Comment est née l idée d appliquer le modèle «crowdfunding» à une maison d édition?



Documents pareils
Lisez ATTENTIVEMENT ce qui suit, votre avenir financier en dépend grandement...

Crowdfunding et bande dessinée Le financement participatif de la BD

Le conditionnel présent

Qu est ce qu une bibliothèque?

Copyright 2008 Patrick Marie.

Comment formater votre ebook avec Open Office

Découvrir OpenOffice Comment optimiser et formater votre ebook avec OpenOffice

PROJET MULTIMEDIA 2005/2006

Installer une imprimante réseau.

Communiqué de presse. Lecture : de nouveaux outils numériques en Fédération Wallonie-Bruxelles

Inviter au plus vite tous les acteurs de la création, de l'édition, de la diffusion et de la lecture à des «États généraux du livre et de la lecture».

Assises Professionnelles du Livre : A l heure du numérique. La commercialisation du livre dans l univers numérique

B Projet d écriture FLA Bande dessinée : La BD, c est pour moi! Cahier de l élève. Nom : PROJETS EN SÉRIE

Églantine et les Ouinedoziens

1. Création d'un état Création d'un état Instantané Colonnes Création d'un état Instantané Tableau... 4

Le courrier électronique

Entretien avec Jean-Paul Betbéze : chef économiste et directeur des études économiques du Crédit agricole, est membre du Conseil d'analyse économique

LIBRAIRIE SUR INTERNET

Communication, relations publiques et relations médias à l heure des réseaux sociaux

Le poids et la taille des fichiers

Sommaire. Astuce : cliquer sur la question qui vous intéresse vous renvoie directement au chapitre concerné.

Les noms de domaines: le bien immobilier du 21ème siècle

Next Level 2. avec L OBSERVATOIRE DE REFERENCE DES GAMERS COMPORTEMENTS DE JOUEURS ET D ACHETEURS. 18 Octobre 2012

Organiser des séquences pédagogiques différenciées. Exemples produits en stage Besançon, Juillet 2002.

Dernière mise à jour : septembre 2014

Première société de turbomédia en France

Un modèle de contrat

La stratégie de la SWX Swiss Exchange pour la place financière suisse

La Coiffure à Domicile, un métier d avenir grâce au statut de l auto-entrepreneur.

BDL Info. À la une... Éditorial. Toute l actualité de BDL Informatique / Juin Une salle «haut débit» à louer.

1 er réseau social dédié à la photographie

NOUVEAU TEST DE PLACEMENT. Niveau A1

Utiliser les supports d'exemplaires

Dossier de presse Holimeet

LES FORMULES DE PUBLICATION

SEMINAIRE NATIONAL DE L OMPI SUR LA CONTREFAÇON ET LA PIRATERIE DANS LE DOMAINE AUDIOVISUEL

Réponse de l EBG à la consultation publique concernant le Plan France numérique 2020.

A.-M. Cubat PMB - Import de notices à partir d un tableur Page 1 Source :

Cloud Computing : forces et faiblesses

A vertissement de l auteur

France et Allemagne : deux moteurs aux régimes distincts

13 conseils pour bien choisir son prestataire de référencement

Vue d'ensemble OBJECTIFS

La question suivante était bien sur comment créer un groupe d étude avec des compagnons distants de plusieurs milliers de km? La réponse fût: Skype.

Janvier BIG DATA : Affaires privées, données publiques

Société de Développement de Solutions Informatiques

N 6 Du 30 nov au 6 déc. 2011

Cet ouvrage ne peut être utilisé que pour un usage privé uniquement. Vous n'avez pas le droit de l'offrir ni de le revendre sans accord des auteurs.

