La Couleuvre vipérine va-t-elle survivre sur les rives du Léman? Jean-Claude Monney et Sylvain Ursenbacher

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Transcription:

La Couleuvre vipérine va-t-elle survivre sur les rives du Léman? Jean-Claude Monney et Sylvain Ursenbacher

Historique Les premières introductions référencées de Couleuvres tessellées au bord du Léman datent des années 1920 (Morton, 1925) Par la suite, plusieurs autres introductions non officielles ou non-autorisées (J. Garzoni, comm. pers.) Première campagne de limitation de Natrix tessellata dans les années 1980 (prélèvement d une trentaine d animaux, J.-M. Pillet, comm. pers.) 1996: travail de certificat de N. Koller et S. Ursenbacher (UNIL), initié par le karch et dirigé par C. Neet. «Etude et estimation de l'effectif de Couleuvres vipérines (Natrix maura) et de Couleuvres tessellées (Natrix tessellata) dans le Lavaux. Estimation des effectifs entre Cully et Vevey: 300 f NAMA, 500 f NATE 1999-2003: monitoring du karch en coll. avec la Conservation de la faune, entre Treytorrens et Rivaz (1.5 Km): tendance à la baisse des effectifs et des proportions de NAMA (statistiquement non significatif)

% NAMA capturées (NAMA/NAMA+NATE) 1999 2000 2001 2002 2003

Historique 2001: Service civile de D. Baertschi au karch-cscf Recherche d'indices de présence de Couleuvres vipérines (Natrix maura) et autres reptiles et amphibiens des rives du lac Léman entre Hermance/GE et Lausanne/VD. Il n existe aucun tronçon de rive entre Lausanne et Genève suffisamment long, large et favorable à l établissement d une population minimale viable de Couleuvres vipérines. 2002: travail de diplôme de M. Nembrini (UNIL). Génétique de la conservation des populations résiduelles de Couleuvre vipérine (Natrix maura) en Suisse. Faible diversité allélique et fort excès d'homozygotie des populations suisses. La population vaudoise de NAMA est isolée des populations genevoises et valaisannes.

2004 et 2006: prolongation du monitoring par S. Ursenbacher: résultats significatifs Méthode CAPTURE N femelles adultes de NAMA (en bleu) et N femelles NATE (en rouge) dans la zone témoin

Avantages de NATE? Fécondité plus élevée Compétition interspécifique? NATE: 15.8 + 4.5 œufs (6-31, N=147). NAMA: 13.5 + 4.3 œufs (1-22, N=59) Fréquence de reproduction plus élevée NATE: 91% (N=176) avec œufs, reproduction en moy. annuelle NAMA: 63% (N=100) avec œufs, reproduction en moy. biennale

Avantages de NATE? Taille supérieure (LT Fem.) Compétition interspécifique? NATE: 93+ 12.5 cm (63-117, N=186) NAMA: 77 + 8.7 cm (52-97, N=106) NATE: 261.6 + 90.4 g (88.0-454.0 g, N=186) NAMA: 176.4 + 57.5 g (48.0-312.0 g, N=107) Taux annuel de survie identique: 0.75 % Remarque: Pillet et Gard en 1979 déjà estimaient probable cette compétition

Expérience pilote (5 ans): Objectif du projet i) réduire les effectifs de l'espèce introduite ii) suivre les effectifs des deux espèces iii) évaluer si l'espèce indigène parvient à augmenter ses effectifs + études complémentaires précisant cette compétition: Utilisation des habitats Occupation spatiotemporelle des milieux (télémétrie) Régime alimentaire

Résultats Réduction des effectifs de NATE Captures et estimations de taille des populations de NATE et NAMA N sessions de captures N NATE capturées N NAMA capturées N F. ad. NATE capturées N F. ad. NAMA capturées F ad. NATE estimées F ad. NAMA estimées 2007 18 153 46 128 34 376 106 2008 32 162 67 115 44 163 171 2009 6 26 5 23 4 23.4-2010 11 52 25 36 15 32.4 23.7 2011 7 16 9 7 6 20.4 7.3 total 74 409 152 309 103

Résultats Résidu du nombre d'animaux capturés corrigé par le nombre de session de capture au cours des 5 années de prélèvement pour les femelles adultes de NAMA et NATE Réduction du Nb de NATE (-13/an) due aux prélèvement Réduction du Nb de NAMA (-1/an) non significatif

Evaluation des habitats Différence d'occupation par les deux espèces: partage de la niche habitat plus grande proportion de NAMA dans la zone de Rivaz et Treytorrens dans les zones de végétation à tendance plus humide (indices de Landolt) une orientation plutôt Sud-Ouest, avec une pente plus faible une couverture végétale (herbacée) quasi totale grandes beines littorales Au contraire, NATE est très présente dans la zone de Saint-Saphorin dans les zones buissonnantes une orientation plutôt sud elle se contente aussi de surface peu végétalisée dans les sites avec une beine lacustre limitée (Mazza, 2007: HES-SO) En fonction de ces résultats, différents travaux d'entretien de la zone végétalisée proche des voies de chemin de fer ont été proposés aux CFF et ont été mis en place depuis quelques années.

