Gouverner la France depuis 1946. État, gouvernement et administration. Héritages et évolutions.



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Term L, histoire-géographie LMA, 2012-2013 Thème 4 Les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours Question 1 L échelle de l Etat-nation Cours Gouverner la France depuis 1946. État, gouvernement et administration. Héritages et évolutions. Introduction Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la refondation d une République démocratique donne naissance à la IVe République. L État est au centre de la reconstruction économique et de la modernisation du pays. À partir de 1958, la mise en place d un nouveau régime place le président de la République au centre de la vie politique, mais ne change pas le rôle moteur de l État dans l ensemble des domaines régaliens, mais également dans l économie, la protection sociale ou la culture. Une rupture s amorce cependant à partir des années 1970 et se renforce au cours des décennies suivantes : face à la crise économique, à une intégration européenne de plus en plus poussée et dans le contexte d une mondialisation accrue, la place et le rôle de l État sont de plus en plus questionnés dans sa capacité à assurer la croissance économique et la cohésion de la société française. I Le renforcement de l État de 1946 aux années 1970 1. Le GPRF et la IV e République La faillite de l État français durant la Seconde Guerre mondiale impose de refonder les bases d un nouveau régime politique démocratique. À la Libération, le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) se constitue autour du général De Gaulle et pose les jalons des futures politiques publiques. La création de l ENA (Ecole Nationale d Administration) en 1945 est le prélude à la réorganisation de la haute fonction publique et à la reconstitution d un corps de hauts-fonctionnaires compétents, dont la tâche sera de garantir la continuité de l action publique. (Texte 1 p. 298 sur l ENA) Toutefois, dès 1945, les désaccords sur le futur régime politique de la France apparaissent. Les principaux partis politiques sont favorables au régime parlementaire : selon eux, les représentants du peuple doivent contrôler l essentiel du pouvoir. Le général de Gaulle en revanche, que l Assemblée Constituante vient d élire président du GPRF, est favorable à un pouvoir exécutif fort et pense que celui-ci doit revenir au chef de l État "placé au-dessus des partis". Face à une économie exsangue et un territoire en partie dévasté, la priorité est de redémarrer la production. Le Gouvernement provisoire intervient, dans le cadre d une politique volontariste, en nationalisant les secteurs vitaux de l économie (énergie, banques, transports). Certaines de ces nationalisations sont des sanctions, comme celle de Renault ou la création de la Snecma à partir de Gnome et Rhône D autres, comme la création d Air France, d EDF et de GDF et des Charbonnages de France, montrent que l État entend s imposer donc comme le principal acteur de la vie économique. (Repère p. 296, "Les principales nationalisations") Un commissariat au Plan, dirigé par Jean Monnet, est mis en place en 1946, ce qui confirme cette tendance (texte 1 p. 297, "Le Plan d équipement et de modernisation"). Jean-Christophe Delmas 1

1 GOUVERNER LA FRANCE DEPUIS 1946. La même année, les membres du GPRF décident de fonder la sécurité sociale, inspirée du programme du CNR (Conseil National de la Résistance). Au moment où la guerre se termine, les bases d un État-providence sont posées : la sécurité sociale est crée en 1945 et les allocations familiales l année suivante. La Constitution adoptée en 1946 met en place un régime parlementaire fortement marqué par l instabilité ministérielle, puisque 23 gouvernements vont se succéder en douze ans. Durant toute la IVe République, les clivages sont forts entre communistes et gaullistes en opposition presque constante aux coalitions instables constituées au gré des circonstances entre gauche non communiste (socialistes de la SFIO, Radicaux, etc.) et la droite non gaulliste (les démocrates-chrétiens, centristes, etc.). Toutefois, les mêmes personnels se retrouvent souvent au sein des coalitions, assurant une certaine stabilité, comme dans le domaine de la politique étrangère ou la France demeure ancrée dans l Alliance atlantique, dans le contexte de la guerre froide.la reconstruction, financée par le Plan Marshall et supervisée par le Commissaire au plan, est menée à bien dans un souci