GUIDE D'ACCOMPAGNEMENT



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GUIDE D'ACCOMPAGNEMENT

ART + ARCHITECTURE + PAYSAGE LE DOMAINE Racheté par le Département du Morbihan en 1972 et classé au titre des Monuments historiques en 1988, le Domaine de Kerguéhennec est situé sur la commune de Bignan, à 30 km au nord de Vannes. Le château a été construit au XVIII e siècle et remanié à la fin du XIX e siècle. Le parc paysager a été élaboré par Denis Bühler. À partir de 1986, un parc de sculptures ainsi qu un centre d art voient le jour. Le Domaine présente donc une offre riche et variée aussi bien d un point de vue architectural, paysager qu artistique. Le Domaine s étendait sur plus de 2.000 ha en 1847, sous les Janzé, ancêtres du comte Lanjuinais. Il en compte 175 aujourd hui. Le lieu aurait connu trois constructions différentes et une restauration conséquente au XIX e siècle. Ainsi, de 1476 à 1972, la propriété va passer entre les mains de plusieurs familles dont deux ont eu une influence considérable sur le château et son parc, les Hogguer et les Lanjuinais. En 1703, le Domaine est acheté par de riches banquiers suisses résidant à Paris, Daniel et Laurent Hogguer. Sur les vestiges d'un ancien manoir, les Hogguer vont ériger un château, symbole de leur réussite et de leur fortune. Pour cela, ils font appel à Olivier Delourme, architecte vannetais, auteur notamment du château de Loyat, près de Ploërmel, et de l église Saint-Patern à Vannes. La réalisation de Delourme se compose d un corps de logis encadré de deux pavillons d angle respectant parfaitement les contraintes de symétrie et de rigueur voulues à l époque des Lumières. On note enfin une recherche de confort, d intimité, ainsi qu un certain goût pour la lumière grâce à la fragmentation intérieure des espaces. Le comte Lanjuinais va faire l acquisition de ce domaine en 1872. Cet avocat est également une personnalité politique de premier plan, tant au niveau régional que national. Il sera maire de Bignan puis président du Conseil général du Morbihan en 1901, mais aussi député royaliste à l Assemblée nationale à compter de 1881. Paul-Henri Lanjuinais concrétise le projet de transformer le parc et le château en un domaine de prestige mêlant, sans crainte du paradoxe, vision autarcique et volonté d ouverture. Sous la direction de l architecte parisien Ernest Trilhe, d importants travaux vont être entrepris aussi bien à l intérieur qu à l extérieur du bâtiment Delourme. Après le rachat du Domaine par le Département du Morbihan en 1972, sa restauration débute en 1997 par l extérieur du château et plus précisément par les façades et les toitures. Celles-ci seront remises en état jusqu en 1999. La restauration intérieure du château n est amorcée qu à partir de 2001, offrant aujourd hui un décor de la fin du XIX e siècle. Le parti pris a été de conserver en l état le décor et la distribution de l édifice avec le confort moderne et l accessibilité pour tous. Les travaux de restauration sont achevés en 2006 et, dès l année suivante, le château est ouvert au public. 2

LE PARC Ce n est qu à la fin du XIX e siècle que le parc sera considérablement remodelé sous l influence de Denis Bühler, créateur, avec son frère, du parc de la Tête d or à Lyon et des jardins du Thabor à Rennes. L intervention concernera essentiellement le parc Nord où plusieurs modifications seront apportées. Les lignes amples et sinueuses vont alors suppléer les allées rectilignes à la française, créant ainsi un nouveau cheminement, plus romantique. Le château n est plus découvert de front et dès l entrée, mais il faut désormais un lent cheminement pour mieux s imprégner et s immerger dans l esprit du parc. Quant au parc Sud, les allées rectilignes et perpendiculaires seront conservées. Il y a donc un compromis, une dualité entre le parc Nord, à l anglaise, et le parc Sud, à la française. La volonté du comte Lanjuinais fut aussi de faire du parc Nord un véritable arboretum mêlant les essences et les variétés des quatre coins du monde. On retrouve ainsi des plantations d Asie, d Amérique du Nord, d Afrique mais également d Europe. Celles-ci répondent aux plantations originelles du Domaine. Enfin, la création d un potager est envisagée dès 1873. Il contenait une serre ainsi qu un grand bassin alimenté par la citerne octogonale de Cléhury. Paul-Henri Lanjuinais va solliciter le jardinier Jarry, pour en faire son jardinier en chef, qui sera chargé des premières plantations du potager. UN PARC DE SCULPTURES EXCEPTIONNEL Créé à partir de 1986 à l initiative du ministère de la Culture, de la Direction régionale d e s a f f a i r e s P-A Remy, Portrait cartographique culturelles de Bretagne et du Fonds régional d art contemporain de Bretagne, le parc de sculptures compte parmi les plus importants d Europe. Lieu de référence en matière de présentation de la sculpture contemporaine, il réunit aujourd hui plus d'une vingtaine d'œuvres d artistes majeurs. DES EXPOSITIONS Tout au long de l'année, le Domaine présente des expositions temporaires dans les communs (anciennes écuries et bergerie) et dans le château. Depuis 2007, le Domaine abrite également un centre de recherche consacré à l œuvre de Pierre Tal Coat (1905-1985), figure majeure de la peinture de la seconde moitié du XX e siècle. Le dialogue entre création et patrimoine est au cœur du projet artistique et culturel du Domaine de Kerguéhennec. Les artistes y sont notamment accueillis en résidence. Des temps de rencontre et d échange sont régulièrement proposés avec le public. Lieu de transmission privilégié, Kerguéhennec propose des classes artistiques, des ateliers en famille, des visites thématiques etc. 3

