Enseignement supérieur et de promotion sociale en Fédération Wallonie-Bruxelles : Port de signes religieux

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Transcription:

Enseignement supérieur et de promotion sociale en Fédération Wallonie-Bruxelles : Port de signes religieux Recommandation au Ministre de l enseignement supérieur et à la Ministre de l enseignement de Promotion sociale Titre + Réf. Port de signes religieux Règlement d ordre intérieur - Enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles Nos réf : AAR 6-3 novembre 2016 Constat De nombreuses écoles supérieures et établissements de promotion sociale, quel que soit le réseau auquel elles appartiennent (Fédération Wallonie-Bruxelles, officiel subventionné, catholique) interdisent dans leur règlements le port de signes convictionnels aux étudiants. Exemples signalements reçus à Unia : - Une école de promotion sociale interdit, dans son règlement d ordre intérieur, le port de tout couvre-chef ; - Une école supérieure interdit, dans son règlement d ordre intérieur, le port des signes religieux, philosophiques et politiques ; - Une école supérieure qui forme des infirmier-ères interdit le port du voile pour les travaux en laboratoire, sans proposer de solution alternative telle que le port d un bonnet ou d une charlotte, qui est autorisé dans certaines sections de la même institution. L interdiction vise, selon les cas : - les signes convictionnels, - les signes distinctifs philosophiques ou religieux, - les insignes, bijoux ou vêtements qui expriment une appartenance philosophique, religieuse ou politique, - les accessoires vestimentaires qui ne permettent pas l identification de la personne, - les couvre-chefs, - les signes distinctifs porteurs de valeurs à caractère xénophobe, philosophique ou religieux.

Des règlements font également parfois référence au respect par les étudiants du «principe de neutralité propre à l enseignement organisé en Communauté française». Le principe de neutralité, s il est effectivement consacré par le décret de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l enseignement de la Communauté et par le décret de la Communauté française du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d enseignement, ne s applique en fait qu aux membres du personnel enseignant. Il faut distinguer la question de la neutralité de celle du prosélytisme, qui, selon la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l Homme, implique que les personnes que l on tente de convertir sont soumises à des pressions et des contraintes. Alors que de telles mesures touchent majoritairement un public déjà largement fragilisé sur le marché de l emploi (les jeunes femmes d origine étrangère), qui est le plus souvent amené à suivre des cours en horaire décalé, les limitations qui sont ainsi mises dans l accès à la formation sont un frein supplémentaire à une intégration dans ce marché. Le fait que l on se trouve ici en présence d un public adulte devrait être pris en compte lors de l élaboration de mesures qui portent atteinte à la liberté religieuse des personnes. Dans une société démocratique, l un des principes fondamentaux est en effet la liberté individuelle d expression et la liberté d exprimer et de manifester pacifiquement ses convictions. Ce principe est consacré par plusieurs textes juridiques, dont la Déclaration universelle des droits de l Homme, la Convention européenne des droits de l Homme et la Constitution belge. Actuellement, la question des signes convictionnels dépend essentiellement des directions d établissement ou des pouvoirs organisateurs, aucun décret spécifique ne règle la question. On notera toutefois que le décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination s applique en matière d enseignement. Il interdit la discrimination sur la base des

convictions religieuses à l encontre des élèves tant en ce qui concerne l inscription à l école que le déroulement du cursus scolaire des élèves. Le décret fait une différence entre : - l enseignement correspondant à l éducation, qui couvre l enseignement fondamental et l enseignement secondaire de type général et - l enseignement correspondant à la formation professionnelle, qui est destiné à préparer à une qualification pour une profession, un métier ou un emploi spécifique, ou à conférer l aptitude particulière à leur exercice, à savoir tous réseaux confondus, et mis à part le fondamental et le secondaire général : l enseignement universitaire, l enseignement professionnel, l enseignement supérieur et de promotion sociale et l enseignement technique de qualification. L article 20 du décret de la Communauté française prévoit qu en matière d accès et de suivi de l enseignement correspondant à la formation professionnelle, aucune justification d une distinction directe sur la base des convictions religieuses n est admissible. Une distinction directe est la situation qui se produit lorsque, sur la base de l un des critères protégés, en l occurrence les convictions religieuses ou philosophiques, une personne est traitée de manière moins favorable qu une autre personne ne l est, ne l a été ou ne le serait dans une situation comparable. Il sera alors question de discrimination directe. La distinction indirecte est également prohibée (article 5), sauf si elle peut être objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés. On parlera de discrimination ou de distinction indirecte lorsqu une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d entraîner, par rapport à d autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l un des critères protégés. Ce pourrait notamment être le cas de règlements d ordre intérieur qui ne font pas directement référence aux convictions religieuses ou