de modernisation du système productif. L économie française profite de la croissance des Trente Glorieuses et s ouvre à la concurrence internationale. En outre, le choix de la collaboration européenne est affirmée avec la création de la CECA en 1951, puis par le Traité de Rome (1957) pour lequel la France joue un rôle majeur. "La vocation sociale du nouveau régime républicain est soulignée dans le préambule de la Constitution de la IVe République : " la nation assure à l individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". (texte 2. P. 297, "Des nouvelles missions pour l État") Les gouvernements successifs restent fidèles au développement d un État-providence, en poursuivant la vague de nationalisations et en légiférant sur les rémunérations (mise en place du SMIG en 1950 et de l assurance chômage en 1958). Le nouvel État français continue donc de renforcer ses prérogatives et poursuit son expansion. La IV e République se heurte toutefois à l opposition des communistes (PCF) qui adoptent une position pro-soviétique mais aussi à celle de la formation gaulliste (RPF) qui critique " le régime des partis ". L opposition de ces deux formations se manifeste en particulier lorsqu elles font échouer le projet de Communauté européenne de défense (CED) en 1954. Cette instabilité politique fait également émerger un fort sentiment anti-parlementariste illustré par les succès électoraux du parti poujadiste (droite populiste) à la fin des années 1950. Le régime, qui a jeté les bases de la décolonisation (indépendance du Maroc et de la Tunisie, loi-cadre Defferre préparant celle de l Afrique noire) chute à cause de la perte de l Indochine (1954) et surtout du fait de son incapacité à gérer la crise algérienne en 1958. La IVe République, malgré ses réalisations objectives, n a jamais été populaire auprès des Français, sans doute par son incapacité à proposer une réelle incarnation de l État. 2. La "République gaullienne" Alors que la Constitution de la IVe République avait mis près d un an à être adoptée, le texte de la nouvelle Constitution est élaboré et validé en trois mois seulement. De Gaulle préside un gouvernement d union, auquel participent tous les partis politiques, à l exception des communistes et des poujadistes. Autour du général de Gaulle, plusieurs personnalités politiques participent à l élaboration du projet, parmi lesquelles Michel Debré, Pierre Pfimlin et Guy Mollet. Le texte reprend les principes exprimés par de Gaulle dans son discours de Bayeux (1946) : réduction du pouvoir du Parlement et affirmation d un exécutif fort, au sein duquel le président de la République occupe une place prépondérante. Le président de la République, élu pour sept ans, "clef de voûte" des institutions, arrive symboliquement en tête de la nouvelle Constitution. Comme Jean-Christophe Delmas 2

I Le renforcement de l État de 1946 aux années 1970 sous la IVe République, il veille au respect de la Constitution et à la continuité de l État. Il est le garant de l indépendance nationale et de l intégrité du territoire. En outre, le chef de l État préside le Conseil des ministres, promulgue les lois et nomme aux emplois civils et militaires de l État. Le président n est plus élu par le Parlement, mais par un collège électoral de 80000 personnes environ, ce qui renforce sa légitimité. Et son importance est encore affirmée après le référendum du 28 octobre 1962 lors duquel les Français décident de son élection au suffrage universel direct. Le président de la République nomme le Premier ministre et les ministres (sur proposition de ce dernier). Il a le pouvoir de dissoudre l Assemblée nationale et peut consulter directement les Français par la voie du référendum. Enfin, il est le chef des armées et l article 16 de la Constitution lui accorde des pouvoirs exceptionnels si le pays est menacé. Le pouvoir législatif est cantonné dans son strict rôle. L État s incarne donc dans la personne du président de la République (Extrait du Coup d État permanent, texte 1 p. 301). Le 21 décembre 1958, le général de Gaulle est élu président de la République. Son septennat est marqué par l achèvement de la décolonisation. En 1960, les colonies françaises d Afrique accèdent à l indépendance, et en 1962, les accords d Evian mettent fin à la guerre d Algérie. Sur le plan international, de Gaulle souhaite restaurer le rôle de la France et adopte une position critique vis-à-vis des États-Unis, n hésitant pas à nouer des relations diplomatiques avec des pays