des femmes et de la démocratie d expertise.

Conclusion Fin de l Etat providence, remplacé par un Etat néolibéral. Il ne s agit pas d une transformation type rite de passage s excluant mutuellement, mais de l apparition d une autre rationalité qui vient se mêler à la précédente. Anciennes statistiques sont remplacées par de nouvelles. Techniquement pas très difficiles à maîtriser, mais dont les effets sont très remarquables. Promeuvent l initiative individuelle, la mise en responsabilité. Les techniques statistiques sont liées à des rationalités politiques. Mais ces techniques ainsi que l Etat qui y a recours sont aussi critiquées. Il existe des marges d action individuelles pour les producteurs de statistiques comme pour les utilisateurs.