FIGURE(S) & PAYSAGE(S) Élise Beaucousin, Daniel Challe, Katerina Christidi, Jonas Delhaye, Isabel Duperray, Marcel Dupertuis, Marine Joatton, Angélique Lecaille, Illés Sarkantyu & Tal Coat 4

ÉDITO Figure et paysage. Deux termes chargés d histoire, d images, de références artistiques et littéraires. Deux catégories si étroitement liées que longtemps, le paysage fut dépendant de la figure, lui fournissant son cadre, son arrière-plan naturaliste ou symbolique, mais n ayant pas d existence légitime sans elle. Puis il y eut le temps de l émancipation, de l affirmation progressive jusqu à constituer un genre à part entière. L articulation figure/paysage n a pour autant cessé d être interrogée par les artistes, y compris dans des œuvres à la limite de l abstraction. Ainsi, dans les années 1940 c est à une fusion de ces deux entités que travaille Tal Coat dans les séries des Mouvements d eau et des Cascades. La production la plus récente ne cesse quant à elle de démontrer l actualité de ce sujet dans l art contemporain. Depuis la création du parc de sculptures, au milieu des années 80, le paysage fait l objet d une réflexion approfondie à Kerguéhennec, nourrie du regard des artistes en résidence, des expositions, et maintenant de la collection Tal Coat. Après Paysage(s) en 2011 ou Sur le motif en 2013, la présente exposition se propose d explorer un autre pan de cette question, sans pour autant se réduire à une démonstration thématique ou illustrative. Réunies autour de cette problématique commune, les œuvres présentées déploient quelques-unes des nombreuses facettes de la relation figure-paysage. Relevant de pratiques différentes et témoignant d une grande diversité d approches, elles ont pour trait commun de nous rappeler que ce paysage que l on rattache peut-être trop rapidement au seul registre de la nature est avant tout un objet de culture, que l on appréhende à travers des codes et des régimes de visibilités spécifiques. Ce sont ces catégories et ces références culturelles que les artistes jouent à faire et à défaire sous nos yeux, nous invitant à entrer de plain-pied dans ce paysage. «Quand on considère ce que nous appelons un paysage, écrit Alain Corbin, nous nous sentons, tout à la fois, face et en dehors de lui». C est précisément cette affaire de distance, d échelle et d incorporation dont il est question dans ce parcours. Rédaction des textes de l'exposition : Florence Jaillet, historienne de l'art 5

FIGURE(S) & PAYSAGE(S) > Château Premier étage du château Angélique Lecaille Daniel Challe Katerina Christidi Jonas Delhaye Élise Beaucousin Marcel Dupertuis Isabel Duperray Marine Joatton Tal Coat Rez-de-chaussée du château Illés Sarkantyu Illés Sarkantyu Isabel Duperray Illés Sarkantyu 6

JONAS DELHAYE Jonas Delhaye vit et travaille «en itinérance». Son approche immersive et les dispositifs qu il crée pour observer les manifestations de la faune et de la flore évoquent les techniques mises au point (bricolées parfois) par les naturalistes. La notion de captation, qu elle soit sonore ou visuelle, est centrale dans ce travail. C est ainsi que Jonas Delhaye décline la technique photographique du sténopé, qu il applique à des lieux inattendus transformés de fait en chambres photographiques. À travers de tels dispositifs, l artiste entend construire une expérience du lieu proche de la performance, dans une relation d étroite proximité avec la nature et que viennent nourrir des références littéraires et mythologiques. La minutie et la patience dont procèdent ces œuvres souvent éphémères posent la question du temps, de sa perception et des sensations qui s y rattachent. Ce fut notamment le cas pour Synthèse, œuvre réalisée en 2012 à Kerguéhennec et qui consistait à «imprimer» aux plombs typographiques sur les feuilles d un chêne une nouvelle du recueil L Aleph de Luis Borges. Lors de sa résidence à Kerguéhennec en 2012-2013, Jonas Delhaye a porté son attention sur un arbre majestueux du Domaine : un liquidambar, essence d Amérique du nord qui donne son titre à cette œuvre. Autour du tronc, l artiste a installé un dispositif Dispositif créé par Jonas Delhaye autour du Liquidambar à Kerguéhennec 7 s apparentant à une yourte en tissu occultant, élaboré comme une chambre noire et permettant de réaliser des photographies selon le principe artisanal du sténopé. À l intérieur de cet appareil photographique, et dans le noir le plus complet, l artiste a placé deux cents feuilles de papier argentique couleur en cercle, comme dans un prolongement de la croissance du tronc. À l ouverture de quatre minuscules trous dans la chambre noire, chacune de ces surfaces de papier photosensible a enregistré une parcelle de l image du feuillage. Il en résulte une image circulaire de 3,70 m de diamètre, dont les couleurs varient du brun au vert, et qui traduit une expérience sensible au plus près du bruissement des feuilles, du «corps» de l arbre, comme une fraction de paysage saisie «de l intérieur». Ces photographies sont de l ordre du relevé, de l empreinte, d une collecte de traces sensibles. «Ici, explique Jonas Delhaye, la photographie est envisagée non pas dans la seule perspective de la production d une image, mais comme une expérience corporelle et intime avec le paysage, quasi performative.» Une expérience renforcée par le principe même de la yourte, qui forme un abri, un espace pour s isoler et se rapprocher de l arbre, et qui rejoint la question de l habitat, très présente dans le travail de Jonas Delhaye : «La chambre noire construite à l échelle du corps devient un objet nomade et modulable en fonction des arbres ; objet qui arpente, se fixe, repart, entre l appareil de photographie et l habitat, de toute manière une chambre habitée».