6 espèces de proies identifiées chez 23 NAMA et 57 NATE Les deux espèces mangent quasi les mêmes proies - Chabot Cotus gobio 40-60% - Ablette Alburnus alburnus 4-7% - Goujon Gobio gobio 4-9% - Gardon Rutilus rutilus 11-17% - Perche Perca fluviatilis 14-26% - Lotte Lota lota 3.5% (chez NATE seulement) Leur niche trophique est très proche Compétition alimentaire? (Metzger, 2009: UNIL) Compétition alimentaire probable

Température des individus via émetteurs thermosensibles Suivi télémétrique (Giano, 2011: UNIBAS) (Rébétez, 2011: HES-SO) Température moyenne annuelle corrigée (variations journalières et horaires) NATE (N=7) NAMA (N=5) 21.3 C 20.9 C Variations individuelles Importantes Courbe bleue NATE Courbe rouge NAMA

Suivi télémétrique (Giano, 2011: UNIBAS) (Rébétez, 2011: HES-SO) Microhabitats NAMA: pente moins forte, végétation plus hygrophile et nitrophile, habitat aquatique plus structuré, orientation plutôt sud-ouest. NATE: couverture buissonnante basse, végétation plus continentale, orientation sud. NATE semble rester plus proche du lac et se contenter de milieux aquatiques peu variés.

Déplacements Suivi télémétrique (Giano, 2011: UNIBAS) (Rébétez, 2011: HES-SO) Les deux espèces utilisent les milieux viticoles proches (ponte et hivernage) Les déplacements peuvent être réguliers et non pas seulement saisonniers entre ces deux habitats L'espace vital est souvent réduit pour les deux espèces (entre 0.07 et 0.72 ha) Conséquence: il est très important d'intégrer cet aspect dans les futurs plans de protection.

Suivi télémétrique Kristina Giano UNIBAS et Luc Rébétez HES-SO - hepia

Conclusions i) La réduction des effectifs d une espèce introduite de serpent semi-aquatique sur un tronçon donné est possible, mais non son éradication Prélèvement de 400 individus, dont plus de 300 femelles adultes (= 50% du nombre de femelles estimé en 1996) ii) L amélioration des connaissances sur la biologie comparée des 2 espèces permet d évaluer le degré de concurrence entre 2 espèces écologiquement proches La compétition est l une des causes possibles de la régression de l espèce indigène, mais certainement pas la seule responsable de la diminution des NAMA a. Compétition alimentaire peut-être saisonnière ou dans une classe d âge surtout b. Indices montrant un partage de la niche habitat données importantes pour favoriser l espèce menacée

Conclusions 7 années de suivi ont été nécessaires pour déceler une diminution significative de NAMA Après 5 années de prélèvement de NATE (409 ind., 309 F ad.), pas encore d impact visible sur la population de NAMA

Perspectives 1. Suivi extensif du site ces prochaines années suivi les effectifs des deux espèces nouvelle évaluation en 2014-2015 (10 sessions/an) 2. Evaluer si l'espèce indigène parvient à augmenter ses effectifs 3. Renforcer la collaboration avec les CFF et les vignerons Talus enrochés, végétation herbeuse sur les replats, utilisation des sarments,entretien/maintien de sites ponte fonctionnels

Perspectives 4. Evaluer directement et indirectement le développement des populations par le suivi du succès de reproduction (contrôle des sites de pontes en automne) 5. Surveillance annuelle des biotopes pour limiter les impacts

Surveillance des biotopes

Surveillance des biotopes

Objectif optimiste: la Couleuvre vipérine va survivre sur les rives du Léman

Remerciements Conservation de la faune et de la nature VD P.-A. Coquoz (garde faune) P. Viquerat (CFF) Vignerons Tous les collaborateurs de terrain (U. Hofer, M. Nembrini, G. Mazza, N. Koller, D. Bärtschi, K. Giano, L. Rébétez ) G. Frossard