OPTION INFORMATIQUE EN CLASSE DE SECONDE. UN EXEMPLE DE PROGRESSION PÉDAGOGIQUE (suite et fin)

1 /// 9 Les médias solutions

A V I S N Séance du mercredi 1er avril

Etude sur les usages de la lecture de bande dessinée Numérique / izneo - Labo BnF

5 semaines pour apprendre à bien jouer un morceau de piano

Conseils pour le traitement des douleurs persistantes

CONTRAT D EDITION. M...demeurant

La pratique - ITIL et les autres référentiels. Fonctions ITIL et informatique en nuage

Les 3 erreurs fréquentes qui font qu'un site e-commerce ne marche pas. Livret offert par Kiro créateur de la formation Astuce E-commerce

Synthèse e-commerce Les facteurs clés de succès MAI Stéphane Brossard

Patrimoines. La pierre angulaire d'une planification financière solide une gestion des dettes judicieuse

(La Société ARISTOPHIL collectionne et détient la plus grande collection Française de lettres et manuscrits de renommée mondiale)

GUIDE PRATIQUE DU REFERENCEMENT NATUREL

Mise en place d'un Plan d'action Stratégique

«la mouche» : 1958 / 1987, l'adaptation au travers des affiches.

L agenda incontournable et gratuit!

Sportifs et médicaments Questions et réponses

Le tableau comparatif suivant reprend les principaux articles concernant le monde de l édition.

Les principales difficultés rencontrées par les P.M.E. sont : «La prospection et le recouvrement des créances» Petit déjeuner du 26 juin 2012

Espace FOAD IRTS Guide de l étudiant Septembre 2009

Google fait alors son travail et vous propose une liste de plusieurs milliers de sites susceptibles de faire votre bonheur de consommateur.

Accordez-vous le nombre de points correspondant à chaque réponse. Sauf avis contraire, pour chaque question, vous pouvez cumuler les réponses.

LES 10 PLUS GRANDS MYTHES sur la Vidéo Hébergée

deux niveaux 750 m² ordinateurs tablettes liseuses lecteurs MP3. programmation culturelle accueille

Le Helpdesk Belpic fête ses 10 ans!

N.V. Bourov, I.Yu. Khitarova. ART-INFORMATION Problèmes de stockage et de communication. Matériel didactique

LE CREDIT A LA CONSOMMATION, VECTEUR DE CROISSANCE QUEL EQUILIBRE ENTRE EFFICACITE ECONOMIQUE ET RESPONSABILITE?

Refonte d'un site internet

La maison connectée grâce au courant porteur en ligne (CPL)

Séquence rédigée de manière provisoire : Document de travail FAIRE ROULER - "Petites Voitures" CYCLE II

Communiqué de presse gratuit : écrire, publier et diffuser gratuitement son communiqué de presse.

CALAMEO. Publier et partager vos documents sur la toile

1. Types de jeux concours par SMS et légalité

L éduca onfinancière. Manuelduparticipant Lacotedecrédit. Unedivisionde

Service Economie du SNE. Economie du livre. Repères statistiques 2011 et tendances Mars 2013

GERER UNE CAMPAGNE (Mise à jour 04/10/2012) MENU

Débuter avec OOo Base

Le Web, les réseaux sociaux et votre entreprise. Applaudissons les Visionnaires 2009 de Québec. La génération C et le marché du travail

ÉTUDE DE CAS Lancement Selligent pour l Audi A3 Sportback - Une histoire d amour CRM

S'organiser pour ne plus se noyer dans l'information

CRÉER UNE BASE DE DONNÉES AVEC OPEN OFFICE BASE

LES RESEAUX SOCIAUX SONT-ILS UNE MODE OU UNE REELLE INVENTION MODERNE?

Vous rappelez-vous des premiers sites Internet auxquels vous avez accédé?

Comment organiser efficacement son concours photo

Le conseil en investissement

Hauts rendements, convivialité et une sécurité par excellence : Voici OptionWeb

Exercices de dénombrement

Les Cahiers de la Franc-maçonnerie

Transcription:

Crowdfunding Un entretien avec Patrick Pinchart, Editions Sandawe 24 juin 2014 Comment est née l idée d appliquer le modèle «crowdfunding» à une maison d édition? A la fois comme une sorte de synthèse de mes diverses activités dans la bande dessinée, complétée des frustrations lorsque j'étais rédacteur en chef de "Spirou". En premier lieu, j'ai une longue carrière dans le domaine. J'ai lancé mon premier journal spécialisé au début des années 70, quand j'étais encore adolescent, à une époque où l'on commençait enfin à prendre la bande dessinée au sérieux, à la considérer comme un art et non comme un délassement pour enfants ou pour débiles mentaux. J'ai créé la première émission de radio consacrée à la bande dessinée en 1980, sur Radio Campus (deux heures hebdomadaires durant 16 ans). En 1987, je suis devenu rédacteur en chef de "Spirou", poste que j'ai repris en 2005. Entretemps, j'avais créé le département multimédia des éditions Dupuis à une époque où l'on ne savait pas encore ce qu'étaient internet ou un CD-ROM j'ai lancé le premier site internet d'une maison d'édition, le premier site dédié à une série de BD, la première bande-annonce pour un album BD; nous étions des innovateurs. J'ai aussi été éditeur du patrimoine de Dupuis. Donc, Sandawe est une sorte de "melting pot" de toutes ces activités : communication, édition, multimédia, interactivité, etc. En second lieu, lorsque j'étais rédacteur en chef du journal "Spirou", une grande frustration était, après avoir travaillé avec des auteurs de bande dessinée pendant des mois, les avoir aidés à accoucher d'une série, à se roder, à commettre leurs erreurs de jeunesse avant la publication en album... de me confronter à la décision de l'éditeur de ne pas les publier en albums (ce qui est tout à fait son droit). Les lecteurs, qui auraient peut-être acheté ces albums, n'avaient rien à dire dans ce choix. Or, dans la réalité, ce sont eux qui décident du succès ou de l'échec d'un livre en achetant ou n'achetant pas chez leur libraire. Je me suis dit que le système du crowdfunding leur permettrait de devenir acteurs dans le choix dès le départ, en s'engageant financièrement pour confirmer leur soutien aux projets. Cela ne pouvait pas se faire chez Dupuis, qui avait tout à fait les moyens de payer les auteurs et les albums et qui n'aurait pas été crédible dans ce modèle. J'ai donc démissionné pour lancer Sandawe. Expliquez-nous comment fonctionne votre modèle. D'abord il y a les auteurs de BD. Ils me présentent leurs projets. Je les sélectionne drastiquement, comme une maison d'édition traidtionnelle. Nous calculons un budget qui permet de les payer, de payer aussi l'impression du premier tirage, la promo, la commercialisation,... tout ce qui fait la vie d'un livre. Nous signons un contrat d'édition. Ensuite, les auteurs mettent en ligne des planches, le résumé, des dessins, une bande-annonce, etc. tout ce qu'il faut pour montrer les qualités de leur projet. Ensuite, il y a ce que nous appelons les "édinautes", contraction de "éditeurs" et "internautes" ne cherchez pas au dictionnaire, c'est un néologisme que nous avons inventé. Ce sont des lecteurs de bande dessinée, passionnés. Ce sont eux qui vont décider de financer ou non les projets, en investissant des sommes à partir de 10 euros. En échange, ils recevront des choses exclusives, des "collectors", et partageront les bénéfices des ventes avec l'auteur et avec nous. Ils se rencontrent sur un blog que nous créons pour chaque projet. Les auteurs y montrent l'évolution de leur travail, les dessins de recherche, les diverses phases de la création. C'est une occasion unique pour eux de connaître