ÉLISE BEAUCOUSIN Diplômée de l École supérieure des Beauxarts d Angers en 2001, Élise Beaucousin se consacre principalement à des œuvres graphiques élaborées sur de grandes surfaces de papier qu elle recouvre d une succession de lignes minutieusement tracées à la mine de plomb. L artiste aborde ces dessins comme des paysages ou des corps animés de mouvements, de superpositions de strates, de lignes de failles ou de réseaux veineux. «Je dessine des paysages en entremêlant mes propres images-souvenirs à des images scientifiques explique Élise Beaucousin. Je pense aux images intérieures, endogènes, produites par le corps lui-même, évoquées par Hans Belting». Ses images sont d ailleurs parcourues d une puissante vibration tactile, particulièrement présente dans la série élaborée à partir du velours. L artiste, qui a commencé par des dessins à la mine de plomb sur du papier à musique, souligne également l influence de l écriture musicale dans la construction de ses dessins et dans le jeu des horizontales et des verticales. Il y a quelque chose de l ordre du tissage dans les grands dessins que trace Élise Beaucousin. Les trames de graphite s y croisent et s y superposent pour donner vie à des surfaces ondulatoires et à des étendues muettes comme des déserts. Ses paysages abstraits sont sans échelle, ni figure. Sans horizon, ni événement. Ils dessinent des géographies sans limites, simplement animées de quelques plis, des «surfaces mentales» comme les nomme l artiste. À la manière d un sismographe, le tracé semble en traduire les moindres mouvements, les vibrations, les ondes ou les forces qui en transforment le relief. Dans leurs nuances de gris et leur planéité, ils abolissent les repères habituels et font hésiter l œil entre infiniment grand et infiniment petit, mais aboutissent toujours à un effet d immersion. «Le dessin se déploie en invitant à parcourir les surfaces, les rassemblant par le regard, en s immergeant dans un espace que j aimerais insaisissable», souligne Élise Beaucousin. À travers le medium du dessin c est la notion même de paysage qui se trouve ainsi reconsidérée. Élise Beaucousin, travail préparatoire 8

MARCEL DUPERTUIS Né en 1941 à Vevey, en Suisse, Marcel Dupertuis fait ses études de sculpture à l'école des Beaux-arts de Lausanne et s'installe à Paris en 1964. Il oriente ses recherches plastiques vers la question de la linéarité, qu il aborde dans un premier temps à travers des structures géométriques en acier, marquées par l influence de l architecture moderniste. Dans les années soixante-dix, il réalise ainsi des sculptures monumentales pour des villes françaises et italiennes. À partir de 1979 il s installe à Carrare, puis à Milan et remet en question la monumentalité de l acier au profit de matériaux plus modestes comme la cire ou le papier mâché, dans lesquels s imprime le geste du sculpteur. La linéarité de ses œuvres se fait alors plus organique et noueuse. Ses travaux, qu il s agisse de dessins, de lithographies ou de sculptures, sont chargés d une puissante énergie qui rappelle les recherches menées autour du signe et de l écriture par le poète Henri Michaux, à qui Marcel Dupertuis rend d ailleurs hommage dans une sculpture de 1985. Les sculptures exposées à Kerguéhennec se présentent comme des formes en croissance, des lignes modelées traçant d étranges calligraphies, des dessins en suspension dans l espace. Tour à tour squelettes, fils barbelés, tiges végétales marquées de nœuds et de sutures, ces tracés s affirment dans leur présence physique et organique, que renforce le geste de modelage dont elles sont parcourues. Ces lignes sculptées relèvent d une exploration de la figure, dont elles résulteraient comme les derniers restes d une fragmentation, d un amenuisement. Ce graphisme dans Marcel Dupertuis, Pado 11, 2012, bronze, ex. unique, 29,5 x 49 x 42 cm l espace se nourrit du travail de grands sculpteurs du XX e siècle qui, à l instar de Julio Gonzalez, Alberto Giacometti ou Eduardo Chillida, ont exploré le registre allant de la figure au signe. Si les sculptures de Marcel Dupertuis sont réduites jusqu à la ligne, la matière n en est pas éliminée pour autant. Celle-ci reste bien présente, entre allègement et pesanteur, et dans une tension que vient redoubler le matériau choisi par l artiste : le bronze, traditionnellement utilisé en sculpture mais réputé pour sa robustesse et sa densité plus que pour sa légèreté. Marcel Dupertuis propose ainsi un jeu sur les apparences et sur les propriétés physiques des matériaux qu il travaille, passant par le procédé complexe et classique de la fonte pour obtenir ces sculptures aériennes. Présentées aux côtés des dessins d Élise Beaucousin, les figures sculpturales de Marcel Dupertuis nouent avec eux un dialogue de l ordre de la figure dans le paysage. Une de ses sculptures est présentée à l'extérieur, du côté des communs Est du château en allant vers le Café du parc. 9