philosophiques. En l occurrence, les seules justifications qui pourraient être apportées à une telle interdiction devraient être liées à des motifs de sécurité ou à l hygiène (par exemple, des cours qui impliquent du travail en laboratoire ou la manipulation de produits dangereux, ) Le Conseil d Etat a été appelé à se prononcer sur la légalité de l interdiction par un règlement scolaire du port des signes religieux et philosophiques par les élèves dans l enseignement secondaire communautaire flamand dans deux arrêts rendus en octobre 2014. Le Conseil d Etat a considéré que les interdictions ne répondaient pas aux exigences posées par l article 9 de la Convention européenne des droits de l Homme dans lesquelles une ingérence dans la liberté de religion est autorisée. En effet, si l interdiction est bien prévue par une loi et si elle vise effectivement une des finalités énumérées limitativement par l article 9, le Conseil d Etat a considéré qu il n était pas prouvé que l interdiction était nécessaire dans une société démocratique, en ce qu aucune situation problématique ou risque de situation problématique n était invoquée pour justifier l interdiction dans les deux écoles dont il était question. Le Conseil d Etat a donc annulé les interdictions imposées par les règlements scolaires. Il exige de façon stricte que le caractère nécessaire de l interdiction soit motivé par des éléments concrets par rapport à la situation d un établissement déterminé. Même s il s agit d arrêts qui concernent l enseignement obligatoire organisé par la Communauté flamande, un tel raisonnement pourrait aussi être appliqué a fortiori en ce qui concerne l enseignement supérieur ou de promotion sociale en Communauté française. Une décision a été rendue par le tribunal de Première Instance de Liège en octobre 2016. Ce tribunal avait été saisi d une demande émanant de plusieurs étudiantes d une haute école qui contestaient l interdiction d une part du port de tout couvre-chef et d autre part, de tout insigne, bijou ou vêtement qui affiche de manière ostentatoire une opinion ou une appartenance politique, philosophique ou religieuse telle que

prévue par le nouveau règlement de la haute école. Le Tribunal a considéré que le principe de neutralité ne s applique pas aux étudiants ; pour ceux-ci le principe est la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées, de manifester sa religion ou ses convictions, de s associer. Selon le Tribunal, ce principe peut néanmoins être mis à mal par les étudiants, notamment par des faits de prosélytisme ; dans de tels cas, le pouvoir organisateur peut intervenir et interdire de tels comportements. De même, le Tribunal considère que des motifs religieux ou philosophiques ne justifient pas le fait de se soustraire à des activités d apprentissage. Le Tribunal a considéré que l interdiction générale du port du foulard poursuivait un but légitime ( apaiser les tensions au sein de l école) mais qu elle était disproportionnée par rapport à cet objectif. Il a dès lors enjoint à l établissement de ne pas appliquer cette interdiction générale. Proposition Unia, conformément aux recommandations précédemment exprimées dans son «outil de réflexion» relatif aux signes convictionnels plaide pour qu aucune restriction ne soit faite à la liberté des étudiants de l enseignement supérieur ou de promotion sociale d exprimer leurs convictions. Il est proposé qu une circulaire soit envoyée en ce sens aux établissements d enseignement supérieur et de promotion sociale. Référence(s) légale(s) et / ou jurisprudence - Outil «Signes» sur le site de Unia (http://signes.diversite.be) ; - Décret de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l enseignement de la Communauté ; - Décret de la Communauté française du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d enseignement; - Décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de

discrimination ; - Article 19 de la Constitution; - Article 9 de la Convention européenne des droits de l Homme; - Article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l Union Européenne; - Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l Homme ; - Arrêts du Conseil d Etat n 228.754 et 228.755du 14 octobre 2014 ; - Décision du Tribunal de Première instance de Liège du 4 octobre 2016.