l'envers du décor de la création d'une bande dessinée. Ils peuvent dialoguer avec les auteurs durant toute la période du financement et pendant celle de la création de l'album. Une fois le budget financé, l'auteur est payé, il se met au travail, et nous réalisons le livre comme tout éditeur. Il est ensuite commercialisé avec des équipes commerciales en France, Belgique, Suisse et Canada, et distribué dans toutes les librairies par le plus gros distributeur européen, Hachette. Les édinautes participent à la promotion et au buzz. Et nous les tenons au courant des choses que nous organisons, souvent avec leur aide, d'ailleurs. Le modèle cumule donc un site de financement participatif, une maison d'édition complète, et une communauté 100% dédiée à la bande dessinée. C'est ce qui fait notre spécificité par rapport aux autres sites de crowdfunding, "généralistes", car nous sommes les seuls à être adossés à une maison d'édition, avec tous les services que cela implique, et les seuls à ne financer que de la bande dessinée, au sens large. Votre travail d éditeur, en quoi diffère-t-il du modèle classique? C'est exactement le même travail qu'un éditeur traditionnel. Les grosses différences sont le financement, qui est réalisé par les édinautes, et la promotion, qui est faite avec leur collaboration. Ils reçoivent du matériel de buzz, on leur conseille des actions à effectuer, on utilise avec eux toutes les possibilités des réseaux sociaux, et ils reçoivent des affiches et des flyers à distribuer autour d'eux. Mais la meilleure promotion reste encore le livre qu'ils reçoivent et qu'ils peuvent montrer autour d'eux. Du côté des auteurs, une fois leur projet accepté, nous devons jouer le rôle de pédagogue et leur expliquer comment communiquer, comment utiliser les réseaux sociaux, comment animer le blog pour réussir le financement. Cela se prépare avant la mise en ligne car ils doivent rassembler une communauté autour d'eux. Cela se poursuit pendant toute la durée du projet, et comme cela prend du temps, il est nécessaire de les encourager à maintenir la pression et les guider dans les animations. Mais pour le reste, je travaille comme chez Dupuis : je reçois les planches, je les lis, je fais des remarques, je discute avec les auteurs, j'effectue les contrôles classiques, la présentation aux commerciaux, le suivi de fabrication, la promotion, et bien sûr la rémunération des auteurs... et des édinautes. Quel type d auteur est tenté par votre modèle? Il n'y a pas de typologie particulière. Nous avons à la fois des auteurs qui souhaitent tenter une aventure éditoriale nouvelle, des auteurs qui se rebellent contre le système de plus en plus déséquilibré de l'édition traditionnelle, des auteurs dont les albums n'ont pas trouvé leur place à tort chez les autres éditeurs, des jeunes auteurs qui débutent, de grands auteurs qui veulent rééditer des œuvre qui ont été arrêtées, ou les reprendre avec l'aide des édinautes, etc. Vous recevez combien de propositions? Comment vous choisissez entre elles? Beaucoup, comme tout éditeur. Plusieurs par semaine. J'ai beaucoup de dossiers en retard (nous sommes une minuscule équipe). Comme tout éditeur, à nouveau. Je ne suis pas lié à des collections ni à une politique éditoriale. Mon choix peut donc être très large, sachant qu'en finale c'est le lecteur qui décide de la publication ou non du livre. Je fais donc une sélection basée sur la qualité des dessins, la crédibilité du scénario, le potentiel des auteurs à mener ou non le projet à terme, etc. J'essaie de ne pas faire intervenir mes goûts personnels et de varier les projets. Mais la condition sine qua non est