TAL COAT Tal Coat «front de bois» en breton est le nom d artiste que se choisit Pierre Jacob en 1927. Né en 1905 à Clohars-Carnoet près de Quimperlé, et mort en 1985, l artiste entretiendra tout au long de sa vie un rapport étroit avec la nature, qu il s agisse de la mer, de la campagne bretonne, ou encore des collines provençales qu il arpente inlassablement entre 1940 et 1956. D un travail figuratif marqué par l influence de Picasso dans les années trente, Tal Coat évolue par la suite vers des recherches relevant de l Informel et marquées par une exploration des effets de mouvement, de lumière, de transparences. Dans les années quarante, il découvre avec son ami André Masson la peinture chinoise, qui aura une influence déterminante sur son œuvre. Le geste se fait alors écriture et les compositions s articulent en une tension maîtrisée entre les pleins et les vides. Figure majeure de l art moderne, Tal Coat ne se rattache à aucune école et se singularise par un sens aigu de l espace, profondément ancré dans l expérience sensible. Depuis 2007, le Département du Morbihan a initié un centre de recherche dédié à l artiste et constitué une importante collection Tal Coat conservée au Domaine de Kerguéhennec, regroupant près d un millier de gravures, dessins et peintures. Dans le cadre de l exposition Figure(s) & paysage(s), deux œuvres issues de la collection Tal Coat de Kerguéhennec sont exposées : une huile sur toile et un lavis d encre sur papier issus de la même série : Profil sous l eau. Lorsqu il travaille à cette série, Tal Coat est installé à Aix-en-Provence depuis quelques années déjà. Il y retrouve les paysages fréquentés par Cézanne et habite même Château noir, l un des motifs de prédilection de ce dernier. Mais bien loin de l aridité de la roche cézannienne, les années quarante voient l affirmation chez Tal Coat de sujets liés à l eau Mouvements d eau, Cascades, Profils sous l eau traités avec des techniques très fluides comme l aquarelle ou le lavis d encre de Chine. La série Profil sous l eau (1946-1949) a pour point de départ une image : celle de Xavière, l épouse de Tal Coat, aperçue sous le ruissellement d une cascade dans les collines de Provence. À ce profil disparaissant et se réinventant sous l onde, Tal Coat consacrera de très nombreux lavis, fusains et huiles, explorant inlassablement la frontière étroite entre figuration et abstraction. Reconnaissable dans certaines œuvres de la série, la figure humaine s éclipse souvent complètement dans un espace en apparence abstrait, laissant place à une graphie nerveuse, de l ordre de la déchirure. La forme cède alors la place à la ligne, et la silhouette se fond dans les failles de la roche alentour. Une fusion s opère ainsi entre figure et paysage, exacerbée par le cadrage serré et par un espace sans point de fuite. Caractérisés par une gamme chromatique réduite, les Profils sous l eau s imposent avant tout comme une recherche graphique en métamorphose incessante, dont le geste n est pas sans rappeler la fascination de Tal Coat pour les peintures pariétales préhistoriques. 10