du bloc communistes. Cette volonté d indépendance de la France aboutit à la mise en place d une force nucléaire autonome, à partir de 1960. Et en 1966, la France quitte l OTAN, tout en restant membre du Pacte atlantique. Enfin, si de Gaulle est hostile au principe d une Europe supranationale, son mandat est marqué par le rapprochement franco-allemand. Sur le plan économique, la "république gaullienne" s inscrit dans la période de forte croissance des Trente Glorieuses. La modernisation économique du pays se poursuit, dans l industrie, mais également dans l agriculture (dans le cadre de la PAC). La DA- TAR, mise en place en 1963, montre que l État entend bien diriger l aménagement du territoire français, d autant que les hauts fonctionnaires sont installés dans tous les rouages du pouvoir (critique de Mendès France, texte 5 p. 299, et celle de Pompidou, texte 4 p. 301). L État étend également ses prérogatives au secteur de la culture avec la création d un ministère des Affaires culturelles, en 1959 (André Malraux). Le contexte économique demeure porteur, puisque la croissance demeure forte et que la majorité des Français accède à la consommation de masse. Toutefois, on assiste à une certaine usure du pouvoir : en 1965, de Gaulle est mis en ballottage aux élections présidentielles par le candidat de la gauche, François Mitterrand. Et la crise sociale et politique de mai-juin 1968 témoigne du malaise social, en particulier celui de la jeunesse. Le 28 mai 1969, à la suite de l échec du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat, de Gaulle démissionne. 3. La rupture des années 1970 En juin 1969, Georges Pompidou est élu président de la République. Il est soutenu par l UDR ainsi que par une partie des centristes. Son action se situe dans la continuité de celle du général de Gaulle : volonté de développer le pays sur le plan économique et technologique, soutien à la DATAR qu il avait créée en tant que premier ministre, mécénat public (texte 1 p. 302, "Placer l art au cœur de la politique"), politique extérieure d indépendance nationale vis-à-vis des États-Unis. Son Premier ministre, Jacques Chaban Delmas, tente de mettre en place une politique de réformes, la "Nouvelle Société" : il compte moderniser l économie, mettre en œuvre des privatisations, diminuer le poids de l administration et relâcher le contrôle de l État sur l audiovisuel (ORTF). Ce projet, qui marque une rupture avec le renforcement continuel de la place de l État dans Jean-Christophe Delmas 3

1 GOUVERNER LA FRANCE DEPUIS 1946. le pays, se heurte à l hostilité des gaullistes, et Chaban-Delmas est remplacé en 1972 par Pierre Messmer, qui met un terme à la politique réformiste. Néanmoins, la même année, un début de décentralisation est engagé avec la mise en place de conseils régionaux - mais ceux-ci ne sont pas élus et son placés sous l autorité des préfets. Le 2 avril 1974, le Président Pompidou décède et de nouvelles élections sont organisées. Valéry Giscard d Estaing succède à Georges Pompidou. C est un libéral, qui entend "gouverner la France au centre" et se distingue par son style de ses deux prédécesseurs, affichant une modernité affirmée (bio page 300). De 1974 à 1976, il met en place une série de réformes de société : la majorité est abaissée de 21 à 18 ans, un secrétariat d État à la condition féminine est créé, la loi Veil légalise l interruption volontaire de grossesse et le divorce est facilité. D autre part, une garantie de ressources est accordée aux demandeurs d emploi. En effet, le début du septennat de Giscard d Estaing coïncide avec celui de la crise économique et de la montée du chômage en France. En 1976, le premier ministre de Valéry Giscard d Estaing, Jacques Chirac, est remplacé par un économiste, Raymond Barre. Celui-ci a pour objectif de lutter contre la crise. Il met en œuvre des mesures libérales afin de lutter contre l inflation. Toutefois, le chômage continue d augmenter et le second choc pétrolier (1979) et la persistance de la stagflation ruinent les efforts du gouvernement Barre. Le Président doit également faire face à une opposition politique croissante : à gauche, l opposition socialiste et communiste. À droite, le RPR fondé par Jacques Chirac en 1976. Et le 10 mai 1981, Valéry Giscard d Estaing est battu aux élections présidentielles par le candidat unique de la gauche, François Mitterrand. II Le recul relatif de l État depuis les années 1980 1. La gauche au pouvoir Le début du septennat de François Mitterrand