la qualité. J'élimine systématiquement les projets amateurs ou pas assez aboutis. Comment le crowdfunding change-t-il le rapport entre auteur et lecteur? C'est une occasion unique de connaître les dessous de la création d'une œuvre. Grâce au blog de chaque projet (dont une partie est à accès réservé aux édinautes de celui-ci), les édinautes peuvent suivre toutes les étapes dont les auteurs publient des éléments : les recherches, les story-boards, les crayonnés, les encrages, la mise en couleurs. Ce sont des choses auxquelles les lecteurs de bande dessinée ont rarement accès. Ils peuvent aussi dialoguer avec les auteurs, ce qui est également très rare dans la vie courante où, pour pouvoir parler quelques minutes avec un auteur il faut parfois faire une longue attente dans une file de dédicaces. Ils participent à des animations, et retrouvent parfois leur visage dans la BD à la place de celui d'un personnage. Dans un de nos albums, par exemple, un maffioso est l'un de nos principaux édinautes; dans un autre titre, D'Artagnan est joué par un autre édinaute. Dans un diptyque, l'auteur a caché un peu partout les pseudonymes de ses édinautes : noms de rues, plaques de voiture, etc. Une complicité s'installe. Dans tous les cas, il faut insister sur le fait que, si les lecteurs peuvent faire des remarques sur l'œuvre (parfois justifiées c'est bien d'avoir un peu de recul par rapport à son propre travail), l'auteur reste avec l'éditeur seul maître de sa création. Quels ont été les principaux défis/obstacles jusqu à maintenant? Le principal obstacle a été de convaincre. Le milieu de l'édition était sceptique quant à notre modèle. Les réactions étaient soit ironiques on me prenait pour un fou soit trop enthousiastes j'allais tellement révolutionner l'édition que les éditeurs traditionnels étaient voués à disparaître! La vérité est bien entendu entre les deux extrêmes. Nous avons apporté un modèle nouveau, qui révolutionne un peu l'édition, qui apporte des réponses à des problèmes émergents, qui permet à des œuvres de naître grâce à leurs lecteurs et à des auteurs d'être payés (ce qui, paradoxalement, devient de plus en plus difficile alors qu'il paraît plus de 5000 titres par an) mais qui n'est pas voué à remplacer l'édition traditionnelle. C'est un complément. Quant aux défis, ils ont été de taille. Au début, nous avons développé le site en deux mois afin d'être présents au festival d'angoulême 2010. La société avait été créée en novembre 2009, et le site a été lancé le 10 janvier 2010. Mais ce développement trop rapide était un mauvais choix. Nous nous retrouvions avec un site beaucoup trop lent, pas adapté à son succès ni à l'ajout de nouvelles fonctionnalités... et nous avions épuisé nos ressources financières, il était impossible de le redévelopper. Nous avons donc dû poursuivre avec ce site peu convainquant jusqu'à ce qu'un prêt d'un Fonds d'investissement culturel belge (St'Art) puis l'arrivée d'actionnaires nous permettent de le redévelopper. Mais nous avons quand même réussi à financer une dizaine de projets pendant ce temps malgré ces défauts énormes de jeunesse. Le projet a failli connaître une fin prématurée. Le 18 janvier 2010, soit 8 jours après le lancement, j'ai fait une chute d'escalade de 18 mètres en salle qui a failli me tuer. J'ai survécu, mais j'ai passé près d'un an à l'hôpital. J'ai pu gérer le site grâce à une connexion internet. Sandawe a donc deux records à son actif. Le premier est d'être le premier éditeur de bande dessinée à être financé par les lecteurs ce dont je suis fier, puisque c'est né dans ce petit pays qu'est la Belgique, berceau de la bande dessinée moderne, mais aussi d'être la première maison d'édition à avoir été gérée d'un lit d'hôpital durant un an! Quels sont vos futurs projets? Comment Sandawe évoluera-t-il? Nous avons validé le concept et convaincu les sceptiques. Nous avons montré qu'il était possible de rassembler une commaunauté de passionnés de BD (plus de 10 000 membres, ce qui peut sembler minuscule pour les anglo-saxons, mais est beaucoup pour une niche purement francophone) autour de projets afin de les financer avec leur aide. Nous