ISABEL DUPERRAY Le paysage occupe une place centrale dans le travail d Isabel Duperray. Si elle vit et travaille à Paris, l artiste effectue de fréquents séjours dans des lieux proches de la nature avec lesquels elle développe «une relation émotive et charnelle», comme dernièrement lors de sa résidence à Kerguéhennec. Marqués par une tension entre figuration et abstraction, ses paysages sont également parcourus d une puissante dimension organique. Le corps est présent dans le paysage, mais c est aussi le paysage qui devient un corps, dont l artiste étudie la structure, les organes, les veines, les fluides. En dépit de cette observation interne, c est bien en tant que surface que la peinture s affirme dans ses œuvres. Par le travail sur les masses, la simplification des formes, les lignes de forces et les ruptures, Isabel Duperray fait du paysage un terrain d expérimentation picturale. «Dans La longue route de sable Pasolini parle de paysages dans lesquels le sang circule et cette lecture m avait électrisée par la force de ces visions», explique Isabel Duperray. Cette volonté d explorer la dimension «anatomique» du paysage s affirme dans ses paysages de grottes, dont l enchevêtrement des masses, l articulation intérieur-extérieur et les choix chromatiques en appellent directement au registre de la chair. La couleur, particulièrement saturée, affirme une puissance frontale, autonome. L artiste écrase les perspectives au profit de compositions par masses superposées, enchâssées, derrière lesquelles le paysage semble se dérober en même temps que la peinture prend les devants. La peinture d Isabel Duperray se présente en effet dans une frontalité affirmée, qui confisque toute profondeur à certains de ses paysages. Dans Little Boy I, la mer n est mentionnée que par le contour des roches, par la plage et la figure assise sur le sable. Surface laissée «en réserve», non encore peinte, c est une mer absente, sans vagues, sans matérialité. Dans d autres œuvres, Aube ou Little Boy III par exemple, la figure humaine est littéralement absorbée par le paysage : la carnation se fond avec l ocre rose de la roche, les pierres se font organiques par leurs formes arrondies et la position même de la silhouette semble mimer leurs courbes, fusionnant avec le site. Lorsque la figure humaine apparaît, c est dans sa nudité comme pour en souligner la fragilité face au cadre minéral qui l entoure. Isabel Duperray, Little Boy I, 2006, huile sur toile, 130 x 162 cm 11

DANIEL CHALLE Originaire de Haute-Savoie, Daniel Challe est diplômé de l École nationale supérieure de la photographie d Arles et enseigne la photographie à l École supérieure européenne d art de Bretagne. Son travail s élabore principalement sous forme de séries et journaux photographiques consacrés à la figure humaine, au paysage, et à des environnements familiers comme le jardin. Son approche du paysage est indissociable de la marche et de la lenteur nécessaire à une juste appréhension du monde. Les photographies de Daniel Challe semblent prendre leur temps ; sans pathos ni idéalisation, elles révèlent avant tout l attention portée à un environnement et invitent à la rêverie du promeneur. Entre septembre 2012 et septembre 2013, à raison d une semaine par mois, Daniel Challe a travaillé au Domaine de Kerguéhennec dans le cadre d une résidence d artiste. C est plus exactement à partir du site que l artiste a construit son travail photographique, faisant de ce lieu un point de départ pour ses expéditions le long de la Claie, rivière d une soixantaine de kilomètres qui traverse le domaine et irrigue la campagne morbihannaise. Équipé de sa chambre photographique, Daniel Challe a posé son regard sur la vie du bord de la rivière, photographiant les entrelacs du végétal, les hommes flânant ou travaillant, la boue, la vie animale, et quelques majestueuses figures d arbres. «Je travaille avec une ancienne chambre photographique construite en bois. Il me plaît de penser que cette caméra vient de l arbre», écrit Daniel Challe. Car c est une relation d intimité qui se noue entre le photographe et son motif. Une relation 12 étroitement liée aux conditions dans lesquelles l artiste arpente les espaces, marchant de longues heures, s enfonçant à pied dans la boue et les fourrés, éprouvant physiquement les lieux avant d en produire des images. Cette exploration nous rappelle également que dans l appréhension de l espace géographique, les voyages par voies d eau ont longtemps joué un rôle de premier plan. C est dans cette même lenteur, en rupture avec la vitesse contemporaine que Daniel Challe approche son motif : «Le temps des paysages n est pas ce temps-là. C est celui de la météorologie, de la géographie et des cartes, de l arpenteur, du vent, de la poussière, de la boue et de la pluie.» En cela, et par l utilisation de la chambre photographique à plaques sensibles, son travail s avère finalement très proche de celui des peintres paysagistes travaillant «sur le motif». Au fil de l eau, de point en point, le photographe trace une géographie à échelle humaine dans une approche nourrie de la philosophie de Rousseau. La série Anatomie d une rivière s intègre d ailleurs dans une trilogie dont les deux autres composantes sont un travail en cours de réalisation sur le site mégalithique de Barnenez et une série Paysages de l'âme, Jean-Jacques Rousseau dans la nature. Daniel Challe, Anatomie d'une rivière, en longeant la Claie, 2013