se caractérise par une série de réformes économiques et sociales qui redonnent une place majeure à l État dans l ensemble des domaines : baisse du crédit et des taux d intérêt, revalorisation du SMIC et des bas salaires, réduction du temps de travail hebdomadaire, cinquième semaine de congés payés et abaissement de l âge de la retraite. (Texte 1 p. 318, extrait du programme du PS) Le gouvernement, dirigé par Pierre Mauroy, lance une politique de nationalisations et l État investit comme jamais le domaine de la culture, avec le renforcement du budget du ministère confié à Jack Lang. À l inverse, il desserre l emprise de l État sur les médias ("radios libres", Haute autorité de la communication audiovisuelle en 1982, chargée de garantir l indépendance des médias). Toutefois, la décentralisation (lois "Defferre" de 1982 et 1983) transfert aux collectivités locales (départements et régions) des prérogatives qui étaient jusqu alors réservées à l État, quoi qu on ne puisse pas parler d un renoncement de celui-ci à ses fonctions régaliennes (texte 2 p. 308, "La loi Defferre" et texte 2 p. 305, "L État, entre les régions et l Europe" et texte, "sujet" p. 319). On peut observer que cette politique de " changement " se situe dans le contexte d une profonde remise en cause du rôle de l État au plan international. Dans le monde anglo-saxon, le choix d une orientation ultra-libérale (déréglementation financière et libéralisation de l économie sous les administrations Reagan et Thatcher) provoque un désengagement généralisé des États qui sont cantonnés à leurs fonctions régaliennes. Toutefois, le gouvernement se heurte à la progression continue du chômage et à la persistance de l inflation. En 1983, Pierre Mauroy doit décréter une politique de rigueur. De 1984 à 1986, le nouveau Premier ministre, Laurent Fabius, limite l intervention de l État dans l économie et la gauche abandonne l idée de renationaliser, ce qui marque pour la première fois un retrait de l État dans la vie économique du pays. Mais en 1986, Jean-Christophe Delmas 4

II Le recul relatif de l État depuis les années 1980 les élections sont marquées par la victoire de la droite (UDF-RPR) et par la montée du Front national. Le Président doit choisir un Premier ministre issu de la nouvelle majorité, Jacques Chirac. C est la première cohabitation. Le gouvernement Chirac met en place une politique économique d inspiration libérale, sans toutefois parvenir à juguler le chômage. Face à la crise, les modèles libéraux comme les modèles de relance keynésienne ont montré leurs limites, voire leur impuissance. En 1988, François Mitterrand est élu pour un second mandat face à Jacques Chirac. Trois Premier ministres se succèdent de 1988 à 1993 : Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy, ce qui démontre l usure rapide des gouvernements du fait de la crise. En 1993, la droite remporte à nouveau les élections législatives. François Mitterrand nomme Edouard Balladur Premier ministre : c est la deuxième cohabitation (Texte 1 p. 312 sur la cohabitation). Cette instabilité politique - et la montée continue du Front national - montre que face à l impuissance des politiques à résoudre le problème du chômage, les Français doutent de plus en plus de l efficacité des gouvernants et de l État. Il en va de même pour les questions qui font débat depuis lors, comme le financement du système de santé, des retraites. En bref, il s agit d une crise de l État-providence tel qu il est né après la Seconde Guerre mondiale et d une remise en cause des élites de la fonction publique qui ont porté le système sous la IVe et la Ve République. Toutefois, ce phénomène est ambigu. La défiance qui s exprime par rapport à une construction européenne toujours plus avancée montre qu une large partie de la population n approuve pas les transferts de souveraineté vers une Europe jugée lointaine et aux rouages peu compréhensibles. C est le cas en particulier lors de la campagne pour le référendum sur le traité de Maastricht (1992) au cours de laquelle les opposants au traité insistent sur le rôle protecteur que doit retrouver l État et s accrochent au principe de souveraineté nationale. 