avons ensuite montré que ces projets aboutissaient à des livres de qualité : une bonne vingtaine sont déjà dans le commerce, dans tous les circuits de librairie, un premier est déjà traduit en espagnol et des produits dérivés commencent à s'emener. Nous sommes reconnus comme une maison d'édition tout à fait professionnelle, désormais. Nous pouvons commencer à élaborer le futur. Le cap suivant est de permettre à des initiateurs de projets liés à la bande dessinée de financer ceux-ci indépendamment d'un contrat d'édition ce qu'ils font déjà sur des plates-formes généralistes comme Ulule et Kiss- Kiss-Bank-Bank, les équivalents francophones de l'excellent Kickstarter en profitant de notre communauté hyperspécialisée. Nous avons testé ce concept de "projets libres" ces derniers mois et développerons la plate-forme prochainement. Ici, les projets sont pris au sens large : outre des albums, on nous propose déjà de la BD numérique, une fresque murale de la ville de Bruxelles réalisée par une dessinatrice italienne, des œuvres d'art à partir d'univers BD, etc. Nous avons, durant la période de test, financé une émission télévisée dédiée à la bande dessinée, Kaboom! Comme quelques-uns des soucis des auteurs qui réussissent leur financement sur les plates-formes généralistes sont la réalisation pratique et la diffusion de leurs albums, nous allons leur donner accès à nos services et à nos prestataires spécialisés. Il sera ainsi possible d'inclure à la carte dans le budget à financer la réalisation par nos soins du PDF d'impression, du suivi éditorial, de la fabrication, du "bon à tirer", de l'impression, du service de presse, etc. Dans certains cas, les intiateurs de projets pourront également profiter des services de diffusion et de distribution via nos partenaires. Nous envisageons également à moyen terme une version internationale en anglais. Enfin, comme le marché de la bande dessinée est très encombré et que la présence d'un album en librairie n'est que de quelques semaines, voire quelques jours il arrive tellement de livres en librairie que les libraires sont en permanence obligés de faire de la place, nous allons créer une boutique en ligne afin de vendre en direct nos éditions hors-commerce et de permettre aux amateurs de se procurer nos livres s'ils ne les trouvent plus en librairie. Mais j'insiste quand même sur l'importance pour nous d'être présents physiquement en librairie. Nous considérons les libraires comme indispensables et nous les soutiendrons dans la mesure de nos possibilités pour qu'ils résistent à la poussée des librairies en ligne. Comment voyez-vous le futur du crowdfunding pour l édition (y compris en dehors de la BD)? Quelles sont ses possibilités, ses limites? Les premières limites sont principalement humaines, ce sont le temps et l'énergie qu'impose un processus chronophage. Il faut les nerfs solides et de la patience, être proactif et créatif. D'un autre côté, cela permet de faire naître des œuvres qui n'auraient pas pu voir le jour, et connaissant la créativité humaine, la source n'est pas près de se tarir! Une autre limite est celle du budget. Plus il est élevé, plus il est difficile de boucler le financement du projet. Or, si l'on veut une distribution large, il est nécessaire de prévoir un budget important. Dans nos budgets, nous prévoyons un premier tirage aux alentours de 5 000 exemplaires (c'est une moyenne, certains titres ont des tirages plus élevés, d'autres moins). Une fois celui-ci épuisé, il nous faut trouver des solutions pour la suite. Le problème de la diffusion des œuvres financées et réalisées est une autre limite. Nous réfléchissons donc à des solutions (la première étant notre boutique) pour les projets "niche". Et Internet a, pour cela, un énorme potentiel. Quant aux possibilités, elles sont très larges. Je suis vonvaincu que le crowdfunding va continuer à se développer dans tous les domaines et que d'autres sites vont se créer afin de répondre aux besoins des créateurs. Ils y trouveront un moyen de se libérer des contraintes déséquilibrées de l'édition traditionnelle et de reprendre leur destin en mains. Dans la bande dessinée, le métier d'auteur est en pleine mutation. Jusqu'aux années 80, les auteurs recevaient une rémunération à la planche (car ils étaient publiés dans des magazines, c'était un droit de publication) PLUS des droits sur les albums. Avec la disparition de la presse BD, ce prix à la planche est devenu une avance sur droits. Puis a été transformé en forfait. Comme le nombre de titres parus chaque année est devenu énorme, le tirage moyen a chuté terriblement. Et les forfaits aussi. Le métier se paupérise. Des auteurs et non des moindres arrêtent carrément leur carrière. D'autres sont obligés d'accumuler les commandes "alimentaires" pour survivre. Le crowdfunding, qui a incontestablement une facette "mécenat", permet encore de les payer en mutualisant le risque

d'édition. Je pense que nous allons voir arriver une génération d'auteurs entrepreneurs qui vont recourir au financement participatif pour fabriquer et vendre leurs livres (car il y a aussi une facette "souscription"), et utiliser ensuite toutes les possibilités d'internet et des réseaux sociaux pour les diffuser plus largement ensuite. L'avantage évident, c'est que tous les bénéfices sont pour eux. Pour gagner la même somme, ils doivent vendre cinq à dix fois moins d'exemplaires! Et je pense que d'autres services vont naître en complément du crowdfunding pour les y aider. Nous comptons bien être acteurs dans cette mutation.