KATERINA CHRISTIDI Katerina Christidi peint et dessine de grands paysages troubles dans lesquels évoluent des figures et des objets aux contours instables, donnant le sentiment d assister à une métamorphose en cours. Cette artiste originaire d Athènes qui vit et travaille à Paris compose un univers traversé d une forme d étrangeté, où le choix des grands formats se double d un travail plastique misant sur la saturation des gris. Si nombre de ses œuvres déploient un univers onirique au-dessus duquel semble planer le souvenir d un Odilon Redon ou d un Alfred Kubin, d autres déconstruisent tout espace tangible pour laisser place à une topographie résolument abstraite, que parcourt un réseau serré de traits de fusain. Dans le cadre de l exposition Figure(s)& paysage(s), Katerina Christidi présente quatre fusains sur toile réalisés en 2012-2013. Trois d entre eux s imposent par des formats monumentaux, qui invitent le spectateur à une confrontation physique avec les images. La technique employée a de quoi surprendre : le noir charbonneux du fusain que l on associe généralement au papier vient ici recouvrir de grandes toiles, générant un effet de matière proche d une peau tannée. Sur ces toiles sans châssis directement agrafées au mur se déploient des paysages peuplés d ombres légèrement inquiétantes et des silhouettes flottantes, sans qu aucune forme identifiable ne s en dégage vraiment. Leur point de départ réside toujours dans un petit dessin préparatoire, une image initiale à partir de laquelle Katerina Christidi déploie sa composition sur toile, et dont le résultat final peut, selon les cas, rester très proche ou s éloigner radicalement. Ces paysages intérieurs semblent surgis d un rêve, ou de ce que l artiste désigne comme «un espace narratif trouble». La construction de ces formes résulte d un processus d association d idées qui peut à maints égards évoquer l écriture automatique des surréalistes. «On traverse, avec un tressaillement, ce que les occultistes appellent des paysages dangereux» écrivait André Breton au sujet de cette méthode d écriture qui puise au plus profond de l inconscient. Et c est quelque chose de cet ordre qui semble se jouer dans les œuvres de Katerina Christidi. «Mon souhait, explique-telle, n est pas de fixer mais de dissocier et recomposer, exprimer un état d instabilité, aux frontières de deux réalités. L une familière l autre lointaine et absurde, l une apparente l autre brouillée, l une rassurante l autre inquiétante. J essaye de faire apparaître ce sentiment de vacillement et d étrangeté par un dialogue entre différents niveaux de représentations, les formes tendant parfois vers l abstraction.» Katerina Christidi, Sans titre, 2013, fusain sur toile, 220 x 273 cm 13

ANGÉLIQUE LECAILLE Angélique Lecaille est née en 1975. Diplômée de l école régionale des Beaux-arts de Rennes en 1999, elle enseigne le dessin à l université Rennes II et travaille au sein de Vivarium, atelier artistique mutualisé situé dans une zone industrielle de la ville. Elle se consacre principalement au dessin, qu elle aborde dans de très grands formats traités à la mine de plomb ou au stylo Rotring. L extrême précision de ses images contraste avec l immensité des scènes représentées, qu il s agisse de ciels, de pics montagneux ou de paysages cataclysmiques, ce qui leur confère une dimension magnétique. Les œuvres d Angélique Lecaille sont marquées par une double absence. Celle de la figure, d abord, et celle de la couleur. En les retirant de ses images, l artiste concentre toute l attention sur les espaces qu elle déploie et sur la manière dont la lumière les effleure ou les transperce. À la fin du XVIII e siècle une notion nouvelle apparaît en matière de représentation des paysages : le sublime. «Le sublime, écrit Alain Corbin, c est l effroi, voire l horreur, suscitées par l irruption brutale d un grand événement cosmique qui produit une vibration de l être confronté à la force incommensurable de la nature, laquelle lui fait éprouver sa petitesse». Il y a de ce «sublime» dans les espaces dépeints par Angélique Lecaille, dans ces paysages telluriques qui renvoient à des temps immémoriaux et semblent exposer la matière minérale encore animée de transformations. Le regard de l artiste rejoint ici celui du scientifique observant l univers à travers sa lunette ou celui de l amateur éclairé collectionnant les curiosités géologiques. On passe ainsi de l infiniment grand des planètes et des montagnes, à l infiniment petit de roches précieuses, météorites peut-être, sous des globes de verre soufflé qui en soulignent la fragilité. Dans The Spugue, ce sont les concrétions d une grotte karstique qui se superposent et s enchâssent en un réseau serré de lignes et de hachures, tandis que, dans la série Christoberg, le noir profond de l encre de Chine appliquée au Rotring fait surgir sur le blanc du papier les silhouettes de roches ruiniformes érodées par les éléments. Plus que des paysages, c est un monde que nous présente l artiste, un monde d avant la v i e, m i n é r a l e t sculptural. Et cet aspect est renforcé par les propriétés plastiques de la mine de plomb, qu Angélique Lecaille utilise dans ses dessins mais également dans ses sculptures. Le graphite qui vient recouvrir les sculptures en terre Tcheliabinsk et The far landscape leur confère ainsi une densité et une brillance toute métallique. Bien que l extrême précision du trait évoque le dessin d observation, les paysages d Angélique Lecaille sont entièrement imaginaires. «Je dessine sans modèle, suivant mon imagination. Notre vision du paysage, c est un peu notre propre reflet». Angélique Lecaille est représentée par la galerie melanierio. Angélique Lecaille, The far landscape of my mind, 2012, terre et mine de plomb, Courtesy galerie melanierio 14