2. La poursuite du recul et la transformation de l État Les années suivantes, sous les mandats de Jacques Chirac (1995-2002, 2002-2007) sont marquées par une nouvelle cohabitation avec le socialiste Lionel Jospin (1997-2002). La "gauche plurielle" arrive au pouvoir avec un programme de gauche, interventionniste dans ses principes, mais alors que des réformes sociales sont mises en place (les 35 heures), l État se désengage de plus en plus de sa participation dans les entreprises publiques. Le premier ministre semble entériner ce recul de la puissance publique lorsqu il déclare en 1999 : "L État ne peut pas tout", en s adressant à des ouvriers licenciés par l entreprise Michelin. En 2002, la présence au second tour de l élection présidentielle du candidat "anti-système", Jean-Marie Le Pen, président du Front national, peu en partie s expliquer par le sentiment d une partie de la population française que l État ne respecte plus ses devoirs de protection en matière de sécurité, de lutte contre l immigration clandestine, etc. En 2003, la politique de décentralisation est confortée avec le transfert aux collectivités de nouveaux pouvoirs : celles-ci récupèrent l autonomie budgétaire et de nouvelles compétences appartenant jusqu alors à l État (transports, lycées, etc.). La décentralisation deveint un principe constitutionnel : "la France est une République décntralisée." (texte 4 p. 309, "La révision constitutionnelle" et texte 5 p. 309 pour nuancer le but de la décentralisation) Ce mouvement de décentralisation est justifié par la volonté de mieux répondre aux besoins des populations mais aussi par souci d économies, mais il peut s interpréter également comme un repli à l échelle locale, face aux défis de la mondialisation - un phénomène que l on peut observer à l échelle européenne (texte 3 p. 305, "Une nouvelle forme de cohabitation"). Le désengagement de l État est aussi mis en œuvre par l abandon du service militaire en 1997. Au total, l État français, qui Jean-Christophe Delmas 5

1 GOUVERNER LA FRANCE DEPUIS 1946. avait connu une expansion continue depuis 1946, semble s éroder face à la persistance de la crise économique et l intégration de plus en plus poussée à l Union Européenne. 3. Un rôle devenu ambigu dans le contexte de la mondialisation Face à la poursuite de l intégration européenne et de l élargissement de l UE et face à la concurrence croissante des puissances émergentes dans la mondialisation, une partie des Français réclame un retour de l État dans ses fonctions de régulation et de protection. Les transferts de souveraineté vers des institutions européennes mal connues mais jugées lointaines et bureaucratiques, l incapacité des gouvernements successifs, de droite comme de gauche, à empêcher la désindustrialisation du pays, sont vécus comme un renoncement de l État à accomplir ses missions. Une majorité de Français ne croit pas que l Union européenne les protège (38 % jugent son action positive en 2012, contre 60 % dix ans plus tôt) et en 2005, ils rejettent à une large majorité le projet de Traité constitutionnel au cours d un référendum. La crise des subprimes puis la crise des dettes souveraines aggravent le taux de chômage et le sentiment d insécurité. La crainte que l État ne puisse plus assurer ses fonctions de redistribution et de protection sociale est la cause de manifestations endémiques à chaque tentative de réforme du système français. Nicolas Sarkosy (2007-2012), qui avait fondé sa campagne électorale sur le thème du volontarisme politique est battu aux élections présidentielles et son successeurs, François Hollande, atteint rapidement des records d impopularité. Le ministère du redressement productif qu il a mis en place a les plus grandes difficultés à conserver les emplois sur le sol national et de nombreux Français pensent que la politique échappe aux élites nationales tandis que les décisions sont imposées par l Europe libérale ou la finance mondialisée. Toutefois, l État continue à jouer un rôle majeur. Il a par exemple étendu ses interventions aux politiques de l environnement (le " Grenelle de l environnement ", à titre d exemple) et, dans le contexte de nouvelles menaces nées de l après-guerre froide - le terrorisme international notamment - il continue d assumer le plus important de ses domaines régaliens, même s il le fait dans le cadre d une coopération internationale renforcée. Par ailleurs, on ne peut pas dire que le poids de la fonction publique ait diminué en France, ni que le système mis en place sous la IVe et la Ve République de formation des hauts fonctionnaires dans le sérail de l ENA ait changé. De même, le poids de l État se manifeste dans la politique fiscale, comme le montre l augmentation de la part des prélèvements obligatoires depuis une trentaine d années. Jean-Christophe Delmas 6