MARINE JOATTON Diplômée de l'institut d'études politiques puis de l'école des Beaux-arts de Paris, Marine Joatton développe depuis le début des années 2000 un travail plastique marqué par une puissante expressivité du geste et du dessin. Dans une pratique proche de l écriture automatique, elle donne naissance à des formes issues de tâches ou de tracés aléatoires qui construisent peu à peu des univers imaginaires. Par la vivacité de son geste autant que par les chimères qui surgissent dans ses œuvres, le travail de Marine Joatton peut s inscrire dans une veine héritière des Expressionnismes américain et du nord de l Europe. Un étrange bestiaire peuple ses toiles et ses carnets, en une prolifération aussi violente que peut l être la nature. Les titres de certaines séries de dessins, comme Chaîne alimentaire ou Faire ventre de tout, sont à cet égard très révélateurs et rappellent la capacité de la nature à intégrer la destruction dans son processus même de régénération. Datées de 2012, les six œuvres présentées ici n avaient encore jamais été montrées par Marine Joatton. Elles marquent une étape importante dans son travail, celle du retour vers la peinture après plusieurs années principalement consacrées au dessin. Ce sont des scènes tempétueuses, violentes, intensément physiques que l artiste donne à voir dans cette série. Réalisées à l oilstick (peinture à l huile en bâtons) sur toile, ces œuvres se nourrissent de cette matière riche et épaisse, à mi-chemin entre dessin et peinture, permettant aux couleurs de se fondre et de se recouvrir jusqu à la saturation. L œil est immédiatement saisi par les qualités tactiles de cette pâte qu animent l énergie brute et la puissance gestuelle de l artiste. En contrepoint de ces surfaces saturées d une matière en transformation, les quelques marges restées blanches apparaissent comme de brefs moments de respiration au sein d un univers suffocant. Le champ pictural devient ici le lieu d un affrontement : différentes créatures aux contours indistincts s y livrent des luttes sans merci. Mais le combat se joue aussi entre les figures et le fond, dans un mouvement pulsionnel aboutissant à une fusion de l espace et des formes, les silhouettes se dessinant et s effaçant simultanément dans le magma de la surface picturale. Et lorsque la figure est lisible, elle se présente comme une chimère légèrement inquiétante, une image primitive possiblement surgie d un inconscient collectif peuplé de bêtes archaïques. Marine Joatton, Sans titre, 2012, oilstick sur toile, 81 x 100 cm 15

ILLÉS SARKANTYU Né en 1977, Illés Sarkantyu suit des études à l Université des Arts décoratifs de Budapest avant de venir s installer à Paris en 2002. Photographe de formation, il a notamment réalisé une série de portraits de créateurs et intellectuels hongrois vivant en France et de nombreux films sur des artistes contemporains. Les questions liées à la mémoire, aux archives, aux documents parcourent son travail. Se faisant tour à tour enquêteur, historien, archéologue ou simple témoin, Illés Sarkantyu exhume des images et traces d histoires qu il revisite à travers ses propres photographies. Isolées ou confrontées les unes aux autres, ses images fonctionnent comme des indices dans un effort de reconstitution d un récit ou d un moment donné, comme en une tentative de compenser le déficit des mémoires. Illés Sarkantyu, simulation de l'installation pour la bibliothèque du château, meuble Ouest, photographies L œuvre d Illés Sarkantyu se déploie sur trois espaces emblématiques du château que sont la bibliothèque, la salle de billard et le fumoir. Enchâssées dans les rayonnages de la bibliothèque, les photographies réalisées durant sa résidence au Domaine de Kerguéhennec, en 2013, se présentent à la manière d une collection dans un cabinet de curiosité. Des photographies d ossements, d insectes séchés ou d empreintes et d inscriptions diverses y côtoient des détails d architectures, d objets et de paysages, mais également des images de rayonnages vides fonctionnant comme des trompe-l œil. Dans ces vues rapprochées, Illés Sarkantyu accorde une grande attention aux détails, à la qualité de présence des matières, et le film qu il présente dans le fumoir procède de ce même regard sensible sur un environnement proche, observé au fil des saisons. Tous ces fragments juxtaposés induisent des rapprochements formels et des combinaisons qui semblent fournir des amorces pour autant de récits liés à une possible histoire du lieu. «Deux images qu on rapproche produisent de la pensée. Ce n est pas seulement l image et sa légende mais la distance qui les sépare qui dessine, ouvre, un espace pour penser.» Cette réflexion formulée par Georges Didi-Huberman à propos de l Atlas Mnémosyne d Aby Warburg trouve un puissant écho dans la collection d images que compose Illés Sarkantyu. Car ce travail interroge les signes et les représentations qui peuplent un environnement donné. Ainsi, sur la table de billard est présentée une photographie noir et blanc au motif énigmatique composé de trois mains sur fond noir. Ces trois mains, Illés Sarkantyu les emprunte au blason ornant la façade du château et les revisite dans un travail photographique. En l extrayant de son contexte initial l artiste nous propose de mesurer l opacité de cette image, sa résistance à l interprétation et un certain flottement du sens. 16

HORS-LES-MURS Atelier/Galerie Les Bains-Douches, Pontivy Le Domaine de Kerguéhennec donne rendez-vous à l Atelier/Galerie Les Bains-Douches pour découvrir les expositions d artistes qui ont été accueillis en résidence au Domaine : Isabel Duperray, Les Yeux clos, jusqu au 30 mars ; Élise Beaucousin, du 18 avril au 15 juin. Atelier/Galerie Les Bains-Douches : 13 quai Presbourg - 56300 Pontivy Horaires sur www.kerguehennec.fr PROCHAINEMENT Au Domaine de Kerguéhennec Rendez-vous aux jardins Nombreuses activités pour les familles et les enfants dans le parc et dans l ancien potager autour du thème : «L enfant au jardin» vendredi 30, samedi 31 mai et dimanche 1 er juin Jardins éphémères Dans le cadre de la 2 e édition du festival Lieux mouvants. Découvrez, au cœur du Domaine de Kerguéhennec, un lieu d exception habituellement fermé au public, l ancien potager. De jeunes jardiniers-paysagistes sélectionnés par un jury de professionnels présenteront leurs jardins conçus pour l occasion. dimanche 8 et lundi 9 juin Fondation Maeght. De Giacometti à Tàpies, 50 ans de collection Exposition Du 22 juin au 2 novembre 17

AUTOUR DES EXPOSITIONS Tous les rendez-vous sont gratuits sauf mention contraire (réserv. conseillée au 02 97 60 31 84) VISITES ACCOMPAGNÉES 16h : visite du château / 16h30 : visite de l exposition Tous les dimanches RENDEZ-VOUS Conférence Figure(s) & paysage(s), par Pierre Wat, historien de l art. Dimanche 6 avril, 15h Côté parc* : conférence Les peintres du plein air, paysages d Italie par Louis-Michel Nourry, historien des jardins et du paysage. Dimanche 13 avril, 15h Côté parc* : écoute et observation des oiseaux (à partir de 7 ans) Promenade à la découverte des oiseaux du parc avec la Réserve naturelle des marais de Séné. Dimanche 27 avril, 9h30 Côté parc* : promenade paysagère avec Louis-Michel Nourry, historien des jardins et du paysage. Dimanche 11 mai, 15h Une œuvre-une heure Hors-les-murs au Théâtre des Halles (rue Lourmel, Pontivy) L autoportrait dans l œuvre de Tal Coat, par Jean-Marc Michaud, conservateur, suivi d un échange avec Élise Beaucousin, artiste. Vendredi 18 avril, 20h30 * en collaboration avec le service des Espaces naturels sensibles du Département du Morbihan. 18

AUTOUR DES EXPOSITIONS Tous les rendez-vous sont gratuits sauf mention contraire (réserv. conseillée au 02 97 60 31 84) ATELIERS et visites EN FAMILLE Enfant à partir de 5 ans, accompagné d un adulte. Sur réserv. 02 97 60 31 84 Rando-croquis en famille avec Emma Burr, artiste Partez pour une balade, crayon en main, dans le parc. Croquez, sur le motif, et à volonté, perspectives paysagères et détails architecturaux. Mercredi 5 mars Jeudi 1 er mai de 14h30 à 16h et de 16h30 à 18h 4 /personne Visite insolite en famille avec Laurence Durand, conteuse-clown De la cuisine du château aux différents lieux d expositions, découvrez le Domaine sous un jour nouveau. Dimanche 9 mars de 15h à 16h30 et de 16h30 à 18h ATELIERS pour les enfants Atelier de pratique artistique avec Jean-François Baudé, artiste Partagez un moment convivial en famille ou entre amis et découvrez l exposition en expérimentant vous-même un travail de création plastique. Mercredi 12 mars Mercredi 7 mai de 14h30 à 17h 4 /personne Sur réserv. 02 97 60 31 84 DE 8 À 14 ANS Atelier abris et création paysagère Cette visite propose de partir à la découverte du parc de sculptures et de réaliser une construction intégrant les matériaux de la nature. Jeudi 6 mars de 14h30 à 17h 4 (goûter compris) DE 6 À 11 ANS Atelier Figure(s) & paysage(s) Quand le paysage devient figure. Après la découverte de l exposition Figure(s) & paysage(s), les enfants sont invités à créer en atelier leur autoportrait paysager. Vendredis 7 et 14 mars Vendredi 2 mai de 14h30 à 17h 4 (goûter compris) DE 6 À 11 ANS Atelier de pratique artistique avec Jean- François Baudé, artiste Regarder, échanger, dessiner, assembler... jouer avec les éléments pour entrer de plain-pied dans le processus de la création artistique. Jeudi 13 mars Jeudi 8 et vendredi 9 mai de 14h30 à 17h 4 (goûter compris) 19

Photo : Auteurs de vues INFORMATIONS PRATIQUES Domaine de Kerguéhennec Une propriété du Département du Morbihan 56500 Bignan Tél. : 02 97 60 31 84 Dates et horaires d'ouverture Du 2 mars au 25 mai Du mercredi au dimanche, de 12h à 18h Entrée libre et gratuite Réservation indispensable pour les groupes Restauration légère au Café du parc Des cannes-sièges sont à la disposition des visteurs à l'accueil du château. Le Domaine de Kerguéhennec est soutenu par le ministère de la Culture et de la Communication (DRAC Bretagne) et la Région Bretagne. Il fait partie du réseau européen des Centres culturels de rencontre. Pour en savoir plus... Retrouvez toutes les informations sur le Domaine de Kerguéhennec sur : www.kerguehennec.fr